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L'Aura d'espoir [en cours de construction]

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L'Aura d'espoir [en cours de construction] Empty L'Aura d'espoir [en cours de construction]

Message  PtiteCoccie88 Jeu 19 Avr 2012 - 10:53

Titre: L'aura d'Espoir (en cours)
Auteur: PtiteCoccie
Date de publication: Jeudi 19 avril 2012

Avertissement : PG-13
Catégorie : S
Mots Clés : Angst, MSR
Ship : ++

Résumé : Septembre 2004. Caroline du Nord. Toute seule face au miroir, le sol semble de nouveau se dérober sous Dana Scully. La raison de ces tremblements semble évidente et déjà toute tracée...  

Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas. Je ne m'en sers que pour le plaisir de mon Imagination et celle des Autres.


****************************************************************************************************************************

L’AURA D’ESPOIR

________________


1
*


Septembre 2004

Elle reposa la brosse à dent humide dans son gobelet. Son sourcil se redressa, ridant son front. Elle s’était trompée. Ce n’était pas la sienne. Elle avait pris la violette au lieu de la verte. C’est ce qu’il pouvait arriver quand deux brosses à dent se retrouvaient sous le même toit.

- Mince.

Elle se rinça une dernière fois la bouche et ferma le robinet. Elle s’observa dans la glace et arrangea ses cheveux encore mouillés par endroits à l’aide de ses mains. Malgré la douche, ses yeux restaient endormis. Pas d’heures supplémentaires cette semaine, se promit Dana, ou ce n’est plus un visage légèrement tiré que lui renverrait le miroir de la salle de bain, mais sa propre décomposition à un stade avancé.

Elle était attendue au bloc pour une opération de routine et c’était bien le dernier endroit où les gens prêtaient une seconde d’importance à votre apparence, le bleu vous recouvrant des pieds à la tête, mais cela ne l’empêcha pas de saisir le rouge à lèvres posé sur l’étagère juste au-dessus d’elle. Elle se sentait fatiguée, le reflet dans la glace lui faisait comprendre qu’il s’agissait plus qu’une simple sensation. Elle arrêta subitement son geste. Elle n’avait appliqué qu’une seule couche sur ses lèvres. Le rouge contrastait fortement avec son teint qui à cet instant précis croulait sous un blanc livide. Le tube doré lui échappa des doigts. Les yeux clos par la douleur et la respiration coupée par la nausée qui l’étouffait, Dana eut l’impression que ses tympans allaient exploser quand le rouge s’écrasa, rebondissant, dans l’émail du lavabo. Ses bras se crispèrent autour de lui, tentant de retenir tout ce qu’elle pouvait. Plus aucunes pensées ne circulaient en elle. Dana s’était figée, engluée dans une paralysie invalidante. Elle respira. Une fois. L’air, lentement, s’infiltra en elle. Deux fois. L’oxygène, longuement, tenta de refouler l’insupportable. Trois fois. La nausée chargea de tout son poids, propulsant à terre le calme que Dana avait tenté d’insuffler une dernière fois dans son corps.

Dans un gémissement d’angoisse annonçant la fin, elle réussit à fermer la porte. Il ne fallait pas qu’il entende.

Elle souleva la cuvette des toilettes. Tombant sur ses genoux, elle suffoquait. Les contractions de son estomac, niveau impitoyable, ne lui laissaient aucun répit. Sa gorge brûlait. Les yeux ravagés par les larmes jaillissantes, Dana ne discernait presque plus rien. Ne subsistait que le déchirement et le bruit de la douleur.

Ses mains, puis tout son corps commencèrent à trembler. Elle avait pourtant si chaud. Son cœur lui donna l’impression qu’il atteignait un stade critique, explosant tout sur son passage. Dana crut qu’il allait bondir hors d’elle. Et sa tête ne se résumait plus qu’à un immense trou noir.

Les secondes qu’elle resta au sol, pétrifiée, étaient interminables, mais elle voulait s’assurer qu’elle ne se relèverait pas pour rien. Moyennement convaincue, encore ébranlée et choquée, elle se redressa et fit gronder la chasse d’eau. Sa tête jouait les battements de son cœur. Et dans moins d’une heure, elle devrait opérer. Elle fit un pas, puis un autre. La crise semblait faire machine arrière. Vacillante, elle retourna devant le lavabo et s’aspergea d’eau froide. La glace contre son front fit redescendre la cavalcade. Entre deux fermetures des yeux, elle réalisa avec horreur que l’eau devenait rougeâtre.

- Oh mon Dieu ! gémit Dana, portant soudainement une main sous son nez.

Elle resta un court instant à contempler, comme impuissante, le sang qui tournoyait, dansant avec l’eau sous ses yeux.

- C’est pas vrai… murmura-t-elle, hypnotisée de terreur.

Néanmoins, elle finit par se ressaisir. Elle ne pouvait pas rester indéfiniment penchée au-dessus du lavabo. Elle s’empara d’une boîte à mouchoirs et calma l’hémorragie nasale, réalisant un point de compression tout en veillant à garder la tête droite.

Une fois de plus, son double lui faisait face. Elle put lire la panique terrasser la profondeur de son regard.

Le saignement de nez était plutôt bénin et s’estompa en quelques minutes. Elle se débarrassa des preuves dans la poubelle qu’elle ferma aussitôt. Il ne fallait pas qu’il voit.

Elle défia une dernière fois son reflet. Que se passait-il ? Elle implorait que le miroir lui affiche la réponse. Hier matin, déjà, elle avait eu des signes. Bien qu’assise sur sa chaise, elle s’était sentie partir, et sous l’influence de son mal de tête grandissant, la réunion s’était muée en une espèce de brouillard sourd et obscur. Quand le Père Ybarra et ses confrères lui avaient demandé son avis sur un patient, elle s’était contentée de leur fournir un simple acquiescement, presque timide, et rejoignant l’opinion de tous. Réaction qui n’avait pas manqué d’étonner l’assemblée. Même si elle ne travaillait avec eux seulement depuis un an et demi, le Docteur Scully était bien réputée pour ne jamais rien faire comme tout le monde.

Dans le passé, elle avait beaucoup saigné. En rémission miraculeuse depuis sept ans, elle n’arrivait à occulter cette réalité plausible qui frappait son corps depuis quelques jours. Et surtout il y avait cette fatigue si languissante qui s’insinuait dans ses membres.  

Elle intercepta une nouvelle fois ses yeux bleus :

- Je n’aurai pas la force de me battre.

***

Il sortit de la cuisine et sursauta quand il réalisa sa présence. Mulder ne l’avait pas entendue redescendre. La tasse de café qu’il tenait dans ses mains avait bien failli se retrouver par terre.

- J’ai refait du café. Tu veux une autre tasse ?
- Non !

Sa réponse était sortie avec une force inouïe de ses poumons, comme pulvérisée dès la seconde où elle avait touché l’air libre.

- Je veux dire… non, reprit-elle plus calmement, éloignant la précipitation. Je suis en retard.
- Une opération ?
- Je suis chirurgien, rappela-t-elle, un sourire maladroit s’emparant de ses lèvres.
- Tu es sûre que ça va ?
- Absolument, répondit-elle, tentant de convaincre avant tout elle-même.
- Dans ce cas, qu’est-ce que tu attends ? lui fit-il remarquer.

Elle n’avait pas bougé d’un centimètre depuis qu’il était sorti de la cuisine.

- Rien ! Rien du tout.

J’attends quand même que tu me ramasses le jour où le sol se fracassera sous mes pieds. Comme il y a sept ans. Sauf que là, il faudra que tu sois plus fort, car je ne t’aiderai pas à me remonter à la surface. Voilà pourquoi j’accroche tes yeux sans respirer. Je ne veux plus attendre la mort, car je n’attends rien Mulder tu comprends, j’irai la chercher cette fois tu comprends Mulder ? Dis-moi que tu comprends… Bien sûr, tu ne peux pas, car tu ne sais pas. Forcément, Dana ne te dit jamais rien.

- Je… serai de retour en fin d’après-midi Mulder, continua Scully.
- Scully ! réagit Mulder. Tu… tu oublies ton sac.

Le café toujours dans l’une de ses mains, il s’approcha de l’escalier où avait été abandonné l’objet en question, puis il le lui donna. Au moment du changement de mains, il nota un léger tremblement habitant les doigts de sa compagne.

Il retourna dans la cuisine et coupa la radio, ce qui lui permit d’entendre les graviers situés à l’extérieur s’agiter sous le poids des roues que Scully fit démarrer. Il resta quelques secondes devant le poste qui s’était endormi sous ses ordres. Pensif et inquiet.

Quand elle partait le matin, jamais une seule fois Scully ne lui avait dit le moment où elle comptait refranchir le seuil de leur maison. Une réplique qui venant d’elle annonçait le glas d’un non retour. Scully avait quelque chose dans la tête qu’elle n’avait pas voulu lui dire. Mais ses yeux ancrés dans la peur avaient parlé pour elle.
***


Dernière édition par PtiteCoccie88 le Mer 17 Juin 2015 - 8:28, édité 5 fois
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Message  PtiteCoccie88 Sam 21 Avr 2012 - 0:19


2
*

Le docteur Scully jeta un œil à l’horloge située au dessus d’elle. Midi. Puis elle recentra son regard sur le tableau récapitulant le planning des opérations du service pédiatrie. Elle attrapa le chiffon reposant sur le rebord métallique et effaça à trois reprises son nom qu’elle remplaça par celui du docteur Jackson. Après être sortie du bloc et avoir amené Lucie en salle de réveil, sa jeune patiente, le docteur Scully était allée trouver son confrère pour lui demander s’il pouvait prendre toutes ses opérations de l’après-midi. Ce qu’il avait accepté naturellement. Le docteur Jackson avait été même jusqu’à féliciter le docteur Scully de prendre enfin un peu de repos jusqu’au moment où elle lui avait annoncé qu’elle devait s’occuper en urgence d’un patient dont l’état venait soudainement de rechuter. Ce qu’elle avait omis de lui révéler bien sûr, c’est que le patient n’était autre qu’elle-même.

Elle s’écarta du tableau et aperçut enfin la proie passer devant elle, la tête plongée dans un dossier.

- Stevens ? interpella Scully.

Elle dû d’ailleurs s’y reprendre à deux reprises, quitter le hall principal du service et s’embarquer dans l’aile étroite pour ne pas perdre de vue sa trace. Le bruit infernal des charriots infirmiers en cette fin de matinée perturbaient et encombraient sans cesse les couloirs.

- Stevens ! répéta-t-elle encore, attrapant cette fois le bras de la jeune interne, tout en veillant à ce que personne ne remarque leur échange.
- Docteur Scully ? réagit-elle, décrochant enfin de son dossier, et remettant son stylo dans sa blouse.
- Suivez-moi, j’ai quelque chose pour vous.

***

Le docteur Stevens s’installa devant l’ordinateur et commença à préparer la machine.

- Docteur Scully ! C’est prêt, vous pouvez amener le patient, avertit Stevens, les yeux toujours rivés sur les écrans, mais ce qu’elle vit dès lors qu’elle chercha la vue de son supérieur la déstabilisa. Docteur Scully ? Pourquoi vous verrouillez la porte du labo ?

Scully vérifia une dernière fois que la porte était bien fermée de l’intérieur puis elle se retourna vers l’interne.

- Parce que le patient… le patient c’est moi Stevenson.

Face à l’attitude perplexe de son otage, elle avait d’abord hésité, puis elle s’était reprise. Il fallait qu’elle sache et le plus tôt possible. Elle ne pouvait pas rester dans cette incertitude macabre qu’elle se construisait.

- Quoi ?

Stevens la regarda déboutonner sa blouse blanche puis l’enlever.

- Vous avez très bien entendu Stevens !
- Mais on ne peut pas faire ça ! C’est contraire au protocole ! Ses examens coûtent des fortunes ! Seuls les patients ont un accès…
- Stevens ! C’est bien « vous » qui avez dit au nom de tous les internes de première année de cet hôpital qu’ils étaient trop souvent maintenus en arrière, relégués aux tâches ingrates que personne ne veut faire ?
- Euh… oui.
- Alors saisissez votre chance !

Stevens acquiesça.

- Bien docteur Scully.

Dana Scully était déjà passée de l’autre côté, derrière les vitres.

- Dites-moi juste ce qu’on cherche, avertit Stevens, afin de régler les derniers détails.

Dana prit quelques secondes avant de lui répondre, se perdant dans le vide de la vitre. Après tout, personne ne la forçait à savoir. Elle avait encore le choix. Les symptômes de ce matin n’étaient peut-être que passagers. En cet instant précis, elle se sentait bien. Pas d’étourdissement au bloc ce matin. Rien. Rien depuis la salle de bain. La maladie étant reine dans l’art de la dissimulation et du silence. Ce matin n’était si ça se trouve qu’un simple soubresaut. C’était peut-être trop tôt pour la réveiller. Cet examen risquait d’accélérer les choses alors qu’elle aurait pu s’accorder encore des jours, voire des semaines d’ignorance. Et puis comme ça, en attendant la ligne rouge, le moment où il serait trop tard pour tout, elle aurait une excuse pour ne pas se battre.

- Docteur Scully ? réveilla Stevens.

Dana se reconnecta et tourna sa tête vers elle – cette machine imposante et monstrueuse, destinée à vous avaler et vous étouffer avec son tunnel. Tout blanc, clair et étroit. Sans lumière au bout. Juste du bruit et une sensation que tout se joue sur ce plateau en quelques secondes. Vous ne pouvez pas bouger. Vous ne pouvez qu’attendre, les yeux fermés. Attendre qu’elle regarde en vous pour vous transpercer et révéler l’invisible.

Dana Scully revint vers Stevens.

- On cherche une tumeur Stevens.

Puis sans accorder une seconde d’attention supplémentaire à sa jeune collègue qui avait bien du mal à contenir les émotions que cette révélation avait déclenchées sur son visage, Dana se dirigea vers le scanner et précautionneusement, elle s’y allongea.

- Une tumeur cérébrale Stevens, indiqua-t-elle une dernière fois, juste avant de s’enfoncer dans les entrailles.

***

Mulder tournait les pages de la revue à la recherche de quelques détails croustillants afin de meubler ce début d’après-midi. L’actualité était plutôt calme ces derniers temps, ce qui ne manquait pas de contrarier Fox Mulder, ancien agent du FBI. Les enquêtes et l’adrénaline du terrain lui manquaient terriblement. Mais, c’était désormais à Scully de vivre sa passion. Chacun son tour. Il l’avait privée de tant de choses durant dix ans. Alors il méritait vraiment de s’ennuyer aujourd’hui. Tout ce qui comptait, c’était elle. Et rien d’autre. Son sourire, son parfum, sa présence, sa façon de bouger, de parler, ses yeux…. Scully en entier était sa raison d’être. Il regarda sa montre. Midi et demi. Allait-elle tenir sa promesse ? Rentrer plus tôt que d’habitude ? Plus que quelques heures et elle lui offrirait la réponse. Tout en continuant de tourner une nouvelle page, il tenta de s’emparer d’une nouvelle tasse de café. Malheureusement, dans sa route pour se soulever du bureau et parvenir jusqu’à ses lèvres, celle-ci se heurta à un petit écrin en bois posé juste sur le devant du bureau et abritant un fond de graines de tournesols. Accrochage qui eut pour résultat de déverser une bonne partie du café sur Mulder lui-même.

- Et merde… marmonna-t-il, constatant les dégâts.

Sa chemise bleue était inondée. Il fallait agir.

Mulder fit glisser la porte du placard sur le rail. Il déplaça une pile de pulls qui fit remonter à la surface plusieurs chemises dissimulées dans le fond. Il quitta l’ancienne et en enfila une nouvelle. Verte foncée cette fois.

Abandonnant la chambre, il pénétra dans la salle de bain. Il ne s’aperçut de rien au moment de soulever le couvercle blanc du panier à linge sale situé près du lavabo. Ce n’est que quand il le reposa que ses yeux communiquèrent en un éclair l’information à son cerveau. Rouge. Comme trois gouttes. Il souleva de nouveau le couvercle et le mit sous ses yeux. Hormis l’odeur de l’osier omniprésente, il ne percevait rien d’autre. Il passa ses doigts sur les taches. Sec. Le panier à linge se referma encore. Il lui fallait autre chose. Un autre indice. Qu’y avait-il autour ? Le lavabo. L’étagère. La poubelle. La serviette. Le tapis en éponge. La poubelle ! Fermée ? Oui. Il avait bien vu. Pourquoi fermer une poubelle à moitié vide ? Mulder se pencha aussitôt vers elle, l’ouvrant aussi vite que possible, mettant la main sur elle comme s’il venait d’attraper le suspect du siècle, recherché depuis des mois par toutes les polices de la terre entière. Ses yeux se bloquèrent dans un premier temps. Il ne voulait pas croire ce qu’ils lui montraient. Il ne voulait pas comprendre. L’attitude complètement figée et bizarre de Scully lui revint en mémoire. Scully… Bien sûr qu’il ne voulait pas comprendre. Et encore moins interpréter les signes qui s’offraient à lui. Au-moins cinq mouchoirs remplis de sang flottaient au milieu des cotons et des cheveux. Scully… Il porta la main à sa bouche. Seul moyen de contenir l’émotion qui le submergea. Devant la radio, il n’avait pu s’empêcher d’y penser. Puis, il avait finit par occulter l’angoisse que lui avait communiqué Scully. Personne ne veut penser à la maladie. Même quand les preuves se montrent à vous.

***

Le docteur Dana Scully scrutait avec incompréhension les écrans d’ordinateurs. Elle repassait en boucle les divers angles approfondis de son cerveau que la technologie à la pointe du sommet permettait de lui offrir.

Le docteur Stevens ne pouvait qu’observer la sidération qui envahissait le docteur Scully depuis au-moins cinq longues minutes.

- Je… c’est pas possible. Il doit y avoir une erreur ou un dysfonctionnement dans le système, c’est…
- Docteur Scully ! Il n’y a pas de tumeurs !
- Si forcément, sinon comment expliquer…
- Comment expliquer quoi ?
- …
- Il n’y a pas de tumeurs docteur Scully. Vous allez bien !

Dana, pourtant, n’arrivait toujours pas à émerger des écrans devant lesquels elle se tenait.

- Docteur Scully… pourquoi avoir pensé à un tel diagnostic ?
- J’ai… j’ai eu un cancer il y a sept ans. Stade cinq. Je suis passée près, révéla-t-elle enfin, sans pour autant délaisser les moniteurs comme si elle voulait photographier les images pour graver en elle la preuve qu’effectivement, elle n’était pas malade.

Elle se tourna vers sa collègue qui tant bien que mal tentait d’encaisser la nouvelle et l’observa avec une profonde sympathie.

- Mais je vais bien Stevens, rassura-t-elle. C’est vous-même qui l’avez dit.
- Juste que parfois… on oublierait presque que les médecins aussi, ils peuvent devenir patients.
- Stevens… nous sommes d’accord. Ce midi, je ne vous ai pas vue, vous ne m’avez pas vue et vous n’avez jamais fait de scanner.
- Et j’ai même eu le temps de manger un repas complet, répondit Stevens avec complicité.

Le docteur Scully était sur le point de sortir quand elle lui posa une dernière question. Elle réalisa qu’elle n’avait pas vraiment répondu à son interrogation.

- Mais pourquoi avoir pensé à une récidive ? Je veux dire… quels sont vos symptômes ?
- Hum… fatigue, maux de têtes, saignements de nez et vomissements.
- Effectivement… je comprends mieux votre inquiétude, répondit Stevens avec le plus grand sérieux tout en cherchant une autre réponse cohérente avec les symptômes évoqués, mais soyez certaine, ce n’est pas le cancer. Vous pouvez passer une après-midi sereine.
- Je vous remercie Stevens.

Puis l’interne sourit et risqua une autre question.

- A quel moment de la journée, vous sentez-vous le plus fatiguée ?

Scully se tenant près de la porte, prête à l’ouvrir arrêta son geste et réfléchit un instant, passant en revue tous les moments où elle s’était sentie diminuée.

- C’est surtout le… Elle s’arrêta. La pensée la gifla comme une vérité inconcevable, mais… possibilité extrêmement possible en regard des manifestations cliniques. C’est surtout… le matin.
- On pense systématiquement que les symptômes désagréables et douloureux renferment la maladie, mais pas toujours…. Vous devriez vérifier Dana, conseilla Stevens comme une femme à une autre femme, et non plus comme deux simples confrères.

Dana répondit par un hochement de tête affirmatif et posa une nouvelle fois sa main sur la poignée. Une main tremblante. Puis l’effervescence des couloirs de Sorrows of Hospital fit disparaître la silhouette pressée de Dana Scully en tenue civile, sac à la main et prenant la sortie.

***

L’enseigne lumineuse qu’elle fixait depuis un petit moment finit par aveugler Scully. Les portes automatiques s’ouvrirent et laissèrent passer une femme d’une cinquantaine d’année, emmitouflée dans son écharpe marron, le teint blafard et qui semblait frigorifiée. Le bruit de la porte automatique perturba la concentration de Scully qui décrocha enfin ses iris de la croix verte. Elle entra à son tour, faisant de nouveau siffler les portes qui détectèrent sa présence. Elle ne se dirigea pas tout de suite vers l’un des comptoirs. De toute façon, ils étaient occupés. Elle se perdit dans la multitude d’étiquettes et de médicaments en libre service qui s’offraient à elle. Scully ne pensait plus. Elle se sentait comme dans du coton. Comme si elle avait trop dormi ou prit une dose trop forte de somnifère. Les lieux ne lui semblaient pas réels. Les minutes qu’elle était en train de vivre lui paraissaient si invraisemblables. Elle avait quarante ans. On ne pense plus à ça. Elle aurait voulu plonger sous ces piles de médicaments. Creuser un tunnel dans le carrelage blanc cassé du sol sur lequel elle se tenait, et trouver au bout une sortie pour se réveiller. Elle pouvait encore faire demi-tour. Ignorer. Sur ses tables d’opération, les gens mourraient ou continuaient de vivre. Mais si elle attendait trop, elle ne pourrait plus choisir entre la vie et la mort.

- Madame ?

Elle se retourna vers la pharmacienne.

- Je peux vous aider ?

Répondant par un sourire, Dana se dirigea vers elle.

***


Mulder sortit les clefs de sa poche et les inséra dans la serrure. Les bras chargés de courses, il n’avait pas fait attention, mais la Ford de Scully était garée sur la gauche. Il réalisa que la clef ne lui servit à rien, car la porte n’était pas verrouillée. Et ce qu’il vit provoqua un déchaînement de frayeur dans son estomac. L’image qui s’offrait à lui était comme un aveu qu’elle lui donnait. Il traversa le salon et déposa les courses dans la cuisine. Il ne s’attarda pas, mais les larmes montaient déjà en lui. Sans bruit, il revint sur ses pas et doucement il s’approcha du canapé. Allongée sur le dos, Scully dormait. Elle n’avait même pas pris la peine d’enlever sa veste noire. Elle avait même gardé ses chaussures. Sa respiration était calme. Elle était vraiment rentrée du travail plus tôt que d’habitude. Pourquoi ? Parce qu’elle voulait passer plus de temps avec lui ? Parce qu’elle voulait faire une pause dans sa vie de chirurgien ? Ou parce qu’elle se sentait fatiguée et qu’elle n’arrivait plus à traîner son corps ? Parce que le cancer était de retour. Son sac à main était posé sur la table basse. Mulder, délicatement, s’assit sur le rebord du canapé laissé libre. Délicatement il s’empara de l’une de ses mains et l’enveloppa dans les siennes. Il aurait pu rester ainsi des heures, voire des années. Qu’avait-il fait ? C’était sa faute. Parce qu’elle avait travaillé avec lui, il lui avait donné le cancer. L’implant métallique placé derrière sa nuque responsable soi-disant de sa guérison divine semblait rendre les armes, l’abandonnant au-dessus du précipice. Elle n’avait plus qu’à plonger. Et lui avec.

Elle bougea. Sans doute la chaleur de ses mains contre la sienne envoyait un quelconque stimulus à son cerveau lui indiquant qu’elle ne se trouvait plus toute seule. Il vit ses paupières se troubler, puis s’ouvrirent complètement.

- Hey… murmura Mulder.

Elle ne réagit pas tout de suite à sa présence. Elle était trop déstabilisée pour le prendre en compte. Il l’entendit remplir ses poumons comme pour remettre en marche son organisme. Ses yeux ne discernaient pas grand-chose. Elle n’était pas tout à fait revenue de son escapade ensommeillée. Puis soudainement, elle ouvrit les volets d’un grand coup sec, se redressant maladroitement sur ses coudes.

- Mulder ? Sa voix était cassée et complètement enveloppée par le brouillard. Qu’est-ce…
- Tu t’es endormie, rassura-t-il, la voyant désorientée.
- Il est quelle heure ?
- Peu importe, lui répondit-il, l’amenant vers lui, finissant de l’aider à se redresser par la même occasion.
- J’ai mal à la tête… marmonna-t-elle.

Réponse qui replongea Mulder dans la torpeur.

Il vit qu’elle s’apprêtait à lui dire autre chose, mais il court-circuita son action lorsqu’il enlaça son visage dans ses mains. Douce chaleur… que c’est bon, ressentit Scully. Elle ferma les yeux. Son mal de crane s’apaisait. Elle se laissa bercer par la sensation que lui offrait Mulder. Elle sentit son souffle se rajouter et se déposer sur ses joues. Toujours emprise dans les griffes d’un demi sommeil, elle sentit ses lèvres venir jusqu’aux siennes, délivrant un bien-être incommensurable en elle. Comme une plongée dans une eau chaude vous libérant d’un poids rempli de nœuds qui jusqu’ici vous étouffait. Dana se laissait couler dans cette eau paradisiaque que lui procurait le baiser de Mulder. Plus rien à part elle et lui. Tout semblait flotter. Petit à petit, elle invita Mulder à rentrer dans les vagues avec elle, accentuant leur baiser. Avec ses mains, Dana vint à l’encontre du torse de Mulder, les posant à plat sur lui. Elle voulait le sentir. Être sûre que sa présence était bien réelle, que ce n’était pas un mirage. Puis elle les passa derrière son cou, enveloppant sa nuque avec la plus grande passion et grâce qu’elle pouvait mettre dans son geste. Leurs lèvres ne se quittaient pas. Même pas pour reprendre un certain oxygène. Un baiser passionné mais tout en délicatesse. Mulder vint à la recherche des mains de Scully qui s’étaient immiscées derrière sa nuque et glissant vers ses cheveux bruns. Il les attrapa, les ramenant entre eux, faisant enlacer leurs doigts les uns dans les autres, les entremêlant sans cesse, jouant avec, provoquant d’infimes frissons délicieux sur leur peau. Jeu qui petit à petit arriva à déconcentrer Scully, finissant par lui décrocher un sourire.

- Tu es réveillée maintenant ? lui chuchota Mulder.
- Je crois… lui répondit-elle, lui souriant une nouvelle fois, apportant avec elle un petit rire que seuls les anges purs possèdent.
- Tu fermes toujours les yeux pourtant, lui fit-il prendre conscience, replaçant une mèche rousse en arrière.
- Parce que je veux savourer encore quelques secondes cet instant…

Il la laissa faire. Il attendit qu’elle finisse de ressentir.

- C’est bon ! le prévint-elle, ouvrant définitivement les yeux.

Plus de brouillard dans le creux de ses prunelles bleues. Que des paillettes étoilées.

- T’étais où ? enchaîna-t-elle, s’écartant légèrement de lui, replaçant une distance normale entre eux.
- Parti faire des courses.
- Ah oui c’est vrai ! C’est même moi qui a écrit la liste.
- D’ailleurs il faut que je mette au frais certains trucs.

Elle le regarda se lever et à regret il finit par lâcher sa main et reprendre le chemin de leur cuisine.

Tout en se débarrassant de sa longue veste d’automne, Scully aperçut enfin l’heure digitale qu’affichait le lecteur dvd situé à quelques mètres d’elle. 18h14. Elle avait dormi durant plus d’une heure. Elle qui ne faisait jamais la sieste, elle se sentait encore un peu surprise face au sommeil qui s’était emparée d’elle comme un coup de massue. Ses yeux interceptèrent son sac à main abandonné sur la table basse. Tout revint en elle. Les flashs de la journée encore en cours la frappèrent. Les connexions se remirent en marche. Pendant un instant, celui qu’elle venait de savourer, elle avait oublié. Plus de salle de bain, plus d’écœurement, plus de tête lourde, plus de détresse exponentielle vous broyant les organes, plus de souffle coupé, juste elle et Mulder. Elle et son petit paradis de terre cachée…

Son sac était fermé. Heureusement. Il aurait pu voir.

***


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Message  PtiteCoccie88 Ven 27 Avr 2012 - 16:32

3
*


Who knows? How many different lives would we be leading if we made different choices?
We… we don’t know.


[All Things]

Dana n’avait jamais réussi à dormir plus de six ou sept heures la nuit. Détail qui s’était révélé être un excellent atout durant ses études de médecine. Mais également lorsqu’elle avait travaillé avec Mulder. Dana sourit. Surtout quand elle avait travaillé avec Mulder. Le nombre de garde qu’elle avait pu faire pour boucler le loyer lors de son internat était tout simplement incalculable. Mais cette nuit, ce trait caractéristique de sa personnalité n’y était pour rien. Dans le noir, Dana effaça son sourire. Ses yeux étaient maintenus ouverts, pas parce qu’elle avait déjà trop dormi, mais parce que son cerveau et son corps n’arrivaient pas à se déconnecter. Elle se sentait comme aspirée par le matelas. Une aiguille fine mais redoutable lui perçait le cœur. Pourtant son visage ne laissait rien paraître. Scully fixait le plafond depuis presque deux heures. De cette façon elle tentait de convaincre sa mélatonine de reprendre du service. Mais surtout elle espérait que le plafond en s’effritant, se fissurant, se décrochant, vienne s’écraser de tout son poids sur ses pensées qui toutes se focalisaient vers la même direction, s’engouffrant dans la moindre parcelle de son corps, le rendant lourd et nerveux. Elle avait froid. Alors que sa peau était chaude, ses épaules brûlantes, mais tout en elle lui indiquait qu’elle se glaçait, de l’intérieur. Par intermittence, son sang lui donnait l’impression qu’il ne circulait plus. La prise de conscience avait été un choc immense. Le ciel bleu était toujours là mais, figé. Les nuages retenaient leur respiration et les oiseaux ne battaient plus des ailes, ils attendaient son signal, à elle – celui qui leur dirait quoi faire. Jouer des ailes pour voler de nouveau, ou se pétrifier pour engager la chute libre ? En attendant, le décor était suspendu et Scully avec, prisonnière des ficelles qui autour d’elle s’emmêlaient… s’emmêlaient… s’emmêlaient… encore et toujours plus fort jusqu’à la faire disparaître, totalement.

Le 20 ? Le 22… Le 21 août ? À mesure qu’elle essayait d’appuyer sur retour, l’image devenait de plus en
plus blanche. Il n’y avait plus rien à voir. Quand elle avait treize ans, elle notait les dates dans un carnet, plus tard dans sa tête, et maintenant sa mémoire effaçait automatiquement les données, car cela n’avait plus besoin d’être mis à jour. Elle ne s’en servait plus, car on lui en avait retiré l’utilité. Depuis bien longtemps. Très.

De toute manière, on était que le 28 septembre. On était bon. Encore. Presque.

Scully abandonna le plafond qui lui servait de partenaire et tourna sa tête vers Mulder. On aurait pu croire qu’elle avait dû décrocher ses longues mèches rousses prisonnières de la glace tellement son geste fut lent. Il dormait. Sa poitrine montait, descendait. Montait. Redescendait. La lumière nocturne éclairait son visage. Si calme et doux. Enfin… doux seulement où il n’y avait pas de barbe. Scully de nouveau sourit. La barbe lui donnait l’air… « bûcheron »… Cela piquait aussi. Comme du scratch ! Mais aussi surtout, comme un hérisson ! Et ce qui est bien avec eux, les hérissons, c’est qu’ils vous protègent.

Scully ne cessait de le contempler. Une vie sans lui ? Inimaginable !

Elle entrouvrit ses lèvres. Tout doucement. Il ne fallait pas que l’air entre trop vite en elle, ni qu’il en sorte trop précipitamment. La vitesse pourrait réveiller Mulder.

Une fois qu’elle se sentit prête, elle lui chuchota :

- Je t’aime…



Puis après un temps, progressivement, elle s’extirpa des draps. Quant ses pieds touchèrent le parquet, ils le frôlèrent comme une danseuse en vol sur les ailes d’un cygne. Pas de craquement. Ne pas troubler son sommeil. Mais, il fallait qu’elle descende. Seule solution pour taire son hurlement intérieur.

***

Elle fit d’abord une escale dans la cuisine. La lumière l’agressa. Le bourdonnement du réfrigérateur finit d’abrutir ses oreilles. La main plaquée en réflexe devant ses yeux, plusieurs secondes lui furent nécessaires pour trouver son équilibre dans cette déflagration de watts. Le four affichait « 3h35 ».

Elle ouvrit le placard au-dessus de l’évier et se servit un grand verre d’eau qu’elle but d’une traite, comme pour se donner un peu de courage avant l’épreuve. Puis elle ressortit dans le salon et se dirigea vers l’inéluctable.

Mon Dieu. Respire ! Ou tu vas t’écrouler.

Sur la rambarde de l’escalier était accroché son sac à main, noir et brillant. Elle l’empoigna et disparut dans la porte située à côté de celle du bureau de Mulder.

La chambre d’ami n’avait jamais rempli sa fonction. Un froid électrique y régnait. Heureusement, elle n’avait pas besoin de s’y attarder. Ce qui l’intéressait, ce n’était pas cette pièce réfrigérée, mais la salle de bain qu’elle cachait sur la droite. Malheureusement pour Dana, il faisait aussi froid que de l’autre côté. À tâtons dans l’obscurité, elle tira sur la cordelette reliée au néon qui se trouvait accroché au-dessus du lavabo. L’espace clos éclairé, elle entreposa son sac dans le creux du lavabo. Le carrelage commençait à glacer la plante de ses pieds. Son estomac se fit entendre un léger instant. Elle avait faim. Tant pis pour lui. Il devrait attendre jusqu’au petit matin. Car, là, tout de suite, il y avait plus important, il y avait… une possibilité.

« Vous devriez vérifier. »

Elle relâcha la pression qui fermait son sac et derrière son chéquier, elle retira un petit sachet blanc – celui qui était sorti avec elle de la pharmacie, et en extirpa son contenu.

Elle n’avait jamais fait ça. Forcément, elle n’avait jamais eu besoin de le faire. Elle n’avait même pas commencé à ouvrir la boîte que tout son petit corps laissait déjà transparaître le tumulte interne qui la ravageait. Elle tremblait. Parfois juste de manière imperceptible. Certes, il faisait froid. Mais loin devant, la peur atroce participait.

Et si son saignement de nez n’était qu’une montée de tension accentuée par une angoisse soudaine résultant d’une douleur épaisse et brutale ? Son vomissement, pas le reflet extérieur d’une boule de cellules moisies et crevardes bouffant son cerveau et déséquilibrant son corps, si la fatigue… n’était que le signal d’une forte variation hormonale ? …

Dana Scully, quarante ans, déclarée stérile par la médecine depuis dix ans, sortit de sa boîte un test de grossesse.

***

Assise sur l’abattant des toilettes, Dana gardait les yeux fermés. Le test effectué, elle attendait.



Une minute.

Deux minutes…

Dana se demandait ce qu’elle préférait entre le cancer et la grossesse – entre la mort ou la vie. Un cancer pouvait durer trois mois (parfois moins), deux ans (parfois plus), mais une grossesse, en moyenne neuf mois. Sauf accident ou sacrifice volontaire. Le réveil de la tumeur, dans son cas était logique, mais tomber enceinte, inconcevable… surtout après ce qu’elle avait dû endurer avec Mulder… ce qu’ils enduraient toujours d’ailleurs.

Trois minutes !

Je crois que… je préfère le cancer parce que… c’est plus facile de se laisser envelopper par les profondeurs que d’affronter la vie. La mort est glissante, elle vous vide de vos émotions, ça devient calme… ça fait parfois mal mais, le cancer est astucieux, il sait brouiller vos neurotransmetteurs afin que vous preniez de vous-même votre ticket bien avant l’embarquement final destiné à plonger vos os dans les eaux glacées… La mort est la plus maligne des menteuses ! Elle vous fait croire aux cieux éternels mais, pas de paradis quand elle vous ordonne de redescendre sur le quai, pas d’échelle non plus pour s’asseoir sur les nuages, juste une boîte pour disparaître sous la terre. Mais c’est tellement plus facile de vivre dans le mensonge, car il n’y a rien de plus douloureux que la vérité qui nous oblige à ouvrir nos yeux pour continuer d’avancer et faire des choix.

Pour Dana, la possibilité d’être enceinte s’annonçait bien plus dévastatrice qu’une éventuelle réapparition de la tumeur.

William l’avait tellement détruite…

Au-moins, le cancer, il était fini. Cela lui arrivait d’y repenser, mais en moins de temps qu’il n’en fallait pour se retourner, elle occultait la case « traumatisme cancer ». Leur fils… pas une seule journée ne passait sans que le poids de la culpabilité dévorante ne vienne la punir en l’asphyxiant avec sa propre respiration. Parfois elle se réveillait au-milieu de la nuit, croyant l’entendre pleurer. Et Mulder ? Que ressentait-il ? Ils n’en parlaient jamais. Il détenait toutes les raisons de lui en vouloir. C’est elle-même qui une fin d’après-midi, penchée au-dessus du berceau de leur fils avait pris la décision de l’éteindre… sous ses yeux. Elle l’avait fait adopter, car elle n’était pas capable de lui faire découvrir le monde sans le tuer. Mulder n’était pas là. Eclipser William… son acte le plus lâche et le plus égoïste. Surtout que peu de temps après, on lui avait redonné Mulder. Elle s’en voulait de ne pas avoir été patiente, et d’avoir renoncé sans attendre le père de son enfant. Parce que William… personne ne lui redonnerait jamais.

Je ne mérite pas de retomber enceinte, tu entends ? Pas après ce que j’ai fait ! Je ne le mérite pas ! Mais le cancer, lui, je suis digne de le recevoir…

Cinq minutes…

Dana fermait ses yeux si forts que ses paupières croulaient sous la crispation.

Je ne le mérite pas, je ne le mérite pas, je ne le mérite pas…

Mais Scully était médecin. Et au point où elle en était, elle savait qu’il y avait très peu de chances pour que l’intuition du docteur Stevens soit fausse. Du reste, n’importe quelle femme de son âge au ressenti des symptômes, tête qui tourne, constante envie de dormir, palpitations, estomac retourné, aurait envisagé cette possibilité. N’importe laquelle… sauf Dana Scully.

Mais je suis stérile… presque.

Dix minutes.

Vêtue seulement d’une culotte en dentelle et d’un t-shirt échancré, Dana commençait sérieusement à se frigorifier de l’extérieur.

Il faut que tu ouvres les yeux… tu aurais dû le faire depuis au-moins cinq bonnes « foutues » minutes !

Ses ongles devenaient légèrement violacés. Le stress aidant. À force, elle risquait de maltraiter le test de grossesse qu’elle serrait entre ses mains.

Ouvre… ouvre… ouvre les yeux !



...


Elle ne captura pas tout de suite l’information. Scully avait maintenu clos ses yeux tellement forts que tout ce qu’elle put distinguer dans un premier temps, consistait en un amas d’étoiles au cocktail explosif de couleurs baignant dans une texture sombre, sableuse et granuleuse. Plus le voile étourdissant prenait le large, plus l’horizon s’éclaircissait et plus le résultat apparaissait…

- Merde !

Dana émit un souffle d’effroi.

Stupéfaction. Anesthésie foudroyante de terreur. Mais par-dessus tout une impétueuse colère.

Enserrant son index entre ses incisives pour s’empêcher de crier, l’oxygène vint à lui manquer cruellement.

En définitive, on n’était pas si bon que ça. Dana avait bien une semaine de retard parce que…

- Je suis enceinte !... … Merde et merde !

De rage, Dana balança le test de toutes ses forces contre le mur. Lorsqu’il s’écrasa sur le sol, elle put découvrir l’anatomie du boîtier qui en se fracassant contre la peinture vert d’eau, s’était ouvert en deux.

Contre toute attente, le rire s’empara d’elle. Agité, nerveux, puis comme névrotique, mais habité par une détresse grandissante et poignante. Les mains dans les cheveux, presque emprise à la folie, Dana expédia sans avertissement le rire par des pleurs. Ecrasantes d’étouffement. Elle luttait sans fin pour ne pas hurler. Ses mains finirent par lâcher ses cheveux qu’elle aurait voulu arracher et glissèrent sur son ventre qu’elle aurait voulu broyer, l’éviscérant.

- Non… non…

Elle gémissait d’une tristesse lugubre. Un calvaire torturant semblait la brûler de tous les côtés.

Puis, peu à peu, avec lenteur, elle se laissa attirer par le sol, s’effondrant sur le carrelage froid et dur, se recroquevillant. Dana se noyait dans son supplice.

Chute libre engagée.



Le silence se fondit progressivement aux soubresauts de la déchirure. Elle n’avait pas arrêté de pleurer, juste que le son n’arrivait plus à sortir de son corps.

Ouvrir les yeux… ça fait mal.

Elle porta sa main droite tremblante contre sa bouche et exerça contre elle une pression chaotique. Gardant les yeux ouverts embués par l’eau du désespoir, Dana s’ordonnait de se taire au moment où elle ferait face à Mulder.

Être égoïste, cela s’exerçait sur la durée.

Il ne fallait pas qu’il sache.

Jamais.

***




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Message  PtiteCoccie88 Ven 4 Mai 2012 - 20:37

4
*

The “truth” I’ve been searching for? That truth is “in” you.
[The Red and The Black]


Les yeux fermés, il chercha sa présence dans le lit. Le soleil en train d’émerger s’infiltrait doucement mais déjà sûrement dans la chambre. Ne parvenant à saisir l’ange de ses rêves, il ouvrit les yeux. Les cristaux rouges du radio réveil affichaient presque « 6h30 ». L’eau de la douche était muette. Où était-elle ? Où s’est envolé mon ange…

Après avoir repassé sur lui les vêtements de la veille qui quelques secondes plus tôt gisaient encore de tout leur long sur le sol, Mulder emprunta les escaliers que Dana avait déjà descendus au milieu de la nuit, sans qu’il le sache.

La voiture n’avait pas disparu, elle reposait toujours sur le gravier. Mulder relâcha le fin rideau et s’éloigna de la fenêtre. Son sac à main, lui non plus, n’avait pas bougé de l’escalier – du moins, c’est ce qu’il croyait. Sa sacoche marron dans laquelle elle ramenait certains dossiers médicaux de patients dont elle n’arrivait jamais à se séparer était là aussi, près de la cheminée.

Dans la cuisine ? Non plus. Endormie sur le canapé ?

Cela lui arrivait parfois de la retrouver au petit matin, emmitouflée dans un plaid écossais, la télé en sourdine, son acolyte de la dernière chance pour l’aider à vaincre son insomnie qui la terrassait souvent une bonne partie de la nuit. Et comme à chaque fois, à regret, il était obligé de la réveiller, elle qui enfin n’avait réussi à attraper Morphée seulement en moyenne depuis trente minutes. Et non ! Elle n’était pas sur le canapé. De toute manière, il s’en serait aperçu immédiatement avant même de frôler la moitié de l’escalier. Parce qu’un ange échoué en pleine grâce dans votre salon, ça ne peut se rater.

Il se dirigea alors vers elle – cette porte qu’ils ouvraient si rarement.

Gisante sur le flanc en travers du lit, sur des draps non défaits, ses yeux verts la trouvèrent enfin. La fine dentelle blanche couvrant sa peau lui donnait un air innocent et paisible. La vision de Scully endormie et presque nue raviva en lui le dernier souvenir lié à cette chambre :

Fin août. Il faisait chaud. Très chaud… Elle était dans le jardin en quête d’ombre et de fraîcheur. Mais l’air et la végétation n’étaient pas enclins à lui offrir satisfaction. Alors plutôt que de quémander et d’attendre en vain, Dana avait décidé d’exaucer elle-même ses propres prières en s’emparant du tuyau d’arrosage. Intrigué par son étonnant petit manège mais néanmoins très astucieux, Mulder l’observait depuis les premières marches du perron, un thé glacé entre les mains. L’eau était tiède, mais sa peau était si brûlante qu’elle ressentit un immense froid glisser le long de ses jambes. Mulder, fasciné, ne cessait de la regarder faire. Elle ne savait pas qu’il se tenait si près. Elle le croyait encore à l’intérieur. Elle portait une robe cousue dans un tissu aussi doux, léger et virevoltant qu’un voile de mariée. La robe s’arrêtait à mi-cuisse. Les bretelles étaient d’une finesse presque insolante tellement elles rendaient ses épaules accessibles et la chair de son buste si attractive. La précision des délicates petites fleurs imprimées en motif sur le tissu bleu-marine se mouvant au rythme de Dana dessinaient sur elle un aspect « rétro » renforcé par le roux de ses cheveux, tout en lui donnant l’aspect d’une créature tombée du ciel. Ses cheveux étaient remontés dans un chignon indiscipliné, rendu délicieusement rebelle par les fines mèches qui se plaçaient en fonction du vent chaud les traversant, finissant de parfaire l’apparence incandescente de Dana.

Cela faisait maintenant plusieurs minutes que Mulder la dévorait des yeux, subjugué, hypnotisé, simplement amoureux.

L’eau fraîche sortant du tuyau d’arrosage ondulait comme un serpent sur les jambes de Dana, montant parfois jusque sur ses cuisses, fuyant constamment sous ses pieds nus pour finalement se perdre entre les dalles façonnant la terrasse, le tout déclenchant et faisant parcourir en elle un frisson calme et équilibré d’une profonde béatitude.

Une fois le thé glacé coulant dans ses veines et la tasse délaissée, à pas de loup, feutrés, il s’approcha de sa proie.

- Tu pourrais te faire arrêter pour tant d’incandescence outrageuse, tu sais.

Elle sursauta. Elle ne s’était toujours pas doutée qu’elle n’était plus seule.

- Tu m’as fait peur ! lui reprocha-t-elle.
- C’était l’effet recherché, argumenta Mulder, doté d’une arrière-pensée non innocente. Tu partages ?

Dana le dévisagea incrédule. Visiblement, elle ne saisissait pas vraiment où il voulait en venir, la chaleur anesthésiant son cerveau, on aurait pu croire qu’elle planait, comme emprise sous les effets d’une substance illicite.

Comment peut-on posséder à la fois un corps si voluptueux réclamant de désir et un visage si candide, se demanda dans son for intérieur Mulder.

- L’eau ! éclaira-t-il.
- … je ne sais pas, lui fit-elle savoir dans une voix ravageuse de séduction.

Si elle continuait ainsi, Mulder avait raison, elle risquait vraiment de se faire arrêter !

Il ne répondit pas. À la place, il se rapprocha d’elle. Dangereusement.

- Je te préviens Mulder…

Une once d’inquiétude s’emparait de Scully au fur et à mesure qu’elle pressentait l’action future du chasseur.

- … cette robe est toute neuve et je ne voudrais pas que…

Elle coupa court ses propos. D’un geste vif et précis, il lui avait arraché des mains l’objet qui depuis plusieurs minutes l’aidait à retrouver une température adéquate et normale.

Moyennement rassurée, se tenant sur ses gardes, Scully ne lâchait pas des yeux Mulder. Prête à réagir et à bondir en cas d’attaque par l’ennemi, pourtant si désiré. Elle le regardait s’abreuver de l’eau claire et limpide, faisant à son tour couler en lui la fraîcheur. Il ferma les yeux.

Ne voulant prendre aucun risque, elle commença à s’éloigner, passant prudemment devant lui à reculons tout en prenant la direction de la maison. Puis sentant le danger écarté, elle adopta une marche et un rythme plus classique.

Erreur !

La distance qu’elle avait volontairement instaurée entre eux ne lui permit pas de voir le sourire de manigance envahir le visage de Mulder, et elle se tenait encore assez près de lui pour qu’elle lui laisse le plaisir d’exécuter son plan d’une extrême diablerie.



Un cri strident et juvénile réveilla soudainement le jardin qui jusqu’ici croulait dans le cœur de l’été.

Elle s’était arrêtée. Stoppée net par la cascade d’eau qui la submergeait. Comment osait-il ! Elle se sentait furax d’être tombée aussi facilement dans ses griffes, car elle avait repéré quelques signes annonciateurs de la charge du prédateur, mais elle se sentait aussi heureuse. La déferlante d’eau pure s’abattant sur elle dissipa instantanément toutes les tensions qui quotidiennement emprisonnaient, parfois sans raison, son corps et son esprit. Elle se sentait libre, même si Mulder la retenait désormais par le bras. Elle aurait pu s’échapper, mais elle ne l’avait pas fait. Elle l’avait laissé venir jusqu’à elle. Scully dégoulinait. Le tissu de sa robe, maintenant plaqué contre sa peau paraissait encore plus fin. Quant à ses cheveux, soumis à la force de l’eau, ils en avaient profité pour retrouver leur liberté.

Elle rigolait. Il rigolait. Tout juste si elle arrivait à ouvrir ses yeux – deux adolescents !

- Ah ! Mon bras Mulder ! Ça fait mal ! Très mal !
- Oh pardon ! réagit-il aussitôt, la libérant sur le champ afin de vérifier les dégâts. Il s’en voulait désolément d’avoir pu lui disloquer son membre si fin.

Seulement… cette fois la proie, c’était lui.

Le temps qu’il comprenne qu’elle l’avait trompé avec préméditation, Scully avait déjà réussi à prendre de longs mètres d’avance.

- Hé ! Mais t’as triché ! s’offusqua-t-il. Tu vas voir si j’t’attrape !

Avec un certain soupir de lamentation, il se résigna à délaisser dans l’herbe jaunie et cramoisie son complice qui n’était plus apte à suivre la course faute de longueur.

Dix secondes seulement après son évasion, déjà les traces de la chute d’eau qui s’était déployée sur elle en cascade vertigineuse s’évaporaient, séchant.

Elle s’était réfugiée à l’intérieur. Naturellement, il l’avait poursuivie. On ne renonce pas devant une si belle proie, encore plus si celle-ci est joueuse.

Scully surplombait l’espace de quelques marches quand elle le vit posté dans l’encadrement de la porte d’entrée. Jugeant que l’étage se résumait finalement à un cul-de-sac plus qu’à une planque inaccessible par le loup, elle se ravisa, rebroussant chemin, redescendant les trois marches juste grimpées. Elle avait le souffle court. L’énergie qu’elle avait dû abattre pour lui échapper l’avait éreintée. Et surtout, elle avait de nouveau chaud. Ses tempes bouillonnaient. Elle savait pertinemment qu’au moment où elle poserait le pied à terre, il bondirait sur elle. Elle serait alors perdue. Le ciel lui accorda cependant quelques secondes de salut, car elle réussit à le repousser en lui barrant le chemin à l’aide d’une chaise trainant devant la porte de la cuisine. Ils éclatèrent de rire tous les deux, surtout quand Mulder heurta de plein fouet le meuble en question.

- Merde ! jura-t-il à bout de souffle, entre deux soubresauts d’hilarité. Tu vas me le payer ! la prévint-il, essayant de se faire menaçant autant qu’il put mais… ce n’était pas gagné face à l’audace de celle qui se tenait si près et pourtant si loin de lui.

Insaisissable !

- Cause toujours !

Réponse qui assurément eut pour effet d’attiser grandement l’appétit du traqueur.

Sans réfléchir, par instinct, Scully fonça vers la première sortie qui s’offrait devant elle – la chambre d’amis.

- Ouvre cette porte ! ordonna Mulder entre deux gloussements.
- Non ! lui envoya-t-elle avec une détermination qui à en juger par le rire incontrôlé la secouant, ne tarderait pas à flancher, et la porte avec.

Et effectivement, la porte céda.

Elle monta aussi vite qu’un félin sur le lit et se plaqua instantanément assise dos au mur les genoux remontés vers sa poitrine. Prise au piège, la respiration bruyante et saccadée, elle se préparait à rendre les armes. Il était là, de plus en plus proche. À son tour, il grimpa sur le lit, mais doucement. Il aimait savourer la peur alimentée par le désir. Et les ondulations encore humides parsemant ses cheveux la rendait encore plus savoureuse pour Mulder.

Les draps frais imprégnés d’une lavande douce et délicate mêlé à l’envie grandissante émanait en eux une sensation de bien-être qui ne faisait que commencer. La fenêtre était ouverte, juste au-dessus d’eux, procurant à l’espace une atmosphère calme et sereine. Le tintement harmonieux d’un clocher parvint à eux quelques secondes. Et le soleil doré se reflétant sur les murs blancs confinait la chambre d’une aura divinement romantique contrastant avec l’ardeur irradiant des corps de Mulder et Scully.

Sans vraiment s’en rendre compte, Scully allongea l’une de ses jambes. Leurs regards étaient maintenus l’un dans l’autre. De ses doigts il frôla la chair ainsi offerte et remonta sur sa cheville… sa jambe… sa main disparut sous la robe…

La respiration de Dana était devenue silencieuse, mais pas parce qu’elle avait retrouvé un rythme normal, juste parce qu’elle s’était arrêtée, précisément à la seconde où il avait resserré la pression autour de sa cuisse, une pression se faufilant toujours plus haut, lui faisant ainsi comprendre qui était le maître.

Puis d’un vif mouvement, la soulevant par la taille, il l’amena sous lui l’allongeant en une glissade d’éclair.

Dans la rapidité de l’événement renversant, il lui avait arraché un léger hoquet de surprise.

Ils semblaient se découvrir pour la première fois. En apnée, ils gravaient l’instant. Il fit glisser l’une des bretelles appartenant à la robe, la dévoilant toujours un petit peu plus. Dana se sentait libérée du poids de son existence. Rien ne pouvait l’atteindre et lui faire du mal. Seul comptait l’homme qui se tenait au-dessus d’elle, l’enveloppant de toute sa carrure. Dana n’était plus qu’à l’écoute des émotions que Mulder faisait naître en elle.

Ils ne se quittaient pas des yeux, se scrutant dans une intensité exaltante.

Il pouvait sentir le cœur de Dana s’emballer.

Le souffle embrasant de Mulder se rapprochant, se montrant plus puissant et pressant à l’entrée de ses lèvres eut raison d’elle. Scully succomba, fermant les yeux.

Et fougueusement il l’attrapa.


Mulder revint à la réalité quand il l’entendit bouger. Difficilement, il la vit ouvrir les yeux.

- Ma chérie… lui murmura-t-il passant une main délicate dans ses cheveux.

Ce n’est qu’à cet instant qu’il sentit que son corps était gelé.

- Mon Dieu, mais tu es complètement frigorifiée ! s’affola Mulder, veillant cependant à garder une voix calme.

Il ne voulait pas prendre le risque de la brusquer, car elle ne semblait pas encore tout à fait revenue.

Il l’abandonna un instant pour ouvrir les volets. Il laissa la fenêtre ouverte afin d’oxygéner la pièce, mais aussi dans le but de la réchauffer. Même s’il était encore tôt, il faisait plus chaud dehors que dedans. Pas plus de dix degrés envahissaient l’espace.

La luminosité s’infiltrant contre son gré, cela l’obligea à finir d’ouvrir complètement ses paupières. Entre temps, Mulder était parti dans le salon récupérer le plaid qui normalement accompagnait toujours Scully dans de telles circonstances.

Mais comment Mulder aurait-il pu se douter que la douleur ressentie par Scully était si poignardante que le froid à côté de l’horreur désespérante n’était plus rien…

De retour, il l’emmitoufla immédiatement dans la couverture et prenant place près d’elle il la serra fort dans ses bras.

Elles ne se voyaient plus, mais elle pouvait encore sentir le goût salé des larmes séchées qui avaient ravagé et défiguré son visage il y a peu.

Quant à Mulder, il percevait d’infimes tremblements déstabiliser le corps qu’il pressait contre lui.

Scully ne comprit pas tout de suite. Elle se croyait à l’étage, quelques mètres au-dessus de la Terre, dans les ailes de son amant, or elle était en réalité plus basse, dans la glace, perdue dans les bras paniqués de Mulder. Et surtout, enceinte… Pendant un court instant, elle avait presque oublié, mais quand elle réalisa qu’elle se trouvait en enfer, un voile gris recouvrit ses yeux.

- Tu n’arrivais pas à dormir ? demanda doucement Mulder.
- Oui… je n’arrivais pas à dormir.

Elle avait répondu si faiblement que l’inquiétude de Mulder monta d’un cran. Et il avait bien remarqué qu’un assombrissement occultait le ciel azur des iris angéliques de Scully… depuis hier soir. C’était surtout… qu’elle n’était pas là – Son ange tombant dans le vide, lâchant le ciel, le regardant s’amincir car trop haut, et elle criant sans voix.

Cependant il réussit à rester lui-même :

- Avoue, tu peux me le dire tu sais, c’est parce que je ronfle, c’est ça ?
- Nan !

Il avait gagné, car il l’avait fait sourire. Pour cela qu’elle se sentait aimantée à lui – Les situations les plus tendues, il arrivait à les dédramatiser. Mais lui… il n’aimait pas la voir comme ça – au bord du rien, comme sept ans auparavant où sur son lit d’hôpital, en l’espace d’une nuit elle avait accepté la mort, lui ouvrant les portes de son corps pour qu’elle l’endorme à l’improviste, définitivement.

- Juste que j’avais peur de te réveiller si je remontais à l’étage, argumenta Scully dont la voix commençait à prendre de l’assurance.

En vérité, Dana, dans un effort surhumain avait réussi à remonter à la surface, à se remettre sur ses jambes, reposer son sac à main où il devait être pour aussitôt déraper de nouveau pour mieux s’écraser. Elle voulait que la chute soit violente, s’assommer de détresse dans le noir silencieux de cette chambre pour oublier. L’impact reçu, effondrée sur le lit, cette après-midi d’été de paradis étincelant de souffle de vie lui était revenue en mémoire, ce qui avait accru sa plaie béante se noyant dans ses larmes. Puis d’épuisement, le sommeil avait fini par la faucher.

- Il est quelle heure ?
- 6h30.
- Oh non !
- Quoi ? tenta de savoir Mulder, qui se vit dans l’obligation de libérer Scully qui ne demandait qu’à s’échapper.
- Ce matin c’est moi qui dois prendre la relève du médecin de garde ! Ce qui veut dire que je devrais déjà être là-bas ! C’est pas vrai ! se lamentait-elle, je suis encore en retard !

Mulder sortit à son tour de la chambre.

- C’est si grave que ça ?
- Crois-moi, il n’y a rien de plus pénible que de ne pas voir ta relève arriver, surtout après douze heures de garde à la suite !

Elle était déjà au-milieu de l’escalier.

- Et on mange toujours ensembles à midi ?

Elle s’arrêta, brutalement figée. Mardi ! C’est vrai on était mardi. Sans vraiment qu’ils s’en rendent compte, ce petit rituel du mardi midi s’était installé entre eux.

- Euh… je suis en intervention ! Déjà que j’ai du retard… mentit Scully, sans même prendre la peine de se retourner vers lui.

Cependant, elle n’avait pas menti sur tout…

- Et bien je te retrouve après ton intervention, insista volontairement Mulder.
- Non ! Je suis en intervention… toute la journée ! mentit à nouveau Scully.

Elle reprit aussitôt sa course, disparaissant de la vue de Mulder.

Il la laissa filer.

Scully sonda une seconde son estomac. Ouf ! Cela avait l’air d’aller. Pas de malaise matinal à l’abordage ce matin. Une chose était sûre, Scully était déterminée à faire en sorte que les nausées ne reviennent jamais.

Mulder écouta la douche se mettre en route sous l’influence de Scully. Lui, il était déterminé à retrouver les ailes de son ange – qu’elle le veuille ou non. Elle ne voulait pas qu’il sache ce qu’elle refusait de lui dire – peu importe ! La vérité n’avait jamais résisté bien longtemps à Fox Mulder.

Vivre la vie comme un rêve, elle lui avait déjà prouvé qu’elle en était capable. Fin août… Et pour rien au monde, il ne laisserait le réveil la tuer.

Et Mulder avait raison de vouloir lever le voile – vite !

La décision que Dana s’apprêtait à exécuter la condamnait – Aucun des deux ne pouvait le savoir.


***


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Message  PtiteCoccie88 Lun 14 Mai 2012 - 23:43

5
*


“I’m okay doctor Scully, how are you?
- Me? Well I’m doing just fine.”
[I Want To Believe]


Mardi 28 septembre 2004

7h27 – Lady of Sorrows Hospital


Rosa.

Quand elle arrivait. Rosa. Quand elle repartait. Rosa.

Le docteur Dana Scully commençait et terminait toujours son service par la chambre de Rosa Hernandez – une adolescente de quinze ans, pratiquement seize. Pas sûr qu’elle y arrive.

Chaque jour qui passait, à la fois une victoire vers l’espoir et des heures de vie en moins. Son état était stable, mais pouvait se dégrader d’un instant à l’autre.

Le docteur Dana Scully frappa deux légers coups sur la porte et doucement elle pénétra dans la chambre. Comme souvent, Rosa ne dormait pas, même si les cernes autour de ses yeux réclamaient le repos.

- Bonjour Rosa.
- Bonjour Docteur Scully.

Rosa, assise en tailleur sur son lit griffonnait dans un cahier. Scully passa devant elle, consulta le dossier médical suspendu au bout du lit, vérifiant si de nouvelles observations avaient été ajoutées par le service de garde, puis le signa.

Elle revint vers Rosa. Elle avait encore maigri. La sonde qui servait à l’alimenter depuis une semaine n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan – bien insuffisant pour redonner vie au petit corps de Rosa qui chaque seconde s’éteignait un peu plus.

- Comment te sens-tu aujourd’hui Rosa ?
- Bien, répondit la concernée sans pour autant décrocher les yeux de son carnet. Vous n’êtes pas venue me voir hier soir ? Je vous ai attendue, lui fit-elle part, une once de reproche dans la voix.

Certains patients s’attachaient à leurs médecins. C’était le cas de Rosa. Son père, riche homme d’affaire à Manhattan avait accompli le rêve américain de son grand-père, immigrant latino. Mais il n’avait jamais accordé beaucoup de temps à sa famille et l’arrivée il y a six mois du cancer n’avait rien changé. Quant à sa mère, c’était différent. Elle était là, tous les jours. Presque trop. Depuis l’irruption de la maladie, elle avait cessé son activité professionnelle. Elle passait parfois les nuits avec Rosa, mais finalement l’adolescente aurait préféré que sa mère adopte l’attitude du père. Ce n’était pas seulement sa mère qui venait la voir, mais aussi les angoisses. Et Rosa absorbait toutes les peurs de sa mère. Une par une. Sans qu’elle ne puisse rien y faire. Une véritable petite éponge muette. Voilà ce qu’était Rosa. Mais elle aimait profondément sa mère, alors elle ne disait rien. Pour calmer les vagues, elle s’épongeait toute seule sur son carnet. Quant à son père, elle ne lui en voulait pas. Parce qu’en réalité, à travers son travail, il s’occupait de sa famille. Il avait toujours peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas suffisamment couvrir tous leurs besoins et par-dessus-tout de les décevoir. Et puis Rosa savait que travailler, encore, encore et encore… était sa manière à lui de tuer la maladie de sa fille. Faire comme si son cancer de la peau, bénin, n’avait jamais décidé de migrer vers son cerveau, stade quatre.

- Mais il y avait le docteur Jackson hier soir, reprit Scully.
- Oui, mais avec lui, c’est pas pareil.

Scully observait Rosa dessiner ou… gribouiller. Bien qu’assise sur le bord du lit, Scully ne percevait pas vraiment ce que faisait sa patiente.

- Pourquoi ce n’est pas pareil ?
- Le docteur Jackson est une vraie fusée, un tourbillon infernal, il entre sans frapper, parce qu’il sait que le patient ne fait jamais rien d’autre qu’attendre le médecin, alors évidemment… à quoi bon frapper…

Malgré la douleur de ses propos, la voix de Rosa était calme et équilibrée.

- … mais surtout, c’est qu’il sourit tout le temps… il vous donne l’impression que vous allez vivre alors que… vous savez pertinemment que vous allez crever…

Rosa releva enfin sa tête et partagea son regard avec celui du docteur Dana Scully.

- Je sais que je vais mourir docteur, et vous ne pourrez rien y faire. Mais à la différence du docteur Jackson, vous ne cherchez pas à mentir à vos patients, vous dites toujours la vérité, même si ça fait mal… voilà pourquoi je vous aime bien docteur Scully.

Puis, sans rien ajouter de plus, Rosa reprit son dessin, laissant Dana ni troublée, ni perdue. Son statut de médecin ne consistait pas uniquement à poser des diagnostics étiologiques, expliquant les causes des symptômes, il lui donnait surtout le devoir d’écouter ses patients. Et les adolescents, neuf fois sur dix, étaient son public le plus clairvoyant. Ils disent ce qu’ils pensent vraiment. Pas d’ambiguïté possible avec eux. Pas comme les adultes qui n’arrivent pas à prendre de décisions – tout simplement parce que les petits patients ne peuvent pas se permettre de perdre leur temps à hésiter. Ils foncent. Vers la vie. Ou vers la mort.

À l’hôpital, Scully se mettait en mode « off ». Pas d’émotions.

Crever…

Les mots étaient forts. Et violents. L’hôpital est un drôle de lieu. Un endroit irréel – le temps y est suspendu entre deux extrêmes. Quant certains boivent un simple café dans le hall, deux étages au-dessus la guillotine du diagnostic tombe, des cœurs s’arrêtent, et des familles s’effondrent.

Les mots de Rosa étaient là. Projetés ! Volontairement par une adolescente lucide. Mais pour être en état de les recevoir sans s’écrouler, Scully devait se montrer aussi forte que sa patiente – impassible. C’était la règle. Entre ces murs, il n’y avait rien de plus banal que la mort, mais dehors… ce n’était pas la même chose. La force décuplée par Dana pour se maintenir imperturbable à l’intérieur volait en éclat dès qu’elle se retrouvait à l’air libre. L’effet d’une gifle ! Et ce soir, sur le parking pour rentrer chez elle, la douleur cruelle et languissante de Rosa lui ferait mal. Et une fois de plus, Scully se demanderait pourquoi elle faisait ce boulot ! Mais en attendant, dans les chambres, devant les patients et les parents, Scully était stoïque.

Dana continuait d’observer Rosa. Elle aurait tellement voulu lui dire non tu ne vas pas mourir, je te le promets !… mais cela aurait été mentir et encore une fois Rosa n’avait pas le temps pour les mensonges.

Tout en posant la main sur celle de Rosa, le docteur Dana Scully lui dit :

- Si tu as le moindre souci aujourd’hui, fais-moi appeler.

Rosa ne répondit rien. Scully avait l’habitude. Rosa tenait à se montrer forte et faire appeler le docteur Scully était pour elle synonyme de faiblesse. Faire comme si le docteur était déjà sorti de la chambre, ne pas répondre, était comme une petite victoire, son armure à elle. Être vivant et ne pas avoir besoin des médecins, c’était se donner l’illusion d’aller bien.

Le docteur Dana Scully s’apprêtait à sortir quand Rosa l’interpella :

- Docteur Scully, attendez !
- Oui, réagit aussitôt Dana, revenant vers elle.

Sa jeune patiente se leva péniblement, veillant à ne pas s’entortiller dans les fils de sa perfusion qu’elle traîna avec elle vers une petite table lui servant de bureau et sur lequel était posé un ordinateur portable rose flamboyant.

Scully n’avait pas bougé. Surtout pas ! Faire le contraire aurait été faire admettre à Rosa qu’elle tenait à peine sur ses jambes.

Sous l’électricité s’échappant de ses doigts, l’écran de veille, noir, s’anima, faisant apparaître une œuvre réalisée avec l’aide d’un logiciel de dessin. L’imprimante se mit en route, effectuant son rituel de grognements et cracha de son ventre le dessin qu’affichait toujours l’écran. Rosa s’en empara aussitôt et le tendit à Scully.

- Je l’ai fait hier soir lorsque je croyais que vous alliez venir. C’est vous qui me l’avez inspiré, alors il est pour vous.
- Merci Rosa, lui répondit Scully avant même de jeter un œil au présent.

Malgré la chimiothérapie, Rosa faisait partie de ces rares personnes à qui le ciel n’avait pas fait perdre les cheveux. Ses longues boucles blondes resplendissantes contrastaient avec la pâleur de son teint. Et le sourire qui s’était emparé d’elle précisément à l’instant où Scully avait touché le dessin avait fait rayonner son visage.

Ce n’est que quand elle se retrouva dans le couloir que Dana plongea ses yeux dessus. C’était… abstrait. Beaucoup de gris et de blanc. De l’ombre. Il reflétait sans doute l’état d’esprit que traversait Rosa en ce moment même.

***

10h34

Mulder fit défiler son répertoire téléphonique et s’arrêta dès qu’il trouva le prénom qui l’intéressait. Il tomba directement sur la messagerie vocale :

« Charles Scully ! Je suis occupé, probablement entre L.A. et Tokyo, alors laissez votre message et je vous rappellerai dès que j’aurai atterri ! »

Assis dehors sur la terrasse particulièrement ensoleillée pour une matinée d’automne, Mulder raccrocha une première fois sans laisser de message puis recommença la procédure espérant cette fois tomber sur lui directement… « Charles Scully ! Je suis occupé… … »

- Zut ! murmura Mulder.

Cependant, il joua le jeu et laissa un message.

Charles Scully était le seul à savoir délivrer Dana quand celle-ci soudainement décidait de s’engluer de bêton afin de demeurer parfaitement immobile à l’extérieur, même en cas de tremblements internes.

« Charles ! C’est… c’est Mulder. J’espère que ça va. Écoute… j’aimerais que tu vérifies un truc pour moi… ça concerne Dana, ta sœur… … … … »

***

12h29

« Vous êtes à jeun ?...

- Oui… »

...

Légèrement pinçant… Retenir sa respiration…

« Le patch anesthésiant, c’est pour les mauviettes ! Et moi, j’suis pas une mauviette ! Et vous docteur Dana, vous êtes une mauviette ? »

La voix du petit Thomas, six ans et demi, résonna en Scully. N’empêche… ça faisait quand même un petit peu mal. Pas de patch certes pour le docteur Dana… mais Scully réalisa qu’elle était peut-être une mauviette à en juger par ses dents qui se serraient, tout en mordant la paroi interne de sa gencive. Mince alors ! Je suis une mauviette ! Scully regardait la longue et fine aiguille s’enfoncer dans sa veine. Les tubes transparents se noyèrent dans le sang les uns à la suite des autres – Rouge, rouge, rouge et rouge.

- Voilà docteur Scully, prévint précautionneusement l’infirmière, lui appliquant un léger coton dans le creux du bras.
- Je vous remercie Trudy, fit part Scully, s’emparant de la légère pression qu’elle exerçait sur la compresse cotonneuse afin de laisser celle-ci s’occuper de coller les étiquettes nominatives sur les différents tubes de sang.
- C’est pour un contrôle ? questionna-t-elle de façon routinière.
- Oui, c’est ça.

Trudy, derrière la réponse évasive du docteur Scully avait noté l’inquiétude.

- Rassurez-vous docteur Scully ! S’il y a la moindre petite chose, n’oubliez pas que vous êtes ici dans un bon hôpital et que Dieu vous garde !
- Je sais Trudy. Scully lui sourit amicalement. Mais à force de s’occuper des autres, on s’oublie parfois…
- Il est vrai que vous avez le teint encore plus pâle que d’habitude… À quand remontent vos dernières vacances depuis que vous êtes ici ?
- Je… Je n’en ai jamais pris Trudy.
- Docteur Scully… reprit l’infirmière dans un soupir bienveillant. Si vous voulez être disponible à cent pour cent pour vos patients…
- Deux cent pour cent ! coupa Scully.
- Deux cent pour cent, corrigea Trudy d’un air désespéré, mais compréhensif.

Personne ne pouvait changer les médecins, l’hôpital était leur vie et après trente-cinq ans de service, dont quinze en tant que cadre infirmière, Trudy Huston était bien placée pour le savoir. Après une légère pause, elle continua :

- Vous devez aussi prendre soin de votre santé !
- Mais c’est ce que je fais Trudy ! fit remarquer Scully, lui montrant de l’œil les tubes de sang prêt à partir en analyse.
- C’est un bon début, mais sachez que je me chargerai personnellement de la planification de vos prochaines vacances ! À Noël, il est hors de question que je vous aperçoive hanter les couloirs de cet hôpital ! se fit-elle comprendre.
- Trudy…
- Non docteur Scully ! On ne discute pas ! ajouta-elle, un peu plus sévèrement, car le docteur Dana Scully était visiblement du genre têtue.

Dana réalisa que Trudy avait raison. Elle était épuisée. Mais elle était enceinte… et ça Trudy ne pouvait pas le savoir, tout comme elle ne pouvait pas savoir que Dana ne serait bientôt plus enceinte ! Scully, en cet instant, était persuadée que d’ici quelques semaines, cette fatigue lui emprisonnant les jambes, lui bloquant sa respiration, lui balançant des remous déchaînés, lui vidant son cerveau pour n’y mettre que du noir, l’anesthésiant dans son corps tout entier ne serait plus qu’un mauvais souvenir jeté aux oubliettes. Souvenir douloureux mais… passé.

Trudy coupa le silence, faisant revenir Scully sur Terre :

- Le labo n’est pas trop surchargé, vous devriez avoir vos résultats d’ici quarante-huit heures au plus tard.
- Si je ne suis pas disponible, communiquez-les au docteur Stevens, uniquement au docteur Stevens, précisa-t-elle en se levant.
- Bien Docteur Scully, j’y veillerai.

Après avoir repassé sa blouse blanche sur elle, Scully sortit de la salle d’examen et après dix minutes d’interruption, elle s’apprêta à reprendre son service, une légère nausée coincée entre l’estomac et sa bouche – la vue du sang avait réveillé l’effet indésirable. Dieu soit loué, elle n’avait eu que des consultations ce matin, pas d’interventions. Elle lui avait vraiment menti… Combien de temps Mulder serait dupe de son petit manège ? Apparemment juste une matinée ! Elle regarda sa montre. Déjà 12h45. Elle le vit surgir derrière les portes automatiques alors qu’elle traversait le hall principal depuis la balustrade supérieure afin de rejoindre l’aile dans laquelle elle était spécialisée. Scully accéléra sa cadence. Il ne fallait pas qu’il la voit. Pas tout de suite !

Arrivée à hauteur du comptoir desservant l’entrée du service pédiatrie, elle s’adressa à Maria, une sœur :

- Si des personnes extérieures me demandent, je ne suis pas disponible.
- C’est noté docteur Scully.

Et aussitôt Dana disparut du champ de vision de sœur Maria, lui laissant à peine le temps de lui répondre !

***

- Le docteur Scully, s’il vous plaît ?

Maria délaissa l’activité administrative qui l’occupait pour relever sa tête vers la voix masculine qui l’avait perturbée.

Pas de blouse blanche, verte, bleue ou rose, juste une veste citadine. Ce qui faisait de lui « personne extérieure au service ». Maria, bonne élève, appliqua la consigne :

- Le docteur Scully n’est pas disponible.
- Oui ça je sais, mais c’est une urgence !

Maria le dévisagea plus attentivement. Ses traits et son allure ne lui étaient pas complètement étrangers. Ce n’était sans doute pas la première fois qu’il foulait ces quartiers. Et afin de tester le degré d’urgence, elle s’exerça à ne pas relâcher la ligne de défense imposée par le docteur Scully :

- Vous me semblez pourtant en parfaite santé monsieur !
- Je vous en prie ! insista-t-il. Je sais très bien que c’est elle qui vous a donné l’ordre de dire ça, glissa-t-il.
- Et vous, qui êtes-vous ?
- Un ami.

La profondeur du regard de cet homme était vraiment sincère. Et la mission de Maria était d’aider les gens. Elle se pencha vers lui et comme pour ne pas se faire repérer ou démasquer, elle lui chuchota :

- Écoutez… il y a cinq minutes, je l’ai vu partir dans cette direction, le couloir des salles de garde, vous devriez l’y trouver. Et bien entendu, vous ne m’avez jamais vue et nous ne nous sommes jamais parlés, se fit bien comprendre Maria, lui offrant dans la même occasion un clin d’œil.
- Merci infiniment ! s’émerveilla Mulder.

Maria regarda l’homme se volatiliser dans la direction qu’elle venait de lui indiquer. Elle était intimement convaincue qu’en désobéissant aux ordres et en éclairant cet homme, elle venait d’accomplir sa meilleure action de la journée, tout comme elle avait saisi que le docteur Scully n’était pas occupée. Elle cherchait à fuir. Et Maria ne pouvait laisser les gens dans la peine.

Il y avait au-moins cinq portes. Toutes similaires. Grise. Couloir étrangement calme et désert. Mulder glissa sa main au creux de la poche interne de son veston et en extirpa son téléphone portable. Durant une seconde, suite à la boîte vocale de Charles qui avait grésillé en boucle dans son oreille un peu plus tôt, il pria pour qu’en cette journée, toute la famille Scully n’ait pas déteint les uns sur les autres concernant le gène « se couper du monde ! ».

Le vibreur fit bondir le cœur de Scully et tressaillir son corps. À peine quelques minutes qu’elle avait pénétré dans la salle de repos, les stores filtrant la lumière, plongeant la pièce dans une douce pénombre au calme apaisant. À son tour, elle s’empara de son téléphone portable qui jusqu’ici dansait sous sa blouse sachant pertinemment à l’avance le nom qu’elle verrait s’afficher à l’écran. Elle le regarda vibrer entre ses mains. Ne décrocha pas. Elle avait besoin de réfléchir. Voilà pourquoi elle était venue ici. Les yeux fermés, allongée sur l’un des deux lits reposant au sein des dix-mètres carrés, Dana tentait de démêler ses nœuds au cerveau. Son portable recommença sa danse. Tournant tout seul sur la petite table de chevet séparant les deux lits. En cette seconde, Dana aurait donné n’importe quoi pour changer de lit en échange d’une nouvelle vie. Une vie où la pédiatrie n’aurait pas besoin d’exister, une vie où son petit miracle grandirait avec elle, une vie où sa sœur Missy serait encore là pour recevoir ses déchirures, une vie où elle n’aurait jamais le désir d’ôter la vie à un second miracle…



Les larmes frappèrent dans un souffle chaud sous ses paupières closes qui doucement glissèrent le long de ses pommettes, virevoltant dans une danse gracieuse jusque dans son cou…

Pas de sanglots, ni de secousse ou de crispation, juste une souffrance sourde et muette s’emparant de son visage. Il n’y avait que les légers et fins rayons de soleil qui en s’invitant dans la chambre faisaient miroiter ses larmes silencieuses, la trahissant, révélant sa tempête interne.

Derrière les murs, son nom résonna :

« Scully ! »



« Scully ! »





Comme si elle venait de recevoir le choc de la révélation, elle ouvrit ses yeux, un éclair de lucidité la submergeant soudainement. Pour rien au monde, elle ne voudrait d’une vie où il n’y avait pas de Mulder, or c’était exactement ce qu’elle était en train de se construire depuis hier matin – une vie sans Mulder ! Se redressant brutalement, épongeant ses larmes avec le revers de sa manche, elle se précipita sur la porte qu’elle déverrouilla.

- Mulder !

Il se préparait à ouvrir la première porte se trouvant près de lui quand l’interpellation familière lui réchauffa le cœur. La porte la plus au fond venait de s’ouvrir. C’était elle. Son Ange. Elle referma la porte et se dirigea vers lui. Arrivée à sa hauteur, Scully effleura sa main et dit :

- Viens, allons manger.

Mais, ce n’était pas pour autant qu’il saurait.

***

Vingt minutes plus tard.

Mulder et Scully avaient pris place à l’extérieur, sur une table au soleil. Elle avait gardé sa blouse blanche. Toujours prête, au cas-où.

Des éclats de rire, en provenance d’une tablée où se trouvaient plusieurs internes créèrent une vague de chaleur irradiant l’espace réservé à la cafétéria de l’hôpital d’une bonne humeur. Mulder était loin d’être le seul à mettre de la couleur parmi toutes ces tenues fantômes. Familles de patients et personnel soignant se confondaient, s’offrant un temps pour déconnecter autour d’un café, d’un sandwich ou d’un repas se voulant plus équilibré, pour après revenir plus fort à la réalité.

Mulder avait choisi l’option équilibré, Scully l’option… « Peut mieux faire ! » - assiette de frites et une pomme. Ils avaient parlé de tout et de rien pendant à peu près dix minutes, puis le bruit des couverts qui découpent et qui tintent contre l’assiette s’était immiscé progressivement, insérant cette espèce de malaise silencieux mais encombrant. Par contre il n’y avait que Mulder pour percevoir l’échappée communicative entre eux, car Scully avait pris la fuite sans même s’en rendre compte. Et la fourchette de Scully n’était en rien responsable de cette absence, étant donné qu’elle n’avait pas bougé d’un millimètre depuis qu’ils s’étaient tous deux assis avec leurs plateaux repas. Les yeux perdus dans ses frites, ses doigts leur donnaient vie, les déplaçant comme si elle voulait écrire un mot en lettres bâton.

- Tu n’as pas faim ?

Rien ne se passa. Scully volait dans les airs.

- Tu n’as pas faim ? répéta Mulder.

Atterrissage… à moitié.

- Hum… quoi ?
- Tu ne manges rien, s’inquiéta-t-il.
- Bien sûr que si, regarde !

Et immédiatement elle fourra un défilé de frites dans sa bouche, se laissant à peine le temps de les mastiquer. Peiné par sa réaction, Mulder posa la main sur son avant-bras et arrêta en cours de route la nouvelle fournée que Scully s’apprêtait à faire embarquer dans sa bouche.

- Arrête… supplia-t-il.

La bouche encore à moitié pleine, elle fit mine de ne pas comprendre :

- Quoi ?
- Je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas… depuis hier matin.
- Je ne vois pas de quoi tu parles !
- Tu n’as rien mangé hier soir, tu n’as rien pris ce matin avant de partir et là tu t’étouffes avec des frites pour me rassurer… Pourquoi tu ne parles pas ?
- Parce qu’il n’y a rien Mulder, rien du tout ! assura-t-elle d’un timbre qui commençait à dangereusement vaciller, perdant ses moyens sous la suffocation qui commençait à l’envahir.

Face à Mulder, le mode « off » était toujours plus difficile à respecter.

- Et c’est pour ça que cette nuit tu n’as pratiquement pas dormi et que mince ! Tu n’es pas en intervention ! provoqua-t-il durement.

Cela ne lui faisait pas plaisir, mais c’était il le savait parce qu’il la connaissait, le seul moyen pour la bousculer. Même si c’était loin d’être gagné. Têtue Mon Ange.

- Comme je n’ai pas beaucoup fermé l’œil justement, j’ai préféré annulé, j’étais d’ailleurs en train de faire une pause en salle de garde quand tu es arrivé.

Il ne répondit pas, laissa passer un round durant lequel il sonda son regard. Scully semblait ravagé par tant d’émotions qu’il avait bien du mal à faire le tri dans tout ce déchaînement criant en elle.

- Je veux juste que tu me parles Scully, supplia Mulder, se voulant rassurant cette fois.

Il prit sa main qu’elle laissait reposer sur le bord de la table, à hauteur de la frontière séparant leurs deux plateaux.

- J’ai trouvé des mouchoirs remplis de sang, hier, dans la poubelle de la salle de bain.

Là par contre, cela en fut trop. Scully tomba le masque. Le souvenir de tout ce sang se faisant aspirer comme un trou noir par le siphon du lavabo fissura son barrage.

- C’était juste une montée de tension due au surmenage.
- Tu es sûre ? demanda Mulder, rattrapant une larme sur la joue de Scully.
- Oui… Ce n’est pas ce que tu crois et ce n’est pas ce que je croyais non plus. J’ai même passé un scanner.
- Alors qu’est-ce que c’est ?



Je suis enceinte.



Mais la réponse à voix haute ne parvint jamais à Mulder. En moins d’une seconde Scully avait plongé la main dans sa poche, alertée par la sonnerie stridente de son beeper. À la lecture du code s’affichant sur le petit écran, le regard de détresse de Dana laissa place à celui du médecin, alerte et professionnel plus que jamais !

Elle bondit aussitôt de sa chaise. Et partit aussi vite qu’une fusée.

Mais il fallait bien plus qu’une urgence pour faire renoncer Mulder. À son tour, plus tranquillement, il se leva et prit même le temps de débarrasser leurs plateaux, tout en sauvant la pomme de Scully laissée intacte d’une mort certaine, la mettant à l’abri dans sa veste.

Dans la chambre 203, les infirmiers et le personnel aide-soignant avaient déjà installé le chariot de réanimation quand le docteur Scully, essoufflée par sa course folle pour traverser tout l’hôpital en moins de deux minutes débarqua.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Elle était déjà inconsciente quand je l’ai découverte lors de ma ronde, tension en chute libre…

Scully s’empara des palettes qu’on lui tendit.

- … on l’a tout de suite placée sous oxygène, arrêt, massage cardiaque et on a déjà chargé une fois ! l’informa-t-on.
- O.K, on recommence ! ordonna Scully. Chargez à 300 ! Aussitôt, le sifflement électronique prêt à décoller retentit. Dégagez !

Le corps se souleva, rechuta. Rien. La ligne verte, aplatie sur le moniteur les narguait tous.

- Chargez !... … Dégagez ! implora-t-elle à nouveau, sachant que c’était déjà la dernière chance.

Le corps de l’adolescente après avoir été aspiré vers le ciel une troisième fois s’effondra de tout son poids sur le lit.

« Bip_______________________________________________________________ »

Scully ferma ses yeux, époumonée, et abandonna les palettes qui désormais ne servaient plus à rien.

- Allez Rosa, repars, repars… Rosa, Rosa, Rosa, tu peux pas me faire ça, suppliait Scully.

Elle finit par envelopper la main encore chaude de sa petite patiente. Le personnel soignant était figé, écartelé entre l’attente impossible du miracle et l’inéluctable que devait annoncer le docteur Scully. Elle savait que ça pouvait arriver. Rosa n’avait pas pu subir la dernière intervention qui aurait dû la sauver, elle était tellement faible qu’il était nécessaire qu’elle reprenne du poids avant une troisième ouverture chirurgicale. Mais quelqu’un avait décidé d’écourter cette phase d’entracte. Elle devait le dire, mais elle n’y arrivait pas. Ce matin, la voir assise sur son lit, en dehors des draps, habillée, lui avait redonné espoir et puis son sourire… non ce n’était pas possible… et pourtant Rosa n’était plus là.

« Je sais que je vais mourir docteur… et vous ne pourrez rien y faire… »



Heure du décès...

- Heure du décès… Scully regarda l’heure qu’affichait l’écran du moniteur. Heure du décès… reprit-elle, comme pour retarder au maximum l’horreur de la mort… Treize heures vingt-qu…

« Bip !... bip, bip, bip, bip, bip, bip… … … … … … »

- Oh mon Dieu ! s’exclama l’une des infirmières.

Scully recentra aussitôt son regard sur Rosa. Ses paupières bougèrent pour miraculeusement s’ouvrir, revenant à la vie.

- Rosa, murmura Scully, qui gardant toujours sa main dans la sienne, lui caressait le front.

Rosa suffoqua un court instant. Immédiatement, l’infirmière la plus proche posa un masque à oxygène sur son visage.

- Tout va bien, tu nous as juste fait une petite frayeur, on va maintenant te transférer jusqu’à nouvel ordre en réanimation afin d’être sûr que tu ne recommences pas. Tu pars avec les infirmiers présents dans cette chambre et je passe te voir dès que j’ai fini ici. Allez Rosa, sois forte ! encouragea Dana.

Doucement, Rosa hocha la tête, confirmant les dires du docteur Scully, lui promettant dans un accord muet qu’elle déploierait toutes ses forces pour rester et continuer à regarder le ciel, et non la terre.

Le docteur Scully lâcha la main de Rosa et laissa partir le lit où on serait là pour la surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Scully se retrouva seule dans la chambre et se laissa tomber sur l’unique chaise de la pièce. Elle n’avait pas remarqué, mais Mulder se tenait dans le couloir. Ce n’est que quand il se plaça dans l’entrebâillement de la porte qu’elle sentit sa présence.

- Elle est sauvée ? demanda-t-il en guise d’introduction.
- Pour aujourd’hui… oui.

Toujours assise, Scully attrapa le carnet qui reposait sur la petite table juste devant elle.

- Ce sont ses dessins, expliqua Scully à Mulder. Je vais lui apporter. Ils seront plus utiles près d’elle qu’ici.
- C’est la première fois que je te vois pratiquer une réanimation, c’était…
- Oh non Mulder, coupa Scully, sentant venir son admiration, ça n’avait rien de glorieux, au-contraire, en la ramenant à la vie, je ne fais que prolonger ses souffrances Mulder…
- Ne dis pas ça, tu te trompes, tenta-t-il de la convaincre.

Il se rapprocha d’elle et prit son visage entre ses mains, ce qui lui donna la force de relever le visage vers l’homme qu’elle aimait. Elle dit :

- Je te crois.

Oui… Les mots de Mulder étaient les seuls en lesquels elle n’avait jamais douté.

***

21h02

- Docteur Stevenson ! interpella l’infirmière au milieu d’un couloir.
- Bonsoir Trudy, répondit Stevens venant à sa rencontre.
- Le docteur Scully a passé des analyses un peu plus tôt dans la journée, elle ne répond pas à son beeper…
- Elle a fini son service il y a une demi-heure, c’est pour ça, expliqua la jeune interne.
- Je me doute bien, acquiesça Trudy. Qu’elle se repose. Mais elle m’a demandé de vous transmettre ses résultats en cas d’indisponibilités de sa part.

Stevens saisit l’enveloppe qu’elle lui tendait.

- Merci bien Trudy, remercia chaleureusement Elisa Stevens. Et maintenant rentrez chez vous, la journée a été longue pour tout le monde.
- J’y vais de ce pas docteur, passez une bonne soirée !
- De même !

Le couloir était calme. L’hôpital était entre deux changements de service. Elisa s’approcha du comptoir désert et ouvrit l’enveloppe. Elle consulta le premier bilan – hormonal… Stevens sourit. La détection de l’hormone HCG dans le sang du docteur Dana Scully confirmait son hypothèse de la veille et son taux de dosage laissait entrevoir une grossesse d’environ un mois déjà. Elle tourna la page et se consacra en détail au second bilan – hématologique… Une légère carence en fer qui couplée à la grossesse renforçait considérablement la fatigue ressentie par le docteur Scully. Cela se soignait très bien. Une simple cure de petits médicaments avant le repas corrigerait ce défaut. Elle continuait à faire défiler ses yeux, jusqu’au moment où ils s’arrêtèrent… ils ne semblaient pas vouloir repartir. Sourire effacé. Traits préoccupés.

Stevens passa la main derrière le comptoir et fit apparaître un combiné téléphonique sur lequel elle composa le code à quatre chiffres sur le point de la mettre en relation directe avec le laboratoire d’analyse de l’hôpital.

- Laboratoire d’analyse, Sorrows Hospital, répondit machinalement la voix qui venait de décrocher.
- Suzy ? reconnut-elle.
- Oui.
- C’est le docteur Stevens !
- Ah salut, ça va ?
- Oui ça va, et c’est une chance que tu sois encore là à cette heure parce que dis-moi, c’est toi qui a effectué l’analyse de Dana Scully ?
- Dana Scully, Dana Scully… réfléchit Suzy… attends je regarde.
- Je t’en prie.

À travers le combiné, Stevens entendit plusieurs feuilles de papier tourner.

- Allo ?
- Oui.
- Dana Scully, bilan sanguin, c’est ça ?
- Oui !
- Ouais, j’ai remarqué que c’était pas terrible. Tu veux que je fasse un bilan complémentaire ? Il me reste encore deux échantillons de sangs intacts la concernant.
- Tu devines mes pensées Suzy !
- O.K ! Je me le marque en première ligne sur mon planning de demain matin.
- Je te remercie.
- De rien, dis… cette Dana, ça me dit quelque chose, elle ne travaillerait pas ici ?
- Si ! Elle est chirurgien en pédiatrie… spécialisée en oncologie.
- Ah oui, ça y est ça me revient. Une rousse, c’est ça ?
- Oui.
- Elle a l’air plutôt sympa et très professionnel, ça serait vraiment dommage…
- Oui Suzy, ça serait moche.
- Rassure-toi, je refais l’analyse dès mon arrivée demain matin !
- Encore une fois, je te remercie. Bon je te laisse rentrer chez toi Suzy.
- Et toi bonne garde, salut !
- Salut !

Stevens raccrocha. Replaçant le bilan dans l’enveloppe, elle pria à voix haute :

« Seigneur, faites en sorte que ce soit juste un dérèglement momentané, je ne voudrais pas qu’on les perde tous les deux. »

***


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Message  PtiteCoccie88 Mer 30 Mai 2012 - 14:28

6
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Nous sommes les choix que nous faisons.

[Clint Eastwood – « Sur la Route de Madison »]


Dana plongea la main dans l’eau. Elle ne sentait pas la température. Elle rouvrit le robinet. Il fallait que ça déborde. Le niveau montait. Le lavabo commença à vomir son eau. Le carrelage de la salle de bain disparaissait sous la cascade. De la buée se réfugia sur le miroir. La mise en scène la satisfaisant enfin, Dana, laissant le robinet couler, déposa son bébé dans l’eau translucide. Les yeux bleus de son enfant la fixaient, agités, sentant le danger, levant ses bras pour qu’elle le retire de l’eau, le reprenne, le sauve ! Mais la mère continuait de se faire sourde à l’appel du fils. Elle le lâcha. Les pleurs de son bébé envahirent l’espace clos. Dana ne réagissait pas. William glissait. Il finit par se faire avaler, disparaissant totalement, emportant avec lui le son des pleurs. L’eau transparente se troubla. Le regard de Scully s’éveilla subitement. Panique ! Horreur ! Qu’avait-elle fait ? C’était son crime… Coupable. Assassin ! L’eau rougissait… la douleur déchirante l’envahissait. Dana porta la main à son ventre et se broya de l’intérieur. Elle sentait comme une aiguille s’y enfoncer – elle cria sous la torture ressentie… Et comme pour s’échapper, elle tenta d’effacer le brouillard vaporeux occultant le miroir. Cessant de crier, lâchant son ventre, habitée d’un mouvement tumultueux et manquant d’air, elle essuyait la glace, luttant pour y voir plus clair. Plus elle s’efforçait de faire apparaître son reflet, plus la glace se recouvrait de sang, ses mains avec.

L’eau sanguinolente crachée du lavabo continuait de monter, s’engouffrant sur Dana. Elle perdait pied, s’enfonçant, se débattant, s’immergeant dans une confusion fiévreuse et apocalyptique.

Et dans un ultime acte, Dana possédée par un hurlement fracassant, sous ses poings rendus impurs le verre vola en éclat.




« Dana ! Dana ! »



Le hurlement étouffé dans l’oreiller de Scully l’avait réveillé en sursaut.



Doucement il l’aida à se redresser. Mais se rendait-elle compte qu’elle n’était plus allongée ?

« Dana ! Regarde-moi ! »

Mulder la tenait par les bras. Il tentait de maîtriser ses débattements. Mais ses yeux grands ouverts ne le voyaient pas. Elle était encore là-bas – dans le gouffre cauchemardesque. Dans le noir, Mulder la secoua avec détermination. Elle ne lui laissait pas le choix.

« Dana ! C’était un cauchemar ! Calme-toi. »

Ça y est ! La lueur de lucidité transperça le regard de Scully. L’hypnose nocturne battant en retraite.

- Tu m’entends ?
- Je l’ai tué, gémit-t-elle, les larmes surgissant, noyant ses yeux.
- Chuuut… essayait-il de calmer, posant une main sur sa joue dans le but de l’apaiser. C’était un mauvais rêve, c’était pas la réalité !
- Mais j’ai tué notre bébé Mulder, je l’ai tué, je l’ai tué…

Sa voix était déchirée, restée dans la torpeur du cauchemar, soufflante et déchaînée de lamentation.

- Tu n’as tué personne ! C’était un cauchemar je te répète…
- Non tu comprends pas !... J’ai tué William !... Je l’ai tué, il y avait du sang, partout… partout Mulder…

Les yeux de Dana semblèrent se disloquer, comme écartelés par la dévorante culpabilité. Elle s’accrochait à Mulder en quête de délivrance – Son dernier espoir.

- Oh mon Dieu... parvint-il enfin à articuler, se sentant frappé.
- Serre-moi contre toi, serre-moi fort, supplia-t-elle.

Il ne la fit pas prier davantage et stoppa son carnage en l’engouffrant dans ses bras, faisant disparaître son visage dans le creux de son épaule.



Ils restèrent une minute sans bouger. Elle attendait de retrouver sa respiration et son esprit. Mulder, lui, attendait de digérer la déferlante claque d’épouvante que venait de lui assigner Scully. La voir après ces quelques années encore si démolie par William fit émerger un atroce halo de tristesse dans sa gorge. Il l’enveloppait de toutes ses forces, contenant la nervosité tremblante qui envahissait le corps de Scully…



Elle finit par se calmer. La pression exercée par Mulder sur son corps choqué estompait la panique qui la submergeait. Il lui caressait le dos…

Il la sentit vouloir retrouver sa liberté. Il desserra leur étreinte vitale.

- Tu es en sueur ! réalisa enfin Mulder, déstabilisé.

Il aurait dû s’en rendre compte – Ses mains étaient posées sur elle ! Il s’était retrouvé si aveuglé par la torture ravageant l’âme de Dana qu’il avait à peine remarqué l’état dans lequel son corps se trouvait. Et le noir sombre les obscurcissant n’avantageait pas, mais surtout le drame s’abattant sur eux au cœur de la nuit profonde éradiquait tout sur son passage.

- Je reviens, ne bouge pas ! promit-il avant de se lever du lit, s’en voulant déjà de la laisser toute seule quelques secondes de trop.

Elle hocha la tête, ses traits matérialisant encore les séquelles de la panique.

Mulder prit la direction de la salle de bain – le lieu du crime, sans qu’il le sache. Il attrapa la première s’offrant à lui, suspendue au pare-douche – une serviette éponge bleue ciel. Il était sur le point de ressortir quand dans un réflexe il aperçu son reflet dans la glace. Allumant la grande lumière, il s’approcha d’un peu plus près. Malgré la rapidité avec laquelle il s’était apprêté à disparaître des lieux, Mulder les avait remarquées – sur son épaule nue, refuge de la détresse de Scully, de légères taches rouges se trouvaient comme tatouées sur sa peau.

- Mulder !

La frayeur écrasante envahissant l’appel de Scully le fit pâlir, se précipitant instantanément de l’autre côté de la cloison, vers elle.

- Oh merde ! ne put se retenir Mulder.

Scully se couvrait le nez, tentant de contenir le filet de sang qui s’écoulait, glissant entre ses phalanges. Scully sentait ses muscles se raidirent au fil des secondes. Elle n’avait rien pressenti, ne comprenait rien ! Le sang avait coulé d’un coup, comme l’autre matin…

- C’est rien, ne t’inquiète pas ! s’efforça aussitôt de canaliser Mulder, s’emparant de la boîte à mouchoirs reposant dans le creux de la table de nuit près de Scully. Tu as commencé à saigner dans mes bras, signala-t-il, tu ne t’en étais pas rendu compte et moi non plus.
- Je croyais que c’était mes larmes ! s’ébranla-t-elle, complètement horrifiée. Et dans l’éclairage de la lune, j’ai vu que c’était du sang, encore du sang !
- Hey… reprit doucement Mulder. Je suis là. Ce n’est qu’un saignement de nez Scully.

Il l’avait rarement vue aussi choquée… lui-même s’ordonnait de ne pas sombrer sous la panique avec elle, il avait si peur que ce n’est qu’un saignement de nez soit l’alerte grondante d’un volcan prêt à exploser, sans que personne ne puisse sauver quoi que ce soit. Il avait tenté de la bousculer au cours de la journée passée… il s’en voulait presque maintenant. Elle avait peur, voilà pourquoi elle ne parlait pas. Et pour qu’elle sorte de son retranchement, c’était de soutien dont elle avait besoin, et non de précipitation forcée, au-risque de la faire chuter pour de bon. Il devait lui montrer qu’il la soutenait, l’accompagnant à son rythme au cœur de ses doutes, pour qu’elle s’en sorte.

- Je suis là, répéta-t-il.
- Merci, prononça Dana, touchée et tentant de ne pas se noyer sous les mouchoirs.

Mulder s’assura qu’elle tenait presque la route toute seule, l’observant. L’inquiétude le rongeait. Il ne laissait rien paraître. Il dû faire un effort monstre pour l’abandonner une nouvelle fois, mais il fallait qu’il lui trouve une nouvelle tenue nocturne.

- Ça commence à s’estomper, prévint Scully, tandis que Mulder scrutait les étagères du placard.
- Tiens ! Ça te va ? lui montra-t-il, déjà revenu.
- Oui, c’est très bien Mulder.

Il l’aida à enlever son vêtement détrempé par la sueur, la recouvrit quelques instants avec la serviette afin de refroidir son dos, puis il la revêtit d’un fin débardeur aux fines bretelles noires et orné de dentelles sur les extrémités.

Mulder débarrassa le lit des mouchoirs ensanglantés. Il s’amusa à inspecter la narine gauche de Dana, ce qui la fit sourire.

- Je crois que c’est bon Mulder.
- Agent fédéral ! Montrez-moi vos narines ! ordonna Mulder sur un ton très sérieux.

Scully ne put retenir un petit rire.

- C’est si bon de t’entendre…

Scully le fixa attentivement, comme si elle savait déjà ce qu’il allait ajouter.

- Comme fin août, continua-t-elle à sa place.
- Oui… confirma Mulder, répondant avec tendresse au regard qu’elle lui offrait.

Oui… Mulder et Scully avaient toujours été très doués pour passer en une fraction de seconde des larmes aux rires, des peines aux joies… et vice-versa.

- Tu me le dirais s’il… s’il y avait quelque chose de grave, n’est-ce pas ? réussit-il à prononcer.

Un certain cran lui avait été nécessaire pour lui envoyer ces quelques mots. Il y avait encore quelques minutes, elle pleurait à s’étouffer, puis il avait rallumé le bonheur dans son cœur, il ne voulait pas que l’étincelle s’éteigne à cause d’un infime courant d’air. Mais, il voulait lui prouver qu’il ne la laisserait plus jamais toute seule. Probablement qu’elle le sentait, et qu’il n’avait pas besoin de lui dire pour qu’elle en ait l’infime certitude, mais elle avait tellement besoin de l’entendre – pour se rassurer et dissiper les angoisses incontrôlables.

- Bien sûr Mulder, tenta-t-elle de convaincre.
- Je sais qu’il y a quelque chose, insista tout de même Mulder, attrapant une mèche rousse de Dana, lui trouvant une petite place derrière son oreille.
- C’est que… les mots ne sortent pas Mulder…

Un Ange passa.

- Quand tu seras prête… je serai là. Je te le promets.

Il lui prit la main afin de la détendre et déposa un tendre baiser sur ses lèvres. Elle sembla déconnecter un instant… avant de retourner à son tourbillon infernal de questions surchauffant son corps tout entier. Mais un instant, c’était déjà bien.

Mulder savait… une intuition… mais surtout, il lui suffisait de lire dans le cœur de ses iris azur pour ressentir les émotions qui la traversait. Et elle n’avait qu’à plonger dans le vert de ses yeux, et elle savait. Depuis le premier regard – ils étaient connectés, comme s’ils s’étaient reconnus. Cet instant nocturne, entre peur et confiance lui rappelait cette toute première nuit, où elle était venue frapper, dans un élan d’épouvante, à la porte de sa chambre – un motel situé dans l’Oregon, leur première enquête. Il n’avait pu s’empêcher de faire languir le suspens, la faisant tressaillir de terreur. Durant ces secondes interminables pour elle, mais pas pour lui, il avait glissé dans son parfum – sensuellement vanillé… Son corps dissimulé par de simples sous-vêtements, il avait un instant prit le large pour un ailleurs envoûtant. Mais sentant qu’elle risquait de lui tomber dans les bras à force de la faire attendre, éclairant le velouté de sa peau à la bougie, il avait réussi à se reconnecter. Ce qui avait alimenté la paranoïa de Scully avait trouvé son origine dans une inoffensive mais féroce piqure de moustique. Elle avait cru à une marque venue d’un autre monde, pourtant elle se refusait d’y croire mais la petite voix en elle se rapprochant des croyances de Mulder n’était pas si faible. Mulder et Scully avaient souvent eu peur ensembles, mais jamais ils ne s’étaient méfiés l’un de l’autre – la confiance entre eux avait pris naissance dès la seconde où ils avaient, pour la première fois, échangé leur souffle dans la même pièce. Et elle lui était quand même tombée dans les bras.

Mulder aperçu l’heure : 3h19.

Il s’était rallongé dans le lit. Elle aussi. Sous les draps, il l’enlaçait de toute sa chaleur apaisante. Voyant qu’elle se rongeait toujours de l’intérieur, Mulder rompit le silence qui commençait à s’installer :

- J’aimerais tant que tu t’accordes une pause…
- Tu sais très bien que c’est difficile.

Rarement Scully avait réussi à trouver le bouton « off » sur sa tête. Et ce n’était certainement pas cette nuit qu’elle pourrait y parvenir. En fait, le bouton « off » n’existait pas chez elle. Scully dissimulait un tourbillon d’émotions indiscernables pour autrui, sauf pour lui, Mulder. Alors tourbillon d’émotions couplé à une grossesse provoquait une explosion de sensations qu’elle était bien incapable d’analyser malgré sa lucidité, tellement la vitesse des stimuli dans son corps était rapide ! Toute cette déferlante d’angoisse face au choix qu’elle s’ordonnait de faire pour la vie qu’elle portait en elle était insaisissable, car incompréhensible, mais en attendant de mieux comprendre, elle ressentait les vagues déchaînées bondissant de toute leur hauteur, submergeant son corps, en provenance directe de la profondeur de son ventre et se répartissant, se faufilant et s’infiltrant jusque sous ses ongles, la faisant irrémédiablement sombrer au fil des minutes. Pourtant, fin août, dans cette robe marine, aussi légère qu’une caresse, elle avait réussi – Scully savait que c’était probablement pour cette raison qu’elle était tombée enceinte – elle avait lâché prise, laissant la vie s’engouffrer en elle. Comme pour William… – Hollywood ! Mulder et Scully s’étaient pris au jeu des étoiles de la ville et avaient passé chaque seconde à s’enivrer d’insouciance.

La tête couchée sur l’oreiller, Mulder la dévisageait avec compréhension et respect, comme s’il savait et analysait pertinemment les secousses qui l’envahissaient. Après un long silence, il lui dit :

- Il faut que tu dormes.

Elle ne répondit rien, préférant s’enfermer dans son mutisme de survie lorsqu’il s’agissait de protéger ses secrets. Sa mère était souvent si désemparée. Tu es si secrète, lui répétait-elle dès qu’elle voyait sa propre fille tirer le rideau et se mettre à courir pour mieux devenir transparente. Margaret Scully n’avait découvert qu’au bout de quatre mois, presque cinq, pour William. Maggie avait bien failli l’apprendre dès les premières semaines mais… Maggie avait raté le coche. Ce soir là, sa fille était tombée sur le répondeur. Et les moments où Dana se confiait, dans un déclic d’optimisme, trop rares, mais tellement précieux.

Mulder gardait les yeux ouverts. Il voulait la regarder s’endormir. Scully était la seule chose qui au monde comptait pour lui. Et sans elle, il se sentait incapable de continuer la route. Voilà pourquoi il fallait que Mulder veille sur Scully. Ensembles, tous les deux, ils se protégeaient de l’errance qui embrase la terre.

Il percevait son souffle venir doucement heurter son visage, comme les vagues s’échouant sur le sable. Elle avait fini par s’endormir. Mais pas lui.

***

Lady of Sorrows Hospital – 10h54

Scully sortit les clefs de sa blouse, les enfonça dans la serrure et s’engouffra à l’intérieur, disparaissant derrière la porte. Elle se débarrassa des quelques dossiers qui l’encombrait, les faisant rejoindre la pile ornant le coin de son bureau. Et c’est là qu’elle le vit. Mince ! Je lui avais pourtant promis. Je lui avais promis que je lui ramènerais… Debout devant son bureau, Scully s’en voulait, une once de culpabilité commençait à la traverser, puis elle se rappela que ce n’était pas vraiment sa faute, on avait eu besoin d’elle aux urgences, on l’avait appelée, cela l’avait occupée jusque dans la soirée, tard, elle n’avait pas eu le temps de remonter à son bureau – encore moins la force, elle s’était dit qu’elle lui rapporterait demain, on était demain, elle n’avait donc pas rompu sa promesse, elle avait juste du retard, ce n’était pas sa faute, stop la culpabilité, qu’est-ce qu’elle attendait, pourquoi ne prenait-elle pas le carnet ? Un bruit en provenance de l’autre extrémité du bureau la ramena à la réalité, sa collègue venait de pénétrer dans les lieux, « Bonjour Docteur Scully, vous allez bien ? », elle s’était assise, sans attendre la réponse du docteur Scully qui une fois sur deux ne répondait jamais. Le docteur Wallas ne fut donc aucunement surprise de l’attitude énigmatique de sa consœur. Dana, revenue de son escapade intérieure, s’empara enfin du carnet de Rosa. Elle était curieuse, elle se demandait même pourquoi elle ne l’avait pas déjà fait, hier quand elle l’avait mis à l’abri dans cette pièce. Elle fit connaissance avec lui, feuilletant avec délicatesse les dessins. Ce n’était pas vraiment un carnet, mais plus une pochette en carton. Gris, noir, blanc, flou, ombreux… à la fois semblables mais différents, tous comme… tous comme celui qu’elle lui avait donné. Immédiatement Dana plongea la main dans la poche interne de sa blouse, ressortant le cadeau de Rosa, le dépliant et le posant sur son bureau. Elle s’empressa de faire la même chose avec tous les autres, les faisant sortir de leur cachette, les oxygénant, et les répartissant sur la table, les faisant bouger, comme si elle cherchait à les emboîter – comme un puzzle.

Oh mon Dieu…

Dana recula de quelques pas. Elle voulait s’assurer qu’elle ne divaguait pas, ou pire, elle était peut-être encore en train de rêver, si ça se trouvait, elle n’avait toujours pas été rescapée de la salle de bain s’engloutissant dans l’océan rouge…

Le docteur Wallas arrêta son stylo, redressa la tête, l’observant un instant à la dérobée… Le docteur Dana Scully était vraiment étrange parfois… mais elle avait l’avantage d’être calme, ce qui n’était pas pour déplaire au docteur Wallas qui avait toujours éprouvé quelques difficultés à se concentrer autrement que dans le silence. Elle ne la connaissait pas trop… elle se disait qu’elle avait encore du temps pour ça, le docteur Scully était nouvelle dans cet hôpital. Sans chercher à analyser plus en profondeur, elle remit en marche son stylo, recentrant son attention sur le travail qui l’avait amenée jusqu’ici.

Non. Dana ne rêvait pas. L’arôme chocolaté que Wallas, dans un gobelet en plastique, avait fait surgir, lui invalida l’hypothèse. Elle était bien réveillée. Elle ferma les yeux. Son estomac lui faisait comprendre qu’il n’aimait pas l’arôme chocolaté. Elle rouvrit les yeux. Elle était toujours là. Elle n’avait pas disparue. C’était elle. Là. Devant. Sur ces dessins, c’était elle ! Rosa l’avait dessinée. Brutalement, Scully sentit que l’air l’abandonnait, qu’il décidait de quitter son corps, tellement le choc émotionnel était ingérable. Scully était son médecin. Rosa l’affectionnait particulièrement. Qu’elle l’ait dessinée. Normal ! Mais qu’elle lui ait donné la vie sur papier, avec un ventre arrondi… incroyable et effrayant… Celui qu’elle lui avait offert, c’était celui où il y avait la place pour l’enfant… Précipitamment elle rassembla toutes les feuilles, elle savait qu’elle n’aurait pas le temps de sortir, c’était déjà trop tard ! Attrapant la poubelle sur le côté, la contraction matinale se réveilla, l’étouffant et lui faisant sauter la tête.

- Docteur Scully !

Ingrid Wallas avait bondi de sa chaise, inquiète et paniquée, accourant vers sa collègue mal en point.

- Mince Dana…

Ingrid n’avait jamais fait ça, ne serait-ce qu’une seule fois, l’appeler par son prénom. Cela avait toujours été Docteur Scully.

- Ça va aller… rassura Scully. C’est déjà fini.
- Je ne crois pas, vous êtes blanche à faire peur, et vous tremblez ! Je dois vous annoncer que vous mentez très mal !

Scully lui renvoya un faible sourire.

- Vous devriez rentrer chez vous, conseilla le docteur Wallas.
- Non, je vous assure, ça ira très bien, je me sens déjà mieux…
- Vous êtes brûlante, sentit-elle, plaquant la main sur son front. Attendez…

Dana regarda sa collègue s’éclipser, pour aussitôt revenir avec une petite et fine serviette éponge imbibée d’eau fraîche qu’elle posa automatiquement sur son front.

- Merci.
- De rien docteur Scully…

Les deux femmes se regardaient. Elles partageaient une passion commune, et pourtant elles se connaissaient si peu.

- Oh non laissez ! intercepta Ingrid, libérant Scully de la poubelle qu’elle s’apprêtait à sortir de la pièce, je m’en occupe, vous devez faire une pause si vous voulez reprendre votre service !
- Mais… tenta de protester Scully.
- Vous tenez à peine sur vos jambes ! lui fit-elle remarquer, je vous en prie, laissez-moi faire.

Cette fois, Scully se rasseyant sembla convaincue, hocha la tête et regarda sa collègue s’en aller afin de nettoyer ce qui avait servi de bassine.

Après une minute, Scully se souleva et se traîna jusqu’à la fenêtre et l’ouvrit. L’air frais s’engouffrant lui fit du bien, l’apaisant. L’avantage des nausées matinales, c’est qu’elles purgent votre cerveau, le concentrant sur une seule et unique pensée – la douleur montante. Ce n’est que quand elle se retourna vers son bureau que les circuits se remirent en marche. Qu’est-ce qui avait pu conduire une adolescente de quinze ans, à matérialiser dans un carnet, le portrait de Dana, son portrait, enceinte ? Parfois, on dit que les gens proches de la mort voient des choses que les autres ne peuvent pas voir…

- Docteur Scully ?

Sur le seuil de l’entrée, se tenait sa jeune interne.

- Bonjour Stevens, sourit Scully, venant à elle.
- Docteur Scully, j’ai à vous parler.

Scully laissa tomber son sourire, le visage tendu qu’elle lui renvoyait l’alarma aussitôt.

- Qu’y-a-t-il Stevens ? Vous m’inquiétez…

Stevens lui tendit l’enveloppe.

- Mes analyses, c’est vrai ! J’avais complètement oublié…
- J’ai déjà fait faire un bilan complémentaire par le labo.

Scully qui était en train d’ouvrir ses résultats, arrêta son geste.

- Que voulez-vous dire ?

Stevens ne répondit rien. Personne ne souhaitait entendre un tel résultat. Personne. Rien. Scully décrypta que c’était la tristesse qui habillait Stevens en cet instant. Ce qui lui fit froid dans le dos. Ce regard ancré dans les yeux d’Elisa Stevens… identique à celui qu’ont les médecins devant la famille, remontant du bloc… Nous sommes désolés, mais nous n’avons rien pu faire…

- Je suis désolée Dana…

Les deux femmes se scrutaient. L’une désemparée, car impuissante, l’autre cherchant du sens au basculement prochain qu’on lui amenait dans une simple enveloppe.

Scully reprit là où elle s’était interrompue et commença à parcourir l’analyse. Stevens surveillait la moindre réaction, la moindre défaillance, elle se tenait prête, au-cas où le docteur Scully flancherait, s’effondrant par terre – la rattraper quand elle tomberait.

- Je suis enceinte Stevens, vous aviez raison…

Scully tourna la page, toujours concentrée, cherchant la moindre faille, l’épicentre des tremblements de sa jeune interne. Et… comme prévu l’onde de choc traversa Scully.

Elle ne relevait toujours pas la tête, mais Stevens savait qu’elle avait déjà compris. Elle n’osa pas lui dire ce qu’elle voulait lui faire entendre. Elle préférait encore attendre… quelques secondes… juste le temps pour que Dana revienne en arrière, revérifie les taux, réalise, encaisse, panique, s’étouffe, reprenne l’oxygène, décide…

…et relève la tête.

Stevens fut surprise par l’aplomb qui habitait Scully. Elle donnait l’impression d’avoir englouti le choc aussi vite que lorsqu’il s’agissait d’avaler un verre d’eau.

- Ne soyez pas désolée, vous aviez raison, je suis enceinte ! rappela une nouvelle fois Scully, félicitant son interne, ce qui ne manqua pas de la déconcerter encore un peu plus.

Elle réussit à se reprendre et répondit :

- Mais, vous aussi, vous aviez raison…

Dana ne sentait plus rien, comme dans les moments où elle s’amusait à fixer un point, un objet, un stylo, une publicité, une fleur – arrêt sur image, pour se protéger, se recharger, juste avant d’affronter l’avance rapide. Certes, elle avait quarante ans et une grossesse, ça fatigue, ça ralentit, ça épuise le corps, mais ça ne rend en aucun cas cadavérique… perte d’appétit, saignement de nez, sueurs nocturnes, elle devait se rendre à l’évidence, le souffle de la mort coulait dans ses veines, et à vitesse foudroyante.

Stevens ne put se contenir davantage et prononça la question qui la taraudait sur le bord des lèvres depuis le début :

- Que comptez-vous faire Dana, pour le bébé ?
- C’est déjà tout réfléchi Stevens, je ne le garde pas, finalement tout ça tombe très bien, moi qui hésitait, ce bilan vient de choisir pour moi, répondit froidement Scully, remettant les feuilles dans l’enveloppe.
- Docteur Scully… parut horrifiée Stevens, car sa réponse était dure et dépouillée de toute humanité. Vous savez, sans ce soupçon de grossesse, vous n’auriez probablement jamais fait cette analyse si tôt, ce bébé, à l’intérieur de vous, vient peut-être de vous sauver la vie… tenta de faire entendre Stevens, lui montrant qu’elle avait encore le choix.
- Les effets secondaires d’un tel traitement sont trop dangereux, les séquelles sur l’enfant sont souvent irrémédiables…
- Mais pas toujours ! coupa-t-elle, attrapant son bras, constatant qu’elle comptait partir. Quant au traitement, nous pouvons l’adapter en fonction des réactions du fœtus et…
- Stevens ! Demain, il n’y aura plus de grossesse ! Et pour le traitement, on en parlera, mais pas maintenant !

Stevens resta figée, bouleversée par sa réaction sans appel, par la manière dont elle entrevoyait les choses.

- Ne prenez pas cet air contrit Stevens, vous n’y êtes pour rien, juste que j’ai déjà donné dans ce genre de partie, et je n’ai pas la force de rejouer les cartes. Et puis, entre le scanner et les analyses, vous m’avez été d’une grande aide ainsi que d’une grande discrétion, je vous en remercie, et une dernière fois encore, vous n’êtes coupable de rien…



- Je comprends docteur Scully, articula maladroitement l’interne, luttant de toutes ses forces pour contenir son émotion envahissante, c’est de vous dont il s’agit, ce n’est pas moi, après tout cela ne me regarde pas…

Stevens était triste. Elle ne pouvait rien faire pour lui venir en aide. Elle aimait bien le docteur Scully, même beaucoup, devenir médecin lui avait donné l’impression qu’elle aurait pu changer le monde, tous les jours, mais c’était faux – personne ne pouvait soigner la mort.

- Chassez tout ça de votre esprit Stevens et retournez à votre service, conseilla Scully, lui administrant une main amicale sur l’épaule. Les patients ont besoin de vous.
- D’accord… accepta la jeune fille, encore toute brinquebalante.

Puis, sous les yeux de Stevens, Scully commença à s’échapper avant de subitement revenir sur ses pas, retournant dans son bureau, attrapant le carnet de Rosa, pour enfin se fondre dans le couloir, absorbée par l’agitation du personnel qui circulait.

Le docteur Wallas, qui revenait avec la poubelle, la sortit de la lune mélancolique.

- Ah Stevens ! Vous tombez bien, il manque quelqu’un pour assister le docteur Jackson en chirurgie, bloc numéro cinq, l’intervention commence dans moins de dix minutes, prévint-elle, complice.

Le docteur Wallas, voyant qu’elle ne réagissait pas, ajouta :

- À votre place je serais déjà en train de courir !

Mais le docteur Scully est en train de mourir, qu’est-ce qu’on fait, docteur Wallas, qu’est-ce qu’on fait ?

- … merci ! réussit à prononcer Stevens.

Elle se volatilisa en un éclair.

- Ces internes, murmura Wallas pénétrant dans le bureau par la porte laissée ouverte, le sourire aux lèvres, se remémorant l’adrénaline qui ne l’avait jamais quittée lors de ses études. Je les comprends de moins en moins. À mon époque, un rien nous faisait bondir d’enthousiasme !

***

11h30

Scully se tenait derrière la vitre. Rosa dormait. L’adolescente était si fatiguée. La porte était ouverte. Scully pénétra dans la chambre. Seul le bruit électronique de la surveillance cardiaque troublait l’espace. Scully déposa le carnet sur la table de chevet. Elle avait pris soin de conserver celui où il y avait son ventre, et puis c’était son dessin – celui où Rosa avait puisé l’inspiration en elle. Scully n’était pas une voleuse. Rosa le lui avait tendu, bras ouverts, le sourire sur les lèvres.

Elle s’arrêta, observait Rosa. Cherchant la réponse. Elle lui prit la main…

Comment as-tu su Rosa… comment… avant moi ?... Comment as-tu fait pour savoir que j’étais enceinte ?...

Subitement, elle stoppa sa pensée, relâchant sa main, surprise par la sonnerie. Elle sortit aussi vite que possible dans le couloir du service réanimation, saisissant son téléphone portable, Charles !, se retourna, vérifiant que Rosa dormait toujours, oui, et décrocha.

Scully n’avait pas remarqué, mais les joues de Rosa s’étaient légèrement rapprochées de la couleur de son prénom.

Machinalement, sans vraiment s’en rendre compte, Scully s’était réfugiée dans la chapelle de l’hôpital, située juste en face de la chambre de Rosa.

- Je voulais avoir de tes nouvelles, voilà pourquoi je t’appelle.
- Mais il est au-moins… (Scully regarda sa montre)… c’est encore la nuit à Los Angeles…
- Je rentre d’un long courrier depuis Tokyo, je suis complètement décalé, et puis entre toi et moi, l’insomnie, c’est normal !
- Oui… sourit Scully, heureuse d’entendre son frère, cela faisait si longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus, ni même parlés.

Elle s’était assise sur un banc, le deuxième sur la gauche, en partant de l’autel.

- Comment ça va au travail ?
- Euh… bien.
- Quelle concision !

Charles l’entendit de nouveau sourire à travers le combiné.

- Je ne t’ai pas revue depuis que tu es enfin devenue un vrai médecin, alors je veux des détails Dana !
- Tu sais Charles, à part des opérations, des opérations et encore des opérations, il ne se passe pas grande chose…
- Ça je m’en doute Dana, je veux juste savoir si tu es heureuse, maintenant, que tu as enfin ce que tu voulais...

Je veux William !

- Oui ! Bien sûr… Même si je ne travaille plus pour le FBI, je me sens toujours utile et passionnée, je ne compte pas encore changer de voie ou abandonner.
- Très bien, et à la maison ?
- J’y suis pas souvent.
- Et Mulder ?
- Il se planque toujours et… … (Elle s’était arrêtée.)
- Dana ? risqua Charles, conscient qu’il était sur le point de perdre son masque.
- Il t’a demandé de m’appeler, c’est ça ? Mulder t’a demandé de m’appeler !
- Pourquoi tu poses la question si tu sais déjà la réponse ?

Cette fois-ci, il l’entendit rugir.

- Je le déteste quand il fait ça !
- Et lui, il s’inquiète pour toi !
- Mais je vais très bien Charles !
- Mulder ne m’aurait jamais appelé dans ce cas !
- …
- Écoute Dana… tu peux tout me dire, tu sais très bien que je juge jamais… dis-moi…
- C’est… … j’y arrive pas, laisse tomber !
- Je rappellerai demain, puis après-demain, jusqu’à tant que tu me dises ce qui ne va pas…
- Charles…
- Merde Dana ! Tu me fais flipper ! réagit-il, n’ayant réussi à dissimuler la panique naissant en lui sous l’influence de la voix brisée de sa sœur. Sache que je suis prêt à prendre le premier avion pour la Caroline s’il le faut !
- C’est que… demain ça sera trop tard et même si tu te déplaces ça sera toujours trop tard…
- Dana…
- Demain, Charles… … je vais avorter.

Elle l’entendit chercher son souffle.

- Quoi ?
- T’as très bien entendu.
- T’es enceinte ?
- T’as besoin de la définition du terme « avorter » peut-être !

Elle s’énervait. C’était pas bon pour la suite. Charles le savait.

- Et depuis quand tu le sais, depuis quand t’es enceinte, est-ce que Mulder est au-courant ?
- Au-revoir Charles !
- Dana ! Attends, Dana !

Elle avait raccroché.

Charles, posté devant la baie vitrée de son salon donnant vue sur la nuit illuminée de la Cité des Anges, recomposa le numéro.

- Et merde !

Elle avait éteint son portable.



Il ne l’avait pas vue depuis un moment. Le Père Ybarra, entrant dans la chapelle, fut surpris de repérer sa présence, mais aussi heureux.

Ce n’est que quand il arriva à sa hauteur qu’elle réalisa qu’elle n’était plus toute seule.

- Docteur Scully, salua-t-il.
- Père Ybarra…

Les iris bleus dissimulées par les larmes, il comprit qu’elle avait besoin de lui

- Je peux ? préféra-t-il tout de même s’assurer.
- Oui, autorisa Scully.

Le Père Ybarra s’installa près d’elle.

- Père Ybarra… comment pouvons-nous être sûrs que les choix que nous faisons… sont les bons ?

Il prit un temps avant de lui donner sa réponse.

- Les choix déterminent qui nous sommes… Et les choix que nous faisons, souvent pour une raison inconnue au départ, sont toujours les bons, car sur notre chemin, ils nous permettent d’avancer – Ils nous révèlent.

***

18h30

Un souffle comparable à l’ivresse du bonheur le souleva du sol lorsqu’il aperçu sa voiture reposant sur le gravier, devant leur maison. Elle était déjà rentrée. Il était pressé de la retrouver, lui demander comment s’était déroulée sa journée, surtout après sa nuit cauchemardesque, est-ce que Rosa allait mieux, était-elle encore en réanimation, Charles avait-il appelé, mais ça fallait pas lui dire, et elle, sa Scully, avait-elle enfin les mots pour le dire…

- Scully ?

Dans le séjour, la cherchant du regard, il attendait sa réponse… Pas de réponse. Son manteau noir était sur le canapé. Il s’attaqua à l’escalier.

- Scully ?

La porte de leur chambre était entrouverte.

Il s’apprêtait à recommencer, à ouvrir un peu plus la porte, quand il s’arrêta net. Ce qu’il vit l’intrigua. Cela le fit d’abord sourire. Scully s’observait devant la glace… Mais non, tu es parfaite, pensa Mulder. Il se sentait comme un espion, mais il ne voulait pas l’interrompre, ne surtout pas la faire sursauter. Ce ne fut pas pour autant qu’il s’arrêta de l’observer en cachette, il n’arrivait à battre en retraite – après tout, c’était dans sa nature. Elle glissa ses mains sur son ventre, resta un instant sans bouger, puis souleva son pull et posa de nouveau ses mains sur son ventre nu. À travers le reflet de la glace, il pouvait voir son visage. Son regard était étrange… douloureux… un peu comme… …

Non tu comprends pas, je l’ai tué...

Il vit une larme couler sur ses joues…

J’ai tué notre bébé Mulder !

Mulder recula vivement. Secoué comme jamais il ne l’avait été. Au-milieu du couloir de l’étage, il porta la main à sa bouche. Contenir sa stupéfaction.

Mon Dieu… …

… Tu es enceinte !

***

PtiteCoccie88
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Message  PtiteCoccie88 Ven 22 Juin 2012 - 23:02

7
*


It’s you and me! That’s what I’m fighting for, Mulder. You and me!
[The Truth]

Jeudi 30 septembre 2004

Elle ouvrit les yeux. Couchée sur le ventre, le poids de ses paupières – lourd. Elles lui donnaient l’impression qu’elle venait de s’endormir. Elle hissa sa main jusqu’à la table de nuit et souleva le radio réveil. Il faisait jour. Scully se doutait bien qu’elle avait sombré plus qu’une heure de sommeil… 7h54. Scully aurait été capable de vendre son âme pour qu’il fasse encore nuit. Ce matin, c’était un de ceux où l’on sait, avant même d’avoir éloigné les couvertures, senti l’air frais caresser sa peau et frôlé le sol, que la journée sera longue, et particulièrement angoissante. Une fois la ligne rouge coupée, plus aucun retour en arrière possible. Elle avait rendez-vous à 14h30.

7h59 – Scully n’arrivait pas à bouger. Même s’il avait pris soin de refermer la porte de la chambre avant de s’éclipser au niveau inférieur, du lit elle l’entendait s’affairer doucement dans la cuisine. Il préparait le petit déjeuner. Elle avait terriblement soif.

8h00 – Sa main s’écrasa aussitôt sur le réveil, retournant à l’envoyeur le bruit désagréable de l’alarme stridente. Sa bouche était desséchée. Elle voulait saisir le verre d’eau dormant sur la table de nuit mais elle ne pouvait pas. Il lui était toujours impossible de bouger son corps. Elle sentait, à la seconde où elle changerait de place son ventre, que les montagnes russes reviendraient démonter son estomac. Et elle savait aussi qu’il ne faudrait pas plus de cinq minutes pour que ses hormones décident de remonter le verre d’eau qu’elle désirait tant faire descendre en elle. N’importe quelle femme enceinte aurait déjà fait en sorte de calmer les nausées matinales, et Scully étant médecin, elle savait doublement ce qu’il fallait faire, elle l’avait fait pour William, mais ici, elle ne faisait rien, comme pour mieux se rappeler qu’elle avait fauté, et qu’il était urgent de réparer au plus vite son erreur. Scully ne pensait pas aux analyses. Elle ne pouvait pas faire deux choses en même temps, au risque de rater la perfection. Les analyses avaient été directement et précipitamment rangées dans un tiroir de sa tête, bien cachées au fond, dans une boîte, toute petite, avec pour étiquette « on verra plus tard, après 14h30, après IVG ».

Mulder nota l’heure. On était jeudi et Scully avait déjà vingt heures de garde en trop pour cette semaine encore inachevée. Hier soir il l’avait vue régler le réveil plus tard que d’habitude mais… c’était trop silencieux. Elle aurait déjà dû descendre, traîner en chemise de nuit, lui parler avec ses sourires, ou faire résonner la douche or… rien. Depuis lundi, rien. Scully était comme évaporée. Elle avait failli partir sans son sac au travail, il l’avait retrouvée frigorifiée dans la chambre d’amis, il vidait sans cesse des assiettes pleines, elle avait toujours très peu dormi mais ces nuits passées dans des mouchoirs ensanglantés elle battait des records, et le miroir… la peur défigurait ses yeux bleus.

Au FBI, les gens avaient passé leur temps à lui répéter qu’il « se faisait des films » en continu. Il les avait entendus, mais ne les avait jamais écoutés. Mulder était convaincu que sa fiction était la réalité, et quand il s’agissait de Scully, il ne se trompait jamais. Afin de vérifier que ses hypothèses s’avéraient toujours exactes, il abandonna la cafetière.

Sans faire de bruit, il pénétra dans la chambre.

Elle n’avait pas bougé d’un millimètre entre l’instant où il l’avait quittée et maintenant. Le réveil n’avait pas exécuté son rituel programmé ou bien elle ne l’avait pas entendu sonner. Ces déductions étaient recevables seulement dans le cas d’une Scully encore endormie, ce qu’il croyait jusqu’au moment où il aperçu ses paupières, grandes ouvertes.

Le soleil s’engouffrait à flot dans la chambre, Mulder se sentit presque stupide d’avoir jeté la faute sur un réveil défectueux, le moindre rayon lumineux réveillait toujours Scully.

Il fallait qu’il vérifie. Scully n’était pas endormie, Scully était-elle… enceinte ?

Il s’approcha près d’elle, s’accroupissant à sa hauteur. Son regard était vide, figé droit devant. Immobile. Tout comme son corps. Mulder avait même l’impression qu’elle n’avait pas conscience qu’il se tenait si proche d’elle. L’avait-elle au-moins entendu rentrer dans la chambre ? Même cela, il doutait. Mais une chose était sûre, Scully était loin… très loin. Mulder ne voulant pas la perdre encore plus profondément, avec tout l’oxygène qu’il attrapa pour échauffer son élan, il commença la recherche – il fallait qu’il la ramène, mais avant, il fallait la trouver.

- Scully ?

Mulder nota un imperceptible mouvement. Ses mains déjà bien crispées, renfermées sur elles-mêmes, accentuèrent la pression, s’accrochant encore plus fort au drap comme si… elle tentait de contenir une douleur.

- Scully… reprit-il toujours aussi doucement.

Elle était vraiment très forte. Scully. Sa capacité à encaisser, sa résilience, l’avait toujours fortement impressionné. Elle n’était pas médecin pour rien. La métamorphose en marbre, elle maîtrisait avec excellence. Plus d’une fois, c’était elle qui l’avait remonté à la surface, le sauvant de la suffocation et de la noyade. Mais depuis trois jours… elle semblait avoir perdu le chargeur au fond de l’océan. La corde sur laquelle Scully s’accrochait – coupée. Engloutissement assuré.

Il était diplômé en psychologie, et pourtant, il se sentait complètement démuni et effrayé. Et il avait beau avoir répété la scène dans sa tête avant de monter, tout se mélangeait, les mots s’entrechoquant, créant une confusion totale. Le coupable ? La souffrance de Scully rongeant son corps. Il la ressentait.

Elle fit enfin glisser ses prunelles vers lui, et dans un effort surhumain s’arracha ces quelques syllabes :

- J’ai soif.

Mulder eut la désagréable sensation d’entendre son dernier souffle. Sa voix était si faible.

- Mais tu as de l’eau sur la table de nuit, réagit-il aussitôt, légèrement déstabilisé.

Elle hocha la tête, signe de négation.

- Quoi… c’est pas ça que tu veux ?

Mulder ne le savait pas encore, mais ces quelques mots qu’elle s’était efforcée de prononcer avaient brutalement réveillé ses cordes vocales, alimentant directement le poids écrasant son estomac. Pendant une seconde, Scully ressortit le bilan du tiroir planqué dans son cerveau, se demandant si c’était vraiment la petite vie qui ce matin était à l’origine de la nausée foudroyante… petite vie ou mort infiltrante ? Mais elle rangea aussitôt, ne se laissa pas le temps de disserter davantage, mettant cette fois-ci le cadenas sur la boîte, vite, fallait pas se tromper dans la combinaison, très vite, parce que, elle se redressa, vivement, ce qui ne manqua pas de surprendre Mulder, parce que ça arrivait !

Assise sur le rebord du lit, mains s’agrippant toujours au drap et jambes dénudées et tremblantes, sa respiration était préoccupante… saccadée…

… ce qui conforta Mulder dans sa théorie, sur le point de valider pour de bon le premier palier de son hypothèse.

- T’as envie de vomir ?

Scully ferma ses paupières, bloqua sa respiration, hochant une nouvelle fois la tête, affirmatif, rouvrit ses paupières. Elle aurait tellement voulu qu’il ne s’aperçoive de rien, gérer toute seule, comme elle savait si bien le faire d’habitude mais là… elle avait besoin de son aide, surtout si en cette seconde petite vie n’était coupable de rien.

Mulder se précipita dans la salle de bain et revint dans la chambre, une bassine posée sous Scully.

Et puis… ils finiraient par arriver ces moments où petite vie n’y serait plus pour rien… alors elle devait le préparer, Mulder – en douceur.



Il attendait. Scully aussi…

Jusqu’au moment où il attrapa ses cheveux, les retenant de tomber dans la bassine avec Scully. Rien ne sortit pour autant. Fausse alerte. La tête toujours penchée, Scully luttait. Elle semblait s’asphyxier… figeant Mulder dans la panique. Ses mains avaient quitté les draps pour venir broyer la bassine sur ses genoux. Ses jambes grelottaient de torpeur. Et ses yeux pleuraient tous seuls. Elle avait chaud. Mulder se sentait terriblement impuissant. Scully avait envie de se justifier, lui dire que la moitié du service pédiatrie était couvé par des petits patients aux problèmes digestifs, mais elle ne le fit pas, l’alerte s’étant remise en marche, la devançant de toute sa puissance sonore, prévenant Mulder avec un gémissement voisin de la mort fauchant par surprise. La nausée écœura sa gorge, la faisant tousser à s’étouffer, mais rien d’autre. Seul un léger filet d’acide s’échappa. Forcément, depuis lundi, elle n’avait rien avalé – Provoquer un avortement spontané. Mais ce n’était pas si simple. Et surtout beaucoup trop long pour elle. Cette vie s’accrochait. Et Scully détestait faire trainer les choses. Tout devait toujours aller très vite, par peur d’un manque de temps. Depuis petite, elle se sentait en sursis. Persuadée qu’elle ne dépasserait jamais les quarante ans. Tout lui laissait croire qu’elle prenait cette route. Combien de temps lui faudrait-il pour atteindre le bout du chemin, un, deux, trois mois ?... ou une semaine ? Scully comprit que le cadenas chargé de filtrer ses pensées n’était pas si solide…

- Tu n’as rien mangé depuis trois jours, je crois que ça n’ira pas plus loin, rassura Mulder, résistant pour ne pas trembler à son tour.

S’il dérapait, il n’y aurait plus personne pour rattraper Scully. Lui voler le marbre, une nécessité pour la préserver du fracassement.

- Je me sens mieux.

Elle avait relevé la tête. Il avait libéré ses cheveux.

- Tu es bien sûre ? lui demanda-t-il de vérifier, restant prudent.

Une fois de plus, elle hocha la tête. Mulder n’osait pas reprendre son investigation. Il préférait lui laisser quelques minutes de répit – qu’elle reprenne son souffle. Et lui aussi. Il ne l’avait jamais vue malade. Sauf pour son cancer… Scully emprisonnée par la fatigue, glissant dans la profondeur d’un lit d’hôpital entouré de murs blancs aussi blafards que son visage et Bill Scully martelant laissez-la mourir avec dignité… Elle s’extirpa enfin du lit, aidant inconsciemment Mulder à chasser les images morbides le traversant, se levant complètement, titubant, cherchant un court instant son équilibre.

- J’aimerais mieux que tu restes ici ce matin…
- Je vais bien Mulder.

Mulder essayait de se rassurer, elle travaillait dans un hôpital, le lieu idéal, théoriquement sauf exception, où il faut se trouver quand on ne va pas bien… même si Scully affirmait le contraire. Mulder, lui, savait la vérité.

- Je vais prendre ma douche.

Il la laissa filer sous ses yeux, refermer la porte de la salle de bain, passer quelques secondes de silence, et enclencher la pression d’eau.

Mulder regardait la porte close. Ne te dégonfle pas…

Mulder avait tout simplement peur de prendre la claque de sa vie – au sens propre.

Je l’ai exposée aux radiations, je lui ai donné un cancer, je l’ai rendue stérile, je l’ai abandonnée, et maintenant je la rends malheureuse… Mulder se demandait quelle aurait été la vie de Scully si elle ne l’avait jamais rencontré. Tout est ma faute. Mais il était urgent qu’il reprenne l’enquête. Et puis, de toute manière, la claque, je la mérite.

Elle l’entendit ouvrir la porte de la salle de bain, elle ne s’inquiéta pas, puis le pare-douche, elle sursauta.

- Mulder ! Qu’est-ce que tu fais ? T’es tout habillé ! À quoi tu joues ?
- Je te retourne la question Scully, à quoi joues-tu ?
- À rien. Comme tu vois je prends ma douche, mais si tu restes là tu vas finir par être trempé.

Mulder hésita un instant, sentant le dégonflage reprendre du service, revenir en lui face au caractère indémontable de celle qui se tenait devant lui – l’ignorant, elle avait refermé les yeux et les mains dans les cheveux, elle se noyait sous l’eau. Elle priait pour qu’il reparte, elle ne voulait pas être sauvée, mais Mulder était un bon nageur, qu’elle le veuille ou non, il la sortirait des flots. C’était lui et elle… Scully était l’auteur de ces mots, apparemment il était nécessaire qu’il lui rappelle… c’est toi et moi.

Mulder souffla, ses pieds commençaient sérieusement à s’inonder, tout comme le bas de son pantalon. Est-ce que vous croyez aux extraterrestres ? Mince alors ! Il lui avait déjà demandé bien plus risqué… Est-ce que… Est-ce que tu es… Scully est-ce que tu es… un deux trois !

- Est-ce que tu es enceinte ?

Imperturbable… Comme si elle s’y attendait. C’était bien ça le problème. Mais au-moins, sous la douche elle ne pouvait pas lui échapper.

- Je suis stérile Mulder.
- Et William ?

Elle tressaillit. Enfin. Corde sensible. Pour elle… et lui. Il n’avait pas prévu le prénom. C’était sorti sans répétition cette fois. Improvisation glissante… Mais ils étaient deux, pas seuls. Deux et demi ? Mulder comptait bien lui faire entendre, quitte à faire mal. Car il fallait avancer. Et la réalité n’est pas un rêve.

Elle arrêta l’eau, rouvrant les yeux, ancrant son regard bien dans le sien. Pressentiment – elle allait répondre en faisant aussi mal, voire plus. Son regard, noir.

- William était un accident.

Mulder crut un instant qu’il dérapait sur le carrelage – L’impact du poids verbal, violent. Il l’avait pourtant vu arriver, le choc. Il l’avait cherchée. Elle avait choisi d’exécuter stratégie sans repli possible, jusqu’à la mort s’il le faut ! Il l’attaquait. Elle voulait survivre. Ce n’était pas fini. Interdit d’être K.O. Il devait y retourner. Mulder chargea. Déstabiliser l’adversaire. La surprise étant la meilleure arme !

Le ton monta malgré lui :

- Comment oses-tu dire ça ! C’est à cause des hormones, se répétait-il. Elle en avait profité pour sortir de la douche et enrouler une serviette autour d’elle. On le voulait tous les deux !
- Et toi tu m’as abandonnée !
- Et toi tu l’as abandonné !

Touché ! Plein cœur… Fatal. Elle se retourna, le foudroyant. Il sortit à son tour. À aucun moment, il n’avait eu pour projet ou même ambition d’en arriver à ce niveau de douleur révélée par trop de non-dits archivés depuis des années… depuis qu’ils avaient quitté le F.B.I. Tous les deux.

S’approchant d’elle, il assista au craquelage de la foudre s’éloignant des iris bleus, battant en retraite aussi vite qu’elle avait surgi, se dissipant sous les trombes d’eau sur le point de tomber. Mais la violence déchirée entre souffrance et dureté, était intacte, prête à catapulter détonner exploser massacrer !

- Mulder…
- Je t’en supplie Scully, dis-moi la vérité.
- La vérité Mulder…

Le ton était menaçant… sans bouclier, il fit de la place pour accueillir le pire.

- … c’est que j’en veux pas…

Les mots… trop gros, ils ne rentraient pas. Mulder se sentit attraper par le sol. Reste fort. Pas le moment de flancher !

- Scully… je suis là cette fois-ci, il attrapa ses mains, tu dois me faire confiance !

Pour Scully, ce fut le mot de trop. Depuis l’analyse en boîte, le mot confiance était rayé de sa carte. Arrachant ses mains aux siennes, elle lui cria :

- Mais je veux pas d’un second miracle !



Qui dès deux baisseraient le regard en premier… Elle, rendue aveugle par l’océan déchaîné – Lui, écartelé par la torture qu’elle lui faisait respirer pour mieux l’étouffer.



Le cri s’écarta, exterminé par le sanglot submergeant :

- Je veux pas que tu me donnes un nouveau miracle…

La tête haute, elle claqua la porte. Mulder baissa la tête.

Cherchée. Trouvée. Claque. Encore perdue.



Mulder se laissa tomber sur la chaise, devant la petite console où elle posait tout son maquillage, ses parfums, ses bracelets, ses espérances qu’elle glissait en elle juste avant de filer pour l’hôpital… mais depuis lundi, tout était balayé par renoncement – Chaos.

Il plongea sa tête dans ses mains, l’emprisonnant pour ne pas qu’elle explose sous le poids des remords.

Il lui avait promis qu’il serait là quand elle serait prête. Il était là – mais elle n’était pas prête. Et lui, l’était-il ?

Cela faisait pratiquement un an et demi qu’ils avaient atterri dans cette maison. Avant, ils avaient vadrouillé. Ils avaient eu parfois des désaccords, surtout professionnels, mais jamais ils n’avaient élevé la voix dans l’unique but de frapper l’autre pour s’échapper. Scully l’avait mis par terre… Fortement sonné, Mulder se releva, bien décidé à lui montrer que lui, le miracle, il le voulait.

De l’autre côté, il n’entendait rien. Aucun son. L’ouverture de la pièce lui renvoya sa propre détresse. Elle était là. Sur le lit. Recroquevillée sur le ventre – exactement comme il l’avait trouvée en remontant de la cuisine. Hormis la serviette qui l’enroulait et ses cheveux mouillés, on aurait pu croire qu’elle ne s’était jamais levée.

Une nouvelle fois à sa hauteur, il décida de prendre un risque – attraper sa main… qu’elle reprit aussitôt, la glissant sous l’oreiller. Hors d’atteinte. D’une voix fatiguée, elle confirma le rejet :

- Laisse-moi.
- Scully.
- Laisse-moi, j’te dis.

Il n’insista pas plus, trop de carnages pour l’instant, se dirigea vers la sortie, ferma la porte de la chambre et se laissa couler derrière elle. La cage d’escalier lui faisait face, il se sentait comme aspiré par elle, le vertige montant à sa tête. Une minute passa. Deux. Puis trois… Au cours de celle-ci, Mulder l’entendit jeter les armes – un faible sanglot muant en une plainte atrocement égarée. Scully pleurait. C’était sa faute. Encore… Mais, aujourd’hui, hors de question qu’il les abandonne tous les deux.

*

14h00

Deux heures qu’il regardait le mur et le téléphone. Rien d’autre n’était possible. Surtout depuis les mots prononcés – hurlés ! Mais je veux pas que tu me donnes… STOP ! Mulder décrocha. Unique solution catastrophe pour taire le flot destructeur de paroles résonnant à l’intérieur. Il inspira profondément afin de consolider sa voix :

- Jason, c’est Mulder !
- Salut ! Je commençais à m’inquiéter, on attend toujours ton article !
- Écoute… je ne pourrai pas venir à la rédaction aujourd’hui le déposer.
- Tu plaisantes ? Avec ton thème, en première page, on est sûr de doubler nos ventes ! Je sais bien que t’exerces en free-lance pour nous et que tu as tout à fait le droit de nous faire faux bond, mais qu’est-ce qui s’est passé ?
- Rien… j’avais juste pas la tête à ça…
- Pourtant la dernière dois que je t’ai vu, tu avais plutôt l’air bien ferré sur le sujet, c’est dommage, surtout que ça ne te ressemble pas !
- … Il ne te reste plus qu’à avertir Éric que la une vient de se libérer !
- C’est clair, au-moins tu fais un heureux Mulder, mais je ne te cache pas que je suis sacrément déçu… Je vais quand même voir avec Kathryn Thomson pour qu’elle te laisse un encart pour le prochain numéro au cas-où l’envie de te remettre au travail te démangerait de nouveau.
- C’est sympa Jason, je te revaudrai ça !
- En m’apportant un nouvel article du tonnerre, oui !
- Je n’y manquerai pas, dès que ce sera possible.

Mulder se préparait à raccrocher quand une nouvelle réplique inattendue de la part de son ami l’arrêta :

- Dis… ce ne serait pas à cause d’une femme ?
- Jason ! Je t’ai déjà dit qu’hormis mon nom et ma plume, tu ne saurais rien de plus à mon sujet !
- C’est vrai ! « Ils nous observent mec ! » J’avais presque oublié ton refrain ! Bon, faut que j’y retourne, à la prochaine Mulder !

Mulder raccrocha.



Dis… ce ne serait pas à cause d’une femme ?

« Non Jason… c’est à cause de moi… »

Mulder l’avait entendue s’échapper vers dix heures. Qu’avait-elle fait jusqu’au retentissement de la porte d’entrée claquant sur son passage ? S’était-elle endormie, avait-elle pleuré sans s’arrêter ou déambulé en restant allongé ? – Est-ce qu’elle rentrerait, ce soir ? Mulder cohabitait avec l’angoisse que pour la nuit prochaine, Scully élise la salle de garde…

Je ne veux pas que tu me donnes un nouveau miracle...

Réfugié dans son bureau, les mots de Dana le martelaient en boucle… le rendant apathique au plus haut degré. Assis sur sa chaise, rien d’autre. Téléphone. Puis rien d’autre. Que des mots massacrants. L’intersection où il avait perdu Dana était finalement beaucoup plus éloignée que lundi matin. Tous les deux faisaient route divergente depuis un petit bout de chemin pas si petit. Pas tout le temps, mais quelquefois, par intermittence, et c’était déjà trop pour Mulder qui n’avait jamais supporté l’idée de voyager seul – Et il ne le supporterait jamais. Depuis combien de semaines es-tu enceinte, depuis quand le sais-tu, depuis combien de temps luttes-tu pour m’étouffer ta souffrance… Juillet, la distance entre eux s’était insidieusement infiltrée, elle se sentait fatiguée, Mulder avait trouvé l’excuse dans le trop nombre d’heures supplémentaires qu’elle avait effectué pour combler les déficits du personnel soignant durant la période estivale, puis dans un scénario digne des plus beaux rêves, ils s’étaient retrouvés dans l’intimité du cœur imprégné du souffle chaud de l’été, comme si la vie s’était insufflée en eux, comme par… miracle.

Mais je ne veux PAS d’un second... Mulder ferma les yeux. Seul moyen pour éteindre les paroles foudroyantes et tenter de comprendre pourquoi le bonheur était parti en cendres… Le souffle chaud n’avait cessé de se propager, les soulevant… Scully était sereine, harmonieuse, en forme, croqueuse de vie, épanouie, puis brutalement, lundi matin, tout était retombé. Calme plat. Désenchantement.

Mulder approcha la main au-dessus de son bureau où était accroché un monticule d’articles de journaux avec en son centre, une photo – Lui et Elle. Il la décrocha. Tous les deux portaient une veste du FBI. Une photo prise à leur insu, une envie de capture improvisée d’un instant de vie inconscient, où l’étincelle est toujours dans les yeux de ceux qui ne se savent pas observés, sur le point d’être figé pour l’éternité grâce à une main bienveillante, et on dit que ce sont toujours les plus belles – Elle lui souriait, lui aussi.

*

Au même moment.

Elle avait encore une demi-heure d’avance. Elle était là depuis une heure, assise sur un banc, bordant l’allée du parc et calfeutré en arrière par des arbres centenaires.

Plusieurs groupes de lycéens flânaient sur les pelouses, savourant avec des éclats de rire l’air en liberté avant de retourner s’enfermer dans une salle de classe à l’atmosphère défraîchie et aux murs délabrés ; une grand-mère avec sa petite-fille lui faisaient face sur le banc opposé, lisant une histoire, faisant tourner les images d’un album, avec les petites mains tapant en joie ; un peu plus loin, un garçon, environ trois ans, se sentait le plus fort du monde sur un trotteur tambourinant les allées, parcourant la vie de sa hauteur, sa mère fermant la marche ; une bicyclette passa devant Scully, la sonnette tinta à hauteur du groupe de jeune le plus proche, toutes les mains affalées sur l’herbe fraîchement tondue se levèrent, acclamant la nouvelle arrivante, la bicyclette s’arrêta, se couchant, l’adolescente décidant de gonfler la nonchalance qui s’emparait des collines du parc en ce début d’après-midi. Une délicate brise caressait les cheveux de Dana, cela aurait dû l’apaiser, tout ce défilé de vie, d’insouciance, de carpe diem aurait dû l’embarquer pour voyage détente, mais en ces secondes, tout était décuplé : la caresse dans ses cheveux, un coup de fouet, les rires rythmant l’atmosphère, une explosion assombrissante dans son crâne, les roues du trotteur faisant décoller les gravillons dans un bonheur enfantin, un écrasement matraquant son crâne et compressant ses organes, et la petite avec sa grand-mère, une énorme vague de tristesse (au-moins trois mètres de hauteur) parce qu’elle ne connaîtrait jamais une telle scène, parce qu’elle ne serait jamais grand-mère, qu’elle ne serait jamais plus une enfant, parce que jamais on lui avait lu des histoires, et parce qu’elle s’apprêtait à saboter l’être qui pourrait lui apporter un tel moment de vie… elle ne serait jamais mère… quant au tintement carillonnant de la bicyclette bleue, il lui avait rappelé qu’il fallait qu’elle se lève, qu’il était presque l’heure, ou bien elle risquait d’être en retard. Et toute cette vie émanant en cercle autour d’elle lui était insupportable car… elle s’apprêtait à donner la mort.

Elle se préparait à quitter le banc, son téléphone sonna. Elle l’avait rallumé depuis dix minutes, dans l’attente d’une espérance inconsciente. Quarante appels en absence.

- Dana ! Dieu soit loué !
- Charles…

La voix de sa sœur était sans vie.

- Tu peux pas savoir comment je suis soulagé de t’entendre à nouveau, mon sang ne fait qu’un tour, si tu savais à quel point je suis inquiet… j’ai pas cessé de t’appeler…
- Je sais…
- Dana…
- Charles, coupa-t-elle.
- Oui ? espéra-t-il.
- Je suis désolée de t’avoir mêlé à mes histoires…
- Dana ! réagit-il comme sur le feu, mais profondément attristé tout en comprenant très bien la gravité de la situation, alarmé par une Dana automate et défaitiste. Tu es ma sœur ! Tu n’as pas à être désolée ! Et s’il y a quelqu’un qui doit l’être, ce n’est que moi Dana ! Je ne prends jamais le temps de passer te voir, que moi Dana qui doit être désolé, répéta-t-il, tu m’entends Dana ?... Dana ? T’es toujours là ?
- Oui…
- Merde Dana ! s’affola Charles. T’es où ?
- Dehors…

Les réponses évasives de sa sœur lui faisaient de plus en plus ressentir l’urgence paniquante.

- Mais dehors ? lui demanda-t-il d’approfondir, réussissant à reprendre son sang froid, il ne voulait surtout pas communiquer son angoisse à sa sœur, elle avait déjà de quoi s’occuper avec les siennes…
- Dans un parc.
- Très bien, euh… dans un parc, et tu es seule ?
- Oui.

Charles ne savait pas comment diriger la conversation aux coordonnées qui lui brûlait les ailes – Est-ce qu’elle l’avait fait, était-elle passée à l’acte, avait-elle déjà commis l’irréparable, Charles arrivait-il trop tard… Les questions attendant toutes la même réponse se bousculaient.

- Dana, est-ce que…

... tu as avorté ? Charles n’aimait pas ce verbe, la sonorité qu’il renfermait était désagréable, il changea les mots :

- Dana, est-ce que tu es encore enceinte ?
- Ça sera bientôt fini… bientôt fini Charles.
- Dana !
- Je dois te laisser Charles, j’ai rendez-vous.
- Dana !

Trop tard. Elle avait raccroché. Encore. Mais cette fois-ci, Charles ne s’acharna pas sur le numéro de Dana. Il avait entendu l’appel au secours de sœur, mais ce n’était pas à lui de la secourir. Il n’était que l’intermédiaire – L’Ange gardien.

*

La photo toujours entre ses mains, le vibreur couplé à la sonnerie le fit sursauter.

*

Scully frissonna. Le contraste entre la température intérieure et extérieure, plus le silence soudain, lui fit tourner la tête un court instant, mais suffisamment long pour réussir à la désorienter, faisant vaciller et pencher sur elle les murs blancs aveuglants. Le peu de soleil parvenu à dorer ses cheveux durant les longues minutes du parc, et déjà déclinant en ce début d’automne, l’avait étourdie. L’infime chuintement des portes automatiques siffla une nouvelle fois dans son dos. Elle s’avança.

- Bonjour, lui adressa l’hôtesse d’accueil qui quelques secondes plus tôt, dissimulée derrière un large bureau, pianotait sur son ordinateur tout en classant des dossiers.

Scully arriva enfin à sa hauteur.

- Bonjour, salua-t-elle à son tour, je cherche le service du docteur Allison Baker.
- Vous voyez l’escalier central ? lui fit signe l’hôtesse, l’orientant.
- Oui.
- Vous le prenez, une fois en haut, à hauteur du premier balcon, engagez-vous sur la droite, là se trouve l’ascenseur qui vous conduira directement dans le service du docteur Baker, étage numéro 2, annoncez-vous à l’entrée et si vous avez rendez-vous, cela ne devrait pas être trop long.
- Je vous remercie.
- À bientôt, répondit l’hôtesse avec un sourire.

Tout ce que put lui renvoyer Scully consista en une réaction crispée et triste, car c’était la première fois, mais aussi la dernière fois qu’elle envisageait de mettre les pieds dans cette clinique.

*

- Charles ?
- Mulder ! Heureusement tu décroches !

Une demi-seconde seulement, Mulder avait déjà recensé l’état d’urgence générale envahissant son interlocuteur.

- J’viens d’avoir Dana en fait je l’ai eue hier aussi mais après elle avait éteint son téléphone Mulder Dana est…
- Enceinte ! réussit à placer Mulder malgré le débit à tout berzingue de Charles.
- Elle a fini par t’en parler ?
- Non pas vraiment, hier soir… je l’ai surprise en train de s’observer dans la glace et j’ai compris tout seul et…
- Mulder ! coupa Charles, c’est pas tout, elle…
- Charles ! interrompit Mulder à son tour, nettement moins tranquille.
- Mulder, elle veut pas le garder…
- Je sais aussi, confirma Mulder, luttant pour ne pas perdre espoir, mais c’était sous le coup de l’émotion, elle…
- Non Mulder ! Quand je l’ai eue, Dana n’était pas au boulot ! Mulder ! Elle compte « avorter » ! Maintenant !
- …
- Et c’était déjà programmé hier !
- …
- Mulder ? T’es toujours là ? Réponds !

Mulder se sentit fracassé. Une deuxième fois. K.O. Scully, sous son nez, avait pris la route, toute seule, et le laissant sur le bord.

Encore renversé sur le goudron, il se releva, péniblement.

- Elle comptait ne rien me dire du tout…
- Je suis désolé Mulder, mais en attendant tu dois la retrouver ! J’ai peur qu’elle le regrette toute sa vie ! Alors est-ce que tu sais où elle pourrait faire ce genre de chose ? Après, je connais ma sœur, elle va toujours au plus simple… Mulder ?
- Euh… Il dû déployer une force de titan pour ne pas se refaire avaler dans la terre se fissurant sous ses pieds.
- Sûrement pas dans son hôpital, amorça Charles.
- Sorrows Hospital, on élimine.

Mulder releva l’écran de son ordinateur portable qui se remit en service aussitôt.

- Quand je l’ai eue, elle se trouvait dans un parc, à mon avis, ça doit pas être très loin.

Mulder réfléchit, prenant un instant avant de saisir les mots-clés dans le moteur de recherche censés l’orienter sur la possible position à la seconde de Scully.

- Ça avait l’air assez animé autour d’elle, dans le centre peut-être ?
- Derrière le lycée près du parc, il me semble qu’il y a une clinique…

Charles l’entendit parcourir les touches du clavier.

Asheville clinique lycée parc obstétrique

Le défilé des résultats s’afficha.

- Clinique Pasteur, répondit Mulder après avoir cliqué sur le lien qui semblait le bon, et ils ont bien un service…

Charles ne le laissa pas terminer :

- Fonce Mulder !

*

Scully sortit de l’ascenseur. L’endroit était vaste. Au fond, de larges baies vitrées finissaient l’espace. En entrant, sur la droite, plusieurs portes renfermant les salles de consultations et correspondant à différents médecins du même service s’alignaient, tandis que sur la gauche, plusieurs rangées de chaises étaient disposées, parfois les unes à côté des autres, parfois regroupées en carré avec au centre quelques magazines aidant à patienter.

Comme on lui avait rappelé deux étages plus bas, Scully interrompit dans son travail l’une des deux infirmières situées à côté des ascenseurs :

- Bonjour, j’ai rendez-vous avec le docteur Allison Baker.
- Votre nom ?
- Dana Scully.

L’infirmière jeta un œil au planning informatique.

- 14h30 ?
- Oui.

Sans vraiment s’en rendre compte, Scully s’acharnait sur le rebord du comptoir, le martelant du bout de ses doigts. Remarquant sa nervosité, l’infirmière lui précisa :

- Le docteur Allison Baker devrait être à vous dans dix minutes, en attendant, je vous invite à vous asseoir.

Dana répondit par un timide hochement de tête. Passant devant d’autres patients, elle baissa les yeux, comme pour ne pas se faire remarquer. Dana ne se sentait pas là. Elle avait l’impression de flotter, comme dans un rêve qui n’était pas un rêve. Elle croyait encore au réveil, que le décor jonché d’affiches publicitaires bourrées d’espoir vantant les derniers progrès et les réussites de fécondation de plus en plus nombreuses pour les couples stériles, ou incitant à un comportement responsable, sensibilisant, expliquant, informant… il y en avait tellement que Scully ne décrochait plus les yeux du mur… s’évaporeraient au moindre virage pour la faire retomber dans son jardin où l’air contre ses joues la soulèverait, comme la force du trampoline, lui offrant la vue du ciel bleu emmitouflé dans sa douceur nuageuse cotonneuse avec Mulder pour la rattraper dans ses bras. Mais non. Scully assise, le décor, immuable. Le cauchemar avec ses griffes s’accrochait sous sa peau.

*

Mulder souleva la porte du garage, roula la moto sur l’extérieur tout en la faisant vrombir, baissa la glissière de son casque et disparut dans un nuage de fumée.

Une seule chose comptait pour Mulder, dépasser le temps pour rattraper la vie.

*


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Message  PtiteCoccie88 Dim 8 Juil 2012 - 13:46

8
*

Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse.

[Nietzsche]


Scully regarda sa montre – 14h32. Une des trois portes s’ouvrit. Ce qui ressemblait à un couple surgit sur le pallier. Enceinte – sept mois, environ, estima Scully. D’un mouvement réflexe, elle regarda son propre ventre. Ça ne se voit pas encore… et puis de toute façon ça ne se verra jamais ! Le médecin les salua chaleureusement. Le couple s’éloigna et disparut dans l’ascenseur. Scully ne savait pas à quoi ressemblait le docteur Baker. Un simple échange téléphonique, mardi.

- Amy McDonald ?

L’adrénaline étouffant Scully redescendit.

- Oui ! répondit une jeune femme blonde se levant quelques chaises plus loin, vingt-cinq ans peut-être, ventre plat.

La porte se referma.

14h35 – Le deuxième ascenseur s’ouvrit. Une femme à l’allure convaincante et déterminée apparut, cartable à la main et veste sur le bras.

- Bonjour Allison !

Baker ! termina toute seule Scully, dans sa tête.

- Bonjour, répondit le médecin s’emparant de la liste des patients que l’infirmière avait pris soin de préparer comme d’habitude à son égard.

Le docteur Allison Baker s’éclipsa dans la porte du milieu. Il fallait attendre… encore.

14h39 – La porte la plus à gauche se dévoila à son tour. Rituel un peu différent. La patiente… une adolescente surgit, les patientes – une mère et sa fille, analysa Scully – apparurent toutes seules. Probablement que la salutation du départ avait déjà eu lieu, à l’intérieur, à l’abri des regards indiscrets, comme celui de Scully. Le troisième médecin se montra enfin :

- Michelle Summers ?

La porte se referma. Distraction terminée. Silence – seulement le bruissement des travaux occupant les deux infirmières.

Scully avait froid, de l’intérieur. Le stress montant face à l’attente interminable engourdissait ses membres. Le téléphone sonna. Scully tressaillit, mais trop faiblement pour que quelqu’un ait pu s’en apercevoir. L’infirmière décrocha. Scully ne percevait qu’un bruit sourd. Son cerveau était trop occupé avec ses pensées, le regard fixé dans le vide, il lui était impossible de décoder les syllabes envoyées dans le téléphone.

Scully triturait ses mains, le bout de ses ongles s’amusaient encore à bleuir, elle n’avait rien pu avaler à midi, elle avait quitté la maison, effectué un maximum de consultation à la chaîne, visité ses petits patients avec son plus beau sourire, vérifié qu’aucune intervention chirurgicale n’était venue se greffer en urgence, puis elle avait pris le bus traversant toute la ville, laissant sa voiture à Sorrows, - elle aurait été incapable de conduire. Les gens dans le bus avaient eu l’air si banal, et pourtant Dana, après état des lieux de chaque visage, restait persuadée que chaque regard fuyant, lunatique, gênant, inquisiteur, ou encore intriguant, cachait sous le masque un secret inavouable qui dévoilé, aurait instantanément défiguré la routine ennuyante et incertaine. Elle avait eu envie d’hurler, mais elle ne l’avait pas fait. Les vitres du bus auraient explosé. Si les masques étaient tombés, en plus des vitres, Scully aurait provoqué l’éclatement de chaque tympan présent. La douleur était si aiguë, mais grâce au masque, Scully criait sans voix. C’est bientôt fini… bientôt fini, se répétait Dana. Elle avait surtout peur de rentrer à la maison… d’affronter Mulder. Scully détourna ses yeux vers la grande baie vitrée. Elle était trop loin pour saisir ce qui se passait en dessous, mais pas pour le dessus – le ciel était azur, « Dana Scully ? », alors que son intérieur à elle, si apocalyptique, rouge du massacre prochain.

- Dana Scully ? répéta Allison Baker.

Scully prit l’échelle et redescendit en cavalcade chaque barreau, quittant la lune. Pieds au sol – connexion réalité rétablie.

Elle abandonna sa chaise, la tête dans le brouillard, ne croyant toujours pas réellement qu’elle se trouvait là où elle était.

- Veuillez m’excuser pour le retard, ajouta le docteur Baker, tendant une main chaleureuse, poignée à laquelle Scully répondit maladroitement.

Il en fut de même pour ses premières paroles au balbutiement cafouilleux :

- Ce n’est… ce… ce n’est pas grave.

14h44.

- Je me souviens de vous, mardi en début de soirée, c’est ça ?
- Oui, c’est ça.

Les cheveux désormais reliés en une longue queue de cheval châtain, la blouse blanche en plus, le docteur Allison Baker à peine plus âgée que Scully ne lui semblait plus si étrangère, l’uniforme familier rassurant, mais elle lui paraissait toujours aussi virtuelle, comme tout ce qui l’entourait d’ailleurs. Dana restant persuadée que le réveil sonnerait d’un instant à l’autre. Or c’était une chose impossible – ce matin, elle l’avait éteint avant l’heure.

Le docteur Baker griffonnait sur un cahier, prenant des notes. Sans relever la tête, elle continua :

- Avant de commencer, je dois vous poser quelques questions.
- D’accord, répondit Scully d’une voix tout juste audible.
- Il me faut votre date de naissance.
- Euh… 23 février 1964.
- Très bien, avez-vous déjà eu des allergies particulières ou des antécédents médicaux importants par le passé ?
- Pas d’allergies, mais quelques jours dans le coma suite à un traumatisme et une tumeur au cerveau.

Baker releva la tête. Sa future patiente avait annoncé les éléments demandés à la manière d’une liste de courses. Baker ne montra aucun changement d’humeur. Le médecin devait toujours rentrer dans le jeu pour mettre en confiance.

- Comment vous sentez-vous maintenant ?
- Bien.
- Des enfants ?
- Un… un seul, mais j’ai pas pu le garder.

Scully s’en voulu aussitôt d’avoir révélé aussi facilement ce qu’elle s’obligeait à oublier. Elle baissa la tête.

- Dana… dites-moi pourquoi vous êtes venue me voir ?
- …

Le docteur Baker diagnostiquait juste. Sa patiente n’était absolument pas convaincue du choix qu’elle se destinait à exécuter. Regard absent, mains nerveuses et voix tremblante, elle savait que la consultation risquait de ne pas aller jusqu’au bout.

- Dana… en tant que médecin, je dois rester neutre, mais d’après le peu d’éléments que vous m’avez fournis, vous avez traversé de lourdes épreuves. Avez-vous mis quelqu’un de votre entourage au-courant ?

Scully prit quelques secondes avant de répondre pour recharger ses poumons et contrôler la tension dérapante l’enrôlant de plus en plus fort.

- Mon frère.
- Est-ce qu’il habite ici ?
- Non. Il vit à Los Angeles.

Dana scrutait toujours ses pieds.

- Et dans la région, avez-vous une personne sur qui vous pourriez compter ?
- Oui.
- Est-il au courant ?
- Non.
- Dana, regardez-moi.

Le docteur Baker découvrit enfin le vrai regard de sa patiente, criblé par les larmes retenues par un barrage sur le point de céder.

- Nous nous sommes parlé mardi soir, au téléphone, vous vous rappelez ?
- Oui.
- Qu’est-ce que vous m’avez dit ?
- Je vous ai dit que je voulais prendre un rendez-vous.
- Pour quelle raison Dana ?
- …
- Dana ! Vous m’avez l’air d’une femme équilibrée et je dois certes exaucer certaines demandes de la part de mes patients mais, avant de commettre l’irréparable, Dana, demandez-vous « pourquoi » vous voulez avorter… Et j’ignore pourquoi vous n’avez pu garder votre premier enfant et cela ne me regarde pas mais… ne vous imposez en aucun cas ce choix comme une punition.
- …

Sa patiente ne réagissant pas, fuyant de nouveau, le docteur Baker se retrouva dans l’obligation de creuser, directement en profondeur.

- Quelqu’un vous a fait du mal Dana ?

Le docteur Baker la vit réagir aussitôt, enfin ! Et ce qui la soulagea immédiatement, comprenant que la réponse serait négative.

- Non ! Non… je n’ai pas été violée, ce… ce n’est pas ça.

Allison, restant compréhensive, lui accorda une légère pause avant de reprendre :

- Je sais que c’est compliqué Dana et que vous souhaitez en finir le plus vite possible, mais vous devez être consciente qu’une fois l’avortement effectué, il est impossible de revenir en arrière.

Scully hocha la tête.

- Oui, j’en suis consciente docteur.
- Très bien.

Le docteur Baker se força à sourire. Chaque consultation pour « avortement » était extrêmement délicate et retournante, toutes différentes aussi, mais les patientes toutes enchaînées avec un poids de culpabilité honteuse les étouffant. Des chaînes que les patientes prenaient soin, dans un bruit muet, de cadenasser elles-mêmes autour de leurs corps. Pendant ce temps-là, le docteur Baker s’efforçait de ne pas sombrer dans le ravin avec ses patientes qui se révélaient incroyablement fortes pour l’entraîner. Elle devait les sauver, pas les laisser mourir. Une âme jetée dans un ravin transforme le corps en tombe. Ils étaient nombreux à aligner les patientes à la chaîne et à encaisser les billets sans hésitation pour ce genre de prestation, mais Allison sauvait des vies, son credo se résumant à garder en permanence la corde sur soi ; sauter dès que nécessaire – souvent, et remonter ses patientes avec elle, l’argent abandonné au fond du ravin.

- D’après ce que vous m’avez dit au téléphone, vous êtes enceinte de six semaines, alors j’aimerais que vous vous donniez encore le droit de réfléchir.
- Mais j’ai déjà réfléchi ! répondit Scully sur la défensive, tentant de retrouver une attitude plus assurée, comme lors de leur entretien téléphonique.
- Je m’en doute Dana et… je sais que vous réfléchissez encore en ce moment même.

Allison savait que sa patiente n’en pouvait plus et que si elle avait pu lui ouvrir le ventre pour lui arracher la petite vie en une seconde – elle l’aurait suppliée à genoux. Sortir de cette clinique aux allures de prison pour elles, vite ! Retrouver l’air ! C’était leur seul but. Elles se persuadaient qu’avorter résolvait immanquablement le problème, effaçant les traces, comme s’il n’y avait jamais eu de bébé. Mais c’était faux.

- Je… je veux avorter docteur Baker. Je veux avorter.

Alarme déclenchée ! C’était le signal, indiquant qu’elle pouvait passer au niveau supérieur – du virtuel à la réalité.

- Bien Dana… dans ce cas, venez avec moi.

15h02 – Se levant avec une légère difficulté, car trop assommée par le doute permanent et engourdie par ses jambes en coton, Dana crut qu’elle n’arriverait jamais à parcourir les quelques mètres séparant le bureau et l’espace réservé à l’examen médical dissimulé par une porte coulissante. Sur le trajet, pour décharger l’atmosphère, Allison demanda :

- Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous faisiez dans la vie Dana ?
- Je suis médecin.
- Mais vous auriez dû me le dire plus tôt ! lui reprocha-t-elle gentiment.
- C’est sûr, répondit Dana, un peu crispée.

Allison l’invita à s’asseoir sur la table d’examen, puis elle releva la manche de son gilet afin de lui prendre la tension.

- Et avez-vous une spécialité ?
- Oui… pédiatrie, service oncologie.
- Vous exercez dans le coin ?
- Ici même, en ville.
- À Lady of Sorrows ?
- Oui.

Malgré l’étole que sa patiente aux mains frigorifiées portait autour du cou, Allison avait remarqué la petite croix en or dissimulée en-dessous. Et ce qui l’avait indirectement renseigné sur son état mental. En général, celles qui croyaient en Dieu attendaient la fin, donnaient naissance pour ensuite les confier aux sœurs qui se chargeaient de trouver une merveilleuse famille. Seule une immense détresse pouvait diriger l’acte de la femme qui se tenait devant elle. Voilà pourquoi Allison détestait parfois la spécialité qu’elle avait choisie lors de son internat. À l’époque, dans sa jeunesse pleine d’espoir, elle n’avait pas réalisé qu’elle arracherait si souvent la vie contre sa volonté.

- 10.6 ! C’est assez faible…Vous tournez autour de combien en temps normal ?
- 12.
- Vous sentez-vous fatiguée ?
- Les hormones en cascade, plus le rythme à l’hôpital, c’est le parfait cocktail explosif, risqua calmement Scully, ayant volontairement omis d’indiquer le dernier antécédent médical abritant le détonateur.
- Je crois surtout que vous avez besoin de repos, même si les variations de tension pour une femme enceinte sont quelque chose de courant. Maintenant allongez-vous, je vais procéder à une rapide échographie du bas-ventre, simple contrôle.
- D’accord.

Le gel froid appliqué contre sa peau électrisa tout son corps, l’extrayant avec violence du coma fictif qui jusqu’ici l’emprisonnait. Elle ne prit pas la peine de tourner la tête vers l’écran – il n’y avait rien à voir, ne pas faire d’efforts inutiles. Dana se demanda d’ailleurs pourquoi elle effectuait ce contrôle, car sauf un écran tout gris, on ne distinguait rien. Sûrement que cela consistait à mettre en confiance la patiente, juste avant l’étape finale, comme un « protocole détente ». Peu importe, Scully ferma ses yeux et sembla partir un instant vers des contrées plus paisibles. Le docteur Baker reprit :

- Tout à l’air normal. Vous pouvez vous relever.

Baker libéra aussitôt Scully tout en lui fournissant le nécessaire pour essuyer la désagréable sensation inconfortable d’humidité collante. En se redressant, elle crut voir des étoiles.

- On va maintenant passer dans la pièce à côté, sur le plan de travail vous trouverez votre tenue pour l’intervention, je vous rejoins dans cinq minutes, le temps que vous vous changiez.
- D’accord, répondit une fois de plus Scully, toute robotique.
- Mais avant ça, sachez qu’à six semaines, la méthode médicamenteuse est encore possible Dana, et seulement trois à six heures sont nécessaires après la prise.
- Non, je… préfère l’autre méthode, assura Scully.
- Vous êtes sûre ?
- Absolument… comme je vous l’ai dit au téléphone, j’ai plus confiance en l’aspiration. Elle est plus efficace et beaucoup plus rapide.
- Je comprends Dana. Dans ce cas, vous pouvez passer dans l’autre pièce.

15h10 – Mulder quitta enfin les routes de montagnes, pénétrant dans le centre ville, il se retrouva très vite dans l’obligation de ralentir et tomba presque aussitôt à un carrefour – bloqué au feu rouge, il s’impatientait, sa terreur au ventre se décuplant. Il pouvait certes zigzaguer entre les voitures, filtrer les bouchons, mais contre le rouge, il ne pouvait rien… … Vert ! Plein régime, il décolla à nouveau.

15h13 – Il faisait plus froid. Plus sombre aussi. La pièce frigorifique, carrelée du sol aux murs, annexée à l’espace de consultation était comme un petit bloc opératoire. Scully ayant déjà quitté ses vêtements pour la chemise d’hospitalisation protocolaire, elle s’était assise sur la table métallique. On avait pris soin d’apposer un fin matelas dessus mais malgré la légère épaisseur de l’objet rembourré en mousse, Dana percevait quand même le métal glacé sous sa peau. Elle attendait. C’était déjà prêt. Devant elle, dans un récipient stérile, le matériel – métallique lui aussi. À la vue de ces longues tiges et de l’horrible spéculum, Scully sentit une main imaginaire se refermer autour de sa gorge, l’étranglant sans pitié et sans fin. Ses pieds ne touchaient pas le sol. Mécaniquement elle frottait ses jambes. La nervosité appelant la panique. L’instinct de survie se réveillant inconsciemment, se préparant, sentant la menace prête à bondir, à attraper le corps, le déchiqueter ! Elle souffla, sa vue se brouilla, le docteur Baker surgit, le bruit de l’eau qui coule résonna, elle se nettoyait les mains, elle lui demanda de s’allonger, le plafond était noir, pourtant la lumière indiquait qu’il était bleu, c’était Dana qui voyait noir, la mort volant au-dessus d’elle, occultant la vraie lumière, « entre cinq et quinze minutes, cela dépendra de la vitesse de votre dilatation », la main l’étranglait encore, un poignard lui transperçant désormais le dos, les mains et les pieds liés par des chaînes que seule Dana percevait, « malgré l’anesthésie autour du col, cela reste assez douloureux », Dana ferma ses yeux, ce sera bientôt fini, sachez qu’à six semaines la méthode médicamenteuse est encore possible, mais j’ai déjà réfléchi, je suis médecin, Dana regardez-moi, vous m’avez l’air d’une femme équilibrée, des enfants, je n’ai pas pu le garder, bonjour je cherche le service du docteur Baker, je suis désolée de t’avoir mêlée à mes histoires, tu es ma sœur !, merde Dana, t’es où, je dois te laisser Charles, laisse-moi, laisse-moi j’te dis, Mulder qu’est-ce que tu fais, Stevens demain il n’y aura plus de grossesse, les effets secondaires d’un tel traitement sont trop dangereux, est-ce que t’es enceinte, et William, et toi tu l’as abandonné !, mais je veux pas d’un second miracle !, Dana demandez-vous « pourquoi » vous voulez avorter, je veux pas que tu me donnes un nouveau miracle, c’est toi et moi, j’aimerais mieux que tu restes ici ce matin, toi et moi et c’est pour ça que je me bats, pour toi et moi, quel sera son nom, William comme ton père, c’était ma dernière chance, il faut toujours croire aux miracles, Assassin !

- Je peux pas !

D’un bond, elle s’était redressée.

- Je peux pas !

Un sanglot déchira sa gorge.

- Je peux pas !

Allison arrêta aussitôt ses gestes, même si en réalité, elle n’avait rien commencé. Elle s’était juste contentée d’observer sa patiente tout en lui parlant de la procédure sur le point de se dérouler, afin que Dana réalise.

- Dana ! Ce n’est rien, votre réaction est tout à fait normale.

Le barrage avait cédé – inondant son visage d’une détresse aux vagues déchaînées.

- Dana, regardez-moi… Ce n’est rien.

Allison posa ses mains sur les joues de Dana, ce qui l’apaisa progressivement. Plus aucun son ne sortait de sa bouche, ne subsistait que les soubresauts des vagues s’écrasant sous la force des pleurs qui, même si leur puissance diminuaient sous la pression canalisante d’Allison, continuaient de se déverser.

- Ce que vous êtes en train de vivre Dana, cette décision que vous vous forcez à prendre est quelque chose de très difficile. L’avortement, qu’il ait lieu ou pas, dans tous les cas, que ce soit avant, pendant ou après, implique un traumatisme et je ne souhaite cela à personne.

Scully ne répondit rien. Digérer l’émotion. Attendre la force qui l’aiderait à se relever, la même qui l’avait poussée dans le vide. Attendre pour apercevoir l’espoir qui se rallumerait… jusqu’à la prochaine éclipse. Attendre de retrouver sa voix…



- Merci, finit par murmurer Scully, remerciant la compréhension respectueuse habitant le docteur Allison Baker.

Scully sentit l’oxygène réinvestir ses poumons. Allison libéra son visage.

- Je vais vous chercher un verre d’eau.
- Je veux bien.

Dès qu’elle fut de l’autre côté, Scully sauta de la table et se débarrassa aussitôt de l’horrible chemise qui à tout le monde sans exception donnait l’air malade. Elle ne mit que quelques secondes à repasser ses vêtements et elle n’attendit pas le retour de Baker pour à son tour disparaître de l’autre côté. Scully se précipita vers le bureau et récupéra son sac à main qu’elle enfila sur elle en bandoulière.

Allison qui avait patienté dans l’espace de consultation habituel, préférant laisser le temps nécessaire à sa patiente pour qu’elle revienne d’elle-même, lui tendit enfin un verre d’eau.

- Tenez. Buvez, cela apaisera la tension.

Scully ne se fit pas prier. L’eau fraîche sembla se répartir dans tous ses organes, déployant une dose de sérénité dont elle avait bien besoin.

Posant le gobelet en plastique vide sur le rebord du bureau, Scully se dirigea vers la porte, Baker sur ses pas.

- Comment êtes-vous venue jusqu’ici ?
- En bus de ville.
- Ne préférez-vous pas que nous appelions quelqu’un, un ami par exemple, pour qu’il vienne vous chercher ? Je peux même demander à une de nos infirmières de vous raccompagner jusqu’en bas…
- Non ça ira, coupa Scully.
- En êtes-vous bien certaine ? s’inquiéta Allison, moyennement rassurée de la laisser repartir sachant pertinemment le chamboulement interne terrassant Dana.
- Oui… Je vais m’en sortir toute seule docteur, et je suis désolée pour tout ça…
- Dana… non seulement vous ne devez pas être désolée, la vie nous oblige parfois à prendre des décisions contre notre cœur et croyez-moi Dana, votre cœur sait se faire entendre et se rebeller contre les mauvaises décisions. Vous venez de le prouver. Mais surtout Dana, sachez que je reste à votre écoute, vous pouvez compter sur moi.
- J’espère que vous avez raison.
- Ayez confiance Dana.
- Je vais essayer… merci docteur Baker.

Une fois de plus, Dana, maladroitement serra la main qu’on lui tendait. Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur elle tandis qu’Allison appela son nouveau patient.



15h37 – Mulder débarqua en trombe sur le parking de la clinique et arrêta la moto dès qu’il put le faire. Se débarrassant de son casque, touchant le sol, entre les voitures garées encombrant l’espace –, il la vit, croulant sous une démarche saccagée par une déambulation incertaine. Le visage détruit.

Il la rattrapa… avant qu’elle ne s’effondre sur la terre.

- J’ai pas pu.

Écroulée dans ses bras, Mulder sentit un immense soulagement parcourir son corps. Elle ne l’avait pas fait.

- J’ai pas pu, répéta-t-elle, sans vie.
- Je suis là Scully, je te lâcherai pas, tu m’entends… je t’abandonnerai pas… quoi qu’il arrive.

Elle ne l’avait pas vu surgir. Elle n’avait pris conscience de sa présence qu’à la seconde où son corps titubant dangereusement avait rencontré le sien. Elle avait cru qu’il était préférable qu’elle garde tout pour elle – parce qu’elle voulait s’en sortir toute seule, parce qu’elle se sentait coupable d’être tombée enceinte, parce que la grossesse de William vécue sans Mulder l’avait traumatisée, parce qu’inconsciemment Scully avait peur que tout recommence ; elle avait peur qu’on l’abandonne et qu’elle abandonne de nouveau petite vie… Or cette fois, les choses n’étaient pas tout à fait les mêmes, elle devait donc reprendre confiance, car Mulder ne l’abandonnerait pas, elle n’abandonnerait pas petite vie ; même si le risque que son propre corps l’abandonne était grand.

Elle desserra leur étreinte, le regard balafré par la terreur d’affronter la mort.

- Il faut que je te dise quelque chose Mulder.
- Ça peut attendre notre retour à la maison, conseilla-t-il, déstabilisé par la détresse de Scully derrière laquelle apparaissait une gravité grandissante.
- Non Mulder… ça peut pas attendre.
- D’accord… Je suis là.

Inspirant nerveusement, comme pour sauver de l’oxygène en elle juste avant de plonger la tête sous l’eau, Scully sembla chercher ses mots. Puis se sentant prête, elle posa les mains sur le torse de celui qu’elle aimait, comme un ami, comme un amant, comme une personne en qui elle avait confiance, comme le seul et l’unique, s’accrochant à lui pour le préserver d’une chute prochaine dont la force de propulsion résiderait dans le poids des mots qu’elle s’apprêtait à tendre comme un arc et à lancer comme une flèche. S’accrocher à lui pour qu’il ne tombe pas. Et si jamais il tombait quand même, au-moins, Scully tomberait avec Mulder.



- J’ai une leucémie.




***


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Message  PtiteCoccie88 Jeu 6 Sep 2012 - 7:51

9
*

Sometimes we have to face our fears.

[Extremely loud and Incredibly close.]


« Aide-moi… »

L’éclairage est vif. Scully referme aussitôt ses yeux. Elle tente de se redresser. Rien. Scully reste pieds et mains liés à son lit. Elle tourne la tête à gauche, ouvre à nouveau les yeux. Toujours rien. Pas de Mulder. Juste une table de nuit horriblement commune. Elle en voit tous les jours. Des petites tables de nuit grises sur lesquelles reposent souvent une photo ou une peluche. Mais la sienne est vide, comme si on l’avait débarrassée, car la personne vient de partir trop tôt sous la terre. « Mulder... », appelle Scully. Sa voix n’est qu’un murmure cassé et arraché à ses cordes vocales. Personne ne peut l’entendre. « Mulder ! », réessaye-t-elle encore une fois. Elle s’essouffle. Mulder n’est pas là. Mulder ne peut pas être là, car elle n’est pas dans leur lit, mais dans un lit extrêmement inconfortable. Scully referme ses yeux. Elle comprend. Ce n’est pas sa table de nuit, ce n’est pas son lit et Mulder ne dort pas près d’elle, car elle est dans une chambre d’hôpital.

« Aide-moi… »

Scully sursaute en ouvrant les yeux.

« Aide-moi… »

Non. Scully ne rêve pas. Elle se croyait seule. La voix vient de la droite. C’est d’ailleurs elle qui l’a réveillée. Dans un effort titanesque, Scully bascule le regard de l’autre côté du lit. Ses cervicales, sa tête, ses poignets, tout en elle crie douleur. La peau incroyablement blanche, les rayons du soleil s’engouffrant par la fenêtre et responsables de l’exceptionnelle clarté dans la chambre, ne parviennent même pas à réchauffer Scully.

Rosa…

Mais rien ne sort. Ses lèvres bougent, mais Scully reste muette. Elle sait qu’elle n’est pas sourde, sinon elle n’entendrait pas sa jeune patiente debout près d’elle. Rosa porte une blouse de médecin. Rosa est la patiente, pas le médecin. Scully « est » le médecin. Pourquoi Rosa porte-elle une blouse, « sa » blouse ? Scully reconnaît son propre prénom sur le badge accroché à la blouse. Rosa ne regarde pas les yeux de Scully. Rosa regarde les draps blancs. Rosa répète aide-moi. Rosa se penche, soulève les draps. Le froid s’engouffre immédiatement sous la tenue d’hospitalisation de Scully. Rosa tend ses mains. Rosa veut toucher Scully. Rosa répète aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide-moi, attrape la main et les yeux de Scully. Une lettre change : « Aime-moi. » « Non ! » hurle Scully, sa voix incroyablement réapparue. Rosa se raidit, lâche la main et disparaît en un clic ! – comme avalée par la matière. Plus de Rosa. Ne reste que Scully. Livrée à elle-même. Un grondement menace. Des coups réguliers. Boum. Boum. Boum. Boum. Quelqu’un ou quelque-chose frappe de toutes ses forces contre une porte en bois invisible. Boum. Boum. Boum. Boum. La peur transforme la respiration de Scully. Son souffle saccadé se fait bruyamment entendre. Elle n’est pas prête. Les coups sont de plus en plus rapides. De plus en plus forts. Boum Boum Boum Boum ! « Je ne suis pas prête à aimer. Par pitié. »… Les coups s’arrêtent. Le silence est encore plus terrifiant que les coups. Scully comprend. Si les coups sont le signe des âmes perdues dans l’entre-deux, le silence est celui de la mort. « Je ne suis pas prête à mourir. » BOUM ! Le carrelage s’ouvre. Le lit tombe dans un abîme aspirant, aux parois noires, glacées et chuchotantes. L’entre-deux. Dans la chute extrêmement rapide, ses cheveux semblent s’offrir une dernière danse avant que le corps ne s’écroule sur la dernière scène. Scully sait qu’elle ne remontera pas d’où elle tombe, voilà pourquoi elle ne hurle pas. Et quand elle ne tombera plus – elle sera morte.

BOUM !


Scully porta la main à son cœur. La respiration en feu, ça bat la chamade à l’intérieur. Lumière grisonnante derrière les rideaux – sept heures peut-être. Les pulsations commencèrent à retrouver un rythme plus sécurisant. Mulder ! Les « boums » repartirent à plein régime sous sa poitrine. Scully paniquée posa sa main sur la place vide. Les draps plissés étaient chauds… pas comme à l’instant où tout n’avait été que froid, précipice et isolement. La chaleur sauvegardée indiquait que Mulder était là, pas loin. Elle se sentit immédiatement rassurée et agrippa sa main au cœur des draps. Elle voulait le sentir près d’elle. Ce soir, elle savait que le froid l’attendait. La nuit prochaine, elle ne dormirait pas dans ses bras. Elle attira contre sa poitrine la couverture qui quelques minutes plus tôt protégeaient encore dans une extrême douceur le sommeil de Mulder. Elle ferma ses yeux. Et se résigna à libérer les draps. Si elle voulait à nouveau dormir près de lui, il fallait qu’elle l’abandonne – le temps de tomber pour mieux remonter.

Vendredi 1er octobre 2004.

Vêtue d’une chemise de nuit blanche, elle posa son pied nu sur la première marche. Le craquement de l’escalier en bois sous son poids fracassa l’intérieur de son oreille interne, mais surtout, le violent contraste entre le couloir au ressenti polaire et la chambre baignant dans une chaleur emmitouflante, la firent légèrement chanceler. Elle s’était levée trop vite. S’appuyant sur la rambarde, la vue de l’escalier depuis les hauteurs accentua son vertige. Elle offrit une grande bouffée d’oxygène à ses poumons afin de rééquilibrer sa tension. L’ordre rétabli à l’intérieur de son corps, elle rebroussa chemin et s’empara d’une laine bleue marine qu’elle passa sur ses épaules avant de se diriger à nouveau vers l’escalier et d’entamer pour de bon –, sa véritable descente.

Elle passa devant la table. Elle était restée comme hier, pas débarrassée. Il n’avait pas eu la force de remettre en ordre, elle non plus. Pour une fois, elle avait mangé. Pour une fois, il n’avait rien mangé. La porte était ouverte. Elle délaissa la table et s’avança vers la sortie de la maison. Il était là. Assis sur la première marche du perron, un jean et un T-shirt recouvrait sa peau.

- Mulder, interpella prudemment Scully.

Il tourna la tête vers elle – les yeux rougis par les larmes frappant derrière le vert de ses prunelles.

- Mulder, répéta-t-elle, avec le même calme, s’asseyant à son tour sur les marches.

Il ne réagissait pas. Il ne pouvait rien faire d’autre. Rien ne lui était possible, sauf fixer Scully. Il la dévisageait, imprimait en lui chaque parcelle des ses traits comme pour sauvegarder les données en lui au cas-où Scully ne pourrait plus s’asseoir près de lui sur les marches du perron, le matin, quand le son est encore silencieux. Il fallait graver Scully en lui. Par précaution, car parfois, sans prévenir, le monde efface les gens qu’on aime. Ses yeux verts viraient rouge douleur.

- Mulder, supplia Scully, attrapant sa main. Je t’en prie. Elle serra sa main, exerçant un léger pincement sur le dessus pour lui faire sentir qu’elle était encore bien là.

Mais ça ne marchait pas. Il craquait. Comme pour Samantha. Comme pour sa mère. Hier soir, il s’était montré incroyablement stoïque. Beaucoup trop stoïque. Sauf à table où il n’avait presque rien avalé. Plus tard dans la soirée, juste après avoir éteint la lumière de la chambre, il l’avait embrassée et serrée dans ses bras. Elle s’était endormie, presque soulagée d’avoir enfin révélé l’inconcevable. Plus d’une fois, elle l’avait vu réagir de la sorte. Ce fut pareil pour William. Rien. Jusqu’à hier, dans la salle de bain. Et plus les émotions douloureuses sont gelées longtemps dans la pierre, plus l’explosion est violente, imprévue et dévastatrice quand elles se réveillent. Elle l’enlaça, le jetant dans ses bras avant qu’elle ne puisse le voir plonger. Si elle le voyait pleurer pour de bon, elle risquait de plonger aussi. L’entendre ou le sentir, c’était différent, car elle ne voyait pas ses yeux qui ont ce pouvoir d’embarquer tout ce qui se trouve dans leur champ de vision.

- Ça va aller Mulder, ça va aller…

Elle caressait son dos et le serrait de toutes ses forces, comme si c’était la dernière fois qu’elle pouvait faire ça. Parce que dans très peu de temps, son système immunitaire serait beaucoup trop vulnérable pour qu’on l’autorise à enlacer quoi que ce soit.

Ils auraient pu rester indéfiniment comme ça, comme deux statues coulées dans le béton, l’un contre l’autre, pour s’empêcher de tomber. Scully reprit, la voix légèrement atténuée parce que sa bouche était enfouie dans l’épaule de Mulder :

- Je suis entre de bonnes mains, tu vas voir, tout va très bien se passer. Pour moi… et pour le bébé.

Elle sentit Mulder reprendre ses esprits sous ses paroles, car son corps retrouva une certaine contenance. Elle le libéra de son emprise.

- Le bébé, murmura-t-il.

Scully ne put s’empêcher de lui offrir un sourire tout fin car timide, mais pétillant. C’était la première fois d’ailleurs que Scully se surprenait à sourire à l’évocation de sa grossesse. Par contre, Mulder présenta un air beaucoup plus sombre.

- Ce n’est peut-être pas une bonne chose, finalement.
- De quoi ?
- Le bébé… dans ton état.

Scully s’était préparée à ce questionnement de la part de Mulder. Elle répondit :

- Mulder… C’est grâce au bébé que j’ai effectué cette prise de sang. Sans ce soupçon de grossesse, j’aurais sans doute fait traîner les choses pendant encore quelques semaines.
- Quelques semaines ? ne put s’empêcher de soulever Mulder.

Scully s’en voulut aussitôt. Tout compte fait, elle n’avait pas si bien préparé sa réponse.

- Ou quelques mois, se rattrapa-t-elle aussitôt.
- …
- Ça va aller, recommença-t-elle. Elle ne savait plus quoi dire d’autre.

Ça va aller. Bien sûr que ça va aller. Elle avait survécu à un enlèvement, des radiations, au coma, la mort de sa sœur, une balle dans le ventre, un abandon d’enfant, alors une leucémie – facile !

Ils tournèrent tous les deux leur attention vers leur longue allée. Elle paraissait infinie depuis leur position. Quel type de route on leur préparait encore ? Sinueuse et courte, avec des ravins des deux côtés pour en finir le plus vite possible dans le mauvais sens, ou ligne droite à perte de vue, épuisante sur la durée pour au final en finir aussi ? Et la route où on voit déjà l’étape finale afin de rassurer tous les passagers sur le déroulement du voyage, avant même d’avoir mis le contact, elle est où ? Peu importe le type d’itinéraire qu’on choisirait pour eux, car dans tous les cas, l’issue du chemin était incertaine.

Mulder retrouva un certain calme pour accrocher le rail suivant au précédent. Il fallait avancer pour passer sous le tunnel, mais surtout pour en sortir. D’une voix à peine audible, il prononça :

- Scully… je suis désolé pour hier, dans la salle de bain.

Elle réagit aussitôt :

- Non ! Tu as eu raison de me secouer. Je m’en veux de t’avoir laissé sur le bas côté. Elle baissa les yeux. Je n’aurais pas dû.

Il lui releva le menton. Il voulait la voir – c’était important pour lui. Elle avait employé « quelques semaines ». Cela voulait-il dire que dans quelques semaines, il ne la verrait plus ?

- Tu as peur ?

Elle acquiesça.

- Peur que tu m’en veuilles.
- D’être tombée enceinte ? Mulder se sentit effaré devant le fort degré de culpabilité rongeant sa compagne. Scully… je suis autant responsable que toi dans cette affaire.
- Cette affaire, sourit Scully. On croirait qu’on est en train de trouver des arguments pour expliquer à Skinner le pourquoi du comment de la nouvelle X-Files…
- Oui, sourit à son tour Mulder, mais faiblement.
- J’ai surtout peur que tu m’abandonnes, comme quand William est né, ou qu’on veuille encore du mal au bébé…

Cette fois-ci, ce fut Mulder qui attira Scully contre lui, de la serrer de toutes ses forces et de dire à son tour :

- Ça va aller.

*

Deux heures plus tard – 9h02.

Scully s’arrêta devant la vitre qui donnait vue dans la chambre. Rosa n’était pas là. Le lit fait, comme s’il n’y avait jamais eu de Rosa. L’infirmière en service postée juste derrière elle et ayant remarqué sa déroute, vint à sa hauteur :

- Rosa a quitté le service réanimation hier soir. Elle est remontée en pédiatrie.

Scully se retourna.

- Oui, je… J’ai trouvé une note sur mon bureau en arrivant ce matin pour me prévenir de cette bonne nouvelle. Je voulais juste vérifier de mes propres yeux, c’est tout.

Et le docteur Scully, aussi sèchement qu’elle avait répondu, détourna aussitôt les talons. Lynne ne prêta pas attention à l’humeur glaciale qui venait de s’abattre sur elle. Des médecins à l’aura peu aimable dès qu’on s’approchait un peu trop près d’eux, au risque de contaminer leur blouse blanche, il y en avait trop. Cependant, elle nota que cette attitude ne ressemblait pas au docteur Dana Scully.



Deux étages plus haut, pas de vitre côté couloir mais la porte était ouverte. Scully s’aventura discrètement. Elle voulait s’assurer de l’état de sa patiente avant que cette dernière ne la remarque à l’entrée de la chambre. Elle était réveillée et redressée sur son lit. Ses jambes, certes, étaient encore glissées sous la couverture, mais l’assistance respiratoire avait disparu. La sonde servant à l’alimenter aussi. C’était bon signe. Ils étaient nombreux à sombrer brutalement pour ne jamais se réveiller. Rosa, elle, s’était réveillée. Presque tranquillisée sur l’évolution de sa patiente, Scully pénétra enfin au cœur de la pièce. Elle s’apprêtait à s’annoncer quand Rosa, sans même relever la tête de son livre, la devança :

- Bonjour docteur Dana.

Un peu surprise, Scully dit :

- Bonjour Rosa. Tu m’as entendue arriver dans le couloir ?

Rosa ferma son livre et leva les yeux vers Scully.

- Non. Je savais juste que vous alliez venir.
- Comme tous les matins et comme tous les soirs.
- Oui. Mais je savais aussi qu’hier soir vous n’alliez pas venir, sauf que je ne sais pas pourquoi vous n’êtes pas venue, pourquoi vous n’êtes pas venue ?
- Qu’est-ce que tu lis ? bifurqua volontairement Scully.
- Ça, ce n’est pas la réponse à ma question, et en général, on ne répond pas à une question par une autre question, informa Rosa.

Scully se ressaisit.

- Je te trouve très curieuse Rosa. Mais puisque tu me le demandes, voilà la réponse, j’ai dû prendre mon après-midi pour régler une urgence.
- Une urgence ? Mais vous allez bien ? paniqua aussitôt Rosa.
- Oui.

Mensonge.

- Urgence ne veut pas forcément dire urgence « médicale » Rosa.

Mensonge numéro deux.

Rosa hocha la tête. Ses yeux trahissaient son inquiétude.

Scully prit place sur le rebord du lit.

- J’ai quelque chose à te dire Rosa, mais tu me promets de ne pas t’angoisser plus que tu ne l’es déjà et de garder ton calme, ni de m’interrompre ?

Rosa hocha encore la tête, l’inquiétude toujours dans les yeux, le livre glissa de ses mains.

- À partir de maintenant, c’est le docteur Jackson qui s’occupera de toi…
- Mais…
- Interruption.
- Oui, mais je ne pensais pas que ce serait pour me dire ça !

Les yeux balayèrent l’inquiétude pour laisser l’eau les envahir.

Scully attrapa la main de Rosa.

- C’est donc lui qui pratiquera la dernière intervention.
- Celle qui doit enlever complètement la tumeur et me guérir pour de bon ? demanda Rosa, la voix complètement brisée, même si elle connaissait déjà la réponse.
- Oui.
- Mais pourquoi ce ne sera plus vous ?
- Parce que je dois m’absenter.
- Mais vous allez revenir ?
- Oui.

Mensonge numéro trois ou vérité.

- Et vous vous occuperez à nouveau de moi ?
- Absolument. Mais j’espère surtout que tu seras rentrée chez toi.
- Et quand je serai rentrée chez moi, c’est toujours vous que je verrai pour les contrôles ?
- Normalement. Il faut juste que tu te dises que le docteur Jackson ne fait que me remplacer, il ne prend pas ma place, et puis avec lui, tu ne risques rien, c’est le chef de ce service. Je lui ai déjà transmis ton dossier, tu es entre de bonnes mains Rosa.

Rosa hocha la tête une nouvelle fois. Scully n’ajouta rien de plus. Rosa était assez chamboulée. Elle préférait attendre que sa patiente digère la nouvelle extrêmement imprévue et perturbante. Une minute plus tard, Rosa prononça :

- Sôseki.
- Quoi ?
- Je réponds à votre question et la réponse est Sôseki. Rosa libéra sa main et glissa le livre vers Scully. Allez-y, prenez-le, ouvrez une page au hasard et lisez.

Scully exécuta. Elle s’empara du petit recueil sur lequel étaient illustrées plusieurs lettres de l’alphabet japonais. Les pages virevoltèrent sous ses doigts sans pour autant que ses yeux se glissent à l’intérieur. Scully aimait par-dessus tout entendre le bruissement du papier qui défile à toute vitesse, mais aussi sentir le parfum particulier des livres. Chaque livre avait le sien. Elle finit par arrêter la danse des pages et plonger ses yeux à l’intérieur. Trois secondes, quatre peut-être – juste le temps nécessaire pour capturer l’instant emprisonné dans le haïku.

- Ça y est.
- Quoi ?
- J’ai lu.
- Non mais à haute voix !
- Vraiment ?
- Oui.
- “Dans le sanctuaire glacé
Jaillissement de lumière
Luit la divine statue.”
- Intéressant.
- Ah oui ?
- C’est toujours le haïku qui vous choisit, jamais vous.
- Sauf que j’ai ouvert ce livre au hasard.
- Le haïku vous choisit en fonction de vos pensées et de vos émotions du moment. Et c’est comme ça que les haïkus naissent. Ils sont la matérialisation d’une émotion à un moment extrêmement précis. Il n’y a pas vraiment de hasard.
- Où as-tu appris ça ?
- Nulle part. Je le sais. C’est tout. Et en ce moment vous avez peur… à cause du sanctuaire glacé.

Scully décida de rentrer dans le jeu de Rosa. Alors elle enchaîna immédiatement :

- Peut-être… Je fais beaucoup de cauchemars ces derniers temps.
- Alors je vais rêver pour vous.
- Quoi ?
- Vous avez bien entendu docteur Dana, je vais rêver pour vous afin de repousser vos cauchemars !

Et aussitôt, Rosa s’allongea sur le lit et ferma les yeux.

- Là maintenant, tout de suite ?
- Tout à fait. Je vais rêver éveillée !

Là par contre, Scully était sceptique.

- Et tu comptes faire quoi comme rêve ?

Les yeux fermés et les paupières un peu trop crispées, car Rosa tentait de plonger de toutes ses forces au cœur d’un rêve, elle dit :

- Rêver que vous reviendrez, comme quand vous avez rêvé que je me réveillais quand d’un seul coup je suis morte.
- Et ça marche vraiment ?
- La preuve, je suis vivante.

Rosa était vraiment très concentrée. Scully se sentit presque impressionnée par cette foi inébranlable que montrait sa patiente.

- Tu crois vraiment que les rêves peuvent avoir un pouvoir sur la réalité ?
- Ils ne peuvent pas, ils « ont » un pouvoir !
- Et les cauchemars ? Que penses-tu des cauchemars ?

Rosa, les bras allongés le long du corps, toujours installée dans sa position imperturbable, fronça les sourcils, les yeux encore fermés :

- Les cauchemars font tomber.
- Et ils font tomber longtemps ?
- Tout dépend de la force de la peur. C’est elle qui fait tomber.
- Et dès qu’on a plus peur ?
- Ne reste plus que le rêve.

Scully médita les paroles de sa très jeune patiente un petit moment. Rosa semblait dormir même si Scully savait qu’elle ne dormait pas, parce que Rosa était occupée à sculpter, parfaitement consciente, des rêves sur mesure. Scully la contempla quelques secondes. Rosa lui paraissait apaisée. Apaisée – voilà l’image qu’elle voulait garder de Rosa au cas-où elle ne redeviendrait jamais son médecin. Puis elle s’obligea à prendre la direction du couloir.

Scully était sur le point de quitter la chambre quand elle arrêta ses pas et décrocha le badge accroché comme un pin’s à sa blouse. Celui-ci était rouge framboise et avait la forme d’un gros nuage. Dessus apparaissait le prénom de Dana, écrit en lettres bâtons fines et dorées afin qu’il soit bien visible pour les yeux, surtout pour ceux des petits patients. Doucement, pour ne pas l’effrayer en pleine commande de rêve, elle chuchota :

- Rosa ? Ouvre les yeux.

Rosa ouvrit les yeux. Ces derniers picotaient un peu. Puis elle se redressa légèrement quand elle constata ce que tenait le docteur Scully au creux de sa main.

- Je ne suis pas très douée en ce moment pour rêver alors, pendant mon absence, j’aimerais que tu gardes mon prénom avec toi.
- Merci, répondit Rosa, incroyablement touchée tout en récupérant l’objet. Mais pourquoi ?
- Tu vois là, il y a mon prénom et là juste en dessous, il y a une coccinelle.
- Pourquoi ?
- Les coccinelles portent bonheur et tant que celle-ci sera près de toi, il ne pourra rien t’arriver de grave.

Vérité absolue.

- Mais vous ? Qui vous portera bonheur ?
- Ne t’inquiète pas. Tu m’as promis Rosa de ne plus angoisser pour moi.
- C’est vrai. À moins que…

Rosa venait de repenser à l’un de ses dessins – celui sur lequel elle avait mis de la vie – celui qu’elle avait offert à Dana.

- Oui ?
- Non, je sais pas, je sais plus, ça s’embrouille dans ma tête.

Scully n’avait pas remarqué, mais Rosa avait posé les yeux à hauteur du ventre de Dana, quelques secondes, juste avant le temps de perdre sa révélation et que tout s’emmêle au cœur de son esprit, comme quand on tente à tout prix de se rappeler d’un rêve effectué la nuit précédente. Plus on tente de l’approcher, plus le rêve s’évapore et s’effiloche dans les profondeurs.

- Tu as encore besoin de beaucoup de repos Rosa avant ta dernière intervention. Économise tes forces au maximum pendant que je ne serai pas là.
- D’accord.

Scully sortit pour de bon de la chambre et Rosa se rallongea, les yeux extrêmement fermés, (tant pis pour la sensation désagréable de picotement), le badge rose du docteur Dana enfermé dans ses mains – au cas-où la coccinelle s’envolerait. Elle faisait défiler des images sous ses yeux. Une revenait plus souvent que les autres. Sur cette image, Rosa pouvait voir ses parents sortir avec elle de l’hôpital et le docteur Dana leur dire au-revoir de la main. Rosa tenait vraiment à ce que cette image passe en boucle sous ses yeux, parce que cette image voulait dire qu’elle était guérie mais aussi que, le docteur Dana n’avait plus peur. Mais comme toutes les images qui passaient dans sa tête, celle-ci pouvait s’effriter d’un instant à l’autre et s’égarer dans les profondeurs pour ne plus jamais resurgir.

*

12h45.

Le docteur Scully venait d’achever sa dernière consultation de la matinée. Elle remontait le couloir menant à son bureau. Une fois à l’intérieur, elle vérifia que sa consœur ne se trouvait pas de l’autre côté de la palissade encastrée dans le prolongement du mur central et permettant la communication interne entre les deux bureaux. Elle était seule, pas de Ingrid Wallas de l’autre côté du mur. Elle prit soin cependant de tirer complètement la palissade afin de se sentir vraiment seule. Elle observa son bureau quelques instants, puis commença à le débarrasser de tous les dossiers qui l’encombrait. Elle les déplaça tous sur le meuble situé derrière, à l’abri du mouvement et de la poussière. Il ne restait plus que l’ordinateur, quelques stylos dormant dans le pot à crayon et un sous-main. À nouveau, elle resta là, immobile, les yeux perdus dans le décor… Dana sortit du bureau et ferma la porte. À clef.

Elle remonta un nouveau couloir et se dirigea vers les vestiaires. Elle poussa la porte, retira le stéthoscope placé autour de son cou et s’assit sur le banc central. Là encore, elle était seule. La majorité était en train de manger. Elle entreprit de déboutonner sa blouse avant qu’une vague ne la submerge. Le tsunami arrivait. Elle se dépêchait. Mais l’accumulation nerveuse qu’elle avait emmagasinée depuis le début de la semaine était sur le point de tout ravager. Ses mains tremblaient. Elle s’emmêla à plusieurs reprises les doigts entre les boutons, n’arrivait pas à les défaire, devait forcer parfois, car ses mains refusaient d’écouter son esprit. Dans un ultime effort, elle se débarrassa violemment de sa blouse, attrapa son stéthoscope, s’emmêla les neurones une fois de plus dans la combinaison de son casier, finit par l’ouvrir alors que plus personne n’y croyait, commença à voir de la pluie couler sur les murs, sauf que c’était pas de la pluie, c’était ses larmes, et fourra, jeta, enfonça, martela, frappa et abandonna sa blouse blanche et l’instrument permettant d’écouter tous les cœurs battant y compris ceux qui ne battront plus jamais et claqua de toutes ses forces la porte métallique – , qu’elle n’ouvrirait plus avant un très long moment.

Dana Scully s’écroula contre les casiers. La vague venait de la submerger, complètement. Elle se noyait. Elle étouffait. Elle paniquait. Elle se déchirait de l’intérieur. Elle tombait…

Et deux étages encore au-dessus, elle savait qu’il n’y avait pas de coccinelles sur les blouses blanches du service hématologie pour adulte.

Un vibreur se fit entendre. La vibration répétitive contre son corps eut pour effet de calmer progressivement les pleurs défigurant son visage. Elle regarda l’écran et appuya dessus afin d’afficher le message :

Je pars de la maison.
À tout de suite.
Mulder.

Ce matin elle avait commencé par Rosa. Ce soir elle ne terminerait pas par Rosa.

Plus de blouse blanche. Plus de docteur Dana Scully. Ne restait plus que Dana. Livrée à elle-même – comme dans un cauchemar. Sauf que dans celui-ci, elle ne dormait pas. Et dans les cauchemars, on se réveille toujours avant de mourir. Alors si elle ne dormait pas, comment elle ferait pour se réveiller juste avant de mourir ?

*

Vingt minutes plus tard.

Dans un élan d’illumination, Rosa ouvrit les yeux et quitta sa position, qui selon elle, était propice à la rêverie, pour s’emparer de son carnet à dessin reposant sur la table de nuit. Elle le secoua et fit dégringoler toutes les feuilles sur le lit sans même prendre le temps de l’ouvrir et fouilla à la recherche d’une feuille encore vierge. Aussitôt trouvée, elle attrapa un crayon et dessina l’intuition qui venait de passer sous ses yeux. Plus elle dessinait, plus elle s’affolait, car plus elle avait la certitude que le docteur Dana Scully avait de grandes chances pour ne jamais revenir.

L’œuvre presque terminée – une œuvre qu’elle aurait aimé ne jamais commencer – et même si cela ne faisait pas parti de l’intuition qu’elle avait vu à l’instant sous ses yeux – Rosa ajouta dans le coin, en haut à droite, un cercle ovale, puis un plus petit cercle sur le dessus de l’ovale, puis deux traits sur le dessus du plus petit cercle, puis deux petits points aux extrémités de ces deux petits traits, puis elle remplit le grand cercle ovale par une quantité incroyable de petits points. Le docteur Dana avait besoin de beaucoup d’aide et de chance pour remonter jusqu’au jaillissement de lumière.

Une petite coccinelle – la seule touche divine du dessin. Tout le reste n’était que mort – sanctuaire glacé.


*


PtiteCoccie88
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Message  PtiteCoccie88 Dim 7 Oct 2012 - 17:14

10
*

Rodéo ; c’est la vie pas le paradis.

[Zazie]

13h50

Ils avaient pris l’escalier intérieur, elle n’avait pas voulu prendre l’ascenseur. L’escalier représentait sa façon à elle de rester encore un peu dans les coulisses, à l’abri des regards – ou de la réalité. Et puis dans les ascenseurs, c’est dangereux. On peut tomber.

Mulder suivait Scully. Pendant longtemps, c’est elle qui l’avait suivi. Un frisson désagréable parcourut Mulder lorsque ses yeux accrochèrent secteur stérile… Scully se retourna. Elle avait senti qu’il ne suivait plus le rythme. Elle revint vers lui et attrapa sa main.

- Tu viens ?

Comme sur les marches du perron un peu plus tôt dans la journée, il ne réagissait pas à sa voix.

- Ce n’est pas là qu’on va aujourd’hui.
- Et tu risques d’y aller ?

Scully haussa les épaules.

- Je sais pas Mulder, répondit-elle d’un air détaché.

Scully ne voulait pas y penser. Mulder l’amenait sur des pensées qu’elle essayait de garder le plus loin possible. Pourquoi lui parlait-il de ça ? On était aujourd’hui, pas demain et aujourd’hui, ce n’était pas là qu’on allait !

- Viens, insista-t-elle à nouveau en lui pressant le bras.

Mulder la regarda, sondant ses yeux bleus. Scully paraissait incroyablement insensible. Mulder était pétrifié. Moins par rapport aux mots qu’il venait de lire que par l’attitude de Scully.

Elle se transformait en glace. Progressivement, elle gelait en elle toutes les émotions. Elle sortait le bouclier.

Mulder avait extrêmement peur, parce qu’il savait que Scully ne tiendrait pas ce régime draconien émotionnel sur la durée. Ce qu’il redoutait : qu’il ne soit pas là au moment précis où elle craquerait.

Ils avaient dépassé le couloir qui avait profondément déstabilisé Mulder depuis déjà quelques mètres. Ils tournèrent dans un nouveau couloir et pénétrèrent dans un secteur où les murs paraissaient moins silencieux.

Au comptoir, il n’y avait personne.

- Ils vont revenir, rassura Scully.

Mulder regarda d’un peu plus près. Derrière la planche d’appui, sur le bureau, les dossiers étaient éparpillés. Certains semblaient attendre que le stylo vienne réécrire sur eux. Mulder tourna la tête et détailla les lieux.

- Ce sont des cabinets de consultation ?
- Non. Ce sont des chambres Mulder.

Les minutes passaient.

Une infirmière apparut. Mais elle ne s’arrêta pas devant eux. À la place, elle se positionna à hauteur de l’autre comptoir, situé quelques mètres plus loin.

- Excusez-moi, interpella Scully.

L’infirmière remarqua enfin leur présence.

- Est-ce que la personne qui s’occupe des entrées va bientôt revenir ?

L’infirmière referma légèrement son dossier pour regarder sa montre.

- Elle ne devrait pas tarder à revenir, répondit-elle simplement avant de s’asseoir et de plonger dans son travail, faisant comme si Mulder et Scully n’existaient plus.

Les minutes passaient…

Scully se retourna à son tour et attrapa quelques prospectus qui dormaient dans les étagères collées au mur. Appuyée dos au comptoir, elle en tendit un à Mulder. Mais ni lui ni elle ne prirent la peine de les déplier pour les lire.

Scully souffla. Elle avait l’impression d’être dans une dimension parallèle. Coincée dans un monde où personne ne vous voit, alors que vous voyez tout le monde – comme prisonnière derrière une vitre sans reflet. Scully finit par laisser tomber son sac à main et enfouir son visage dans ses mains.

… encore et toujours.

Un bruit comme du papier qu’on torture la sortit de l’engourdissement provoqué par un manque insupportable d’activité cognitive. L’auteur du supplice n’était autre que Mulder. Les yeux un peu endormis, elle demanda :

- Mais qu’est-ce que tu fais ?
- Ça se voit, non ? Et en plus, ça vole !
- Mulder !

Elle était dépassée par la bêtise de Mulder mais aussi incroyablement amusée. Mulder avait un don pour rendre les instants les plus pénibles un peu plus acceptables. Elle jeta un œil vers l’infirmière présente, mais celle-ci les ignorait toujours au plus haut point.

- T’es prête à décoller ?
- Mulder… Je ne suis pas spécialisée dans les devis pour l’édition de publicité ou de journaux, mais si j’étais l’auteur de ce qui est inscrit à l’intérieur, je n’aimerais pas finir en avion.

Mulder ne répondit rien. Il préféra afficher son sourire le plus… diablotin.

Ce sourire… Plus d’une fois elle s’était retrouvée subjuguée devant lui.

Un sourire qui disparut trop vite pour Scully. Mulder venait de lancer l’avion en papier et plus celui-ci perdait son altitude, plus l’insouciance s’envolait de son visage ; le regard subitement assombri. L’avion s’écrasa derrière un chariot.

- C’était pour te donner des ailes, expliqua Mulder à voix basse.
- Comment ça ? demanda Scully, complètement égarée.
- En regardant voler cet avion, l’espace d’une seconde, tu semblais toi aussi voyager dans les airs, comme indestructible… jusqu’à ce qu’il s’écrase.

Scully resta un instant foudroyée face à ce redoutable mélange de légèreté et de gravité habitant Mulder. Un instant qui dura une éternité, comme ces quelques secondes où on vous annonce que demain ne sera plus jamais comme hier, parce que l’ombre de la mort a décidé de s’inviter au-dessus de votre tête.

Elle lui prit la main.

- Je ne m’écraserai pas Mulder.

Il accrocha son regard de toutes ses forces et dit :

- Tu me le promets ?

Elle :

- Je te le promets.

Puis serrant sa main encore plus fort :

- Je vous le promets à tous les deux.

Le temps s’arrêta.

Scully sentit son souffle l’abandonner – une angoisse montait. Bloquer l’émotion, rester hermétique au naufrage et à la pulsion soudaine. Sensation paradoxale. Mode brouillage émotionnel enclenché. Elle avait envie d’exploser en sanglot et elle avait furieusement envie de l’embrasser. Pas d’une manière fougueuse, juste un baiser délicat pour sceller la promesse, un baiser doux, simple, triste car des larmes finiraient par surgir, puis couler –, jusqu’à venir se déposer sur les lèvres.

Une infirmière, téléphone portable pendue à l’oreille, débarqua – Le temps reprit – Scully surprise par la soudaine intrusion, lâcha subitement la main de Mulder. Plus question de l’embrasser, mais l’angoisse ne lâcha pas prise pour autant. L’angoisse aimait se faire sentir, le plus cruellement possible. Scully se raidissait, comme terrassée par une paralysie interne invisible depuis l’extérieur. Le bouclier tenait le choc, pour le moment. Toujours en ligne, l’infirmière passa derrière le bureau.

Elle raccrocha.

- Dana Scully, mentionna aussitôt Scully.

Immédiatement, sans redresser les yeux, l’infirmière s’empara d’une feuille sur laquelle apparaissaient plusieurs étiquettes nominatives. Elle en décolla une, déshabillant encore un peu plus la feuille, qui pour chaque nouvelle entrée attendue, se vidait. L’infirmière positionna l’étiquette mentionnant Dana Scully sur une autre feuille et demanda une signature à l’intéressée. Scully s’exécuta. À partir de maintenant, Scully devait obéir aux ordres, être patiente, car elle n’était plus derrière la blouse.

- Chambre numéro six, informa l’infirmière. Venez.

En silence, Mulder et Scully la suivirent, pas très longtemps, car juste sur quelques mètres, ils étaient déjà arrivés, toujours le même couloir. Cinq portes avaient été dépassées. D’un geste convaincu, l’infirmière ouvrit la sixième, s’engagea dans la pièce, se dirigea automatiquement vers le fond et leva les stores, faisant instantanément jaillir la lumière dans la chambre.

- Voilà, vous pouvez vous installer, avertit l’infirmière. Le docteur Thomas ne devrait pas tarder.

Simplement, Scully répondit :

- Merci.

La porte se referma.

Appuyé dos au mur, Mulder observa Scully se diriger vers la fenêtre. Il resta à sa place, n’osa pas la déranger. C’était son moment à elle. Peut-être le dernier avant la foudre. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à la quitter des yeux. Elle regardait dehors. Hormis un ciel gris, il n’y avait rien d’autre. Il la surveillait, comme si elle risquait de basculer même la fenêtre fermée. Tout était calme. Les nuages glissaient. Beaucoup trop calme. Derrière les murs, aucun son ne filtrait et ils étaient trop hauts pour entendre ce qui se passait en bas, dehors, là où il y avait de la vie. Quatre étages au-dessus du vide, le bruit silencieux de la mort rampait sur tous les côtés. Est-ce que… est-ce que c’était pour ça que cet hôpital avait choisi d’installer les services où le taux de sortie des patients dégringolait en-dessous des 50% ? L’altitude étant plus élevée qu’en bas, le parcours pour se rendre encore plus haut est facilement accessible, car les patients qui ne sortent pas… ne repassent jamais en bas. Le quai se trouve au quatrième étage, tout en haut du bâtiment. Ici, c’est aller simple pour le ciel.

Deux coups retentissant énergiquement les firent sursauter tous les deux, coupant le silence écrasant. La porte s’ouvrit. Scully se retourna. Toujours la même infirmière.

- Je vous apporte votre tenue pour l’examen.

Scully hocha la tête, s’avança et s’empara du vêtement.

La porte se referma.

- Tu la connais ?
- Quoi ?

Mulder précisa :

- Cette infirmière ?
- Non… Je ne connais pas non plus le docteur Thomas. On s’est sûrement déjà croisés à la cafétéria ou lors de réunions générales mais… pour le moment je ne sais pas… je ne sais vraiment pas où je vais…

Elle avait posé sa tenue sur le lit et avait chuchoté ses derniers mots, les yeux baissés. Mulder s’approcha, tenta de lui relever le regard, mais Scully restait bloquée sur le vêtement plié au carré. Elle le regardait tellement fort que les motifs gris imprimés en relief sur le tissu jaune finirent par doubler de volume, gonfler, puis se voiler pour disparaître. Doucement, Scully se laissa tomber sur le rebord du lit. Elle ne voulait pas le regarder, peu importe, s’asseyant juste derrière elle, il glissa sa main sous ses boucles rousses, la posant à l’arrière de sa nuque afin que la chaleur de sa main apaise l’angoisse soudaine qu’elle ressentait. Et de sa main libre, il souleva une mèche de cheveux qui dissimulait son oreille et approchant ses lèvres près de cette dernière, il lui murmura d’une voix extrêmement rassurante :

- Même si tu ne sais pas où tu vas, sache que j’irai quand même avec toi, je ne te lâcherai pas, quand tu auras peur je serai là pour te rassurer, je serai là pour te dire ne t’en fais pas ce n’est qu’un cauchemar et un cauchemar ce n’est rien, alors tu n’as rien à craindre, tu n’as rien à craindre parce que quand tu tomberas je serai là pour te rattraper. Tu n’es pas seule dans le noir, je suis là pour t’éclairer et te ramener vers moi.

Il se tût.

Mulder attendait que ses mots parviennent jusqu’au cœur de Scully, là où elle disséquait les syllabes prononcées, une par une, pour se les approprier, les sceller dans l’organe vital qui progressivement lui avait chuchoté qu’elle aimait Mulder. Ne pas la lâcher, c’était sa promesse à lui.



Après un long silence, tout en levant enfin les yeux, elle attrapa la main de Mulder qui enlaçait toujours l’arrière de sa nuque pour ramener leurs deux paumes entre eux. Elle souffla :

- Merci.

Mais pas un simple merci, fade, sans charisme, comme celui qui avait été adressé à l’infirmière ; mais un merci écartelé entre un désarroi déchaîné et une soif de s’en sortir pour remonter jusqu’à la lumière, se hisser, l’attraper, s’agripper, ne plus la perdre, s’extirper du noir, poser sur la surface un pied équilibré, remplir ses poumons d’une vague d’air, sentir le vent soulever ses cheveux et frôler sa peau, sentir l’aura d’espoir et ouvrir les yeux –, non plus pour sauter dans le vide juste en-dessous, mais pour constater l’étendue des possibilités convergeant vers là où il n’y a que du rêve.

- Tu devrais enfiler ta tenue, signala Mulder.

Scully hocha la tête.

Lentement d’abord. Elle enleva les chaussures. Elle garda les chaussettes. Elle enleva sa veste. Elle déboutonna le chemisier. Elle ne l’enleva pas tout de suite, mais laissa à découvert le soutien-gorge. Elle enleva le pantalon. Elle garda sa montre. Elle enleva enfin le chemisier. Elle garda encore le soutien-gorge. Elle attacha les cheveux. Elle enleva le collier. Mulder garda la croix dans la main.

Elle reprit son souffle.

Plus rapidement maintenant. Elle attrapa la chemise d’hospitalisation, dégrafa le soutien-gorge, passa la tête dans l’ouverture de la chemise, replaça les mèches décoiffées par l’opération, retira le bracelet et se recroquevilla genoux repliés à hauteur du menton sur le lit.

Mulder et Scully attendaient qu’on frappe.

Elle avait gardé sa montre. Sans celle-ci au poignet, Dana augmentait le risque de glisser dans une intemporalité suffocante.

Il s’était assis sur une chaise en face du lit. Sur celle d’à-côté, les vêtements reposaient.

Ça frappa.

- Docteur Thomas ! annonça la blouse blanche.

Mulder était déjà debout. Scully en léger retard. Elle déplia ses jambes, avec difficulté, et se leva à son tour.

- Restez assise Dana, conseilla le docteur Thomas.

Scully obéit, exécuta, retrouvant sa place assise.

- Bonjour, prononcèrent-ils enfin tous les trois, presque synchronisés.

Le docteur Thomas ne les laissa pas respirer, rapprocha une petite table devant lui, s’empara d’une chaise libre – là où il n’y avait pas de Mulder, là où il n’y avait pas de vêtements – ouvrit l’ordinateur portable et demanda :

- Scully, c’est bien ça ?
- Oui. Dana Scully, répondit la concernée.
- Jusque là tout va bien. Je dis ça parce que parfois on se trompe de chambre, dit Thomas, tentant de desserrer l’atmosphère.

Mais il reprit la course aussitôt, resserrant l’atmosphère à nouveau sur elle-même. Il n’avait pas le temps. La vie s’effiloche si rapidement. Il cliqua, le dossier s’ouvrit. Les analyses s’affichèrent.

- Quand avez-vous exactement effectué ce bilan sanguin Dana ?
- Mardi.
- Nous sommes déjà vendredi, vous auriez dû venir tout de suite.
- Je travaillais.
- Quel est votre médecin ?
- Euh… je n’ai pas de médecin.

Thomas releva la tête de l’écran, plutôt interloqué.

- Qui vous a donc prescrit ce bilan ?

Scully hésita.

- Moi-même…
- Aurais-je en face de moi une consœur ? commença à comprendre Thomas.
- Vous avez deviné.
- Dans ce cas, je présume que vous envisagez déjà le tableau noir.
- Oui.

Thomas recadra son attention sur l’écran.

- On sera fixé ce soir. Des symptômes ?
- Grande fatigue, vomissements, saignements de nez, perte d’appétit, sueurs nocturnes…
- J’ai déjà pris rapidement connaissance de votre bilan hier soir transmis par l’infirmière cadre de ce service mais – Thomas afficha soudainement un air plus préoccupé et alimenté par la surprise – je ne remarque que maintenant que vous êtes enceinte…
- À la base, c’est pour ça que j’ai effectué ce bilan.
- Les symptômes ressentis concordant avec la grossesse, c’était dans la logique des choses, commenta plus pour lui-même Thomas que pour la patiente. Et dans quel labo avez-vous passé l’analyse ?
- Ici même.

Thomas releva une nouvelle fois les yeux, un éclair de lucidité soudain le traversant.

- Dana Scully ! Pédiatrie !

Elle hocha la tête. Démasquée. Elle aurait aimé rester cacher encore un peu.

Il replongea à nouveau sur son écran, faisant défiler les données.

- Depuis le début, je me disais bien que votre visage ne m’était pas inconnu. Quand vous déjeunez à la cafétéria vous vous installez toujours dehors et à la dernière réunion ayant rassemblé tous les services, vous étiez près de la fenêtre ou je me trompe ?
- Non.
- Vous venez d’arriver ici parmi nous, n’est-ce pas ?
- Je suis à Sorrows depuis avril 2003.
- Ah si quand même, un an et demi, ce n’est pas rien. Avouez, vous vous cachez, c’est ça ? tenta-t-il encore pour dépressuriser l’air ambiant.
- En réalité, je n’ose que très rarement abandonner mes petits patients.
- La pédiatrie ! Tous les médecins qui ne sont pas pédiatres s’accordent à dire qu’il s’agit d’un monde parallèle au nôtre !
- Un monde qui ne devrait pas exister…
- Je suis bien de votre avis. Quelle spécialité exercez-vous ?
- Neurochirurgien.
- Dana… sachez que j’aurais vraiment préféré qu’on se rencontre d’un peu plus près autour d’un café pour échanger sur les dernières avancées en matière de neurosciences plutôt qu’ici pour une ponction de moelle osseuse… précisa Thomas la voix légèrement ailleurs et absorbé par la problématique s’affichant face à lui sur l’outil numérique.

Il ajouta :

- Et après l’examen Dana, vous aurez le droit à une bonne transfusion pour réduire les risques d’hémorragie et vous redonner j’espère un peu de couleurs.

Elle hocha la tête.

Il plia l’écran et sortit de la chambre, laissant la porte ouverte.

Le docteur Thomas disparu, Mulder sembla sortir du mur dans lequel il avait été oublié.

Mulder et Scully croisèrent leurs regards et ne se quittaient plus des yeux.

Mulder et Scully entendaient la voix du docteur Thomas mélangée à celle du personnel infirmier :

« C’est bon pour la chambre six, on peut commencer… le chariot arrive… »

Mulder rattrapait Scully.

« Sandy et Emma avec moi… tu notes Emma… ouais… myélogramme, Dana Scully… »

Scully s’accrochait à Mulder.

« … et apporte une blouse stérile pour la personne qui l’accompagne… »

Mulder et Scully ne savaient pas où ils allaient, mais ils y allaient ensembles.

L’agitation due à la préparation du matériel s’éleva au-milieu des portes s’ouvrant, se refermant, laissant dans l’espace temps de l’ouverture filtrer parfois quelques murmures en provenance d’autres chambres, puis des dossiers qu’on déplace, feuillette, range se mêlèrent aussi à la danse invisible depuis la chambre, augmentant considérablement l’appréhension de l’examen.

Mulder voulait prendre Scully dans ses bras, mais il ne pouvait pas, les fantômes étaient tous sur le point de débouler dans la chambre.

La porte s’ouvrit en grand. Un chariot métallique contenant tout le nécessaire envahit l’espace en même temps que deux jeunes femmes, l’une infirmière, l’autre interne – Sandy et Emma. L’une des deux tendit aussitôt une blouse transparente bleue à Mulder. Elle expliqua :

- Si vous restez durant le prélèvement, il est impératif que vous enfiliez cette blouse afin de minimiser les risques de transferts d’agents pathogènes en provenance de l’extérieur.

Mulder quitta un instant Scully des yeux pour obéir et exécuter.

Le docteur Thomas refit surface et se dirigea vers Scully, tandis que Sandy sélectionnait – sur le chariot – le matériel nécessaire pour l’anesthésie locale.

- Je suppose que vous n’avez jamais subi un myélogramme, Dana ?
- Non jamais. Et entre le pratiquer et le subir, il y a une grande différence…

Thomas sentit l’inquiétude dans les yeux de sa patiente. Pour cesser l’éclair de panique envahissant Dana, Thomas fit signe à Mulder de se rapprocher.

- N’hésitez pas à lui prendre la main durant le prélèvement de manière à la rassurer, car même les médecins ont la frousse, surtout ceux qui deviennent patients !

Une nouvelle fois, Mulder obéit et se positionna du côté du lit où il n’y avait pas d’investigateurs du corps humain.

- Allongez-vous sur le dos, exigea doucement Sandy à Dana.

Scully exécuta.

Mulder attrapa la main de Scully et referma sa paume sur la sienne.

Emma était positionnée en retrait – elle prenait des notes dans un carnet.

Sandy déboutonna légèrement la chemise de Scully, désinfecta la zone corporelle située au niveau du sternum et effectua une piqure contenant l’anesthésiant sur la partie bossue de l’os.

- Ça va ? demanda Mulder.
- Oui, chuchota Scully. Ce n’était qu’un léger pincement.

Elle faisait en sorte de ne voir que Mulder et leurs deux mains enlacées.

- Ça va toujours Dana ? prononça le docteur Thomas d’une voix puissante, voulant signaler à sa patiente que l’étape finale et redoutée de l’examen arrivait déjà.
- Oui, je suis prête, informa Scully.
- Très bien, mais avant de commencer, je tiens à prévenir…comment vous vous appelez ?
- Mulder.
- Mulder ! Qu’il ne faut pas se laisser impressionner par le geste médical consistant à réaliser le prélèvement de moelle osseuse.
- D’accord, répondit Mulder.
- Dana a besoin de vous, ne la lâchez pas Mulder !
- Je ne la lâche pas, promit ce dernier.
- Alors voilà comment ça se passe, commença Thomas, enfilant une pair de gants stériles. À l’aide d’un trocart, une aiguille résistante, celle-ci, munie d’un mandrin permettant de stabiliser l’enfoncement, je vais perforer la partie bossue de son sternum, ici, sur la partie antérieure de la cage thoracique, vous voyez ?
- Oui.
- Il faut exercer une certaine pression pour y parvenir, mais le geste reste assez rapide et en moyenne indolore, puis s’effectue l’aspiration qui pour le patient représente la partie la plus délicate.
- Très bien, dit Mulder.
- Vous êtes toujours prête Dana ? renouvela Thomas.
- Je suis toujours prête, confirma-t-elle.
- Sandy, c’est bon pour l’anesthésiant ?
- Encore deux minutes docteur.
- Emma, vous avez des questions ?
- Non docteur.
- Dans ce cas, c’est moi qui en pose une : pourquoi un prélèvement de moelle osseuse est-il réalisé en général au niveau de la partie bossue du sternum ?

Parce que le sternum, surtout en ce qui concerne sa partie bossue, est particulièrement spongieux et qu’il représente donc le meilleur endroit pour la pénétration de l’aiguille, répondit silencieusement Dana.

- Parce qu’à cet endroit, il est plus facile de perforer l’os en raison d’un fort degré de porosité, ce qui par conséquent augmente l’absorption du liquide, permettant ainsi d’effectuer un prélèvement superficiel.
- Parfait ! annonça le docteur Thomas. Citez-moi d’autres endroits possibles en dehors du sternum pour réaliser cet examen ?
- Euh… réfléchit Emma.

La réponse fusa dans la tête de Scully : la crête iliaque située dans l’os de la hanche, surtout pour une ponction chez l’enfant, et au niveau de la crête tibiale pour le nourrisson !

- Chez l’enfant par exemple ? mit sur la piste Thomas.
- La crête iliaque ! percuta aussitôt Emma. Ou bien la crête tibiale !
- À nouveau parfait docteur Emma Collins, révéla le docteur Thomas.
- L’anesthésie est complètement en place, avertit Sandy.
- Alors on y va, engagea Thomas.

Mulder entendit Scully prendre une profonde inspiration. Elle ne le regardait plus. Ses yeux étaient clos.

Le docteur Thomas présenta l’aiguille au-dessus du sternum et l’enfonça tout droit.

Mulder avait été prévenu, mais il ne put s’empêcher d’ouvrir de grands yeux. Sans s’en rendre compte, il resserra la pression autour des doigts de Scully.

Le docteur Thomas retira le mandrin, ne restait plus que le trocart, et aspira.

Au même moment, Mulder ressentit une forte douleur au niveau de sa main. C’était à cause de Dana. Elle ne serrait plus sa main, elle la broyait, de toutes ses forces, comme si elle tombait.

Thomas enleva l’aiguille du sternum de Dana et tendit le prélèvement à Sandy. Cette dernière colla aussitôt une étiquette dessus. Le prélèvement était prêt pour partir au laboratoire.

Scully rouvrit les yeux. Mulder l’entendit relâcher tout l’oxygène qu’elle avait maintenu prisonnier durant le prélèvement. Son visage abandonna la crispation et retrouva une certaine sérénité. Du début à la fin, Scully n’avait pas respiré.

- Ça va ? redemanda Mulder.

Scully hocha la tête.

- J’envoie tout ça immédiatement au labo, expliqua Thomas. Le résultat devrait parvenir au plus tard dans la soirée, en attendant, Sandy va vous installer une perfusion pour la transfusion.

Scully hocha encore la tête.

- Je reviens dans une petite heure, signala Sandy ramenant le chariot vers la sortie.

Mulder et Scully les regardèrent tous disparaître – comme des fantômes.

Scully se redressa tout en restant sur le lit. Le dos plaqué au mur, les jambes allongées et dénudées, elle regarda Mulder se diriger vers la fenêtre. Elle ne dit rien. C’était son tour à lui de prendre son moment pour trouver l’énergie d’encaisser la suite – l’attente suivie du verdict final. Mulder avait toujours eu confiance en Scully, surtout en ce qui concernait ses compétences médicales. Mais pour la toute première fois, depuis qu’il la connaissait, il priait pour qu’elle se soit trompée dans son jugement clinique. Les mains serrées dans le dos, il regardait défiler les nuages. Les voyait-il vraiment ? Par contre, les secondes ne défilaient plus –, précisément au moment où il était nécessaire que le temps s’accélère pour mettre un terme au silence de mort s’abattant dans la chambre.

Une heure plus tard.

La voix de Sandy s’immisça dans l’esprit de Scully tandis qu’un stimulus pinçant s’infiltra au creux de son bras. Scully ouvrit les yeux. Sandy se tenait au-dessus d’elle. Elle installait la transfusion sanguine. Scully s’était endormie.

Mulder !

- Où il est ? paniqua Scully.

La fenêtre était vide.

- Il m’a demandé où se trouvaient les toilettes.

À demi-consciente, elle tenta une manœuvre périlleuse : celle de se mettre debout sans passer par l’étape consistant à quitter la position allongée pour atteindre celle où les pieds ne touchent pas encore la terre. Mais la main de Sandy qui avait senti venir la catastrophe, avait plaqué aussitôt la main sur l’épaule de Scully afin de la dissuader.

- Restez allongée je vous prie, conseilla-t-elle à sa patiente légèrement perturbée.
- Mais il va revenir ? interrogea-t-elle, la voix cassée et vidée de toute vibration, car trop essoufflée.
- Sa veste étant toujours là, je suppose que oui.

Sa veste reposait sur le dossier. Était-ce suffisant comme gage de non-abandon ?

- Mais depuis combien de temps il n’est plus dans la chambre ?

Scully n’arrivait pas à redescendre l’angoisse, encore moins à trier les informations qui s’offraient autour d’elle. Encore embarquée dans le sommeil, la réalité refusait de s’offrir de manière vraisemblable à son esprit. Trois secondes sans Mulder se convertissant automatiquement en trois longues heures interminables. Après avoir pris garde de ne pas emmêler le tube serpentant sur lui-même, Sandy ajusta correctement la perfusion et régla le débit.

- Il va revenir, rassura une dernière fois Sandy.

Elle quitta la chambre. Scully était seule.

Scully se sentait seule – malgré une vie de six semaines enveloppée dans la profondeur de ses entrailles. Scully se sentait écartelée entre le sang qui goutte à goutte régénérait son corps et l’attente du résultat de la ponction de moelle osseuse qui détruisait son esprit.

Mulder poussa la porte des toilettes. Après s’être trompé de direction – il avait pris à gauche au lieu de prendre à droite – il venait enfin de trouver l’endroit qu’il avait demandé dix minutes plus tôt à l’infirmière pénétrant dans la chambre ; trainant sur son chariot un attirail de survie.

Survie.

Voilà l’image qui effrayait Mulder. Depuis la seconde où elle avait compris qu’elle ne serait jamais mère, elle avait arrêté de vivre, car elle était trop occupée à survivre et à s’engouffrer dans les enquêtes de terrain avec lui.

Mulder s’approcha du lavabo. Il s’observa dans la glace. La peur écrasait le vert de ses yeux. Il ouvrit le robinet et réveilla son visage avec l’eau fraîche. Il croisa à nouveau son reflet. Ses traits étaient réveillés, mais la peur était toujours là. Mulder était dans l’obligation d’accepter qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar, mais la réalité, et dans ce monde, Scully marchait sur un fil prêt à céder d’une seconde à l’autre.

Dix minutes plus tard.

Scully était debout. Elle avait retrouvé sa fenêtre et maintenait ses mains, poings fermés, dans son dos. Elle avait également remis ses vêtements.

- Scully ?

Elle ne l’avait pas entendu revenir dans la chambre. Il s’approcha d’elle et attrapa l’une de ses mains. Il ne parvint pas à déplier son poing serré.

- Tu devrais rester allongée, conseilla Mulder, ne pouvant s’empêcher de remarquer la poche de sang accrochée à la perfusion que Scully traînait avec elle. Tu viens de subir un examen délicat.
- L’infirmière m’a dit que tu étais aux toilettes… J’ai cru que tu étais parti, définitivement parti.

Elle se retourna vers lui. Il ne lâchait pas sa main.

Sa voix était presque normale :

- Je ne me suis jamais sentie aussi près de tomber Mulder…

Sa voix était malmenée par un flux émotionnel déstabilisant :

- J’ai peur…

Sa voix était rongée par la colère flirtant avec la culpabilité :

- Et ça ne me ressemble pas ! Et… je n’aime pas me sentir aussi dépendante des autres !
- Des autres ? souligna calmement Mulder, afin qu’elle aille jusqu’au bout de sa pensée.
- Je n’aime pas…

Elle prit un temps, baissa son regard, souffla, puis plaça sa main libre et nerveuse au-dessus de ses yeux ; ce qui lui donna l’illusion que Mulder ne percevait plus son âme, car elle-même ne percevait plus très bien celle de Mulder.

- Je n’aime pas me sentir aussi « perturbée » dès que tu n’es plus là !

Mulder saisit la main de Scully qui l’empêchait de discerner son regard et attira son corps contre le sien tout en apposant une main protectrice sur ses cheveux roux.

- Scully… Certaines épreuves sont faites pour être vécues à deux, car l’esprit humain, pour rester en vie face à la mort, a besoin de l’autre. Je suis cet autre et mon rôle dans cette épreuve est de recueillir tes peurs pour les adoucir et te guider vers la sortie du labyrinthe. Et peu importe le temps dont tu auras besoin pour atteindre la sortie, car je serai toujours là pour te montrer comment la trouver et surtout pour te dire ce que tu seras une fois dehors…

Mulder libéra le visage de Scully qu’il avait enseveli dans le creux de son épaule afin qu’elle entende la suite les yeux dans les yeux.

- Une fois dehors, car tu atteindras la sortie, tu seras la plus sublime de toutes les mères.

Scully sentit tout s’effondrer et arrêta de respirer. Ses lèvres se mirent à trembler. La sortie que lui promettait Mulder n’était pas la bonne, elle n’était pas possible, car la marche pour y accéder était beaucoup trop haute et Scully beaucoup trop petite.

- Tu dois me faire confiance Scully ! ordonna durement Mulder – dans le seul et unique but de repousser le pôle destructeur l’empêchant de prendre confiance en elle. Tu y arriveras. En attendant, autorise-toi à te livrer, à rendre les armes, autorise-toi à rebrousser chemin, à prendre une autre direction, autorise-toi à me confier tes peurs. Mais ne t’autorise pas à faire cavalier seul. Jamais.

Scully hocha la tête, décrypta, analysa, mémorisa, archiva les mots de Mulder et dit :

- Je te fais confiance.

*

Mulder tira jusqu’au lit le portique à roulette sur lequel était suspendu la perfusion et aida Scully à s’allonger confortablement sur le lit sans que celle-ci s’entortille entre les fils faisant glisser la vie jusque dans ses veines. Puis il glissa la main dans sa poche et laissa apparaître dans sa paume la chaîne en or qu’elle lui avait confiée juste avant l’examen. Et délicatement il l’enroula autour du cou de Scully et l’attacha.

- Merci, murmura Scully qui ne put s’empêcher de vérifier en la cherchant des doigts si la petite croix dorée était bien sur sa peau.

Puis doucement Mulder prit place près de Scully et la serra autant qu’il put. Il fallait attendre, mais en attendant, il voulait la sentir contre lui – vivante.

Elle ferma les yeux.

*

19h40.

L’obscurité commençait à s’infiltrer dans la chambre. Il l’entendit murmurer mais ne décoda pas. En chuchotant, il lui demanda de répéter :

- Qu’est-ce que tu dis ?
- J’ai froid.

La voix de Scully était si croassée – glaçante plus comme la mort que vibrante comme la vie – qu’un frisson hautement désagréable s’amusa à parcourir le corps de Mulder.

Comme réponse, il resserra son étreinte autour du corps de Scully qui gardait toujours les yeux clos.

Elle sembla se rendormir quand on frappa à la porte.

Une infirmière entra et alluma aussitôt la lumière qui aveugla un instant Mulder. Par pudeur, ce dernier décida de se lever. Entre temps, Scully avait ouvert les yeux. L’infirmière s’approcha.

- Le docteur Thomas va arriver.
- Merci, répondit Scully. Merci Trudy.

Mulder attendit qu’elle ressorte pour poser cette même question que celle du début d’après-midi :

- Tu la connais ?
- C’est Trudy. C’est elle qui en début de semaine m’a fait la prise de sang. Je l’apprécie beaucoup.

Mulder ne demanda rien d’autre.

Lui, ne connaissait pas Trudy.

Elle, connaissait Trudy.

Tous les deux savaient.

Les yeux rougis de Trudy avaient parlé pour le docteur Thomas.

*

19h50.

Scully était pétrifiée sur son lit, incapable d’effectuer le moindre mouvement, même oculaire.

Mulder s’accrochait à la fenêtre. Et heureusement qu’elle était fermée sinon il aurait basculé par-dessus.

Ça frappa.

Mulder se retourna.

Docteur Thomas et Interne Emma.

Pas d’ordinateur cette fois. Pas de table ou de chaise qu’on déplace. Juste le docteur Thomas s’avançant devant le lit, un dossier entre les mains, révisant son texte qu’il s’apprêtait à mettre en scène. Emma servant de décor.

Le sifflement d’une bombe lâchée au loin entra en scène. « Il va falloir faire un peu de chimiothérapie Dana… » Tout était déjà explosé et soufflé. Le son n’était plus qu’un étouffement lointain. « La ponction de moelle osseuse a révélé la présence de cellules cancéreuses… » Scully quitta les yeux du docteur Thomas pour partir à la recherche de ceux de Mulder qu’elle ne put trouver. « Il s’agit bien d’une leucémie… » Mulder regardait le sol. « J’ai étudié votre dossier, je ne vous apprendrai rien que lorsqu’il s’agit d’un second cancer, les chances de guérison ne sont plus que de trente pourcents… » Je t’en prie Mulder, regarde-moi. « Votre taux de plaquette se porte extrêmement mal d’où vos saignements répétés… » La voix annonçant l’ombre de la mort parvenait à peine jusqu’au tympan de Scully. Regarde-moi, je t’en prie. « Vos globules rouges sont également au plus bas d’où votre extrême fatigue et la pâleur… » Tu m’avais promis. « Quant à votre taux de globule blanc normaux, il est à la limite de la préoccupation, mais celui-ci tend à se stabiliser, ce qui est par contre une bonne chose… » Mulder ! « Vous êtes enceinte, ce qui rend les choses délicates… » Si toi tu regardes en bas, il me sera impossible de regarder en haut pour atteindre la sortie. Je te fais confiance !

Les pensées de Scully parvinrent jusqu’à lui au moment où elle n’y croyait plus. Non seulement il releva le regard mais il se rapprocha d’elle et s’empara fermement de sa main – vivante !

« Demain, on enchaînera avec d’autres examens et vous commencerez le traitement sur le champ. »

Mulder s’arma du courage et demanda :

- Quelles sont les conséquences pour le fœtus ?
- Elle aura des prélèvements sanguins quotidiens afin de suivre le plus rigoureusement possible l’évolution et les réactions. Il nous suffira d’ajuster les doses du traitement en fonction des résultats. En attendant, l’infirmière de garde prépare votre transfert pour une autre chambre.
- Elle ne peut pas revenir demain matin ?
- Il est préférable qu’elle reste en observation pour la nuit.

Mulder n’insista pas davantage.

Le docteur Thomas sortit, suivi par Emma.

Rideau.

*

21h04.

Scully sortait de la chambre, emboîtant les pas de Trudy qui devait l’amener dans une nouvelle chambre afin d’attendre quatre étages au-dessus du sol – les yeux grands ouverts rivés au plafond – le ciel grisonnant du petit matin.

Elle refermait la porte derrière elle quand son regard fut attiré par le sol. Elle se baissa et faufila sa main derrière le radiateur disposé contre le mur du couloir.

Un peu froissé, masqué par endroits à cause de la poussière incrustée dans la tuyauterie : l’avion de Mulder.

Je ne m’écraserai pas. Je vous le promets à tous les deux.

Elle glissa l’avion en papier dans sa poche, avança, rattrapa Trudy et tourna direction : secteur stérile.

*


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Message  PtiteCoccie88 Lun 21 Jan 2013 - 22:02

11
*

Le hasard est une logique qu’on ignore encore.

EINSTEIN

Samedi 2 octobre 2004.

Son absence était perçue. La dernière chaise adossée contre la fenêtre – place qu’elle privilégiait – restait vide. Il avait l’espoir de la voir surgir : en retard ; peu importait. Sa voix, bien que discrète, relançait toujours le débat au cours des réunions mensuelles du service de médecine spécialisée. Personne n’était en mesure de justifier la désertion du docteur Dana Scully. Le docteur Watson pouvait, peut-être, fournir la réponse, mais celle-ci avait été réquisitionnée en urgence par le docteur Jackson –, une opération délicate ayant lieu en ce moment-même au bloc numéro deux.

08h00 : rez-de-chaussée.

Il remontait vers son bureau situé au deuxième étage. Ce ne fut qu’au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvrirent qu’un mauvais présage s’ancra dans son esprit :

- T’as entendu la dernière ?
- Non.
- Le docteur Scully serait hospitalisée en secteur stérile !
- Celle qui est dans le service de Jackson ?
- Oui. C’est Steeve qui m’en a parlé en salle des casiers. Il a passé toute la nuit en hématologie.

Les personnes porteuses du lugubre message s’éloignaient dans le couloir tandis que l’homme qui tous les jours mettait son âme au service de Dieu, foudroyé par les mots sortis de la cabine, demeurait pétrifié. Depuis quelques secondes, il était condamné à regarder fondre dans le lointain les deux infirmiers. Son regard, soudainement figé par le choc de la nouvelle, se trouvait rempli par une inquiétude grandissante. Sans ces deux voix tombées du quatrième étage avant le ciel, il n’aurait pu songer à une telle excuse pour justifier son absence. Non. Jamais.

- Père Ybarra, salua poliment le chef du service cardiologie tout en rappelant l’ascenseur ayant eu le temps de repartir s’engloutir dans les entrailles.
- Bonjour docteur Weber, répondit l’interpellé, détaché, restant ébranlé par les mots projetés à l’ouverture des portes métalliques –, des mots ne cessant de résonner dans le cœur de son âme.

Les funestes portes s’ouvrirent à nouveau.

- Quel étage mon Père ?
- Quatrième je vous prie.

À l’intérieur, pendant que la machine s’élevait, ses yeux ne cessaient de fixer un horizon lointain où l’espoir se couchait, s’endormant profondément, pour ne plus jamais se réveiller.

*

08h00 : deuxième étage.

Rosa ouvrit l’armoire. Elle exécuta une moue faciale traduisant sa réflexion hésitante. Trop de vêtements. Ces étagères ne représentaient pourtant que deux mois d’hospitalisation. À peine. Sa mère veillait à ce qu’elle ne manque de rien, d’où la surcharge en coton, viscose et polyamide. Et bien sûr, cette dernière privilégiait les couleurs pleines de vie : bleu, rouge, vert, blanc, rose. Or ce que voulait Rosa, en cette seconde, c’était du noir. Il était important de passer inaperçue. Repérant enfin l’objet de sa convoitise après plusieurs seconde d’errance oculaire entre les textiles, elle tendit le bras et s’énerva aussitôt quand elle dû se rendre à cette évidence : elle était trop petite. Faisant volte-face, elle attrapa et porta la chaise qu’elle positionna devant les deux battants ouverts. Pieds nus et s’appuyant sur le dossier avec une main maladroite, de plusieurs centimètres, elle s’éleva dans les airs, se grandissant, l’équilibre des jambes fragilisé par la fatigabilité importante entretenue par son cancer, mais ne renonça pas et posa la main sur une tenue discrète : un jean noir.

Arrachant la perfusion de son poignet, elle se débarrassa de son pyjama et enfila son jean. Puis l’adolescente enfonça excessivement son bonnet noir sur ses yeux tout en prenant soin d’enfermer ses longues boucles blondes à l’intérieur de son gilet : noir lui-aussi. Sa tenue commando en place, doucement, Rosa ouvrit la porte 203. Passant uniquement la tête, par précaution, l’agent spécial débutant vérifia que le couloir était désert. Personne à l’horizon ! À vous Phénix ! Rosa disposait de soixante minutes d’enquête sur le terrain, pas une de plus, avant que les infirmières ne débarquent dans sa chambre pour les soins du matin. Sa mission : retrouver le docteur Scully.      

*

08h00 : quatrième étage.

Le médecin de garde et l’infirmière portaient un masque chirurgical dans le but de garder la chambre aseptisée à son niveau maximal.

- Je repasserai te voir dans la journée, annonça le médecin à Dana. En attendant, veillez-bien à ce qu’elle ne développe pas de complications, adressa-t-il à l’infirmière.

Puis à nouveau en direction de la patiente :

- Nous commencerons la première injection dès que nous aurons les résultats complémentaires permettant de décider quelle sera la meilleure voie d’administration. D’ici-là, il est nécessaire que ton corps reste tranquille après cette ponction du liquide céphalo-rachidien.

Dana ne répondit pas. Les yeux fermés, épuisée par l’angoisse de ce nouvel examen médical touchant déjà à sa fin, ses forces n’étaient plus avec elle.

L’ouverture du sas siffla sous la sortie du médecin. Dans l’aire de séparation entre l’intérieur et l’extérieur, il retira son masque. Soudain, il éprouva de grandes difficultés à contenir le désarroi qui s’était emparé de lui à la seconde – lors des transmissions du service – où il avait lu le nom de la patiente en haut de la feuille d’examen ordonnée par son collègue de la veille. Tant qu’il n’était pas arrivé jusqu’à la chambre, il avait eu cet espoir fou qu’il ne s’agissait pas d’elle. Et puis si elle avait eu le moindre soupçon, le moindre doute sur son état de santé, elle lui en aurait parlé ! Oui. Forcément. À l’université puis durant l’internat, elle lui avait toujours tout dit. Depuis quelques semaines, c’est vrai, il l’avait trouvée distante, ailleurs –, fatiguée. L’espoir fou avait eu la tête tranchée. Dana Scully avait un cancer. Dana, avec qui il avait étudié dix ans la médecine, pour le meilleur et le pire, risquait de mourir. Et il ne pourrait rien y faire.    

Trudy ne put s’empêcher de remarquer la grimace que dessina le docteur Scully quand – Dana ! – elle plongea l’aiguille dans la veine. Juste Dana, c’est Dana maintenant. Pendant combien de jours, de semaines, de mois Trudy devrait se rappeler que le docteur Scully n’est plus là ? Qu’il n’y a plus que Dana.

- Voilà, prévint Trudy finissant la prise de sang qui à partir de ce matin serait quotidienne. Son état général au jour le jour devenant une priorité absolue.

Scully, ouvrant difficilement ses yeux, ne remercia pas. Elle restait silencieuse. Allongée sur le dos, sa tête tournait.

- N’oubliez-pas que vous devez rester allongée au-moins deux heures et de préférence sur le dos. Ainsi l’obturation de la brèche méningée sera facilitée, rappela Trudy.
- Je sais.

Trudy sentit qu’elle voulait ajouter autre chose. Mais l’hésitation provoquée par un tumulte émotionnel ne quittant plus Dana depuis quelques heures arrêta sa voix. Cessant le rangement des ustensiles ayant servi à l’examen médical, plutôt pénible, elle soutint le regard de la patiente afin de l’accompagner jusqu’au bout de sa pensée.

- Je suis médecin Trudy, interrogea-t-elle plus qu’elle n’informa -, dans un rythme qui n’en était pas un, ce dernier ne s’étant pas fait entendre, elle ne respirait pas, le cœur agonisant sous les tressaillements de l’inimaginable se dessinant chaque seconde davantage dans ses pensées.
- Et vous le serez encore pendant très longtemps, rassura Trudy qui invita sa main sur l’épaule de celle qui doutait, Trudy le cœur bancal, car trop d’incertitudes gravitaient dans le corps de Dana.

La porte du sas se fit entendre une nouvelle fois.

La blancheur inquiétante des murs scrutaient le corps de Dana livré à la solitude. Exposée au milieu du champ de bataille, austère tel un traquenard, elle ne savait pas qu’elle disposait d’un bouclier redoutable. Le silence soudain de la chambre qu’elle n’avait pas senti venir la déstabilisa, retournant son estomac, atrophiant le passage de l’air partant des poumons jusqu’en haut, étouffant ses tympans d’une onde sourde et bourdonnante, la somme l’asphyxiant. Elle ne savait pas. Dana, détournant les ordres, se retourna sur le ventre et risqua un regard vers la fenêtre. Mais Rosa saurait. Cette nuit, elle avait réussi à dormir. Sur le ventre, l’estomac se sentait mieux. Encore surprise par un comportement nocturne si inattendu, elle tentait de faire descendre la pression nerveuse grandissant depuis la disparition de sa collègue. De Trudy. Juste Trudy… De l’infirmière pour être dans le protocole. Elle réalisait. Il faisait sombre. Trudy l’avait réveillée pour l’examen. L’esprit est étrange. Il ne souhaitait que dormir. Elle qui dormait si peu en temps moins noir. L’esprit voulait oublier. Le temps bleu était parti. Une brume épaisse, alourdissant la scène du ciel, engloutissait l’espace céleste. Le temps bleu reviendrait-il ? Elle réalisait qu’elle pouvait mourir. Cette nuit, elle n’avait pas rêvé. La pression psychique l’empêchait de respirer. Cette nuit, rien. Les yeux rivés à la fenêtre, sa cage thoracique se bloqua. Cette nuit, le néant. Eux-aussi, les cotons noyés dans la vapeur d’eau semblaient bloqués. Peut-être qu’ils dormaient parce qu’ils n’étaient plus en vie. Ce matin, le ciel était mort. Une goutte salée, chaude et si agréable quand les molécules caressèrent sa peau, glissa sur sa fossette et termina son chemin sur ses lèvres. Dana pleurait. En silence. Aucune crispation. Son visage ne bougeait pas. Bloqué lui aussi. Les yeux bleus brillaient, rougissaient, criaient. Ils avaient peur. Peur de la mort. Mais les larmes prouvaient que même si la surface se raidissait, l’intérieur, lui, vivait encore.

Je ne veux pas mourir.

Progressivement son esprit déconnecta. Ses yeux bleus – sans quitter la fenêtre – tombèrent dans le vide. Son âme avait besoin de souffler pour ne pas devenir folle. Note par note, les émotions de Dana creusaient dans le fond des souvenirs, mesure par mesure, déterrant, remontant, ranimant le violon – où l’âme transmettait les vibrations des cordes au fond de l’instrument – de son grand-père. Une plainte gracieuse, enveloppée d’émotions mises à nues, s’immisça dans le cœur des cellules nerveuses de Dana. L’espace d’un temps, elle reçut l’illusion que les nuages – poussés par l’adagio qu’elle avait toujours entendu chanter au cœur de l’été – ressuscitaient.

*

08h00 : premier étage.

Il attrapa le sac bleu enfoncé dans le bas du placard. Il ne le remplissait pas. Il restait prostré devant les vêtements. Il ne savait pas, il n’était pas elle. Lesquels préférait-elle ? Scully passait plus de temps en blouse blanche qu’en tenue civile. Mais s’il ne remplissait pas le sac bleu, c’était en chemise de malade qu’elle resterait. Et il ne voulait pas qu’elle reste malade. Il voulait qu’elle vive. Et pour cela, Mulder ne devait pas rester immobile, il devait agir pour secourir celle qui ne devait en aucun cas passer sur l’autre rive. Il ouvrit ses souvenirs, ranima les images sauvegardées par l’esprit des jours et des nuits où elle n’était pas dans les murs de cet hôpital : son gilet marine, son jean clair, sa chemise rouge canadienne trop large, son pyjama satiné… Quand ses yeux verts avaient rencontré le réveil du soleil d’automne, l’espace d’un soupir, dans le lit, Mulder avait oublié que sa merveille ne se trouvait près de lui, parce qu’elle était en train de mourir. Il ne voulait pas qu’elle meure. Depuis quelques mois, les instants privilégiés, intimes, comme éternités, sentant l’obscurité, avaient battu en retraite. Mais cette après-midi d’août avait chassé l’affreux rêve, dissipant le doute par une chaleur provenant du plus profond de leur cœur qu’ils avaient fondu l’un dans l’autre. Mulder et Scully s’étaient liés dans une fièvre qu’ils ne s’étaient jamais montrés, car ils n’avaient jamais soupçonné qu’une telle intensité résidait en eux. Quelqu’un ou quelque chose les avaient portés vers les sommets. Mulder était bien décidé à ne pas laisser tomber Scully dans la tombe. Elle ne pouvait pas le quitter ainsi. Il voulait encore entendre son rire enfantin qui chaque matin quand cette femme était près de lui faisait vibrer son âme. Mulder referma le sac bleu.

Il voulait encore entendre l’escalier craquer sous le poids des ailes de son ange. Il voulait aussi entendre le rire du cœur à venir. Étant enfin parvenu au rez-de-chaussée, Mulder enfilait son manteau quand le téléphone posé au centre de la table du séjour attira son attention : il vibrait ; Charles…

*

08h20 : quelque part dans Lady of Sorrows Hospital.

- C’est pas vrai !

Rosa, inquiète, paniquant, crispait ses mains autour de son bonnet. Elle était perdue et ne comprenait rien au plan s’affichant devant elle. Le couloir était désert. Rosa, égarée dans une aile annexe de l’hôpital, cherchait comment faire pour trouver le chemin qui la déposerait au bon endroit. Croyant prendre un raccourci, elle s’était engagée dans une impasse. Elle souffla, offrit un bol d’air à ses poumons pour rassurer son esprit et ferma ses yeux. Plutôt que de suivre les indications, elle suivrait son intuition. Cela marchait à chaque fois.

Quinze secondes plus tard, ses yeux rencontrèrent à nouveau la lumière. D’un pas décidé, sachant comment sortir du labyrinthe, elle rebroussa chemin.

*

08h20 : quatrième étage.

Le Père Ybarra n’entrait pas. Il observait celle qui ne le voyait pas, car ses yeux contemplaient les cieux. Restant derrière la première vitre encastrée côté couloir, il ne comprenait pas pourquoi la mort l’avait choisie elle ? Pourquoi quelqu’un tentait de l’appeler ? Pourquoi encore plus haut quelqu’un avait déjà besoin que ses pieds ne touchent plus la terre ?

Ses pas se trouvèrent brutalement arrêtés pas la présence inhabituelle. Elle n’avançait plus. Ce couloir ne résonnait que trop rarement sous le poids de personnes extérieures au service où les âmes isolées derrière leur prison de verre se soulevaient trop souvent de terre pour rejoindre un ailleurs indéterminé. Il montait rarement jusqu’au dernier étage. Il considérait que leur sort ne dépendait plus de lui, mais d’une volonté invisible et qu’il existait d’autres structures pouvant accompagner ces patients jusqu’à la fin, une position que certains médecins ne partageaient pas, dont le docteur Dana Scully. Trudy pouvait entendre sa propre respiration. Ce bruit régulier en provenance de ses poumons était de loin la marque vitale la plus forte du service. Les autres respirations – celle de l’homme venant voir sa femme, de la femme venant voir son mari, de la sœur venant voir son frère, du Père Ybarra venant voir une âme écartelée entre deux mondes – ne faisaient jamais de bruit. Les hommes, les femmes, les sœurs, les frères, les amis, devant la mort, se dessinant sur le corps de la personne allongée, ne respiraient jamais. Ils étaient bloqués. Ce couloir se métamorphosait au rythme des émotions s’infiltrant dans les murs. En cet instant, fatigue et peur l’habillaient d’une aura sombre et inquiétante. La toge noire du Père Ybarra tuant l’espoir qui survivait dans le cœur de Trudy. Mais Trudy respirait. Alors Trudy arracha les ronces se dressant sur son passage, ressuscita l’espoir et avança ; déterminée à ramener air et lumière dans les prisons de verre. Détenant assez d’oxygène pour en offrir aux autres, elle n’avait pas peur. De plus, si le Père Ybarra se tenait en cet endroit, cela signifiait que l’homme ne souhaitait remettre Dana Scully entre les mains d’une puissance supérieure, ce qui donna à Trudy l’énergie dont tout le monde était privé. Ce dernier semblait désemparé depuis l’instant où ses yeux avaient rencontré le cœur de la chambre.  

- Son admission a été effectuée hier après-midi, s’avança Trudy enfin parvenue à sa hauteur.

Sans porter son regard vers Trudy, il demanda :

- Qu’a-t-elle exactement ?

Trudy sonda le couloir dans lequel ils se tenaient avant de fournir sa réponse. Personne évidemment. Mais le protocole devait être appliqué, partout, sans exception. Le secret médical devait être respecté. Seule la mort s’échappant des chambres pouvait entendre :

- Une leucémie lymphoblastique aiguë de type B.
- C’est la plus standard, ajouta Ybarra, presque soulagé. Quelle est son étendue ?
- Nous ne savons pas encore. Le médecin de garde, David Nelson, a effectué une ponction lombaire tôt ce matin, d’où sa présence en chambre stérile. J’ai donné l’ordre au laboratoire d’analyser les échantillons de Dana Scully en priorité.
- Vous avez bien fait.
- Et…

Même s’il finirait par l’apprendre, Trudy hésitait, et, le temps s’échappait. Ce couloir étouffait sous les aiguilles de l’horloge s’affolant pour rattraper les secondes s’effritant sur le sol titubant sous leurs pieds dès que la mort déployait ses bras pour asphyxier les patients. La mort ricanait, Trudy et les médecins perdaient, parce qu’ils avaient hésité à garder les armes jusqu’au bout du combat. Ils avaient renoncé. Assez ! Trudy voulait gagner.  

- … elle est enceinte.

En cette seconde où les mots de Trudy frappèrent les oreilles du Père Ybarra, l’incompréhension le submergea.

- Ce qui rendra le traitement délicat, voire périlleux, termina Trudy.

Sans décrocher ses yeux de la double-vitre, le Père Ybarra demanda au Seigneur : pourquoi ?

*

08h30 : entre deux étages.

Le sac bleu dans la main, il contemplait défiler les carrés lumineux accrochés au-dessus des portes métalliques. Un défilé extrêmement lent. Ils n’étaient qu’entre le premier et le deuxième étage. Ils –, car elle était avec lui. Il quitta le défilé ennuyant pour concentrer son regard vers la jeune fille au bonnet noir. Son visage, dissimulé sous une couche épaisse de vêtements sombres, lui était familier. Cette dernière l’ignorait, refusait de quitter son monde malgré l’insistance du regard masculin. Ce qui attisa la curiosité de celui-ci. Lui, qui avait étudié de nombreux profils psychologiques au sein de sa carrière d’agent fédéral, sentait que cette jeune fille fuyait ou recherchait quelque chose.

- Nous ne nous sommes pas déjà vus ? engagea Mulder.  
- Non. Jamais ! répondit Rosa d’une voix lunatique et précipitée tout en ne cessant de regarder droit devant elle.
- J’aurais pourtant juré le contraire, insista-t-il volontairement.

La petite lumière s’installa enfin sur le chiffre deux. Mulder réfléchissait. Il dit :

- Tu viens rendre visite à quelqu’un ?
- Non ! Je cherche le docteur Scully.

Le cœur de Mulder se disloqua à l’entente du nom, comprenant instantanément qui se trouvait devant lui. Ces mèches blondes dépassant du bonnet… Il les avait déjà vues. Le jour où il l’avait vue réanimer cette jeune fille, le jour où Rosa était morte. Il se souvenait de son prénom. Scully n’avait cessé de le murmurer au-dessus du corps inanimé. Elle tenait les mains dans les siennes. Le cœur s’était remis à battre.

- Tu es hospitalisée ici, n’est-ce pas ?

Rosa risqua un petit regard vers l’homme qui l’intimidait. Étrangement, la crainte qui l’avait habitée se dissipa quand elle croisa ses yeux. La compréhension instantanée de l’objet de la présence de cet homme, dans cet ascenseur, était identique à la sienne. Elle savait, même si l’identité précise de cet homme restait pour elle assez floue. Tous les deux partageaient la même quête. Cela suffisait à Rosa pour lui accorder sa confiance.

- Tu es la fille de l’autre jour, celle qui a fait un arrêt ? continua Mulder, Rosa ne répondant rien, car trop occupée à le dévisager, mettant Mulder presque mal à l’aise.

Le chiffre trois s’alluma.

Et, parce qu’elle aurait besoin d’aide pour sauver le docteur Scully, Rosa se décida enfin à collaborer avec son interlocuteur :

- Peut-être. Je me souviens uniquement m’être réveillée. Je ne me rappelle pas être morte. Et vous, vous êtes qui ? Un ami du docteur Scully ?
- On peut dire ça… D’ailleurs, est-ce que c’est le docteur Scully qui t’a dit où elle se trouvait ?
- Le docteur Scully m’a dit qu’elle partait en congé, mais elle a oublié de me dire qu’elle était en train de mourir.

Mulder frissonna, un sentiment morbide compressant ses muscles.

- Comment tu sais…

Rosa coupa. Elle ne le laissa pas terminer la matérialisation de sa pensée :

- C’est dans ma tête. Des images. Plein d’images. Elles s’affichent. Je les dessine.
- Quel genre d’image ? demanda Mulder, de plus en plus curieux et déstabilisé.

Rosa, les yeux de nouveau ancrés sur la ligne verticale séparant les deux portes, répondit :

- Des images qui montrent l’avenir.

Mulder hésita. La question qui lui brûlait les lèvres restait dans son esprit. Le chiffre quatre s’illumina. Il voulait vraiment poser la question. Une petite musique annonçant l’arrivée à destination retentit. Mais voulait-il vraiment savoir la réponse ? Les portes s’ouvrirent.

- Est-ce que le docteur Scully est dans tes images ? murmura-t-il, les pieds encore dans l’ascenseur, mais l’adolescente, qui s’était extraite hors de la cabine dès l’ouverture des portes, avait déjà disparu.

Mulder avait hésité. Pour la première fois, Mulder avait laissé le temps s’échapper. Il avait laissé la peur gagner. Il avait peur de la vérité.

*


08h40 : quatrième étage.

- La patiente Dana Scully a été transférée dans un autre secteur, répétait-elle sans prendre soin de relever la tête vers lui.
- Je sais, s’agaça-t-il à son tour, l’inquiétude s’emparant de lui. Vous l’avez déjà répété trois fois et…
- Monsieur Mulder ! interpella Trudy, le reconnaissant au loin. Venez avec moi.

Il ne se fit pas prier et quitta aussitôt cette femme qui s’entêtait à refuser de lui dire où Scully se trouvait. D’un pas rapide, Mulder suivait Trudy qui s’empressa immédiatement d’ajouter :

- Veuillez excuser Martha, son manque d’amabilité n’était en rien dirigé contre vous, ce sont les heures supplémentaires. La fatigue qu’elles engendrent nous font parfois perdre patience et sociabilité.
- Ou détruisent le système immunitaire.

Trudy, surprise, se retourna vers Mulder qui marchait derrière elle, et s’arrêta, touchée par les mots.

- Ce n’est pas ce que je voulais dire, rectifia Mulder. Cette rechute… c’est ma faute, pas celle de cet hôpital.
- Monsieur Mulder, tenta de ressaisir Trudy. Si vous culpabilisez, Dana le sentira et croyez-moi, mon expérience professionnelle m’a démontré qu’il n’y a jamais de coupable. Au-contraire, vous êtes celui qui par votre présence à ses côtés la sauvera monsieur Mulder.  

Elle lui laissa le temps de méditer ces quelques paroles avant de reprendre leur course effrénée. Trudy précisa :

- Par précaution, nous l’avons isolée dans une chambre stérile, mais cela est certainement provisoire. D’après les premiers résultats, son système immunitaire n’a pas encore dit son dernier mot. Et surtout elle a pu y subir une ponction lombaire. Dana ne voulait pas descendre au bloc, ce que je comprends et puis…
- Elle a toujours aimé la discrétion, termina-t-il à sa place.
- Vous avez deviné. Ici au-moins, elle est à l’abri des regards. C’est-à-dire que ce n’est pas tous les jours que nous nous occupons de l’une de nos collègues.
- Une ponction lombaire ? demanda Mulder en quête de précisions.
- Pour mesurer précisément l’étendue de son cancer. Pour savoir si l’atteinte est également méningée. Il arrive d’ailleurs que certains patients, après avoir plutôt bien réagi au traitement, enchaînent avec une rechute isolée, souvent méningée. Dana subira des ponctions régulières.

Mulder ne répondit pas. Mulder venait voir Scully. Comme tous ceux qui venaient voir, Mulder ne respirait plus.

Trudy se retourna une nouvelle fois vers lui, consciente de la violence qu’elle lui infligeait.

- Gardez espoir monsieur Mulder. La détection précoce de son cancer est un don du ciel.
- Un don, reprit Mulder, aigri.

Trudy réalisa qu’elle s’était mal exprimée. Cette dernière restait persuadée que le hasard n’existait pas. Ils arrivèrent devant la chambre. Le Père Ybarra n’était plus là. Juste avant de lui donner les consignes afin de respecter l’environnement particulier dans lequel il s’apprêtait à pénétrer, elle décida de le lui rappeler :  

- Vous avez mis la vie en elle. Ne l’oubliez jamais.

*

08h45 : où une âme songe à Dieu.

Le sifflement s’immisça dans le tympan qui n’était pas étouffé par l’oreiller. On ne pouvait pas ouvrir les fenêtres. Hermétiquement protégées, rien ne filtrait –, sauf la lumière. La grisaille avait fini par s’échapper, délivrant la perçante pureté bleutée tant espérée. Égarée dans sa rêverie, elle n’accorda aucune importance à l’intrusion, persuadée qu’il s’agissait encore de Trudy. Elle préférait songer – les yeux plongés dans la scène du tableau bleu – à un ailleurs où les terreurs n’existaient pas, où jamais personne ne descendait tout en bas.

- Bonjour, dit-il légèrement décontenancé – la voix filtrée par le masque que l’infirmière lui avait dit de revêtir dans le sas – car la situation était loin d’être inédite.

Ce n’était pas Trudy. Il lui avait semblé que l’éternité s’était installée depuis la veille au soir où il était rentré à la maison sans elle.

- Mulder ! se retourna-t-elle aussitôt, regrettant instantanément son enthousiasme, un violent maux de tête se faisant pressentir.
- Ça va ? s’inquiéta-t-il, s’approchant doucement pour ne pas décupler l’atmosphère écrasante et d’une épaisseur terrible que rien ne pouvait soulever.
- Oui. C’est… la ponction lombaire, expliqua-t-elle les yeux fermés. Je me suis redressée trop vite. Ce n’est rien.

Scully emprisonnant sa tête dans ses mains resta quelques secondes sans bouger. Assise, immobilisée par sa tête tambourinant à faire perdre connaissance, Scully avalait sous la contrainte les premiers cris que les traitements déclencheraient quotidiennement en elle. Mulder ne paniqua pas. Dans un calme que la tempête ne pourrait déchaîner, il maintenait l’angoisse au large. En aucun cas, Mulder voulait prendre le risque de perdre Scully dans l’horizon. Il devait la maintenir à bord. Doucement, il s’assit sur le rebord du lit, attendit de voir ses traits se détendre, ses mains libérer ses cheveux, et sa bouche s’entrouvrir, signe qu’elle recommençait à respirer, pour dire sans respirer :

- J’ai donné tes affaires à Trudy qui les a mises dans ta nouvelle chambre.
- Je vais encore changer ? murmura-t-elle, la voix affaiblie par l’étourdissement trônant encore autour d’elle.
- Apparemment.

Délaissant complètement sa tête, elle ouvrit ses yeux. Ce n’est qu’en cet ultime croisement de leurs âmes qu’elle remarqua sa tenue.

- Le bleu te va bien.

Elle dessina un sourire. Il lui prit la main.

Hier, il avait porté une blouse à usage unique pratiquement similaire, mais hier n’était pas aujourd’hui. Hier, Mulder et Scully avaient eu cet espoir insensé qu’elle n’était peut-être pas malade. Hier, les petits détails n’avaient pas encore autant d’impact. Hier, le temps et les apparences étaient encore noyés dans le quotidien aveuglant. Mais aujourd’hui, la moindre couleur avait son importance. Les couleurs repoussaient les douleurs. Le bleu était la lueur du rêveur. Le bleu était le diamant dans les yeux de cette femme.

- Merci.
- Tu ressemblerais presque à un chirurgien.
- Presque.

Il préféra aborder le sujet tout de suite. Il fallait lui dire parce qu’il fallait leur dire.

- Juste avant mon départ de la maison, ton frère a tenté de me joindre. Je n’ai pas décroché. Il a laissé un message. Charles s’inquiète pour toi.

Mulder tenait toujours la main de Dana, mais celle-ci avait détourné sa tête. Il continua :

- Tu devrais appeler ta mère.
- Non ! réagit-elle fermement, toujours accrochée au ciel bleu.
- Scully…
- On va s’en sortir, se persuada-t-elle. Tu verras, enchaîna Scully, la voix soudainement mal assurée. Ils ne se rendront compte de rien.

Elle abandonna le ciel pour embarquer les yeux verts avec elle et sceller la promesse :

- Il n’y a rien Mulder.

Mais ce dernier, percevant l’embuscade dans laquelle les ennuis risquaient de tomber en rafale, refusa de signer l’accord.  

- Scully ! C’est non.

Intérieurement paniquée, elle détourna encore le regard, cherchant une nouvelle solution dans le vague.  

- Imagine un instant qu’il s’était agi de Mélissa ! Est-ce que tu aurais accepté qu’elle te dissimule une telle chose ?
- Ma sœur est morte, répondit-elle sans desserrer les dents.

Elle lui en voulait. Il ne voulait pas rentrer dans son jeu.

- Scully. Regarde-moi.

Il entreprit de caresser sa main afin d’apaiser le visage criblé par la peur qui avait mené à la colère. Le silence se fit. Dans un sursaut incontrôlé de l’imagination, elle se vit crier dans la pièce !, hurler au visage de Mulder ! Elle voulait se débarrasser de l’angoisse. Le silence ne partait pas. Mais Mulder ne renonçait pas. Puis, peu à peu, il vit la clarté s’emparer des yeux de celle qu’il aimait et dont le corps était partagé entre la vie et la mort.

- Moi aussi, ma sœur est morte, rappela-t-il avec sobriété.

Déstabilisée par l’évocation de Samantha, elle revint vers lui, les yeux rougis. Tous les deux partageaient la même douleur.

- Je ne voudrais pas infliger cela une seconde fois à tes frères. En ne prévenant pas ta famille, c’est comme si tu t’enterrais vivante.

Elle réfléchissait. Elle préparait un nouvel accord. Il glissa :

- Mais je veux bien attendre pour la grossesse.

La grossesse… Elle avait failli oublier. Cela lui paraissait si factice, tellement illogique, qu’elle n’y croyait toujours pas vraiment. Les yeux dans les yeux, elle dit :

- Charles. J’avertis juste Charles.

Du temps. Voilà ce qu’elle cherchait. Gagner du temps pour apprendre à se battre. Le jour où elle saurait se battre, elle serait à la hauteur pour affronter la détresse de Bill, et de sa mère. Parce qu’elle en avait besoin pour ne pas tomber, il décida de lui offrir le privilège d’organiser ce temps supplémentaire selon ce compromis. Il dit :

- J’accepte.

*

08h58 : quatrième étage.

Il n’avait pas pu la retenir. Elle avait bondi sans aucun signal. Elle avait déjà ouvert le sas. Pieds nus, elle courait dans les couloirs. Elle ne connaissait pas très bien le quatrième étage.

- Scully ! cria Mulder.

Elle ralentit sa course et se mit à déambuler d’un pas incertain, sa trajectoire déviant régulièrement.

- Scully ! rattrapa Mulder, lui saisissant le bras. L’infirmière a dit que tu ne devais pas te lever !

Elle ne l’entendait pas. L’air égarée, les yeux concentrés dans le vide, elle murmurait.

- Qu’est-ce que tu dis ? demanda-t-il, n’entendant que des bribes de mots.

Elle parlait si bas. Il ne comprenait pas ce qu’elle cherchait.

- Tu vas attraper froid avec cette simple chemise de nuit. Retournons dans la chambre ! tenta de convaincre un Mulder moyennement rassuré.

Mais il comprenait qu’elle paniquait. Sa voix se fit plus audible.

- J’étais persuadée qu’il y en avait une ici.
- De quoi ?

Elle releva la tête vers lui et redonna une consistance à l’intérieur de ses yeux bleus. Elle revenait à la réalité. Presque, car d’une voix étrange – en apesanteur – elle posa une question inattendue :

- Où est-donc ton costume de chirurgien ?  
- J’ai tout laissé dans le sas, répondit-il à la question, étonné devant cette demande si particulière. Est-ce que c’est grave ?
- Oui. Si tu n’es plus chirurgien, tu ne pourras plus me sauver.
- Scully… réagit-il, triste.
- Je suis désolée Mulder, craqua-t-elle aussitôt.

Il l’engouffra immédiatement dans ses bras. Elle plongea aussitôt sa tête contre son torse. Il caressait ses cheveux. Elle agrippait ses épaules. Il embrassa sa tempe. Elle paniquait. Il restait calme. Les battements du cœur de Dana restaient forts et précipités. Mulder demanda :

- Qu’est-ce que tu cherchais ?

La voix déformée par ses lèvres posées contre le pull de Mulder, elle dit :

- Une cabine téléphonique. J’ai oublié mon portable dans l’autre chambre. Il me faut une cabine téléphonique pour appeler Charles.

Touché, Mulder redonna liberté au corps de Scully. Il voulait voir son visage.

- Quand je disais qu’il fallait que tu appelles ta famille, je ne voulais pas dire appelle-les tout de suite. Cela peut attendre demain Scully.
- Sauf que demain, ça sera peut-être trop tard. Demain, je serai peut-être morte ! lâcha-t-elle d’une voix qui sur le dernier mot dérapa dans un sanglot.

L’enfonçant à nouveau dans ses bras, il la serrait encore plus fort. Les yeux embués de larmes, il prononça :

- Je t’interdis de dire ça Scully ! Tu m’entends. Je te l’interdis.
- J’ai si peur Mulder.
- Je suis là. Tu paniques. Le contraire aurait été anormal. Et parce que tu réagis, cela prouve que tu es vivante. Vraiment vivante. Tu ne mourras pas Scully.

Soudain, il sentit ses mains frêles relâcher ses épaules. Son corps se fit aspiré par le bas. Sous ses mains à lui, il la sentit fondre. Une angoisse terrible terrassa l’estomac de Mulder. Il hurla :

- Infirmières !

Scully s’était évanouie.

*

Monsieur Mulder ! Trudy avait reconnu sa voix. Elle et sa collègue, guidés par les appels au secours de l’homme, n’avaient mis que quelques secondes à se réunir autour de Scully dont le corps avait été doucement déposé au sol par Mulder.

Au bout de plusieurs minutes, celle-ci commença à reprendre connaissance.

Trudy, alertée par des pleurs étouffés dans son dos, abandonna sa collègue et l’aide-soignant arrivant avec un fauteuil roulant.

Dissimulée derrière un chariot, elle sanglotait. Trudy, elle qui descendait souvent en pédiatrie pour y faire des animations, la reconnut sans la moindre difficulté.

- Rosa ! chuchota-t-elle tout en se penchant à sa hauteur. Mais qu’est-ce que tu fais là ? ajouta-t-elle, ne pouvant cacher son étonnement.

L’adolescente n’écoutait pas. Elle parlait toute seule. Les genoux remontés contre sa poitrine et les mains serrées autour d’eux, Rosa basculait mécaniquement son torse d’avant en arrière. Elle devait canaliser la torpeur s’emparant de son cœur pour ne pas éclater son esprit dont l’extrême lucidité l’effrayait constamment.

- Je ne comprends pas ce que tu dis Rosa. Il faut que tu articules, conseilla Trudy.

Le visage angélique défiguré par la terreur, elle accepta enfin de croiser le regard de l’infirmière. Et d’un aplomb sans faille, elle révéla :

- Quand l’enfant naîtra, elle mourra !

La compréhension ne traversa pas tout de suite Trudy. Mais elle savait que Rosa était un être différent. Elle percevait des choses que la plupart des personnes ne percevraient jamais. Sa tumeur cérébrale était un des symptômes de sa différence. Trudy en était intimement convaincu. Mais ce ne fut qu’au moment où elle suivit le regard de Rosa – dirigé sur celle qui s’était effondrée sur la terre – qu’elle comprit entièrement.

*

09h00.

Quand l’enfant naîtra, Scully mourra !
*


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Message  PtiteCoccie88 Ven 15 Mar 2013 - 21:53

12
*


Dans toutes les larmes s’attarde un espoir.
[Simone de Beauvoir]

Maybe there’s hope.
[The Truth]


Dimanche 3 octobre 2004 – 7h34.

Los Angeles.

Les portes vitrées de l’aéroport s’ouvrirent dès qu’elles détectèrent sa présence. Avec lui, une petite valise contenant le stricte nécessaire dont il se servait pour toutes les nuits où il dormait à Tokyo. Ce ne fut qu’au moment où il traversa la voie destinée au stationnement des taxis qu’il plongea sa main dans la poche de sa veste de commandant de bord. Il libéra son téléphone portable et entreprit de le rallumer. Le ciel était en train d’immerger, plus plongé dans la nuit que le jour. Il atteignit enfin le parking du personnel où sa voiture était garée depuis deux jours et qui lui permettrait de rejoindre sa femme et sa fille. Mais aucun appel. Rien.

Dans la voiture, ses yeux regardaient l’horizon sans véritablement discerner ce qui se mouvait devant lui. Il grilla un feu rouge sans s’en rendre compte. Les rues désertes du quartier résidentiel aux volets et portes closes accentuèrent le fait qu’il ne s’en rendrait jamais compte. Les premiers rayons perçaient entre les allées larges et boisées d’un feuillage rougeoyant. L’aura automnale défilait au-dessus du pare-brise, le soleil s’imposant réchauffait son visage malgré son cœur qui restait inquiet. Le décor demeura immuable sur plusieurs mètres jusqu’à ce qu’il tourne à droite. Ce n’était pas une rue mais un chemin dont le bout semblait dissimuler un passage à l’existence secrètement préservée. La forêt embrasait les deux bords de la route. Aucune autre voiture ne vint déranger son parcours qui maintenant se hissait sur les hauteurs de la ville. Le dernier virage se matérialisa et la propriété, gardée par un portail noir en fer forgé laissant dévoiler un vaste terrain de verdure, se révéla.

La voiture parcourait les dalles tandis que le portail se refermait derrière lui. Il arrêta le moteur sous la tonnelle reliée à la maison et dans un bruit qui ne devait pas en être un, sa femme et sa fille dormant à l’étage supérieur, il ferma la portière. Seul le sifflement du boîtier électronique accroché aux clefs de la berline résonna.

Il décida de faire le tour. Il ne voulait pas emprunter l’entrée principale, ni la porte du cellier entre la tonnelle et la cuisine. La baie vitrée était légèrement ouverte. Seul un œil averti pouvait remarquer qu’un léger filet d’air s’immisçait à l’intérieur du salon. La nuit, Janis prenait toujours soin de laisser une petite ouverture. Le matin, elle aimait sentir la fraîcheur doucement naturelle envahir la maison. Il n’entra pas tout de suite. Les yeux fermés, il huma l’humidité verdâtre, l’air vivifiant envahissant ses poumons. Il cherchait une connexion. Avec sa sœur. Il espérait lui faire parvenir un peu d’oxygène au cœur de son corps. Elle n’avait pas appelé depuis la tentative d’avortement. Malgré un visage serein ancré dans la profondeur du jardin, il était agité. Elle n’était venue qu’une seule fois. Elle avait dit : « Tu devrais faire une piscine ! » Il avait souri. Elle avait ri. Plongé dans une douloureuse contemplation, il sursauta. Quelques secondes furent nécessaires avant qu’il ne glisse sa main dans sa veste. Le nom qu’il lut envoya une vague de sérénité au creux de ses membres et dans lesquels se trouvait, dans les profondeurs, une angoisse grandissante. C’était le calme avant la tempête.

« Oui. »

« Non, je suis à la maison. »

« Et. »

« Oui je t’écoute. »

La tempête. Bientôt.

« Hospitalisée ? »

Sa main se crispa autour du téléphone.

« … »

L’autre lâcha la valise.

« … »

La nausée écœura la gorge et le corps se disloqua.

Quand le ciel se réveillerait, serait-il clair ou sombre ? Avant que lui-même ne le sache, le ciel, Dana venait de lui envoyer la réponse.

« Depuis quand. »

Dans la tempête, le ciel n’est jamais bleu.

« Mercredi » il répéta.

Sa voix perdait sa consistance. Il luttait. Ne rien faire entendre. Mais sa gorge commençait à brûler, l’air était bloqué.

« Mais peut-être que je suis compatible. »

La réalité changeait. Elle devenait floue. Noyée. La température plus chaude sur ses joues que l’air froid du jardin quand tout le monde dort le perturba. Sa main libre sous ses yeux, il comprit qu’il pleurait.

« Qu’est-ce que c’est ce bruit ? »

Il ne regardait plus, c’est la nature qui le regardait et le noyait dans un ouragan d’incertitudes où la mort engouffrait les corps fragiles au moindre déséquilibre.

Il raccrocha. Elle ne lui avait pas laissé le temps de lui dire au-revoir. Elle avait juste eu le temps de lui dire qu’elle devait l’abandonner. L’infirmière, Trudy elle avait dit, était entrée dans la chambre. Elle était en train de brancher la chimiothérapie.

C’était ça le bruit. La mort s’immisçant dans les cellules pour les ressusciter ou les foudroyer à tout jamais.

Il oublia sa valise dehors. La baie vitrée entièrement poussée, il erra un instant dans la pièce. Sans but guidant ses pas, il sentit l’équilibre l’abandonner. Il cherchait une falaise, il voulait qu’ils sautent ensemble, lui et Dana, pour retourner dans le monde à l’endroit, car en haut c’était le gouffre. Prenant le vase devant lui, il l’étrangla de toute sa force et le propulsa sur le carrelage sur lequel il explosa. Ses poumons se remirent en marche. La colère s’éloignait. Il releva la tête et sursauta à l’intérieur de lui. Il ne l’avait pas remarquée, mais elle était là, sur la première marche de l’escalier.

- Je t’ai réveillée, murmura-t-il, triste.

Elle ne répondit pas. Elle le regardait, elle n’était pas effrayée. Elle voulait comprendre la colère qui, elle le savait, n’était qu’un déguisement pour cacher la douleur. Il s’approchait. Elle parvint enfin à découdre ses lèvres :

- J’étais déjà réveillée.

Il s’assit près d’elle. Elle n’avait que dix ans, mais il le savait, elle comprenait déjà beaucoup de choses. Trop peut-être. Il reconnaissait en elle un peu de sa sœur : une potion redoutable d’angoisse, de lucidité et d’insouciance dès que les pieds ne touchaient plus la terre, mais le ciel, là où l’enfance et les rêves ne meurent jamais. Elle n’avait pas vu sa tante depuis deux ans et il croula dangereusement sous cette pensée qui le martelait, celle qu’elles ne se reverraient peut-être jamais. Emmitouflant la chevelure blonde et soyeuse, il pria pour que Dana soit encore vivante à Noël.

- C’est tout cassé, articula-t-elle, soudainement préoccupée, puis elle quitta les débris des yeux dont certains avaient atterri jusque sous ses pieds et le regarda. Est-ce que tu es triste ?
- Oui.

Sa question avait été posée avec un aplomb qui lui avait interdit de mentir sur la réponse.

- Je t’aime papa.

Et aussitôt elle s’engouffra dans ses bras afin de diffuser la paix matinale, qu’elle ressentait dès qu’elle se réveillait, dans le corps de son père.

Charles n’était plus triste, il serrait sa fille qui, par ses mots, avait coupé la monstrueuse réalité. Georgia un court instant avait remis le monde à l’endroit.

*



10h44.

Lady of Sorrows Hospital.

Elles tombaient, s’engouffraient dans le tuyau et remontaient jusqu’au cathéter plongé dans le corps. Les yeux rivés sur la pochette plastifiée qui la dominait de toute sa hauteur, Scully comptait les gouttes bleues, qui une par une, toutes les cinq secondes, faisaient le grand saut pour la sauver, ou la tuer.

Il la regardait. Assis sur une chaise adossée à la fenêtre, il tentait d’entendre ses pensées. Le vert dans ses yeux n’avait jamais été aussi concentré pour ne pas se faire surprendre. Rien. Scully comptait pour canaliser son énergie destinée à anéantir toute forme d’intelligence au cœur de ses connexions neuronales. Tuer l’esprit pour mieux faire survivre les corps. Voilà pourquoi Mulder n’entendait rien, car elle ne pensait plus, elle dénombrait. À quelques mètres du lit, il n’osait effectuer le moindre mouvement au risque d’éventrer l’équilibre qui s’était noué en l’espace de quelques minutes. Trudy avait installé le traitement hautement nocif à la manière d’une simple perfusion, sauf qu’au-lieu d’alimenter en nutriments, en vitamines, en anesthésiant, il provoquerait douleurs, vertiges et nausées. En attendant, l’incertitude sur l’avenir de Scully régnait et Mulder tentait de comprendre pourquoi l’absurdité existait dans le monde réel. Ce jour où l’absurdité s’était déployée devant ses yeux, ce jour-là, il avait cessé de douter pour ne plus croire. Dès le départ, il avait su que sa sœur était morte, qu’il ne la reverrait jamais, et seul l’espoir de réécrire l’histoire l’avait maintenu dans cette quête acharnée que lui-même s’imposait. Une impasse dans laquelle il avait endigué Dana, qui en ce moment de vie, était la matérialisation de cette absurdité. Et l’absence de significations n’apporte jamais de réponses, uniquement des questions en renouvellement exponentiel tendant vers l’infini.

Un rire le surprit. Sa concentration n’était pas si exemplaire. Victime de l’échappée lunaire pour mieux revenir sur terre. Le rire, nerveux et incontrôlé, continuait. Le vert qui s’était perdu dans des songes qui n’en étaient pas, car la mort n’est pas un rêve, se replaça au centre de la chambre. Le bleu toujours accroché aux pulsations liquides plongeant depuis trois heures, elle ne comptait plus, elle riait.

- Scully, prononça prudemment Mulder, inquiet.

Pas de réponses. Juste ce rire douloureux.

- Scully, recommença-t-il, abandonnant la chaise pour s’approcher.

Une douce chaleur s’immisça sur son corps, ce qui lui donna la volonté de se retourner. Ses lèvres riaient mais ses yeux pleuraient. Mulder avait posé sa main sur son épaule.

Mulder ne murmura plus. À entendre, le rire est parfois plus atroce que les larmes à regarder. Trudy avait prévenu Mulder. Entre deux secousses, elle dit :

- Je voudrais pleurer, je ne veux pas rire !

Et aussitôt, le silence revint, les déstabilisant tous les deux. Elle, écarquillant le bleu fauché par la surprise de ses émotions contradictoires. Lui, assombrissant le vert sous la tristesse qu’elle lui communiquait dans toute sa violence. Le traitement agissait sur les cellules nerveuses, il les malmenait, les retournait, les jetait sur le sol. Il les foudroyait. Si l’euphorie s’emparait d’elle, ce n’était qu’un costume pour exprimer la souffrance, et il ne restait plus qu’elle, car toutes les autres, la peur, la détresse, la colère, la raison, toutes étaient déjà mises dans la terre. Personne ne les entendait, elles criaient, mais les ondes sonores se trouvaient étouffées par le rire aux larmes de l’absurdité. La majorité des patients, dès les premières heures du traitement coulant dans les veines, déstabilisaient leurs proches en leur exposant une réaction hilare. Certains dévoraient, d’autres remuaient en permanence, et puis il y avait ceux qui comme Scully échappaient à la norme, parce qu’ils allaient trop vite. Le costume du rire était depuis longtemps déchiré avant même d’avoir été essayé en entier. Sur son visage, il ne restait plus que l’ombre des larmes.

Elle saisit sa main et le regarda droit dans les yeux. L’instant parut durer une éternité pour Mulder. Il ne savait plus comment faire pour soulever la situation vers un ailleurs moins atroce. Il voulait l’emmener avec lui, mais elle était reliée à cette perfusion et à ce cathéter qui malgré le pansement dissimulateur au-dessus de sa poitrine restait angoissant. Ils n’étaient jamais partis en vacances. Pourquoi se rendre compte de ces choses uniquement lorsque la situation est critique ? Et ce fut là qu’elle lui demanda, en silence : leurs deux mains jointes, elle les plaça sur le matelas. Délicatement, Mulder se hissa sur le lit et enveloppa son corps dans ses bras. Elle ferma les yeux, mais ses membres tremblaient. Il remonta la couverture jusque sur ses épaules, mais elle tremblait toujours. Lui, il ne fermait pas les yeux. La chambre n’était pas la même. Personne ne pouvait les observer, hormis l’oiseau dans le ciel. Le médecin, David, avait dit aussi qu’elle était déjà en rémission. Cela arrivait, et puis la rémission qui s’arrête, cela arrivait aussi. Plus besoin de blouse bleue pour protéger son système immunitaire. Il avait ajouté jusqu’à nouvel ordre. Il avait surtout dit : « Tout va bien là-haut. » La ponction lombaire était négative. Et en bas ? Dans le ventre ? Pendant combien de temps le ventre irait-il aussi bien que dans la tête ? Scully lui avait parlé de David. Elle avait dit qu’ils avaient fait leurs études ensemble. Maintenant qu’elle le disait, il se rappelait qu’elle avait eu connaissance d’un poste vacant en pédiatrie dans la région par son intermédiaire. Il y a un an et demi, elle avait dit ancienne connaissance. Hier soir, elle avait devancé sa question qui lui avait brûlé les lèvres. « Non. » David ne s’était jamais marié et ne se marierait jamais. Dès ses vingt ans, il avait pris la décision de dévouer sa vocation aux autres. Grand, mince presque maigre, il ne quittait jamais l’hôpital. Mulder comprenait l’origine de cette brûlure sur ses lèvres. David et lui, ils étaient pareils. Elle aurait pu tomber amoureuse. Elle aurait pu… Mais Scully était un électron libre. Elle avait eu besoin de changer, elle avait voulu sortir de l’hôpital, elle l’avait trouvé, et il était tombé amoureux. Mulder était le seul à détenir l’attraction suffisante pour l’extirper des griffes des blouses blanches. Il lui avait ordonné de retourner à la médecine, elle avait refusé. Elle était tombée amoureuse. Son corps tremblait toujours. Il la serra encore plus fort. Mais le nouveau tremblement ne fut pas arrêté et la peur, grande et désarmante, gagna Mulder. Il hésita. Faire venir l’infirmière pour réguler le traitement ou…

Ses paupières se troublèrent sous la paume imprévue saupoudrant son front d’une caresse apaisante. L’extrémité de ses doigts redessinait ses sourcils et ses lèvres s’entrouvrirent timidement sous le passage de sa main qui plongea délicatement dans le creux de son cou avant de remonter derrière son oreille emmitouflée dans la rousseur qui l’abandonnerait, peut-être… Et dès l’instant où elle ne sentit plus sa main contre son visage, la peur s’empara de son esprit, le bleu rencontrant la lumière, elle chercha le vert. Sa main descendait sous les couvertures. Il n’avait pas quitté son visage depuis le commencement. Il ne voulait pas lui faire peur. Elle réalisait qu’elle ne tremblait plus. Alors, elle accepta de lui laisser terminer le chemin, mais à deux. Le bleu ne tombait pas, il s’accrochait au vert, et leurs deux mains, enlacées, descendirent. Elles s’attardèrent un instant en haut de la poitrine où s’enfonçait dans les profondeurs du corps une toxicité redoutable, dans le creux des seins elles glissèrent sans s’arrêter, sur l’estomac elles firent une escale. À quel moment s’était-elle arrêtée de trembler ? Elle ne trouvait pas la réponse. Avec grâce, ils rapprochèrent leur front. Maintenant, de ne pas trouver, elle s’en fichait. Scully voulait juste ressentir… la vie en elle. Ensemble, pour l’ultime étape, ils fermèrent leurs yeux. Son souffle contre ses lèvres, des semaines qu’il ne l’avait pas senti aussi proche des siennes. Leurs fronts collés, l’estomac fut abandonné et la chemise de nuit soulevée par la main de Mulder sur laquelle s’agrippait celle de Scully. Toutes les deux se posèrent sur le ventre. Mulder et Scully étaient arrivés. Les yeux se rouvrirent, ils se contemplaient. Elle caressait sa main, il couvait la vie. Et lentement, elle rapprocha ses lèvres. L’espace d’une faille temporelle, le rire non absurde du mois d’août vibra dans leurs tympans pour instantanément s’éclipser, aspiré à nouveau dans les trésors du passé. Les murs de l’hôpital s’évanouirent, la perfusion aussi, sa robe bleue qu’il aimait tant se dessina sur le corps de Scully, et le parfum de l’herbe printanière envahit le sol. Le scellement ne dura que quelques secondes, mais suffisamment longtemps pour que ce baiser lui donne l’illusion qu’il l’avait arrachée au sanctuaire glacé.

En ouvrant les yeux, le bleu un peu ailleurs, elle chuchota :

- Merci.

Mulder ne répondit pas. L’ombre de la mort, branchée quelques centimètres au-dessus de leurs têtes, l’avait frappé au cœur dès qu’il avait à nouveau rencontré la lumière. Il l’enlaça avec soin contre son torse pour qu’elle y trouve un refuge. Il voulait lui épargner la vision d’horreur qu’elle avait observée durant trois heures. Sur le chemin – leurs deux mains ne cessant de garder la vie dans le ventre – ils étaient trois. Et Mulder tremblait sous l’inconnue retenue au-dessus de leurs têtes, cette retenue oubliée trop souvent, et qui risquait de rendre l’avenir vide, car il n’y aurait plus de Scully. Et oublier la mort conduisait inéluctablement à une erreur de calcul. Si l’une des inconnues venait à disparaître de l’équation, celle-ci resterait sans solutions, vide, et là où il y a du vide, il y a la peur, la tombe et la mort. Dans l’ensemble vide, il ne subsiste qu’un équilibre rompu où le sanctuaire glacé ne se métamorphose jamais en jaillissement de lumière. Regarder la mort avec courage était ce qui lui permettrait de rebondir en cas d’impact. Scully, elle, ne savait plus comment faire pour se propulser à nouveau dans l’air et les songes. Même s’il doutait, il serait là pour lui offrir l’élan. Depuis cette après-midi d’août, il avait commencé à la propulser dans cet ensemble, plein, bleu, là où les âmes volent en liberté et respirent sans angoisse, mais ni lui, ni elle, ne savaient que pour trouver la solution, le développement devrait progresser jusqu’à la dernière étape.

*


Lundi 4 octobre 2004.

Rosa regardait Trudy supervisant l’atelier de l’après-midi. La jeune fille avait choisi la peinture. Mais sa toile restait blanche. Elle ne voulait plus esquisser l’avenir. Elle ne voulait pas voir la peur qu’elle ressentait déjà trop clairement à l’intérieur de son corps. Elle ne voulait pas la voir en dehors d’elle. Trudy la remarqua. Tous étaient occupés, sauf Rosa qui errait dans le vide de sa toile. Et l’éclatement du bocal de perles répandues au sol par la maladresse soudaine de Sarah ne perturba en rien son égarement dans les limbes de la préoccupation.

- Rosa.

Trudy s’était approchée, mais rien. Pas de Rosa. Étrangement, celle-ci maintenait depuis le début son pinceau, sans peinture, à hauteur du pupitre. Elle était prête à exécuter le mouvement de l’artiste, mais rien. L’infirmière posa la main sur le poignet de l’adolescente qui sursauta.

- Rosa, répéta-t-elle. Tu étais encore dans la lune.

La jeune fille eut envie de sourire, mais n’exécuta rien. Ne pas bouger, ne pas dessiner, ne pas sourire, ne pas respirer, car quand on respire, cela signifie que le temps marche, or si le temps marche, le présent s’effrite et l’avenir qui fait peur surgit. Cet avenir se déployait dans la terreur pour envahir l’aura du docteur Scully. Et Rosa ne voulait pas qu’elle meure. Il était donc nécessaire d’arrêter le temps. Sans respirer, elle demanda :

- Comment va-t-elle ?

Trudy n’eut pas besoin de précisions, elle savait qui était « elle ».

- Comme toi au début : parfois elle rit, parfois elle pleure.

Appelée par Tom qui demandait un conseil pour l’atelier poterie, Trudy dut s’éloigner.

En réponse, Rosa murmura :

- Comme moi : parfois les deux en même temps.



La luminosité diminuante, la salle flottait dans une douceur ocre dessinant l’échappée du soleil de l’autre côté de l’équateur. Et pourtant, c’est lorsque qu’il disparaît qu’il envahit l’espace, gorgeant les pièces d’un or apaisant, mais parfois cet or déclenche la tristesse. Trudy rangeait l’atelier, les patients étaient retournés dans leurs chambres. Mécaniquement, elle s’apprêtait à replier le tréteau qui avait supporté la toile de Rosa quand elle réalisa qu’il remplissait toujours sa fonction. Rosa avait-elle oublié ? Ou Rosa avait-elle abandonné ? Elle était doublement surprise. La jeune patiente n’avait pas dessiné normalement, elle avait dessiné avec des mots. Trudy ne put retenir le couteau d’angoisse qui lui transperça le ventre. En cette seconde, elle souhaitait ne jamais avoir appris à lire. Les mots qu’avait prononcés Rosa, au quatrième étage avant le ciel, frappèrent à nouveau son esprit. Elle mourra, elle mourra, quand il naîtra, elle mourra, l’enfant, elle mourra, quand, elle, il, mourra, naîtra, STOP ! Cette fois-ci, ils étaient écrits, et dès que Rosa inscrivait à l’encre, l’avenir devenait éternellement présent. Trudy, dans un accès de terreur, arracha la toile et sous sa force, le papier se broya.

Rosa s’obstinait à voir l’avenir destiné à la fatalité. Trudy luttait pour voir l’espoir jaillir des entrailles de la création.

Rosa n’avait pas oublié, elle avait abandonné.


Mardi 5 octobre 2004.

Il était trois heures du matin et l’endroit était désert. Seule l’ombre de Mulder errant dans la pièce perturbait la noirceur qui s’arracha brutalement dès l’instant où sa main rencontra l’interrupteur. Elle avait faim. Cette nuit, elle n’avait pas voulu qu’il parte. Le traitement commençant à se faire ressentir au creux de l’estomac, elle n’avait pas mangé le repas du soir. Dans le fauteuil, il avait posé son corps sans dormir. Depuis deux jours, le matin, le bleu s’infiltrait dans ses veines et transformait l’intérieur. Bientôt, l’extérieur lui aussi serait transformé et Mulder redoutait ce changement. Ses yeux s’arrêtèrent sur le rail où la fraîcheur enveloppait les aliments. Dans la chambre, ils avaient sonné l’aide-soignante, mais trente minutes plus tard, rien. Il avait dit je descends à la cafétéria, elle avait dit non, il avait coupé la parole, elle avait tenté de l’imiter, il avait haussé le ton, il avait dit je descends te chercher à manger et elle avait soupiré. Il prit un yaourt aux fruits et des madeleines qu’il fourra dans sa poche. Sa main était sur le point de rencontrer à nouveau l’interrupteur quand il fit volte-face pour prendre la cuillère qu’il était en train d’oublier, et le noir retomba

Les portes n’étaient pas encore fermées et il hésitait. Il choisit le deux et l’ascenseur s’engagea dans des mètres plus élevés, là où des cheveux en or dormaient sur un oreiller où une lumière bleutée se reflétait. La porte de la chambre 203 n’était pas fermée. En se retournant, Mulder réalisa que la porte de Rosa n’était pas la seule à tenir un œil ouvert sur le couloir silencieux.

- Tu dors ?
- Non.
- Hé Rosa, tu dors ?

...

- Elle dort Max.

Et Mulder comprit pourquoi les portes restaient ouvertes. Dans la chambre, moulée dans un croissant lunaire, une veilleuse reposant sur la table de nuit déployait une douce lumière bleue dans l’espace. Sarah avait raison, Rosa dormait.

Un indice.

- Sarah, tu dors ?

N’importe lequel.

- Non Max, je dors toujours pas.

Il cherchait.

- Sarah ?

Ses yeux rencontrèrent le carnet dépassant des couvertures.

- Quoi encore ?

Et il trouva. Le plus discrètement au monde, il le souleva et l’ouvrit. L’avenir tant redouté se dessina à lui. Une seule esquisse se trouvait crayonnée. Quelques débris de papier blanc emprisonnés entre les spirales témoignaient d’un arrachage précipité de toutes les autres pages.

- Je peux venir dormir avec toi ?

Dans l’un des rabats du carnet, une pochette était dissimulée, mais aucun dessin n’était réfugié à l’intérieur.

- Mais si on dort tous les deux dans la même chambre, tu me promets qu’on sortira ensemble de l’hôpital ?

Mulder aurait aimé trouver des traits représentant la vie.

- Promis ! Et on emmènera aussi Rosa !

Les traits de la mort envahissaient le visage de Scully. Il remarqua la date inscrite en bas à droite. Depuis Vendredi, Rosa ne voyait plus l’âme du docteur Scully, car les yeux mis en relief par le fusain étaient clos, définitivement –, ce qui l’empêcha de remarquer la dame rouge logée dans les ailes, immenses, de la dame noire.

Mulder referma le carnet pour le remettre à l’endroit où il l’avait déniché et disparut dans l’ascenseur là où personne ne voyait l’eau submerger l’émeraude.

Avant que les portes ne se referment sur lui, il entendit :

- Et le docteur Scully aussi on emmènera ! Je ne veux pas partir sans le docteur Scully !

Ils ne s’étaient pas trompés. Rosa dormait véritablement. Ou plutôt avait dormi. Depuis plusieurs jours, la mort écrasait tant l’avenir qu’elle n’avait trouvé que cette solution : oublier sur le tréteau ; abandonner ; ne plus rien posséder pour ne plus rien perdre ; déchirer tous les dessins où la mort apparaissait pour la faire disparaître, comme si elle ne l’avait jamais dessinée, et si elle ne l’avait jamais dessinée, cela signifiait que la mort ne serait jamais une création et donc, qu’elle n’existait pas sur la terre. Mais le sommeil plongeant la conscience entre le rêve et la réalité, dans le noir bleuté, l’éclair de compréhension submergeant son esprit pour lui ouvrir les portes de l’avenir, elle l’avait senti. Puis violemment ses yeux s’étaient ouverts pour prononcer : Et le docteur Scully aussi on emmènera ! Ses mains soulevèrent l’oreiller et ses bras serrèrent le puzzle où la pièce vitale manquait. Elle le sentait toujours, l’espoir, même quand ses pas disparurent dans le couloir.


Mercredi 6 octobre 2004.

Le téléphone vibra sur le rebord de la table. Il s’en empara et sortit dans le couloir. Elle dormait. Il avait décroché pour elle.

- Oui ?
- C’est Charles…

Mulder fournissait les réponses aux questions de ce frère soucieux, elle mange un peu, elle dort beaucoup la journée, elle se sent bien, elle n’ose pas sortir dans le parc, elle ne veut pas rencontrer ses collègues, en fait elle ne réalise pas trop, elle ne dort pas la nuit, des réponses qui provoquaient en eux de nouvelles questions en chaîne qu’ils préféraient garder secrètes encore un peu, quand sortirait-elle, combien de temps durerait le traitement, l’enfant et la mère survivraient-ils ?

Le couloir de l’hôpital croulait sous l’éblouissement des néons et les chuchotements des infirmières dérangeaient les murs tandis que le salon de Charles, plongé dans la nuit car les lumières étaient éteintes, étouffait sous les cris poussés en silence d’un homme qui succombait à l’angoisse de perdre la sœur qui lui restait. Au loin, depuis son poste de travail, Trudy observait cet homme qui passait jour et nuit au chevet de l’âme qu’il aimait, et, sur la première marche de l’escalier, la petite fille dévisageait son père dont les mains, par désespoir, frappaient contre la baie vitrée.

À présent, c’était l’espoir contre le désespoir ou la grande dame noire contre la petite dame rouge.

*


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Message  PtiteCoccie88 Ven 24 Mai 2013 - 20:28

13
*


“Are you lost or incomplete?
Do you feel like a puzzle, you can’t find your missing piece?
Tell me how you feel?
Well I feel like they’re talking in a language I don’t speak
And they’re talking it to me.

In the future where will I be?”

COLDPLAY, Talk.


Jeudi 7 octobre 2004

La porte était fermée, et le docteur Ingrid Wallas se trouvait au bloc opératoire. Ses pas l’avaient amené devant le bureau des deux médecins. Le Père Ybarra, soucieux, ne put s’empêcher de lire à voix basse le patronyme du Docteur Dana Scully gravé sur une petite plaque dorée fixée sur le mur, à droite de la porte. Le Père Ybarra redoutait que des mains, dans un futur qui ne serait plus virtuel, soient obligées de décrocher cette plaque ; non parce qu’elle aurait démissionné, mais parce qu’elle serait morte.

*

Dès que ses yeux croisèrent la jeune fille, dans le couloir, elle arrêta sa marche. Et ici, la porte était ouverte. S’avançant sur le seuil, elle dit :

- Si tu te mettais à ton bureau, ne serais-tu pas mieux installée pour dessiner ?
- J’ai toujours préféré travailler par terre.

La jeune interne pénétra dans la chambre.

- Ton état de santé s’améliorant de façon exceptionnelle depuis quelques jours, tu devrais en profiter pour sortir dans le parc, Rosa.

Mais Rosa ne releva pas la tête. Les conseils propulsés dans l’air retombèrent aussitôt.

- Rosa, est-ce que tu m’écoutes ?

Pas de réponses et pas de regards. Elisa Stevenson se retrouvait dans la position forcée d’observateur, poste qui permit à son esprit de remarquer la différence. Les traits restaient toujours aussi abstraits, mais l’atmosphère n’était plus morte, elle était vivante.

- Depuis que tu es ici, c’est la première fois que tu utilises des couleurs Rosa !

Elle releva enfin la tête, mais sans sourire.

- Êtes-vous déjà allée au Japon ?

Mais ses yeux brillaient. Il y avait bien une étoile à l’intérieur.

- Euh… non Rosa.

La vitesse avec laquelle s’était animée la bouche de l’adolescente déstabilisait encore l’interne. Son corps était si immobile.

- Pourquoi ?
- Je m’en doutais…
- Où est donc l’intérêt de la question ? demanda Stevens intriguée.
- Je voulais juste valider mon hypothèse.
- Très bien, répondit l’interne esquissant un sourire chaleureux.

Maintenant, Rosa ne quittait plus ses yeux.

- Je vais y aller, d’autres patients m’attendent, enchaîna-t-elle. Le docteur Jackson ne devrait pas tarder.

Mais Rosa était déjà repartie. Rosa avait replongé dans la bulle. Ses chaussures étaient sur le point de franchir la ligne fragmentant la chambre et le couloir quand :

- Les âmes ayant besoin de renaître vont au Japon. Le Docteur Scully est une de ces âmes…

Si le corps était immobile, seul l’extérieur l’était…

Au moment où Rosa avait prononcé son nom, le cœur d’Elisa avait reçu un pincement qu’il ressentait encore. Le service, en entier, retenait son souffle pour Dana Scully. Les nouvelles étaient rassurantes, le mot « rémission » avait été prononcé, mais.

Une main posée par surprise sur son épaule avait cessé brutalement ses pensées.

- Père Ybarra, salua-t-elle tout en terminant de s’avancer définitivement dans le couloir. Et une dernière fois, elle se retourna pour dire : - au-revoir Rosa.

Pas de réponses, mais elle savait qu’elle avait entendu.

- Etiez-vous en train de parler du Docteur Scully ? questionna le Père Ybarra.
- Rosa, seulement Rosa parlait d’elle… répondit Stevens à voix basse.

Et que s’ils ne s’éloignaient pas de l’entrée de sa chambre, elle entendrait encore.

- Venez, invita-t-elle.

Répondant positivement à la proposition, il entreprit de la suivre. Tous les deux s’extirpèrent du couloir qui déboucha sur la balustrade surplombant le hall d’entrée principal.

- Où en est le traitement ? questionna-t-il.
- La première injection de chimiothérapie est terminée. La prochaine n’aura lieu que dans quinze jours.

Du deuxième étage, le défilé du personnel et des familles paraissait moins réel, plus étouffé ; mais ce n’était qu’un artifice.

- Il vient la voir tous les jours, précisa-t-elle.

Leurs yeux s’étaient portés sur l’homme, préoccupé, gravissant depuis le rez-de-chaussée l’escalier central éclairé par un immense vitrail rougeoyant et bleuté à travers lequel des rayons brillants s’engouffraient.

- Certaines nuits, il reste même dormir, ajouta-t-elle.
- Préparez une décharge de sortie qui prendra effet dès demain matin et dites au docteur Thomas que cette initiative vient de ma part.
- En êtes-vous bien sûr ? s’inquiéta Stevens. Ne serait-il pas préférable qu’elle reste en observation encore quelques jours ?
- J’ai vérifié le dossier du Docteur Scully en arrivant ce matin et l’adresse mentionnée par elle-même lors de son recrutement l’année dernière ne se situe qu’à vingt minutes d’ici. Au-moindre souci, l’une de nos équipes mobiles pourra immédiatement se rendre sur place, convainquit-il.
- Très bien, sembla-t-elle rassurée. Et concernant la surveillance quotidienne ?
- Fournissez à cet homme…
- Monsieur Mulder ! avait-elle coupé sans pourvoir se retenir.
- … la liste des infirmières à domicile exerçant dans le secteur, finit-il de recommander.
- Ce sera fait le plus rapidement possible, promit-elle.

Le Père Ybarra reprit, plus sombre :

- Le Docteur Scully passait déjà beaucoup trop de temps dans cet hôpital. Rendons-lui le peu de liberté qu’il lui reste…
- Oui mon Père, acquiesça-t-elle une nouvelle fois tandis qu’il venait de se faire approcher par une famille en recherche d’espoir.

Les derniers mots prononcés résonnaient dans la tête et broyaient la gorge. Il avait dit : qu’il lui reste. Et le docteur Stevens, comme tous les autres membres de Lady Of Sorrows Hospital savaient, par expérience des faits passés, que le Père Ybarra se trompait beaucoup trop rarement sur l’avenir des patients suspendus entre deux mondes, car le monde noir était, est, et serait toujours vainqueur.

*

Elle n’était jamais vraiment consciente lorsque le crayon frémissait. Ce n’était qu’une fois l’œuvre achevée qu’elle décryptait ce que son esprit voulait révéler à elle, et aux autres. Rosa aimait cette sensation, où la magie semblait être le cœur du processus. Le docteur Stevens avait eu raison. Depuis la veille, les couleurs du pays du Soleil Levant irradiaient le grain immaculé. Et parce qu’elle n’était jamais vraiment consciente, Rosa ne put s’apercevoir que le noir s’immisçait à nouveau au cœur du dessin. Quand ses yeux détectèrent enfin le changement, il n’y avait déjà plus une seule place pour le jaune et le rouge. Et sa réaction extérieure imita à la perfection le séisme bouleversant sa paix intérieure. Ses mains, puis tout son corps se mirent à trembler, le bleu de ses yeux se retrouvant gorgé par les larmes…

Rosa, depuis quelques heures avait compris qu’elle avait fait une erreur d’interprétation, elle avait confondu. Cette prise de recul avait ouvert la propagation d’une onde rassurante dans toutes les directions de son petit corps, puis les couleurs chaudes et apaisantes l’avaient envahie, la soulevant, la propulsant à plusieurs mètres de hauteur, elle était si haute qu’elle avait cru attraper l’aura d’espoir.

Illusions.

La prophétie restait toujours valable. Mais la vie dans les entrailles et la mort dans le sang n’y étaient pour rien. Là avait été l’erreur. Seule Scully était responsable.

Les jambes en tailleur, le dos se courbant, les paumes au devant d’elle frappèrent le sol à deux reprises. Non…

*


Vendredi 8 octobre 2004

Son visage s’était creusé soudainement. C’était venu d’un coup. On dit que la mort vient d’un coup. Nous la sentons mais, elle ne prévient jamais de la survenue du dernier virage tombant dans la terre froide. Des cernes apparaissaient sous ses yeux et la peur détruisait le corps pendant que celui-ci construisait la vie. Dans la voiture bleue qui la ramenait à la maison, Dana regardait défiler les arbres. Depuis qu’ils avaient quitté l’hôpital, elle n’avait rien dit, et faisait en sorte de ne pas croiser ses yeux qui surveillaient plus elle que la route. Depuis quinze minutes, Mulder crispant ses mains sur le volant matérialisait l’étouffement intérieur du corps de Scully dont les organes se retrouvaient broyés, car l’angoisse l’irradiait. L’espace d’un instant qui déjà n’existait plus, Mulder avait voulu libérer une main du volant pour l’appliquer sur celle reposant sur le tissu du fauteuil passager, une main beaucoup plus fine, mais aussi beaucoup plus blanche. Mais il ne l’avait pas fait. La détresse silencieuse absorbait l’oxygène circulant dans le corps de Dana, mais aussi celui s’évaporant autour d’eux. Il n’y avait plus d’air. Et Mulder pouvait le démontrer, car lui aussi il ne respirait plus. Si sa main était venue s’enlacer dans la sienne, il aurait pu faire déborder l’eau qu’il voyait à l’orée des yeux bleus se reflétant au cœur du verre de la vitre. Dana ne respirait plus, car elle ne voulait plus pleurer, prenant ainsi le risque d’exploser son corps. Et Mulder n’aimait pas faire pleurer Scully. Alors il la laissait détourner la tête, fuir des yeux qu’elle noyait à force de les maintenir prisonniers dans l’eau, et les arbres n’étaient pas vraiment des arbres, plutôt des formes abstraites jaunes et rouges déformées par la vitesse. Ce ne fut que lorsque la voiture quitta la trajectoire principale pour tourner dans un chemin étroit qu’elle replaça son attention droit devant elle. Ils étaient arrivés chez eux.

Elle l’observa descendre de la voiture et ouvrir le portail. Devant leur maison, elle n’eut pas la patience d’attendre que le bruit du moteur redevienne silencieux pour exercer une forte pression sur la poignée lui permettant de se libérer de l’habitacle en acier.

Ses poumons arrachèrent l’oxygène s’offrant soudainement à eux. Ils n’avaient pas bu depuis des semaines, depuis ce matin où le sang avait profané l’email du lavabo. Le trajet en voiture avait légèrement déstabilisé son estomac, engourdissant son corps et faisant remonter un goût âcre et renfermé jusque dans sa bouche. Dana avait mal au cœur. Pour la seconde fois, elle offrit une inspiration profonde à son corps tout entier. Les cylindres s’arrêtèrent définitivement et la portière côté conducteur claqua. Quand Mulder referma le coffre, leur jardin replongea dans le silence absolu. Seuls les bruissements de l’herbe se pliant sous ses pas parvenaient à leurs oreilles. Il avait déjà vu son frère, Charles, humer la nature de cette façon, comme s’il la découvrait pour la première fois. Il ne l’avait vu qu’à trois reprises depuis qu’il connaissait Dana, mais il avait compris qu’il suffisait d’observer la sœur pour apprendre à connaitre le frère. Mais lui, Mulder, plus personne ne pouvait apprendre à le connaître, car Samantha était morte. Dana ne devait pas mourir, car Mulder le savait parce qu’il le vivait, cela éteindrait une partie de son frère. Parvenu à la hauteur de celle qui lui tournait le dos, avec la plus grande précaution, il enlaça un bras autour de sa taille, elle sursauta quand même, et l’invita progressivement à cesser cette contemplation du soleil de midi qui n’en était pas une –, les yeux de Dana n’ayant été pas un seul instant émerveillés par le spectacle de l’automne en fuite, car les arbres de leur jardin avaient déjà perdu toutes leurs feuilles. Mulder dit :

- Elles sont tombées d’un coup.

Elle parla :

- De quoi ?

Il précisa :

- Les feuilles.

Puis il insista légèrement sur sa taille afin de l’orienter vers le perron qu’il fallait gravir pour entrer à l’intérieur.

L’odeur était différente. Il comprit qu’elle était perturbée. Depuis la cuisine où il était parti ouvrir les volets dans le but de faire entrer un peu plus la lumière dans le salon, d’une voix forte il expliqua :

- Charles m’a dit que tu aimais la fleur d’oranger ! Alors j’ai acheté de la fleur d’oranger.

Quand il revint, il retrouva Dana où il l’avait laissée : debout près du canapé, elle ne bougeait pas. Elle murmura :

- De l’encens.
- Oui… confirma-t-il d’une voix qu’il voulait très douce. Pourquoi tu ne m’as jamais dit que tu aimais la fleur d’oranger ?

À sa plus grande surprise, son visage se dérida enfin, et elle lui offrit une moue presque apaisée, mais c’était parce qu’elle pensait. Et quand elle réfléchissait, Dana se retrouvait toujours en accord parfait avec elle-même. Elle répondit, l’étonnement l’envahissant presque :

- Je ne sais pas Mulder.

Il attendit un peu pour sonder son regard. Il n’osa pas déposer sa main jusque sur sa joue même s’il en avait très envie, car elle pourrait fuir, et Mulder n’aimait pas faire fuir Scully. Canalisant la pulsion gorgée de tendresse, de peur, mais surtout d’amour, il lui demanda :

- Y-a-t-il encore beaucoup de choses que tu ne m’as encore jamais dites Dana Scully ?

Même si elle ne laissa rien paraître, Mulder ressentit la déstabilisation que ses dernières paroles venaient de lui insuffler. Une nouvelle fois, elle répondit :

- Je ne sais pas Mulder.



Le silence, lui aussi, répondait. Mulder inspira autant qu’il put pour contenir sa déception. Il aurait tellement préféré qu’elle choisisse une autre réponse, car son je ne sais pas voulait dire laisse-moi tranquille. Alors, il obéit en grimpant l’escalier afin de la laisser tranquille et de déposer dans leur chambre les affaires de Scully prisonnières du sac bleu. Un sac qu’il faudrait refaire dans quinze jours. Il aurait aimé qu’elle s’exprime, qu’elle se confie à lui, qu’elle lui fasse confiance, comme avant. Il y quatre ans, Margaret Scully avait prévenu Mulder : « Dana est si secrète. » Une chose était et resterait à jamais indéniable, Scully, comme partenaire au sein des X-Files, avait été le meilleur allié qu’il n’avait jamais eu. Par son apparence si indémontable, plus d’une fois, devant leurs supérieurs hiérarchiques, elle avait sauvé leurs deux postes. Mais aujourd’hui, cette attitude n’était plus nécessaire. Alors pourquoi ? L’autre jour, quand pour la première fois, ce qui la sauverait peut-être ou ce qui la détruirait peut-être avait commencé à circuler dans son sang, elle avait ri, mais ce n’était pas elle, c’était la chimio. Pourquoi avait-elle attendu aussi longtemps avant de partager avec lui les terreurs provoquées par la maladie s’infiltrant, mais aussi par la vie s’installant au cœur du ventre ? Elle avait choisi de franchir la ligne rouge avant chaque nouvelle qui pour Scully – il le savait car ses yeux parlaient pour elle – étaient toutes deux mauvaises, mais pas pour Mulder où l’une des deux était miraculeuse. Mulder qui priait, même s’il était un croyant atypique, pour que l’enfant soit la solution de l’équation. L’enfant à venir était l’aura d’espoir. Mais en attendant, Scully était brisée. Depuis William. Et pour que l’aura brille dans le cœur de la mère, Mulder devait, en amont, réconcilier Scully avec elle-même. L’amour qu’il avait pour elle serait la soudure pour remettre sur pied l’âme en morceau, mais personne ne pourrait marcher à la place de Scully. Aujourd’hui, si elle restait indémontable, c’était pour se sauver d’elle-même. Mais si elle se sauvait d’elle-même, cela voulait dire que Scully ne serait plus là bientôt, or Mulder ne voulait pas que Scully ne soit plus là. Si nous ne sommes plus là, c’est parce que nous sommes morts.

Quand il redescendit dans le salon, elle était toujours là, mais elle ne se tenait plus debout. Assise sur le canapé, Scully était occupée à tresser ses cheveux en une longue natte qu’elle positionnait sur l’épaule. Mulder ne put s’empêcher de penser qu’elle ne pourrait plus faire cela, peut-être… Il décida, lui-aussi, de s’asseoir sur le canapé. Il avait gardé sa veste, mais elle savait déjà pourquoi. Sur le parvis de l’hôpital, juste avant de rejoindre la voiture, il lui avait dit qu’il irait faire des courses, alors il lui avait demandé si elle avait besoin de quelque chose en particulier ; elle avait dit non. Pendant que ses mains finissaient d’enrouler l’élastique autour des pointes rousses, il reposa la même question, et elle répondit la même réponse.

- Si jamais tu as un problème ou n’importe quoi d’autre ou rien que pour entendre le son de ma voix, tu m’appelles ! ordonna-t-il plus qu’il ne conseilla.

Le médecin avait dit qu’elle était en aplasie. Mulder était très inquiet. Et afin de paraître le plus autoritaire possible, il libéra le téléphone portable du sac de Dana reposant par terre et le positionna bien devant elle, sur la table basse. Ce ne fut qu’un faible hochement de tête, de bas en haut, qui lui permit de s’assurer qu’elle l’avait bien écouté. Et cette fois-ci, il n’arrêta pas la pulsion, pas une main mais deux, enlacèrent le visage de Dana Scully.

- Je t’aime.

Non seulement elle n’avait pas fui, mais elle avait fermé ses yeux dès la fraction de seconde où son esprit avait décodé les paroles murmurées pour refouler la sensation qui réussissait malgré le barrage à s’immiscer doucement sous les cils, puis sur les joues. Quand elle rouvrit les yeux, les mains chaudes de Mulder enlaçaient toujours son visage glacé. L’eau s’infiltrait, mais le barrage tenait. Mulder voulait détruire la résistance rendant passif le corps dans le seul et unique but de provoquer la révolte de celui-ci. Pour gagner contre la maladie, il était stratégique de la bousculer, où la cristallisation qu’elle s’imposait finirait par la faucher. Le cristal est fragile. En plus son cristal à elle était déjà brisé. Et les cellules cancéreuses, elles n’hésiteraient probablement jamais à ensevelir pour étouffer les organes et faire fuir Scully dans le monde noir.

*

Elle ne savait plus. Il faisait jour. Elle s’était redressée violemment, pourtant elle n’avait pas fait de cauchemars. Dans la pièce, la luminosité était forte. L’égarement la cernant dans toutes les régions de son cerveau, ses yeux partirent à la recherche d’un autre indice. Le magnétoscope affichait 14h12. Le plaid qu’avait posé Mulder sur ses épaules glissa au sol. Elle savait à nouveau. Ils étaient sortis de l’hôpital, elle était chez elle, et elle s’était endormie. Elle calcula. Quarante-cinq minutes. Elle n’avait dormi que quarante-cinq minutes et pourtant, sa tête lui donnait la fausse perception  qu’elle avait dormi durant des jours. Elle ne l’avait pas non plus entendu partir. Etait-il revenu ?

- Mulder ?

Elle fronça les sourcils. Elle ne savait plus non plus quel jour il était.

- Mulder ?

Non. Balayant des yeux et des oreilles tout l’espace, le silence possédant sa propre maison lui fit presque peur. Rien que pour entendre le son de ma voix, tu m’appelles… Toute seule. Non il n’était pas là. Mais elle voulait se débrouiller toute seule. Vendredi ! Nous étions vendredi trouva-t-elle enfin. Et elle avait terriblement faim. Une douleur immense recouvrait son estomac terrassé par des vagues de crampes incessantes. Elle posa ses pieds sur le sol et attendit quelques secondes ainsi, assise sur le canapé. Quand elle sentit que son cœur était prêt pour l’effort physique consistant à passer de la position assise à debout, elle se dressa sur ses jambes. Son cœur frappa tout de même contre sa poitrine, il manifestait son mécontentement en noircissant la réalité s’offrant à Dana. Cinq secondes furent nécessaires pour déchirer le voile noire tambourinant à l’intérieur de la tête et ramener la lumière permettant de rendre visible la réalité. Puis elle avança. Mais pas dans la cuisine. Vers la stéréo située près du téléviseur. Dans la caisse posée à même le sol, sa main plongea sous une multitude de compacts disposés en vrac. Elle aimait faire cela. Laisser au hasard décider pour elle. Quand sa main remonta à la surface, elle reconnut la pochette avant même de lire le titre. Le sifflement assourdi et mécanique du mouvement rectiligne résonna. Elle ouvrit le boîtier et posa le cercle plastique et métallique sur le lecteur qui exécuta à nouveau son petit sifflement dès qu’elle appuya sur la touche lecture.

Dans la cuisine, elle comprit pourquoi Mulder avait dû partir faire des courses. Depuis des mois, elle ne partageait que très peu de repas avec lui, sauf le mardi où il venait la voir sur son lieu de travail. Pour tous les autres repas, elle les prenait à l’hôpital, quand elle avait le temps de les prendre et quand elle avait surtout envie de prendre le temps. Le bourdonnement du néon accroché sur la dernière étagère du réfrigérateur envoya un léger étourdissement au niveau de ses tempes qui se dissipa dès qu’elle referma la porte. Scully réalisa qu’elle abandonnait la maison depuis des mois. Qu’elle avait abandonné Mulder… Dans le bac à légume, elle avait prit une tomate qu’elle nettoyait sous l’eau chaude. Elle ne voulait pas l’abandonner. Mais… « Aïe ». L’eau était maintenant trop chaude. Le robinet subitement éteint, elle décrocha une feuille de papier absorbant qu’elle enveloppa autour du légume… Elle l’abandonnait quand même. Elle l’aimait. Bien sûr qu’elle aimait. Pour elle-même Scully était une énigme ; un puzzle auquel il manquait des pièces. Son comportement l’effrayait dès qu’elle ne trouvait pas la source de l’angoisse. Elle attrapa une assiette et la sortit du placard. S’installant à la table collée contre le mur de la cuisine étroite et longiligne, elle commença à fendre la tomate en rondelle. Pendant dix ans, jamais elle n’avait adopté un tel comportement auprès de lui. Que se passait-il ? Un coulis clair de tomate se répandait en cercle dans l’assiette. C’était elle qui avait décidé d’arrêter la médecine pour entrer dans la police fédérale, mais ce n’était pas elle qui avait décidé de fuir du jour au lendemain ; c’était Mulder. Pendant un an, elle avait été désarçonnée devant ce changement brutal, puis elle avait pris de l’assurance. L’été qui venait de s’écouler avait été pour elle le plus bel été… de toute sa vie. Et la grossesse avait éradiqué la sérénité en une nuit. Pas le cancer, car le cancer, elle connaissait. Or la grossesse non désirée, elle ne connaissait pas. Elle versa un léger filet d’huile d’olive et commença à porter à sa bouche la nourriture. Elle avait tellement faim. Plusieurs minutes avaient été nécessaires pour découper la tomate, mais moins de soixante secondes l’avaient été pour l’engloutir. L’estomac semblait n’avoir rien perçu. Il réclamait encore. Dana sourit, car elle crut qu’elle allait bien. Et puis comme elle l’avait déjà pensé, le cancer elle connaissait. La première fois, il ne l’avait pas tuée. Elle sortit une nouvelle tomate du réfrigérateur et mit le gaz en route. Dans le congélateur, elle avait trouvé un steak haché. Elle détestait la viande rouge pourtant, mais son corps criait si fort que ses goûts culinaires ne faisaient aucun poids face à celui qui se déchaînait d’une manière inattendue. Si fort qu’elle se demandait si un jour il arrêterait de crier avant que son cœur ne cesse de battre. La margarine bruissait dans la poêle et les projections redoublèrent d’intensité quand elle jeta la viande sur le téflon. Sur le four, elle regarda l’heure : 14h28. Elle souriait encore, Mulder serait certainement très heureux de la découvrir ainsi. Elle était en rémission. Encore trois ou quatre injections de chimiothérapie et il n’y aurait plus de cancer. Tellement plus rien qu’elle n’aurait même pas besoin d’avertir son autre frère, Bill, et sa mère. Et la grossesse ? Il restait encore huit mois. Elle avait largement le temps de s’adapter au changement prochain. Dana se crut sauvé. Dans l’assiette, la fourchette éventra la viande qu’elle mélangea avec la tomate pour dissiper le goût infect du fer pour lequel son corps aurait pu tuer afin de parvenir à ce dont il avait envie. Et la fulgurante bouffée d’écœurement la soulevant ramena atrocement la lucidité. Comment avait-elle pu être aussi aveuglée ? Elle était médecin ! Non, elle ne l’était plus. En cet instant, Dana savourait la puissance destructrice du traitement. Oh mon dieu, parvint-elle à gémir juste avant de porter la main à sa bouche. Elle entendait ses patients lui parler des effets secondaire. Elle avait pensé que cela ne pourrait jamais lui arriver, que pour elle, la fausse fringale ne resterait qu’une vieille légende. Elle s’était trompée. Le cancer, elle ne connaissait pas bien. Et l’euphorie soudaine aurait dû la mettre en alerte. Elle n’avait pas le temps de monter à l’étage et se rua dans ceux de la chambre d’amis, là où en une nuit, la chute libre s’était engagée.

*

Il reconnut tout de suite. Concerto pour piano n°1 : opus 23 en sol mineur, “allegro con fuoco”. Du Tchaïkovski. Et il remarqua tout de suite l’anomalie. La porte de la chambre d'ami était ouverte. Peut-être avait-elle voulu s’y allonger ? Elle n’avait plus de forces pour monter les marches. Les courses dans les bras, progressant à travers la pièce, il ne discerna aucune masse étendue dans l’obscurité. Elle n’était pas sur le lit. La préoccupation prenait déjà naissance tandis qu’il s’orientait vers la cuisine pour décharger ses bras étouffés. L’assiette froide entamée non terminée et le piano s’emballant dans un capharnaüm de cordes, de cuivres et de vents firent s’effondrer l’intérieur des sacs se fracassant contre le carrelage.

S’arrêterait-elle la chute libre ?

Elle était recroquevillée contre le mur. Accroupie. Les yeux en pleurs. Ce n’était pas une vision d’horreur comme celle étouffant nos cauchemars, c’était une vision réelle comme celle asphyxiant notre avenir. La musique était finie. Elle releva la tête vers lui et déchira ses cordes vocales malgré sa voix presque inaudible :

- J’ai cru que ça ne pourrait pas m’arriver…

Il préféra ne pas l’interrompre. Il s’approcha et descendit à sa hauteur.

- J’ai cru que j’y arriverais toute seule Mulder…

Il enlaça ses mains qu’il porta à ses lèvres. Il y déposait un baiser qu’il ne voulait jamais arrêter. Et c’était difficile à faire, leurs mains tremblaient.

- Mais je me suis trompée ! avoua-t-elle d’une voix s’expédiant dans les tonalités hautes.
- Je sais, réussit-il à lui dire, car ses yeux à lui aussi tombaient dans les griffes des larmes.

Les sanglots la submergèrent. Et le désespoir défigura leurs visages à eux deux. Ce n’était pas une âme qui avait besoin de se reconstruire pour ne pas mourir, mais deux. Mais lui, Mulder, n’était pas encore en chute libre, alors il la hissa dans ses bras et la libéra de cette pièce où elle était déjà tombée. Jamais il ne lâcherait Scully. S’ils tombaient, ce serait ensemble, et lui seul ressentirait l’impact, rapide, violent, tellement rapide qu’elle ne se rendrait jamais compte de rien. Dans l’escalier les éloignant du vide, elle avait mis ses mains derrière sa nuque. Elle s’accrochait à lui, elle ne voulait plus tomber. La porte de la chambre grinça et le parquet craqua. Délicatement, il l’allongea sur leur lit.

- Merci, prononça-t-elle.

Il s’avança jusqu’à la fenêtre et referma les rideaux. Leur chambre plongea dans une douce couleur violacée. Quand il revint vers elle, il s’assit sur le rebord du lit où la place était libre. Elle avait déjà fermé ses yeux. Sa main se déposa sur son front qui gardait encore les marques de sueurs créées par le déferlement qui avait retourné son estomac et son cœur.

- Tout à l’heure, j’appellerai l’infirmière.

Elle ne répondit pas.

Sa main quitta son front et descendit rapidement sur son bras sur lequel il eut le temps d’y exercer une pression rassurante. Au bout, il trouva ce qu’il cherchait ; sa main. Elle ne dormait toujours pas, ce qu’elle lui fit savoir en glissant ses doigts à l’intérieur des siens. Elle les serra de toutes ses forces, si fort qu’elle se fit mal.

Quand il referma derrière lui la porte de leur chambre, Mulder resta quelques instants à contempler la cage d’escalier. Il réalisa pour la première fois qu’il avait peur. Ses mains tremblantes, dans la salle de bain, l’avaient trahi. Il priait pour qu’elle ne se soit rendu compte de rien. Qu’il était complètement pétrifié, il ne fallait pas qu’elle sache. C’était à son tour de se montrer indémontable.    

*

20h05

Dans son bureau, il sortit la liste qu’il leur avait été fourni par l’hôpital et composa le premier numéro inscrit tout en haut.

C’était une femme. Elle avait dit qu’elle pourrait venir tous les jours, et ce dès demain matin. Mulder l’avait remerciée. Elle avait dit : c’est mon travail.

*

Samedi 9 octobre 2004

10h02

Dès qu’elle vu apparaître la voiture qu’elle guettait depuis vingt minutes, Dana relâcha le rideau et s’éloigna de la fenêtre. Au même moment, Mulder descendait les escaliers pendant qu’elle s’installait sur le canapé. La porte s’ouvrit. Il se retourna vers elle et sans ouvrir la bouche, il lui dit : ne t’inquiète pas. Ses yeux qui le fixaient pour entendre et recevoir son message silencieux dévièrent soudainement vers le sol. La porte se referma. S’il avait dit ne t’inquiète pas, cela signifiait qu’il y avait peut-être une raison d’appréhender.

Le bruit sourd de la conversation parvint à ses oreilles dès que les premières ondes sonores conventionnelles commencèrent à être échangées.  

Lorsque la poignée pivota vers le bas, elle resserra le châle blanc enveloppant ses épaules et les bras maintenus croisés contre sa poitrine, elle y fit disparaître ses mains sous l’étoffe. Ses cheveux étaient courts et noirs. Une mallette grise était accrochée dans l’une de ses mains. Il n’y avait rien dans l’autre. Vêtue d’un pantalon tailleur noir et d’un pull en laine bleu, elle n’avait pas de manteau. Il avait dû rester dans sa voiture.

- Bonjour Dana.

Sa voix avait été chaleureuse. Elle n’avait pas tendu la main. Le système immunitaire devait rester au repos le plus souvent possible.

- Bonjour, répondit enfin Scully.

C’était une grande et belle dame brune. Ses épaules étaient larges. Elles lui rappelaient la morphologie de celles appartenant à sa propre mère. Mulder referma la porte et vint s’asseoir sur la chaise installée derrière le canapé. Positionné ainsi, il ne verrait pas la technique, juste leurs visages. Il avait déjà tout planifié pour Dana, elle n’avait pas besoin de parler, car il l’avait fait pour elle. Globalement, l’infirmière savait déjà tout. Ils étaient sortis de l’hôpital, mais la maladie, elle aussi, était sortie pour venir s’enraciner jusqu’ici, dans leur maison. La situation était vraiment nouvelle et inconfortable. La mallette grise s’était ouverte laissant divulguer plusieurs échantillons d’aiguilles, de tubes, de cordons plastiques, d’élastiques, et de compresses.

Comme elle l’avait déjà dit, c’était son travail. Infirmière à domicile depuis dix ans, elle avait l’habitude du silence lors des premières rencontres. Il y avait les personnes âgées qui culpabilisaient du dérangement qu’elles occasionnaient, et puis il y avait les plus jeunes qui ne savaient plus respirer. Mais heureusement il y avait aussi les petits, les enfants, qui riaient, car la maladie était une aventure dont ils étaient le capitaine, et le capitaine n’abandonnant jamais le navire, ils ne pensent pas qu’ils peuvent mourir. Et certains s’exclamaient : mais quelle drôle d’idée !

Après avoir enfilé des gants en plastique et monté l’aiguille stérile, elle dit :

- L’un de vos bras m’est nécessaire Dana.

Cette dernière sourit légèrement. Ils étaient si bien sous son châle qu’elle avait presque oublié qu’elle avait des bras.

Veillant à ne pas brusquer, avec délicatesse, elle releva la manche du gilet en laine, positionna l’élastique afin de bloquer le sang et libéra l’intérieur de son coude sur lequel elle amena aussitôt un coton imbibé de désinfectant qu’elle abandonna rapidement afin de tapoter la veine désirée. Elle demanda :

- Ça va ?
- Oui.

Dana aurait voulu donner une réponse moins faible, mais parce qu’elle se demandait de plus en plus : pourquoi ; son corps n’était plus vraiment dans la pièce. Seuls ses yeux qui ne laissaient perdre aucune étape du protocole, qu’elle maîtrisait depuis longtemps sans la moindre faille, lui indiquaient qu’elle était encore solide et non dématérialisée dans un entre-deux indiscernable pour autrui. Un entre-deux où la totalité du monde fragmenté est visible, mais d’où vous êtes invisible. Et comme elle connaissait vraiment par cœur son savoir qui tous les jours lui permettait d’exercer la médecine, elle savait qu’au moment où l’aiguille flirterait avec sa peau, cette infirmière engagerait la conversation.

- Depuis combien de temps êtes-vous dans la région ? Monsieur Mulder m’a dit que vous n’étiez pas d’ici.
- Un an, répondit Scully détournant son regard vers Mulder.
- Un an et demi, compléta-t-il pendant que le tube rougissait.
- Nous étions à Washington avant, précisa Scully.
- Croyez-moi, vous êtes beaucoup mieux ici, affirma-t-elle sans se déconcentrer sur son travail. C’est tellement plus calme…

L’infirmière boucha immédiatement l’unique tube nécessaire pour l’analyse de contrôle et fit remonter l’aiguille à la surface. Une sonnerie étouffée retentit en provenance du bureau de Mulder dans lequel il disparut aussitôt à la perception du signal. Elle profita de cette absence pour demander :

- Vous travaillez à Sorrows, n’est-ce pas ?
- Oui… Je présume que c’est Mulder qui vous l’a dit.
- Il m’a juste dit que vous étiez médecin, mais il ne m’a pas précisé dans quel hôpital. Je vous ai quelques fois remis des dossiers de patients que je suivais à domicile lorsque ces derniers avaient besoin d’une hospitalisation ponctuelle.
- Je… ne vous avais pas reconnue, je suis désolée.
- Ne le soyez pas… À Sorrows, je n’y suis que très rarement, et puis il y a tellement de monde.
- Maintenant, je suis aussi patiente de cet hôpital…

Elle releva la tête, percevant un infime appel à l’aide.

- Et bientôt vous redeviendrez médecin. Vous devez garder cette image dans votre tête. Vous devez vous accrocher à ce futur et non au présent afin de préserver votre oxygène, Dana.

Elle hocha la tête, mimant la compréhension.

- Tout ce que vous ressentez, le bébé le ressent.
- Je sais… Mais je risque l’avortement spontané à tout moment.
- Et les prises de sang sont là pour prévenir au plus tôt cette éventualité.

Elle avait posé la main sur son épaule recouverte par le châle. Dana, surprise, avait relevé les yeux. Ils étaient verts. Ils étaient aussi rassurants, presque comme Maggie sauf que ceux de Maggie ne dissimulaient jamais l’inquiétude qu’une mère éprouve pour sa fille. La porte du bureau, libérant Mulder, s’ouvrit à nouveau. Ce fut cet instant que l’infirmière choisit pour retirer sa main et quitter le canapé tout en saisissant d’une poignée ferme ses affaires. Elle les informa :

- Sorrows étant sur ma route, je dépose immédiatement le prélèvement. En fonction des résultats qui me seront communiqués normalement dès ce soir, l’équipe médicale et moi-même jugerons de la fréquence à laquelle effectuer les contrôles.
- D’accord, acquiesça Mulder.
- Voici ma carte ! tendit-elle directement à Scully. N’hésitez jamais à m’appeler, même au milieu de la nuit.
- Merci, répondit-elle tout en déchiffrant le prénom dactylographié sur le bristol.

Mulder raccompagna la femme jusqu’à la porte. Celle-ci ne devait posséder que quelques années de différence avec Scully qui parvenait à entendre malgré la porte d’entrée à nouveau close :

- Je vous appelle dès que les résultats sont connus.
- Très bien.

Il regarda la voiture s’éloigner et disparaître avant de retourner à l’intérieur. Mulder avait déjà préparé son texte, il espérait qu’elle dirait oui.

*

15h12

La fenêtre était ouverte. Il lui avait dit qu’elle prenait le risque d’attraper froid. Elle avait répondu qu’elle aimait sentir le vent dans ses cheveux. Et il avait cédé.

Elle n’était jamais venue. Pour compenser l’entêtement qu’elle affichait à vouloir laisser sa tête exposée à l’air froid, il réduisait la vitesse. En huit mois, elle n’était jamais venue. D’ailleurs, pourquoi serait-elle venue ? Il ne travaillait pas dans un hôpital. Lui il venait, mais l’hôpital n’est pas un lieu de travail, il est un entre-deux. Ce matin au téléphone, Jason avait dit que c’était très calme : voilà pourquoi il avait pensé qu’elle dirait peut-être oui. La voiture s’arrêta devant l’immeuble.

- La rédaction est située au dernier étage, dit-il.



Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Mulder appuya sur le chiffre quatorze même s’ils ne se rendaient qu’au treizième étage. Tous les deux quittèrent les portes pour se retourner vers la glace.

- Je parais bronzée.
- C’est l’éclairage.
- J’ai dit je parais. Je sais que c’est faux Mulder.

Dans le miroir, leurs regards étaient posés sur l’autre.

- Tu sais pourquoi ils mettent des glaces dans les ascenseurs ?
- Je ne sais pas Scully.

Et il vit ses yeux briller parce qu’il avait dit je ne sais pas. L’enfance soulevait son regard. Parfois il disait comme elle, alors la sérénité malicieuse s’emparait de son âme.

- Avant de venir te voir, à chaque fois je me regardais dans le miroir.

Et ses lèvres s’étirèrent enfin, s’entrouvrant pour que l’insouciance parquée dans les tréfonds s’élève autour d’elle et sur son sourire.

- Ah oui ? questionna-t-il, très curieux.
- Oui, révéla-t-elle, innocente tout en se retournant vivement, car le rose était en train d’empourprer dangereusement ses pommettes.

À son tour, il se retourna. Ils étaient bientôt arrivés.

- Tu travailles sur quoi ? continua-t-elle.

Elle ne le regardait plus, alors elle ne vit pas.

- J’étudie les étoiles.

Mais elle avait senti son souffle murmuré contre son oreille. Les portes s’ouvrirent. Il était déjà sorti, elle était encore à l’intérieur, troublée.

- Quoi ?

Les portes se refermaient, précipitamment Mulder dut la saisir par le bras.

- Quoi ? répéta-t-elle.

Il sourit.

- Ça n’a pas d’importance.
- Mulder !

L’affaire sur laquelle il travaillait était beaucoup trop sombre.

- D’accord… se résigna-t-elle. Tu te venges pour toutes les fois où je te réponds secret médical, n’est-ce pas ?
- Absolument !

Elle avait besoin de lumière. Il tenait toujours sa main qu’il caressait entre le pouce et l’index. Elle déploya son attention.

- C’est… hésita-t-elle, l’étonnement l’envahissant. C’est grand ! reprit-elle.
- Nous avons tout l’étage.

En sortant de l’ascenseur, elle n’avait pu être submergée par le bruit, car chaque espace était délimité par une vitre séparant les différentes pièces visibles depuis le couloir. D’où ils se tenaient, si sa vision ne lui avait pas permis de distinguer les quelques personnes occupées à pianoter sur leur clavier d’ordinateur, elle aurait pu se croire entièrement seule avec Mulder. Aucun, d’ailleurs, n’avait remarqué le couple apparu devant les portes de l’ascenseur.

- Je travaille un peu plus loin.  



Ils longeaient le couloir dont la moquette marron avait besoin d’être renouvelée. Elle le suivait. Comment aurait-il pu en être autrement ? Scully avait toujours et ferait éternellement confiance en Mulder.

- Au-moins, tu ne travailles plus au sous-sol.

En cette après-midi, c’était ce qu’elle croyait. Elle marchait moins vite, il dut regarder en arrière. C’était ce qu’elle croyait pour la confiance.

- Tu as vu un peu Scully, répondit-il fièrement.

Elle sourit encore, à la frontière du gloussement. Leurs deux mains reliaient leurs corps séparés par la différence de cadences entre leur marche. Mais l’éternité n’existe que dans la mort. Un jeune homme ramenant un café croisait leur route –, elle baissa la tête.

- C’est là ! annonça-t-il royal.

Ici, il n’y avait pas de porte transparente, mais un verre jaunie et granuleux comme ceux que possédaient les portes de cabinets des détectives privés. Il poussa sur la porte. L’espace était moins spacieux que les précédents observés, mais il restait incroyablement vaste. Ils pénétrèrent dans l’endroit. Il revêtit automatiquement le costume du guide :

- C’est le bureau de Jason au fond, il est encore dans les parages normalement cette après-midi, ici c’est celui de Jessica mais elle est partie pour deux semaines en Europe, juste derrière c’est celui de Jeff mais il vient rarement en fin de semaine, et juste là, sous le velux, c’est…
- Toi, termina-t-elle. Elle ajouta : il y a encore de la place pour une dizaine de bureau, fit-elle remarquer.
- C’est parce que c’est le bureau des free-lance, et comme nous sommes peu à vouloir exercer de cette façon, forcément il reste de la place. Les autres ont peur de prendre des risques… mais pas nous ! justifia-t-il fièrement.
- Pas nous, répéta-t-elle.

Droit dans les yeux, elle le fixait. Immobilisés au-milieu de la pièce, ils s’abandonnèrent ainsi, comme cela, perdus dans les profondeurs des pensées de l’autre. C’était la vérité. Au FBI, ensemble, ils n’avaient jamais eu peur. Mais ils n’y étaient plus. Alors face au doute, il fallait se rassurer. Et attendre de voir le futur devenir le présent pour affirmer qu’ils n’avaient pas changé.

*

Il ne pianotait pas, il écrivait sur du papier malgré l’ordinateur à disposition sur l’extrémité de son bureau. Les bras maintenus croisés derrière son dos, elle déambulait entre les tables de travail. Sur chacun des bureaux, elle décortiquait l’agencement mis en place par le propriétaire. Celui de Jason était le mieux rangé, mais il n’y avait que sur celui de Mulder où nous pouvions voir des crayons jaunes alignés. Le grincement l’effraya sans la prévenir. Elle avait vu cette porte derrière Mulder, mais jamais elle n’aurait pu penser que celle-ci s’ouvrirait un jour. L’homme qui en sortit, lui aussi, parut surpris, mais réjouit.

- Mulder !
- Jason, salua-t-il.
- Oh mais tu n’es pas seul. Madame… s’avança-t-il, chevaleresque.

En passant devant Mulder, il avait eu le temps d’entendre le rappel de sa part : ne lui sers pas la main.

- Bonjour, dit Scully.
- Bonjour, répondit-il, avec bienveillance.

Jason savait tout. Pour la première fois, Mulder s’était confié. Le cancer soudain, mais aussi la grossesse. Et Jason était particulièrement doué pour dissiper les ondes glaciales.

- Nous disposons d’un toit terrasse ! Il suffit de prendre cette porte d’où j’ai surgi. Vous verrez, la vue y est vraiment unique… invita-t-il.

Quand il avait demandé : c’est ta femme. Mulder avait dit : nous ne sommes pas mariés, mais il avait dit oui. Scully était sa femme.

Il termina en disant :

- Vous pouvez venir ici quand vous voulez.

Ce qui lui fit comprendre que cet homme savait au-moins son prénom. Mulder lui avait-il souvent parlé d’elle ? Dès qu’elle l’avait vu entrer, elle l’avait reconnu, non parce qu’elle l’avait déjà vu puisqu’elle ne l’avait jamais vu, mais parce que Mulder lui avait souvent parlé de lui. En réalité, Jason avait appris l’existence de Dana, pour la première fois, hier soir. Il avait bien sûr depuis longtemps soupçonné son existence, il était journaliste, mais Mulder ne lui avait donné les preuves que depuis moins de vingt-quatre heures. Mulder n’avait pas fraudé, elle était vraiment sublime.

Il était passé devant elle pour rejoindre son espace tandis qu’elle n’avait pas bougé. Les deux hommes travaillaient. Elle ne s’ennuyait pas, elle ne savait juste plus où aller. Vous verrez, la vue y est vraiment unique... Elle hésitait. S’asseyant sur le recoin de son bureau, elle l’observait écrire. Elle hésitait toujours. Elle ne lisait pas. Vous verrez… Elle voulait encore le voir un peu travailler. Mulder, lui, jamais il ne pourrait descendre au bloc opératoire. Il n’avait pas le droit. Elle ne lisait pas ses mots, elle ne voulait pas découvrir le message dissimulé sous les étoiles. Quand l’image fut complètement achevée dans son esprit : Mulder en train de faire quelque chose qu’il aime ; elle poussa la porte. Sauf qu’il fallait tirer… En la voyant faire, Jason ne put retenir un sentiment heureux l’envahir. Puis elle disparut.

Il n’était pas nécessaire de monter des marches, la pente progressant naturellement vers le haut. La lumière se faisait de plus en plus forte et le ciel bleu se manifestait doucement.



Là-haut, Scully dominait la ville entière. Sa ville à eux. Elle s’approcha du rebord. Le vent fouettait son visage et déchaînait le châle ne cessant de l’emmitoufler.



Quand il glissa ses mains autour de sa taille, il constata qu’elle ne tremblait pas. Avions-nous raison de penser qu’il s’agissait, peut-être, d’un signe de bon augure ? Quittant momentanément sa taille pour venir replacer les cheveux ébouriffés par le vent, une mèche rousse resta accrochée dans sa paume. Une minute s’écoula avant que Mulder ne reprenne sa respiration terrassé par le spectacle imprévu. Puis il la déposa sous les yeux de Scully qui avait déjà compris parce qu’elle avait toujours su décrypter le silence. Elle aussi vint déposer sa main autour de la fibre se trouvant maintenant enveloppée entre leurs deux paumes. Il attendit son signal. Quand il la sentit prête, ensemble, ils la libérèrent… Tournoyant dans le vide, les cheveux semblaient flotter, or ils tombaient. Mais pas Mulder et Scully –, ils n’avaient plus peur.

*


Tard dans la nuit

02h58

Le carrousel tournait à l’envers. Montait. Descendait. Montait. Descendait. Elle était sur le cheval blanc. Tous les autres étaient noirs. Montait. L’enfant était sur la balancelle positionnée devant elle. Descendait. La balancelle ne montait pas, la balancelle ne descendait pas, la balancelle tournait à l’endroit.

Pourquoi ? répéta-t-elle.

Je ne sais pas, répondit l’enfant.

Tu ne peux pas partir ! supplia-t-elle.

Pourquoi ? demanda-t-il.

Parce que le manège tourne encore.

Mais il tourne à l’endroit. Je peux partir.

Non ! cria-t-elle, s’agrippant à la colonne dorée. Reviens ! Elle avait failli tomber.

Il le faut.

Pourquoi ?

C’est vous qui m’avez dit de partir…

Elle fronça les sourcils. Tu te trompes.

Il n’y avait pas de musique enchantée. Et l’enfant quitta la balancelle, passa devant elle sans un regard et descendit les marches du carrousel. Elle voulait descendre mais elle ne pouvait pas. Les arbres et le marchand de glace à l’envers. Le monde entier était à l’envers parce qu’elle tournait à l’envers.

Même la grande dame, belle et brune, vers laquelle se dirigeait le petit garçon, elle tournait à l’envers. Et l’enfant donna la main.




- Mulder…

Elle ne s’était pas réveillée précipitamment. Au-contraire, c’était la douceur qui l’avait accompagnée pour ouvrir ses yeux. Seules les bêtes nocturnes murmurant une sonate et la lune réfléchissante répondaient. Elle chuchota une nouvelle fois.

- Mulder…

Elle entreprit de le secouer délicatement pour ne pas provoquer une vague de panique causée par un réveil trop brutal.

- Scully… murmura-t-il les yeux clos.
- Il faut que je te raconte mon rêve !

Le mot rêve éloignait doucement l’inquiétude naissant en lui. Il avait cru à une nouvelle nausée ou… à une douleur en provenance du bas ventre.

- Tu te souviens toujours de tes rêves…

Il souleva le réveil pour regarder l’heure.

- Tu devrais attendre demain matin.
- Mais on est déjà demain matin !
- Tu dois dormir beaucoup Scully.
- Je sais ! J’ai entendu les médecins et je suis médecin ! Mais…

Elle était déjà bien trop réveillée. La marche arrière n’était plus possible. Il se redressa légèrement sur les coudes afin d’être attentif :

- Je t’écoute…
- J’étais à l’envers, enfin le carrousel était à l’envers…

Elle avait coupé la parole.

- …je veux dire je tournais à l’envers, lui non, sur un cheval j’étais à l’envers, mais lui il tournait à l’endroit parce qu’il était déjà à l’endroit sur la balancelle…

Mulder avait dû mal à suivre. Elle parlait vite et dans le désordre. La chimiothérapie embrouillant et emballant les neurotransmetteurs n’était pas le principal coupable, car l’angoisse aussi –, et eux deux réunis étaient en train de la séquestrer.

- Qui il ?
- Mais William !



Ses yeux étaient si agrandis par l’espoir qu’il se sentit presque attendri, mais ce n’était que presque, ce n’était pas il était attendri –, parce que la douleur, coupable oublié, signalait aussi sa présence.

- Je vois… chuchota-t-il, troublé.
- Tu vois quoi ? demanda-t-elle avidement.
- Non je veux dire…

Il expira. Il se rendait compte qu’il ne voyait plus très bien. Le présent devenait si sombre et incompréhensible… Il était surtout écartelé entre sa volonté d’éclairer pour rassurer et cette autre qui le démantibulait dès lors qu’il se demandait pourquoi elle était encore malade, pourquoi elle était parfois si distante… et d’un seul coup si proche. Le feu, il l’avait senti en elle, il fallait qu’il revienne.

- Les évènements vécus ces dernières semaines ont chamboulé ton inconscient bien plus que ce dont je m’imaginais…

Il posa une main sur sa joue. Elle ne vit pas qu’il était triste. Indémontable il devait se montrer. Et le noir bleuté est un allié remarquable ; les yeux de l’autre restent insondables et masqués.

- J’aimerais tant prélever un peu de ta mémoire pour ne serait-ce que tu dormes véritablement la nuit…

Elle ne répondit pas. Elle répéta :

- Le manège, il tournait, il tournait le manège…

Mulder comprenait son insistance. Il avait fait son mémoire d’étude sur les rêves. Une demande vitale qui lui faisait mal : à force de tourner, Scully finirait par perdre l’équilibre et tomber sur la terre.

- Et il y avait l’infirmière… précisa-t-elle enfin.

Il analysa :

- C’est normal. Sa survenue dans notre environnement arrive de manière inattendue.

Il diagnostiqua :

- Depuis aujourd’hui, Elizabeth fait partie de notre vie.

Mais l’enfant avait été arraché. Et le feu perdu.

*
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Message  PtiteCoccie88 Sam 15 Juin 2013 - 17:48

14
*
 
 
Il y a une chose plus triste à perdre que la vie,
c’est la raison de vivre,
plus triste que de perdre ses biens,
c’est de perdre son espérance.
Paul CLAUDEL
 
I know what you’re afraid of. I’m afraid of the same thing.
The doctor said I was fine.
I hope that’s the truth.
ELEGY, season 4.
 
 
Un mois et demi plus tard
Mercredi 24 novembre 2004
10h30




L’eau claquant contre le carrelage se déposait sur la glace. Le robinet était orienté à son maximum sur le rouge ; elle avait si froid. La vapeur d’eau s’échappait au-dessus de la cabine de douche. Les yeux fermés, elle n’osait masser son crâne. Elle se contentait de recevoir l’eau chaude sur son corps. Il n’était pas facile de respirer, l’eau étouffait sa bouche, mais elle y arrivait. Dana résistait.
-          Scully ?
Le son émis derrière la porte de la salle de bain la fit tressaillir en même temps que ses yeux s’ouvrirent pour montrer l’appréhension. Mais il ne s’agissait que de Mulder. Dana se détendit, inspira une forte dose d’oxygène, bloqua ses poumons et dit :
-          Oui ?
-          C’est ta mère.
Étrange. Derrière la porte, il s’agissait pourtant bien de la voix de Mulder.
-          Au téléphone ! reprit-il devant la réponse qui n’arrivait pas.
Bien sûr. Au téléphone... Ce ne fut pas pour autant qu’elle décida de relâcher ses poumons.
-          Et ? parvint-elle uniquement à prononcer.
Mulder restait derrière la porte. Normalement il serait rentré, normalement il aurait ouvert le pare-douche, normalement il serait entré sous l’eau avec elle et ses habits, normalement elle aurait dit Mulder ton pantalon va être entièrement trempé, mais nous n’étions plus normalement, nous en étions au verrouillage des portes afin de préserver Mulder des cheveux s’engouffrant parfois sans prévenir, par paquet, dans le siphon. Depuis la dernière séance de chimiothérapie, il y a trois jours, Mulder les ramassait déjà beaucoup trop sur l’oreiller.
-          C’est pour Noël !
L’information décodée provoqua la découverte d’une bombe, minuterie enclenchée, au cœur de l’estomac.
-          Et ? répéta-t-elle, un peu plus fort. Il fallait couvrir le bruit de l’eau qu’elle refusait d’arrêter bien qu’elle s’était dégagée du flot alimenté d’une pression redoutable –, comme elle.
-          Margaret aimerait... Il s’arrêta et recommença avec un ton calme mais articulé : Margaret aimerait que nous passions le réveillon de Noël avec eux !
L’eau continuait encore de battre les parois. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Puis le silence envahit les tympans de Mulder. Scully avait enfin coupé. Pendant le temps où il devina que ses pieds s’extirpaient de la douche en déposant des marques humides sur le tapis, que la serviette bleue enveloppait son corps, et que sa main tourna le verrou intérieur, Mulder espérait qu’elle avait coupé le bon fil.
À l’ouverture de la porte, il comprit pourquoi elle était réticente, voire effrayée. Son apparence physique commençait à la trahir, moins sur la grossesse que sur la maladie. Remarquant le téléphone portable maintenu dans sa main, elle chuchota :
-          Avec eux ?
Il chuchota à son tour, veillant à dissimuler le haut-parleur.
-          Tes frères, ta mère, ta famille Scully ! tenta-t-il de convaincre pour rassurer.
-          Mulder...
Mais cela ne marchait pas. Ses yeux étaient anxieux. Elle ne le regardait plus, elle regardait ailleurs. Il l’entendit déglutir et l’observa plonger ses yeux sur le sol.
-          Je sais pas...
-          Ce ne serait que pour une nuit, dans le Maryland, chez Bill.
-          Une nuit, répéta-t-elle.
-          Fox ?
Subitement, Scully détourna son attention vers le téléphone. Margaret Scully s’impatientait. Mulder expliqua :
-          Je lui ai dit que tu étais sous la douche. Ce qui est vrai. Je lui ai aussi dit que tu étais en jour de repos. Ce qui est faux.
-          Mulder... supplia-t-elle.
-          Scully, prévint-il. Soit nous allons chez eux, soit Margaret souhaite s’emparer de notre maison pour Noël !
Aussitôt il assista à l’élargissement de ses prunelles.
-          Fox ?
Dans un dernier espoir qui n’en était pas un, il argumenta :
-          Peut-être que ce sera la dernière fois...
-          Mulder... s’arracha-t-elle, car sa voix venait de s’enliser dans les griffes de la suffocation.
Et pour ne pas chavirer, elle ferma les yeux. De sa main libre, Mulder vint doucement à la rencontre de l’épaule dénudée et parsemée de gouttelettes de celle qui n’avait encore jamais pensé à cette éventualité.
-          Dana chérie, est-ce que tu es là ?
La pression ressentie près de sa clavicule eut pour effet de détendre enfin ses poumons. Elle ouvrit les yeux et, pour la plus grande surprise de Mulder, dit d’une voix presque trop assurée :
-          Passe-moi le téléphone !
Ce qu’il exécuta sans se faire prier. Juste avant de coller le boîtier contre son oreille, Scully augmenta le volume, stratégiquement, pour aider en cas d’obstacle.
-          Mulder et moi serons là pour Noël maman, je ne suis pas de garde cette année.
Il relâcha l’épaule de Scully.
-          Dana ! Je m’inquiète sérieusement. J’ai essayé de te joindre sur ton téléphone, tu ne répondais pas, j’ai d’abord pensé que tu étais en intervention...
-          J’ai dû le laisser en silencieux dans mon sac à main...
-          Fox m’a dit que tu étais sous la douche... Il est déjà dix heure et demie...
-          Je suis en jour de repos.
-          Oui, c’est ce que Fox m’a gentiment expliqué. Mais avant cela, parce que tu ne répondais pas...
-          Tout va bien maman...
-          J’ai appelé l’accueil de ton service...
-          Maman écoute-moi !
-          Qui m’a dit que tu étais en congé longue durée et l’interne que j’ai eu n’a pas voulu m’en dire plus d’où mon inquiétude grandissante !
-          ...
-          Dana ?
-          Je...
Obstacle !
-          Dis lui que l’interne s’est trompé ! souffla Mulder.
-          L’interne est nouveau, il a surement interféré mon planning avec celui de quelqu’un d’autre...
-          Tu n’as jamais été très douée pour les mensonges ma chérie...
-          Dis plutôt cela à Mulder, murmura-t-elle.
Ce dernier prit aussitôt un air innocent. Un air qui dérida Scully.
-          Qu’est-ce que tu dis ?
-          Rien maman, rassura-t-elle, l’air grave ayant déjà reprit possession de son visage.
Mulder était sur le point de quitter la chambre pour lui laisser la possibilité de partager cet instant avec sa mère en intimité.
-          J’aurais aimé que tu m’appelles plus souvent.
Mais Scully ne prononça pas le même jugement, et d’une main agrippée à son épaule, elle l’avertit qu’elle ne voulait pas qu’il parte.
-          L’hôpital me donne beaucoup de travail maman.
Une once de reproche habilla ses yeux verts.
-          Fais attention à toi. Tu as une petite voix.
Scully répliqua en habillant ses yeux bleus d’une couleur désespérée.
-          Je ne te veux pas malade pour les fêtes !
-          Oui maman...
-          Je vais tout de suite prévenir Bill et Tara de votre présence à tous les deux ! coupa Maggie. Cela fait tellement longtemps...
-          Je sais maman, coupa à son tour la fille.
Dana se sentait à nouveau rassurée, la conversation était sur le point de prendre fin. Le désespoir repartait.
-          La dernière fois que nous avons tous été réunis, tu avais ton cancer...
Mais cette dernière réplique, imprévue, renversa le calme qui avait tenté de s’installer.
-          ...
Scully, une fois encore, se retrouva dans un obstacle. Mais Mulder ne souffla pas. Il ne voulait plus aider.
-          Je ne veux pas rappeler de mauvais souvenirs, mais tu me manques Dana...
Mulder était loin d’être d’accord avec la sentence selon laquelle il était préférable de ne rien dire. En restant silencieux, il espérait lui faire comprendre l’absurdité de la situation. Mais il n’en fut rien. Au-contraire, Scully sauta dans l’absurdité.
-          Rappelle à Bill et Tara que Mulder est végétarien.
-          Je n’y manquerai pas, confirma Maggie, déstabilisée.
-          Au-revoir maman.
-          Au-revoir Dan...
Cette dernière avait choisi d’écorcher la conversation.
...
Dana porta une main sur son front et rendit, sans un regard, le téléphone à son propriétaire qui la regarda retourner dans la salle de bain, mais cette fois-ci la porte ne se verrouilla pas. Elle resta même ouverte. Et, de tout son poids, Dana se laissa tomber sur le fauteuil en osier. La conversation téléphonique l’avait épuisée.
Dissimulant le téléphone dans la poche de sa chemise, Mulder s’avança. La vapeur ne recouvrait plus le miroir. Et le masque, lui aussi, il ne recouvrait plus le visage de Scully. Seul le corps était encore caché. Son visage mis à nu dévoilait un chaos intérieur en contradiction avec un calme extérieur. Mulder parvint jusqu’au fauteuil, et s’agenouillant devant elle, il s’empara de sa main qui refusait de s’ouvrir. Ses doigts étaient maintenus repliés dans sa paume, mais Mulder ne renonça pas, son autre main vint même couvrir le poing fermé déjà enveloppé par la précédente. La silhouette entière de Scully était bloquée sur arrêt, et ses yeux semblaient aspirés par les carrés blancs concentrés au sol. Mulder voulait qu’elle reparte, mais avec lui.
-          Je sais de quoi tu as peur...
Rien. Rien malgré l’écho de ces mots.
-          Je suis effrayé par ces mêmes choses.
Toujours rien. Au final, ces mots, eux-aussi, ils étaient figés. Mulder venait de déterrer un son du passé, or il s’agissait du coupable. Les faits antérieurs pétrifiaient Scully. Avec eux, elle avait montré une force redoutable, si redoutable qu’elle l’avait porté, lui, Mulder. Mais, il le savait parce qu’elle l’avait pensé, Scully n’avait plus la force de se battre. La tumeur et leur fils avaient brûlé toutes ses cartes. Mais il continua ; ses cartes qu’elle avait sacrifiées pour lui, l’avaient régénéré ; plus elle avait brûlé vers le froid, plus il avait brûlé vers la vérité.
-          Mais tu es forte Scully ! Ne laisse pas la culpabilité et la peur alimentée par les réactions éventuelles de ta famille te ronger. La culpabilité et la peur n’ont pas leur place dans ce combat, ou tu perdras. Et tu ne dois pas perdre...
Mulder s’était arrêté, mais uniquement dans le but de mieux reprendre ; et lui laisser le temps de préparation nécessaire pour quitter sa main afin de trouver.
-          Car lui est là.
Afin de trouver son ventre. Une découverte fissurant le marbre. Sa main était si chaude...
-          Mulder ! hoqueta celle dont le visage se déformait depuis la fraction où la main de Mulder – si apaisante – avait dégagé un passage sous le coton bleu pour venir se déposer sur le cœur du ventre.
Elle s’accrocha soudainement à son regard.
-          Je suis tellement fatiguée ! Être autant effrayée et tétanisée, cela ne me ressemble pas Mulder ! implora-t-elle pour leur surprise à tous les deux.
Les yeux de Dana coulaient dans l’eau. Des yeux qui commençaient à se refléter dans ceux de Mulder. Chez lui aussi, la gorge serrait.
-          Tu te trompes, décida-t-il de convaincre.
Sa main, celle qui jusqu’ici avait couvé le poing toujours fermé, vint à la rencontre d’une mèche rousse rare – car encore épaisse – qu’il replaça derrière son oreille. Les larmes continuaient de défigurer Scully, mais il était possible de remarquer l’étonnement se dessinant derrière les prunelles bleues. Il avait dit tu te trompes. Pourquoi avait-il dit tu te trompes ?
-          Tu te trompes, reprit-il. Cette frayeur, je sais qu’elle t’appartient. Voilà en quoi tu te trompes, reprit-il encore, car cela te ressemble. Te forcer à l’enlever serait faire de toi une autre Dana...
Elle sourit et lui aussi. Mais le sien à elle était crispé.
-          Et je ne veux pas d’une autre Dana.
Ils ne souriaient plus. Ils se regardaient. Lui, tentait de déchiffrer s’il l’avait convaincue ; elle, tentait de déchiffrer la suite qu’elle redoutait.
-          Dans cette situation, mon rôle est de te guider, expliqua-t-il. Et parce que ton état physique, mais aussi mental, te trahira davantage qu’aujourd’hui, tu dois leur dire avant Noël, Scully ! relança-t-il encore, comme le jour de la première injection.
Mais Mulder se heurta  au mur buté.
-          Non.
-          Au-moins pour la grossesse !
-          Non !
Elle s’énervait. Il avait espéré que les arguments propulsés en amont avaient pénétré l’intérieur, mais il n’avaient fait que rebondir sur son crâne.
-          Tu seras enceinte de dix-huit semaines Scully ! fit-il percevoir calmement, mais autoritaire.
Ses yeux se détournèrent.
-          Je sais compter Mulder ! répliqua-t-elle sèchement.
Fuir pour couper la communication.
-          Scully... réagit-il abattu, bien plus que triste, son entreprise pour convaincre ayant avorté dès l’amorçage.
-          Je sais ce que je fais Mulder.
-          J’espère ! J’espère vraiment... et je respecte ton choix, mais je refuse qu’il te fasse tomber.
Elle se retourna vers lui. Il l’ignora, regarda sa montre et à souffle coupé, il prononça :
-          Habille-toi, nous allons être en retard.
En refermant la porte de la salle de bain, Mulder laissa Scully seule face au miroir. Ce qu’il n’arrivait à comprendre était que son choix à lui – parler – serait ce qui la ferait tomber.
*
Une heure plus tard
12h00




Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Elle regarda le couple s’approcher et cocha sur la feuille des rendez-vous la présence de la jeune femme ayant dix minutes d’avance par rapport à l’heure fixée par le docteur Alison Baker. Tous les deux prirent place dans l’enclos d’attente et patientèrent. La jeune infirmière, Jennifer, reconnaissait Dana Scully, même si en septembre la jeune femme s’était adressée à sa collègue aujourd’hui absente, elle se souvenait d’une patiente légèrement angoissée mais solide, or aujourd’hui quelque chose n’allait pas. Sa grossesse restait imperceptible pour un regard non averti mais...
Les dix minutes étaient terminées. Jennifer n’avait pas trouvé ce détail différent, et elle ne le trouverait pas, le couple ayant déjà disparu de sa vision.
-          La dernière fois que nous nous sommes vues, la dernière et la première fois d’ailleurs ! mit en avant Alison Baker tout en tournant les feuilles de son agenda. C’était le 30 septembre.
Elle releva la tête vers eux et demanda :
-          Êtes-vous allée voir quelqu’un d’autre ?
-          Non, répondit Scully sachant que sa réponse était sur le point de déclencher quelques réprimandes.
-          Vous auriez dû revenir beaucoup plus tôt Dana.
Finalement, la voix du docteur Alison Baker n’était ornée d’aucun reproche. Elle était seulement... triste.
-          Votre...
Elle hésita.
-          Ami, préféra-t-elle choisir à la place de mari, m’a annoncé par téléphone lors de la prise de rendez-vous votre état clinique. Il m’a également dit, suite au bilan sanguin, que vous aviez déjà des doutes lors de notre première rencontre.
Scully hocha la tête et justifia les yeux concentrés sur la fenêtre située dans le dos du gynécologue :
-          Je dois avouer que l’objectivité n’était pas en moi lors de ce premier rendez-vous.
-          Je sais Dana. Ceci n’est pas un reproche. Et Sorrows effectue un remarquable travail de surveillance. Je reconnais que je ne saurais, moi-même, pas mieux faire. Cependant il est nécessaire d’être extrêmement vigilent. Pour ce faire, je propose de réduire l’intervalle habituel entre deux échographies.
-          Nous habitons près d’ici, ce ne sera pas un problème, répondit Mulder.
-          Qu’en pensez-vous Dana ?
-          Je suis d’accord, acquiesça-t-elle, s’efforçant d’offrir un regard au docteur Baker.
-          Avant de passer à côté, j’ai une dernière question...
Alison Baker savait qu’il s’agissait d’une question délicate, peut-être inappropriée exposée de cette façon mais essentielle. Elle s’efforça de reprendre :
-          Était-ce parce que vous vous saviez déjà...  
Et parce que les ondes étaient lentes et détachées, Mulder et Scully sentirent sur quoi la question se propulsait.
-          ...probablement malade que vous vouliez avorter ?
Une question qui se heurta au mur. Dana baissa les yeux. Mulder détourna lui aussi le regard, mais non pour s’échapper, non pour obtenir une réponse, juste pour affronter le désespoir que sa vie à lui avait insufflé en elle. Et après un moment qui avait semblé durer une éternité pour le docteur Alison Baker, Mulder replaça son visage en direction du sien, et posément, il fit savoir :
-          Non docteur. C’est autre chose...
Celle-ci préféra ne rien relever. La tentative d’approfondissement avait soulevé une grande douleur dans les yeux de ce couple. Elle ne s’en voulait pas ; elle se demandait pourquoi. En tant que médecin, son rôle à elle était de trouver les causes.
-          Bien ! lança-t-elle avec une fine maladresse témoignant du malaise qu’elle ressentait après l’échec de son investigation qui n’avait conduit qu’au réveil d’une douleur faussement sourde puisque pour survivre, ils avaient décidé de l’étouffer. Elle reprit : nous pouvons passer à côté.
Mulder et Scully n’avaient pas répondu. L’appréhension du moment prochain était en train de les parcourir. Ils s’étaient contentés de se lever pour la suivre jusque dans l’aire réservée à l’auscultation obstétrique. Dès l’instant où elle s’allongea sur la table d’examen, froide mais confortable, Scully ferma aussitôt les yeux. Le docteur Baker n’eut pas besoin de lui demander de déboutonner son chemisier, seul un pull en coton et cashmere, souple et bleu marine, recouvrait sa peau, et quand elle le souleva avec le plus grand respect afin de ne pas brusquer sa patiente dont la crispation aurait pu faire éclater tout le verre présent dans cette pièce, elle ne put s’empêcher de constater les dégâts qu’engendraient les traitements sur son corps étendu. La maigreur l’enrôlait doucement mais sûrement. Les côtes légèrement saillantes creusaient un relief déjà trop élevé à son goût ; le développement de l’enfant serait rendu plus ardu ; l’enfant devrait se battre pour avancer dans ce terrain aride.
-          Docteur Baker ? interpella Mulder à mi-voix pour ramener le médecin parmi eux.
-          Mettez-vous de l’autre côté, conseilla-t-elle à Mulder, et tenez lui la main. Cela permet de rassurer, car je vous sens particulièrement stressée Dana.
-          Je sais, répondit-elle.
-          Dans votre état, c’est tout à fait normal, assura-t-elle au même moment où la main de Mulder attrapa celle de Scully, et cette fois-ci, le poing s’ouvrit.
Un mouvement enserpenté électrisa une courte seconde le corps au contact de la substance jaunâtre et gélifiée qu’Alison était en train d’appliquer sur le bas ventre. Puis celle-ci décrocha la sonde du chariot et afin de ne pas provoquer un nouveau soubresaut, elle demanda :
-          Vous êtes prête ?
-          Oui.
-          Très bien.
Même si les yeux demeuraient toujours clos, ce qui parvint en elle à travers l’audition, déploya une réaction inattendue. Le docteur Baker se retourna vers eux.
-          C’est la première fois, n’est-ce pas ? s’adressa-t-elle plus à Mulder, dont les yeux étaient rivés sur l’écran, qu’à Scully ; elle se souvenait qu’elle n’avait pu garder le premier enfant.
-          Oui !
Mulder, qui voulait plonger dans l’écran pour enlacer le petit être gris, se retourna aussitôt vers Scully. Elle aussi, en même temps que lui, avait répondu à la question, conférant un caractère solide et vibrant à ce oui. Elle avait dit le même oui. Mais surtout, Scully, les yeux fermés, souriait. Cette dernière ajouta même :
-          C’est notre première fois...
Une réaction inattendue, car elle se sentait apaisée. Le battement régulier du cœur de l’enfant détendait la moindre parcelle de vie en elle. Même le docteur Alison Baker remarquait ce changement. Elle en profita pour glisser la possibilité suivante :
-          Je peux déjà déterminer...
-          Non ! réagit presque violemment Scully.
-          Et bien ce sera non, accentua Mulder, un peu déçu.
-          Avez-vous des idées de prénoms ?
-          Euh... ne trouva rien d’autre à dire Mulder.
Alison dirigea de nouveau son attention vers la patiente – les yeux toujours clos – dont la question n’avait point semblé parvenir en elle. Et conseilla :
-          Dans ce cas, vous devriez y penser. Les choses arrivent bien plus vite que nous le pensons. Surtout si vous ne désirez pas connaître le sexe, cela demande deux fois plus de travail, mit-elle en garde, complice.
-          Nous allons y réfléchir, fit-il savoir pour eux deux.
Le docteur Baker à nouveau très concentrée sur le moniteur révéla :
-          Votre bébé va vraiment très bien.
Les épaules de Mulder s’affaissèrent enfin et Scully ouvrit les yeux. Et sa vue fit parvenir en elle que – oui – elle était bien enceinte. Ce n’était ni un rêve ni un cauchemar. C’était autre chose, mais elle ne savait pas encore ce dont il s’agissait... Avant, elle voulait comprendre pourquoi. Tout était encore si petit... Voilà en quoi il était nécessaire qu’elle cesse de rétrécir, ou l’enfant partirait avec elle. Mais comment. Comment faire ?
-          Nous avons terminé, prévint Alison retirant la sonde du bas ventre tout en appuyant sur une commande située sur le chariot dans le but d’envoyer ces premiers résultats dans l’ordinateur du bureau principal dont on entendait déjà les premiers chuintements de l’imprimante se mettre en route sous l’impulsion de la commande.
Effectuant un dernier réglage sur le moniteur, Alison tendit également à Dana une lingette absorbante. Aussitôt, Mulder entreprit d’apporter son aide à Scully en offrant une force dans son dos pour la redresser sur la table.
-          Merci, murmura-t-elle pendant que le docteur Baker repassait de l’autre côté afin de récupérer les résultats.
Assise et les jambes se balançant dans le vide, Scully essuyait le gel resté sur son ventre quand, au-dessus de sa tête sur laquelle il déposa un baiser, il lui chuchota :
-          Je suis heureux.
Surprise par cette perception magique et cette déclaration soudaine, Scully arrêta son geste. Elle ne bougeait plus les jambes, elle tremblait par nervosité et réfléchissait. Mulder recula légèrement pour retrouver son regard. Que ressentait-elle ? La réponse semblait introuvable, car emmêlée dans un nœud insondable. Puis le démêlage eut lieu : cette dernière froissa la lingette, leva les yeux, et le fixa aussi fort qu’elle le put pour murmurer sans aucun son :
-          Moi aussi.
...
Le docteur Alison Baker tendit à Mulder la feuille sur laquelle étaient inscrits l’enregistrement des données. Puis s’adressant à Scully, elle dit :
-          Je propose une nouvelle échographie dans trois semaines, ce qui correspondra à seize semaines révolues.
-          D’accord, confirma Scully autour du bureau sur lequel ils étaient tous deux en train de reprendre place.
En même temps que les feuilles de l’agenda du docteur tournaient et qu’elle dévoilait à Scully plusieurs créneaux possibles pour la semaine choisie, Mulder scrutait les résultats et ses yeux s’arrêtèrent sur 13 semaines et 5 jours.
Le 20 août... Jamais il n’oublierait ce 20 août 2004. En cette après-midi d’été, la robe bleue avait métamorphosé Dana.
*


Dernière édition par PtiteCoccie88 le Sam 15 Juin 2013 - 21:46, édité 2 fois
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Message  PtiteCoccie88 Sam 15 Juin 2013 - 17:51


Une semaine plus tard
Mercredi 1er décembre 2004
-          Ce n’est pas votre premier enfant, n’est-ce pas ?
-          Si.
Elle changea d’avis.
-          Non ! Enfin peut-être si. Oui ! Peut-être...
Elizabeth scruta la jeune femme de quarante ans.
-          Que s’est-il passé Dana ? demanda-t-elle pour s’assurer que sa patiente allait bien tout en lui fournissant un coton à placer dans le creux du coude. Vous ne pouvez dire peut-être... acheva-t-elle d’un ton doux mais soulignant la confusion de ses réponses.
-          Je... Pardonnez-moi ce trouble, réussit à émettre Dana.
-          Cette question était surtout déplacée, je n’aurais pas dû ! se reprocha l’infirmière dès qu’elle vit les yeux bleus de la jeune femme rougirent.
Elle était sur le point de se lever et de récupérer ses affaires disposées sur la table basse quand :
-          Non ! lança Scully et dont l’interjection retint Elizabeth sur le canapé.
-          Dana ? soutint-elle, comprenant qu’une oreille attentive était demandée.
-          J’ai dû me séparer de lui, révéla Scully. Une révélation qui la libéra d’un poids un court instant. Il s’agissait de la première fois qu’elle se décidait d’en parler à quelqu’un depuis la séparation entre elle et son fils.
Elizabeth hocha la tête, peinée. Elle était sur le point d’enchaîner quand Dana l’étonna par la force soudaine qu’elle trouva pour continuer :
-          Avant cela, j’avais été déclarée stérile par la médecine. Pour Mulder et moi, cette première grossesse fut un véritable miracle... que je n’ai pas su garder.
Dana s’arrêta. Mais Elizabeth ne fit rien. Elle sentait qu’elle n’avait pas tout à fait terminé. Effectivement, après cinq secondes, Dana reprit :
-          Comment avez-vous su qu’il ne s’agissait probablement pas de mon premier enfant ?
-          Si cela avait été le cas Dana, vous m’auriez posé pleins de questions sur la maternité. Toutes les futurs mamans en attente de leur premier enfant et que je soigne me submergent.
-          Vous avez raison Elizabeth...
Et Dana s’arrêta encore. Ces quelques mots avaient mis à mal sa respiration. Cependant, Elizabeth souhaita continuer :
-          Pourquoi ne pas avoir pu le garder ?
Dana préféra ne pas répondre, ce qu’elle fit comprendre en hochant négativement la tête, les yeux brutalement rivés sur ses mains. Il était difficile, presque impossible, de venir en aide à une femme dont la possibilité d’être mère avait été avortée prématurément. Malgré cela, face au silence emmuré, Elizabeth reprit et confia :
-          Avant de connaître le bonheur d’avoir un enfant, j’ai dû patienter longtemps, si longtemps que je n’en voulais plus, mais mon mari n’a jamais renoncé. Vous connaîtrez ce bonheur Dana. Vous le méritez.
La concernée, déstabilisée par ces propos, releva la tête.
-          Il y a quatre ans, j’ai abandonné William ! Je ne peux pas le mériter... argumenta-t-elle d’une voix sourde.
Dana attendait une nouvelle réponse, mais contre toute attente, ce fut au tour d’Elizabeth Van de Kamp de se sentir ébranlée. Les deux femmes se regardaient. L’une ne comprenait pas ce silence, et l’autre était en train de comprendre pourquoi les remords la dévoraient à ce point.
-          Elizabeth ? interpella faiblement Scully.
-          Je dois y aller ! prévint énergiquement l’interpellée. Je n’avais pas vu, mais je suis en retard ! s’aperçut-elle en regardant sa montre.
Elizabeth était nerveuse. Mais parce qu’elle s’en voulait d’en avoir déjà trop montré, elle bifurqua les émotions en informant :
-          Je connais quelqu’un, ici même en ville, qui pourrait s’occuper de vos cheveux Dana !
-          Mes cheveux ? répéta Scully, fronçant les yeux dans le vague et enlaçant sa tête.
-          Ils deviennent de plus en plus fins. Vous devriez penser à une solution comme à une perruque ou un foulard...
Scully enlaçait toujours sa tête. Elle voulait vérifier que ses cheveux étaient toujours là.
-          Même s’il est vrai que jusqu’ici vos cheveux tiennent bons, vous avez tous les signes d’une chute brutale et tant que les traitements ne seront pas terminés, cette chute sera définitive.
-          Je sais Elizabeth. J’ai déjà de magnifiques trous à la base de mon crâne mais tant que j’arrive à les camoufler, je ne m’inquiète pas trop.
-          D’ici Noël, je crains que cela ne soit plus possible Dana...
Scully détacha enfin ses mains de ses cheveux qu’elle voulait sentir et encore sentir.
-          Noël... Vous croyez ? s’inquiéta Dana.
-          La dernière fois, vous m’avez fait part du réveillon que vous passerez en famille. Si vous ne voulez toujours pas les avertir, vous devez vous déguiser Dana !
Au lieu de paraître effondrée devant la perspective annonçant une grande perte de féminité, Scully écarquilla les yeux agrafés aux fossettes d’Elizabeth et s’exclama :
-          Janis !
-          Comment ? reprit Elizabeth, surprise.
-          Ma belle-sœur, bafouilla Scully sous l’emprise d’une illumination soudaine. Elle fabrique des costumes pour le théâtre... Elle fabrique des perruques.
-          Vous verrez donc directement avec elle ?
-          Oui.
-          Alors vous devrez lui dire.
-          Janis est la femme de Charles. Eux ont le droit de savoir.
-          Ont le droit Dana ? souligna-t-elle, ne dissimulant pas sa stupeur.
Scully soupira et ferma une nouvelle fois ses yeux.
-          Bill et ma mère...
Elle rouvrit les yeux.
-          Bill et ma mère, recommença-t-elle, me détruiraient s’ils savaient.
-          Pourquoi ?
-          Ma mère à cause de sa peur et mon frère à cause de Mulder...
Dans le corps d’Elizabeth, la tension avait disparu. Alors une main vint se poser sur l’épaule de Dana :
-          Même si vous ne dites rien, votre mère sentira votre peur et pour votre frère, les choses changent.
-          Je ne sais pas...
-          Croyez-moi. Quant Bill verra tout le bien que procure en vous votre ami, il changera d’attitude.
Elle relâcha son épaule. Toutes les deux échangèrent un nouveau regard.
-          D’ailleurs... continua-t-elle, votre frère Bill a peut-être changé depuis longtemps.
Dana ne répondit pas. Dana décortiquait la moindre syllabe. Elizabeth regarda à nouveau sa montre.
-          Cette fois-ci, je dois vraiment y aller Dana, rappela-t-elle en se levant.
-          Oui, confirma Scully qui s’empressa de raccompagner l’infirmière jusqu’à la porte.
-          À la semaine prochaine Dana.
-          À la semaine prochaine Elizabeth, renvoya Scully.
Elle avait pratiquement refermé la porte quand elle força sur sa voix dans le but qu’elle parvienne à celle qui se trouvait, à pied, déjà au milieu de l’allée.
-          J’ai apprécié cet échange !
Elizabeth arrêta ses pas et se retourna :
-          Je veux dire... J’ai apprécié que vous cherchiez à comprendre ! J’aimerais vraiment vous expliquer un peu plus en détail la prochaine fois. Je me sens mieux !
Elizabeth fixait Dana. Et elle ne comprenait pas. Elle, Dana. Pourquoi Elizabeth ne répondait-elle pas ? Cinq secondes de silence, était-ce une durée normale ou anormale ? D’habitude, Elizabeth répondait vite, les autres répondaient vite, ils parlaient parfois trop vite, tellement vite qu’elle ne pouvait jamais répondre. Sauf dès qu’il s’agissait de convaincre l’autre à l’aide d’un raisonnement logique et scientifique. Dans cette rubrique, elle était même très douée. Ce fut cette compétence hors norme qui avait attiré le FBI mais qui lui avait également offert une étiquette rigide et peu amicale : la reine de glace.
Cinq secondes et plus – de silence – signifiaient pour Dana chaos dans l’esprit.
-          Peut-être Dana ! envoya-t-elle. Peut-être, répéta-t-elle dans un murmure inaudible. Au-revoir Dana ! avertit-elle encore avant de reprendre sa marche pour ne plus se retourner.
Et logiquement, Elizabeth était en chaos.
-          Peut-être, répéta-t-elle à son tour Dana préoccupée par l’incompréhension, toute seule, la silhouette d’Elizabeth Van de Kamp ayant disparu, puis elle referma la porte.
L’esprit toujours en recherche d’un détail permettant de la rassurer, Scully saisit la télécommande avec laquelle s’alluma la télévision. Assise sur le canapé, les images défilaient sans que le son ne parvienne au cœur des neurones bien que son ouïe percevait les ondes. En plus d’attendre le retour de Mulder passant la matinée à la rédaction, Scully ne comprenait pas ce que ses yeux regardaient parce que son cerveau tentait de décoder : peut-être...
*
 
Environ trois semaines plus tard
Vendredi 24 décembre 2004
14h45
-          Mon conseil serait de raser maintenant.
-          Non. Je veux voir chaque mèche abdiquer devant moi jusqu’à la dernière, contra une Scully menaçante et les dents presque serrées.
Janis debout, dont les mains étaient posées sur les épaules de Dana assise, contempla le visage de sa belle-sœur à travers le miroir de la salle de bain. Ses joues étaient vraiment saillantes et malgré le fond de teint qu’elle venait de terminer d’appliquer sur sa peau, Janis n’avait réussi à en camoufler la pâleur.
Mulder qui restait dans l’angle de la porte de la salle de bain de l’étage, annexée à leur chambre, ne se sentait plus très bien depuis la dernière réplique prononcée. Lorsque la dernière serait tombée, cela signifierait que le combat serait terminé, or qui serait le perdant ? Dana ou le cancer ? Mulder avait peur, et la vision de la perruque aux longues mèches incandescentes en train de sortir du sac plastique sous l’influence des mains de Janis ne contribua en rien à faire redescendre l’angoisse anesthésiante. Cessant de s’appuyer contre le chambranle de porte depuis où il observait la scène, Mulder s’éloigna de l’autre côté. Il traversait la chambre. Ses pas sur la moquette élevaient un bruit sourd et feutré contrastant avec l’électricité renversant l’estomac. Mulder décida de s’arrêter devant la fenêtre. Et il était évident, que sans quitter la pièce, il ne pouvait aller plus loin, mais au-moins, les voix à l’origine de son angoisse à lui mouvaient à leur tour en un écho sourd et inintelligible. Et puis d’ici, il pouvait voir Charles et Georgia courir sous la neige et où une règle principale avait été fixée : attraper, avec la bouche, le plus grand nombre de flocons possibles. Dans leur jardin, à lui et à Scully, une petite fille de dix ans était heureuse. Mulder espérait... Il espérait que ce terrain emmitouflé dans la blancheur du froid d’hiver recevrait un nouveau bonheur délivré par les propriétaires du jardin blanc.
L’élastique de la perruque placé sous la base du crane picota fortement quelques secondes puis s’atténua. Elle ouvrit les yeux. Et ce qu’elle vit dans le miroir l’estomaqua :
-          C’est saisissant... commenta Scully. Janis... tu as fait une merveille...
-          Et bientôt, ce sera toi qui donneras naissance à une merveille...
-          Je ne veux pas trop espérer... avoua-t-elle d’une façon monotone, unique solution pour ne pas sombrer.
-          Tu dois ! L’espoir est ce qui nous tient debout, insista-t-elle en appuyant davantage sur les épaules de Dana tout en ne lâchant pas son regard s’offrant à elle à travers le miroir.
-          On croirait entendre Mulder...
La voix de Scully s’était fondue dans un fin chuchotement. Et ses yeux avaient plongé.
-          Et je suis très heureuse que lui-même tienne ce même discours. Lui peut te le rappeler tous les jours.
-          ...
 
Le résultat était parfait. L’artefact illusionnait. Et parce qu’il était nécessaire de ne pas perdre de temps en s’égarant dans les limbes d’un découragement ralentissant, Scully décida de se raccrocher au miroir. Elle dit :
-          Le résultat est vraiment parfait.
-          C’est mon travail... de faire croire le mensonge.
-          Finalement, tu ne parles pas toujours comme Mulder... constata Scully.
-          C’est un moment difficile que vous vivez tous les deux, mais ne lui tourne jamais le dos Dana. Jamais.
Scully avait bien entendu. Elle avait même décodé incroyablement vite l’implicite pour une fois mais... elle ignora.
-          Est-ce que tu peux me redire comment faire pour bien la fixer sur la tête ?
Et Janis ne fut aucunement surprise de cette réaction.
-          Avant de placer la perruque sur la tête, veille à bien centrer l’élastique à la base entre tes deux pouces et ensuite positionne-là en reversant la tête, ce sera plus facile, termina-t-elle d’expliquer à nouveau tout en libérant Scully de la perruque afin qu’elle essaye toute seule.
Quand Janis avait pénétré dans la maison, l’angoisse émanant des deux corps y habitant quotidiennement l’avait traversée et inquiétée. Elle n’avait senti ni bonheur ni tristesse. Uniquement l’angoisse agrandissant la perception de la mort. Mulder, lui-même, ne semblait désormais arriver à croire. Quand elle eut fini de remettre en place les faux cheveux, Scully – anxieuse – demanda le verdict :
-          Alors ?
-          C’est parfait ! rassura Janis qui put voir se dessiner sur le visage malade, pour la première fois depuis son arrivée remontant à moins d’une heure, une onde lumineuse.
-          Je veux réessayer toute seule maintenant, tu peux partir ! ordonna-t-elle pratiquement.
-          Tu es sûre ? vérifia Janis.
-          Absolument.
...
Mulder n’avait pas bougé. Seul et dans le noir, presque. Le soleil, sur les nuages étouffant les récifs montagneux à peine perceptibles au loin, ne perçait pas. L’éclairage en provenance de la salle de bain laissée ouverte s’infiltrant jusqu’à lui compensait... mais pas assez. Janis le rejoignit. Pendant un instant, elle aussi contempla sa fille et son mari tourner et encore tourner sous la neige.
Sans détourner son regard surplombant l’insouciance, il dit :
-          Comment tu la trouves ?
Elle non plus, elle ne détourna pas le regard, et confirma :
-          Pas très bien.
Un nouveau silence s’installa, libérant la place au carillon sur le perron agité par le vent. Le tintement doux et métallique s’infiltrait dans vos oreilles pour vous hypnotiser...
-          Vous... Elle se tourna vers lui. Vous devriez partir quelque part.
Etonné par cette remarque, il quitta les flocons pour accorder toute son attention à la femme de Charles. Elle était légèrement plus jeune que Dana. Moins mince mais il était difficile d’être plus mince que Dana... Pressant le bras de Mulder pour insuffler un peu de chaleur, elle ajouta :
-          Je ne sais pas où, mais vous devriez partir, quelques jours, peu importe... Toi aussi, je ne te trouve pas très bien...
Il hocha la tête, montrant qu’il comprenait la cause de ce message et promit :
-          Nous allons... Il changea les modalités. Je vais y réfléchir.
-          À deux pour y réfléchir, ce serait mieux.
-          Je sais. Sauf qu’elle s’emprisonne dans un mutisme insondable depuis l’annonce de la grossesse... Je ne l’avais... je ne l’avais jamais vue comme ça. Sauf...
Il s’était arrêté. Du bruit leur était parvenu depuis la salle de bain. Mais ce ne fut qu’une fausse alerte. Il révéla :
-          Sauf à la mort de son père.
-          Je suis prête !
Cette fois-ci, alerte. Janis relâcha aussitôt son bras afin de ne mettre personne mal à l’aise et laissa Mulder admirer le spectacle d’une Scully s’avançant vers eux vivifiée par le masque. Il cligna longuement des yeux. Il ne discernait plus la frontière entre rêve et réalité.
-          C’est à s’y méprendre...
Elle était arrivée devant lui. Janis en profita pour s’éclipser.
-          Je vous laisse. Cela me permettra de vérifier que Charles a bien mis vos bagages dans la voiture.
-          On arrive, avertit Mulder.
...
Il attendit que Janis ait rejoint le niveau inférieur pour demander :
-          Comment te sens-tu ?
-          J’avais peur que cela me mette mal à l’aise... Au-contraire, je trouve cela plutôt amusant.
Du bout des doigts, il frôla sa joue. Il ne fallait pas détruire le marbre où la détonation de secours s’enclencherait.
...
*
Deux heures plus tard
17h15
La voiture de location récupérée à l’aéroport de la ville de Raleigh de l’état de Caroline du Nord par Charles et Janis roulait, depuis deux heures, en direction du Maryland. Assise à l’arrière, Scully luttait contre le sommeil la submergeant depuis quelques minutes. Si elle sombrait, son estomac lui ferait savoir à l’arrivée. Sa robe bleue nuit, souple et volontairement non cintrée à la taille, faisait d’elle une véritable ballerine. Une étoile... Maintenant sa tête appuyée contre la vitre, ainsi, elle espérait que le froid irradiant sa tempe plaquée sur le verre froid l’aiderait à rester alerte.
Mulder l’observait. De loin. Georgia s’était endormie entre eux.
Janis située à l’avant, côté passager, demanda en se montrant à l’intérieur du rétroviseur interne :
-          Tout va bien ?
Pour lui et l’étoile, il répondit :
-          Oui.
...
Une heure plus loin, Charles ralentit dans un quartier résidentiel, puis tourna complètement sur les dalles constituant la courte allée menant jusqu’au seuil du garage de la maison de Bill et Tara Scully.
Charles n’avait pas encore éteint les phares de la voiture que la porte d’entrée s’ouvrait déjà –, dévoilant une Margaret Scully impatiente de serrer ses enfants.
Quand la ballerine posa les pointes sur le sol, le déséquilibre l’emporta sur le côté, ce que remarqua aussitôt Janis venant à sa rencontre.
-          Tiens ! Prends ça, conseilla cette dernière venant de glisser discrètement une boîte de comprimé entre ses mains blanches.
-          Qu’est-ce que c’est ? demanda Scully le plus doucement possible veillant à n’alerter personne d’autre que Janis.
-          Ce sont des plantes. J’en prends régulièrement. Cela aide à baisser la pression.
Scully aurait voulu répondre mais l’apparition soudaine de Margaret se jetant littéralement dans ses bras les surprirent elle et Janis. Dana avait eu à peine le temps de faire disparaître la boîte au fond de son sac à main – une boîte qu’elle ressortirait dans les toilettes ou la salle de bain – qu’elle dû ouvrir les bras pour accueillir sa mère.
-          Bonjour maman, murmura Scully enfouie dans les épaules de sa mère qu’elle s’efforça, à son tour, d’envelopper avec ses propres bras à elle.
Lorsqu’elle desserra leur étreinte, Maggie frotta les bras de sa fille et remarqua aussitôt les différences :
-          Tu as une petite mine... et tu as maigris non ? Encore trop d’heure à l’hôpital, répondit-elle à ses propres inquiétudes.
-          Je me sens un peu vaseuse à cause de la route...
-          Rentre donc vite à l’intérieur rejoindre Bill et Tara ! ordonna-t-elle.
Scully s’exécuta immédiatement. Depuis le haut de la terrasse sur laquelle une balancelle était installée, Dana se retourna et vit Mulder se faire enlacer à son tour par sa mère. Elle s’apprêtait à quitter cette vue pour se retourner en direction de l’entrée quand :
-          Tu viens Tante Lyly ?
Scully tourna la tête. Une pulsion complexe, parce qu’elle n’arrivait à comprendre ce qui l’envahissait, submergea son être tout en entier. Une nouvelle fois, Dana sentit qu’il suffisait de frôler l’étincelle pour que le tourbillon se déchaîne, soufflant toute la raison résistante, et laisse la scène au déploiement des ailes les plus noires. L’étoile était à fleur de peau.
-          Oui, je viens, répondit Scully à Georgia qui depuis plusieurs secondes ne comprenait pas pourquoi la main de sa tante qu’elle avait enlacée dès qu’elle avait parlé s’était raidie si longtemps.
L’étoile luttait entre raideur et souplesse.
...
 
 
 
Dix minutes plus tard
19h00
Mulder déposait des paquets cadeaux sous le sapin quand il la vit revenir près de lui.
-          Où étais-tu ? s’inquiéta-t-il.
-          Dans la salle de bain. Je me sens mieux maintenant. Où sont les autres ? demanda-t-elle. Devant l’absence de présence au cœur du salon, à son tour, elle devenait presque inquiète.
-          Dans la cuisine. Ils finissent d’aider ta mère pour les derniers préparatifs du repas. Tu devrais les rejoindre... conseilla Mulder.
Scully hocha la tête. Elle savait... si elle ne voulait éveiller aucun soupçon... que Mulder avait raison.
Mais comme elle n’avait voulu écouter la raison de Mulder jusqu’à son terme – révéler ce qu’elle refusait de montrer – le soupçon serait attisé.
Mulder terminait d’ordonner les présents sous le sapin, puis lui aussi, prit la direction de la cuisine.
...
Dana avait pris appui contre le plan de travail. Elle n’avait pu prendre part à l’attablée déjà bien occupée à terminer de toaster et de découper les derniers mets qui serviraient d’ouverture. Charles et Bill s’activaient avec ardeur et rapidité. Ils avaient faim ! Cette image amusa une fine seconde Dana qui dans un geste inconscient – un geste instinctif – porta l’une de ses mains sur son ventre... Un sourire, tendre, alla jusqu’à se poser sur ses lèvres. Quand elle se retourna pour donner aux garçons les derniers ingrédients nécessaires à la finition de la préparation, elle ne put s’empêcher de remarquer l’attitude de sa fille si... maternelle. Mais la main avait déjà disparu. Elle chercha le regard de celle-ci qui dès qu’elle le trouva se fit craintif. Un regard qu’elle ne put juger davantage, sa fille fuguait de l’autre côté.
-          Qu’y a-t-il maman ? questionna Bill, constatant que celle-ci tenait toujours entre ses mains, figés, les derniers préparatifs indispensables.
-          Rien... fit-elle savoir d’une voix intriguée. Rien du tout.
Charles abandonna la découpe et chercha le regard de sa mère. Il ne comprit pas pourquoi elle fixait la sortie de la cuisine, mais il comprit qu’un soupçon venait d’être éveillé.
Ce dernier échangea un regard avec Mulder toujours présent. Un regard qui confirma l’intuition maternelle.
...
 
 
Trois heures plus tard
22h00
Le repas n’était pas encore terminé, et Scully croulait sous le sommeil. Attablés autour d’une grande table, dans le salon, Margaret n’avait cessé d’observer tous ses enfants. Les voir tous les trois réunis était devenu un instant rare et précieux. Mais un enfant retenait particulièrement son attention en cette veille de Noël. Dana. Cet enfant était trop silencieux. Pourtant, dès que Margaret donna des signes annonçant qu’elle était sur le point de débarrasser quelques plateaux, elle eut l’étonnante surprise de voir ce même enfant se lever pour l’aider à ramener, plats et assiettes vides, dans la cuisine. Même Mulder ressentit la surprise l’envahir. Mais une surprise angoissante. Si elle faisait cela, ce n’était en rien pour aider l’autre, mais pour s’aider soi-même –, pour ne pas sombrer dans un sommeil prématuré.
-          Est-ce que tu vas bien, ma chérie ? demanda Maggie, une fois qu’elles furent toutes deux arrivées à l’écart du bruit des conversations.
Elle se retourna vers sa mère. Scully avait dit oui. Mais parce que sa mère reposa la question, elle réalisa qu’elle avait répondu dans sa tête. La réponse avait été pensée, mais non verbalisée.
Devant le silence emmurant sa fille, Margaret confirmait ses soupçons. La dernière fois qu’elle avait vu la crainte dans les yeux de sa fille avait été pour la grossesse de William. Ces yeux – qui voulaient parler mais qui ne pouvaient le faire – resteraient, depuis ce soir où Margaret avait accouru auprès de sa fille, à l’hôpital, en raison de fausses contractions, à jamais gravés dans sa mémoire. Elle avait voulu embrasser sa fille –, celle-ci s’était raidie. Dans l’allée ce soir, sa fille s’était raidie...
-          Que se passe-t-il ?
-          Rien. Absolument rien, assura Dana finissant de déposer les assiettes sur le plan de travail.
Sa voix était si écartelée par le feu de la tristesse que sa gorge la brûlait.
Margaret fixa la tenue de sa fille. Ce n’était vraiment pas son style. Elle était resplendissante, mais ce n’était pas son style. Vêtue ainsi, elle ressemblait... elle ressemblait à une étoile, mais elle ressemblait à la légèreté s’emparant du corps d’une femme portée par la vie se déployant au cœur du corps.
Sa question ne passa pas les filtres. Margaret parla sans avoir pris conscience de sa réflexion :
-          Es-tu enceinte ?
Un rire nerveux – aussi bref qu’une étincelle – vibra.
-          Maman ! Tu sais que c’est impossible !
Le rire nerveux recommença. L’étincelle s’attisait.
-          Mais Dieu ne sait pas, lui, que les choses sont impossibles... alors il les fait...
-          Maman... supplia Dana, choisissant l’agacement.
Margaret venait de comprendre que l’intuition maternelle était juste. Sa fille aurait dû dire non –, non je ne suis pas enceinte.
-          Tout à l’heure, je t’ai vue...
-          Tu m’as vue quoi... n’osait-elle savoir.
-          Mettre ta main sur ton ventre... comme une mère...
Lèvres entrouvertes par la stupeur, Dana baissa la tête, choquée par cette révélation. Elle essayait de se rappeler, mais non. Dana ne se rappelait pas avoir touché son enfant.
-          Ma chérie... s’approcha Margaret, cherchant à enlacer les joues de sa fille.
-          Arrête ! supplia Dana dans un souffle au bord du précipice, fixant son ventre encore et encore.
Sous la dureté du timbre de sa fille, Margaret eut un mouvement de recul. Horrifiée, elle prononça :
-          Doux Jésus... Ne me dis pas que tu ne veux pas de cet enfant ?
Scully releva la tête. Et ce que Margaret put lire au fond de ses prunelles bleues – devenues noires – la terrassèrent.
-          Pourquoi ?
Margaret répéta :
-          Pourquoi ?
Elle s’acharnait. Il le fallait bien. Scully ne réagissait plus.
-          Parce que votre fille a une leucémie !
L’étincelle venait d’être frôlée.
*
 
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Message  PtiteCoccie88 Lun 1 Juil 2013 - 21:00

 15
*

 
 
 

I shall know why, when time is over,
And I have ceased to wonder why ;
Christ will explain each separate anguish
In the fair schoolroom of the sky.
He will tell me what Peter promised,
And I, for wonder at his woe,
I shall forget the drop of anguish
That scalds me now, that scalds me now.

[…]
Emily DICKINSON


Je saurais pourquoi - à la fin du Temps -
Quand j’aurai cessé de demander pourquoi -
Le Christ expliquera chaque angoisse une à une
Dans la belle école du ciel -
Il me dira ce que “Pierre” a promis -
Et Moi - confondue par sa souffrance -
J’oublierai la goutte d’Angoisse
Qui à présent me brûle - qui à présent me brûle !

[…]

 
 

Une décharge électrique transperça le cœur et Margaret Scully fit volte-face. L’écho du timbre grave martelait l’intérieur du crane de cette mère de quatre enfants moins un.

-          Que venez-vous de prononcer ?

Cette question était illogique, les mots n’avaient pas besoin d’être répétés, ils compressaient encore les poumons, mais Fox Mulder, loyal, obéit :

-          Dana développe une leucémie depuis le début de l’été, mais nous ne l’avons découvert que fin septembre.

Margaret portait la main à son front. Un faux accord était en train de retentir en cette veillée de Noël. L’autre main dut venir s’appuyer sur le plan de travail pour que le corps ne vacille pas davantage.

...

Depuis la table du salon, Charles nota un changement. Les tintements de la vaisselle en porcelaine se mouvant dans l’air s’étaient mués en un bruit sourd. Tournant la tête en direction de la cuisine, il comprit en quoi son ouïe avait alerté sur un changement de tonalité : la porte de la cuisine était curieusement fermée. Non close d’une manière inhabituelle en raison d’une mauvaise fermeture, au-contraire, la porte de la cuisine avait été volontairement fermée. Depuis combien de temps ? Déposer de la vaisselle, quarante secondes, au-maximum... Un cri le fit sursauter. Il ne s’agissait que du fils de Bill – Matthew – courant autour du sapin à la poursuite de Georgia qui soudainement tomba dans un éclat de rire entre les cadeaux.

-          Vous allez faire tomber le sapin ! réalisa Tara Scully quittant aussitôt la table afin de prévenir les catastrophes futures.

Cela n’avait été qu’un cri d’enfant heureux, et pourtant si effrayant pour ce frère dont la sérénité s’évaporait –, plus les secondes s’envolaient. Malgré les réprimandes que Tara faisait planer au-dessus de leurs têtes, Matthew – qui avait aidé sa cousine à se relever – sentit le rire s’emparer de son esprit. Quant à Georgia, en plus de son estomac, l’euphorie envahissait les yeux. Même Bill Scully discutant avec les membres de la famille de Tara ne semblait percevoir la menace silencieuse que seul Charles pressentait. Mais :

-          Est-ce que tout va bien ? demanda Janis.

Elle revenait des toilettes. Ses pas n’avaient pas encore rejoint le salon que les sourcils imperceptiblement froncés de son mari l’avaient intriguée. Arrivée à sa hauteur, elle avait décidé de l’interpeller avec cette question que lui seul avait pu entendre.

-          Je ne sais pas, répondit-il, les traits du visage de plus en plus préoccupés.

Janis reprenait place sur la chaise près de lui quand il ajouta :

-          Ils auraient dû déjà revenir... Cela fait plus de cinq minutes... murmura-t-il.
-          Qui ? questionna-t-elle à nouveau en se rapprochant de lui, plutôt égarée.

Il effectua un mouvement oscillatoire en direction des trois places vides se dressant en face d’eux. Et ce fut au tour de Janis de ressentir un éclair indéchiffrable, malgré la luminance avec laquelle il parcourrait ses membres.

-          Mais c’est peut-être une bonne chose qu’ils parlent enfin de ce qu’ils doivent parler, non ? tenta-t-elle de rassurer en se tournant définitivement vers lui. Et peut-être qu’ils ne parlent en rien de ce que tu crois... cherchait-elle à réconforter avec toutes les solutions possibles.
-          Quel est mon plus grand défaut Janis ?
-          Tu es têtu, répondit-elle le plus vite qu’elle put malgré sa surprise face à cette question hors-sujet.
-          Et ma plus grande qualité ?
-          La détermination... répondit à nouveau parfaitement Janis en qui la compréhension – permettant d’éclairer les sources des inquiétudes de Charles – se déployait en elle.

Il abandonna les yeux de sa femme pour surveiller une fois de plus la porte de l’angoisse. Sous la table, Janis s’empara de sa main et attendit, comme lui, qu’ils reviennent. Entêtement et détermination réunis dans un même corps pouvaient souffler l’âme en morceau.

... il avait compris qu’il suffisait d’observer la sœur pour apprendre à connaitre le frère.

La confusion des sons alimentée par les conversations s’élevant au-dessus de la table et les rires sous le sapin amplifiaient l’inquiétude dans les yeux de Charles et dont la tête – engluée dans un brouhaha ambiant - commençait à tourner. Un orchestre de rire joué par Bill et les autres éclata. Puis les boules de Noël s’écrasèrent au sol alors que le sapin se trouvait toujours debout et le cristal extérieur intacte, car les boules n’étaient jamais tombées.

...

Retrouvant son souffle puis son équilibre elle remercia des yeux Mulder, se retourna vers sa fille dont les yeux noirs avaient disparu puisqu’elle fixait la terre et à qui – sévèrement - elle entreprit de dire :

-          L’interne ne s’est absolument pas trompé.

Elle s’empara des bras de sa fille afin de la ramener dans la pièce. Son corps était présent, mais son esprit... Margaret secoua les épaules.

-          Réponds-moi Dana ! se fit-elle plus pressante.

L’onde de choc parcourant Scully sous la force propagée par sa mère éradiqua le calme qu’elle s’était ordonné de recouvrir sur la terreur... qui maintenant était libérée.

-          Je...
-          Quoi ? réagit Maggie à l’entente des bribes de sa fille. Parle-moi !

Elle n’était plus en colère, seulement inquiète. Mulder s’approcha à son tour. Les yeux tristes, il posa une main sur l’épaule de celle qui regardait par terre quand soudain, les bribes – qui quelques secondes avaient été inaudibles pour lui et Margaret – s’éclaircirent avec violence :

-          Je te faisais confiance.
-          Dana ne dis pas ça... murmura Margaret qui savait ô combien ses mots foudroyaient autant sa fille que celui que sa fille aimait. Fox souhaite te protéger... termina-t-elle ne cessant de contenir son enfant car son corps commençait à trembler sous l’impulsion du chaos intérieur.
-          Tu ne pouvais dissimuler de telles choses plus longtemps Scully... Tu as besoin de nous tous, pas que de moi...

Mulder faisait de son mieux. Il avait répété ces mots. Mais la voix presque bestiale de Scully qui avait retenti ne présageait aucune trêve. Et encore plus menaçante, braquant son regard dans celui qu’elle avait envie de dévorer, elle recommença le grondement :

-          Je te faisais confiance.
-          Tu es fatiguée, cherchait-il à ramener à la raison en effaçant ce qu’elle répétait, répétait et encore répétait en cognant verbalement.
-          Je te faisais confiance... Je te faisais confiance... Je te faisais confiance...
-          Dana... articula Margaret, la voix complètement détruite sous l’entente de sa fille complètement déchirée.
-          Je te faisais confiance...

Dana ne regardait plus personne. Dana plongeait vers le sol, mais elle ne plongeait pas, sa mère la retenait à la surface qu’elle ne voyait plus, ses yeux bleus étaient fermés, une surface sur laquelle elle s’accrochait, les poings de Dana frappaient frénétiquement mais sans force la poitrine de sa mère, Maggie ne ressentait aucune douleur physique, Maggie était si noyée par la colère de sa fille coulant dans un chagrin en lutte avec l’angoisse qu’elle n’arrivait à en vouloir à sa fille de ne pas avoir parlé durant des mois...

-          Je te faisais confiance... continuait-elle ; arrêter était impossible.
-          Fox... conseilla Margaret – suppliant – se dégageant pour lui laisser la place auprès de sa fille.

Quand elle sentit la pression masculine l’envelopper, Scully paniqua.

-          Lâchez-moi... implora-t-elle. Mais ils n’entendaient rien. Lâchez-moi... répéta-t-elle.

Qui la tenait ? Toutes ces mains... ça serrait. Trop fort. Trop. Vraiment trop. Qui la tenait ? Maman, Mulder, Maman, Mulder, trop de monde.

-          Ce n’est que Mulder... expliqua Margaret.
-          Je ne veux pas... sanglota Scully.
-          Calme-toi... chuchota Mulder tout en essayant de l’enfoncer totalement dans le cœur de ses bras.
-          Je ne veux pas !

Son cri – pour elle – n’avait été qu’un chuchotement – pour les autres.

Mulder exerça une nouvelle pression qu’il lâcha aussitôt ; Dana avait été perdue.

-          Vous ne comprenez rien ! murmura celle qui s’était enfin dégagée.
-          Dana... prononcèrent d’une même voix Margaret et Mulder.

Ils se rapprochaient à nouveau quand les porcelaines circulaires se soulevèrent du plan de travail dans un arrachement sec et brutal... Non !... pour exploser en des centaines de fragments sur le carrelage de la cuisine.

Le fracassement hurlé des assiettes avait été son refus audible signifiant n’approchez pas !

Margaret et Mulder reculèrent une seconde face à la surprise se reflétant dans leurs yeux de la détonation brutale, sauvage et tellement triste... pour immédiatement revenir vers elle et vérifier :

-          Es-tu coupée ? alerta Mulder réussissant à frôler sa joue malgré le barrage brisé mais dangereux dressé entre eux.
-          Non ! hurla-t-elle jusqu’à se brûler la gorge ; et sans doublure cette fois.
-          Dana !

L’appel de la mère n’avait pu retenir la fille – qui une fois encore – choisissait la fugue.

...

Le vent fouettait ses joues. Et sa poitrine s’enflammait. Plus les lumières de la ville s’éteignaient – parce qu’elle s’en éloignait – plus l’ordre revenait dans son corps. Mais plus sa tête tournait. Elle courrait trop vite –, et depuis déjà trop longtemps.

...

Quand Bill et Charles ouvrirent la porte de la cuisine, alertés par le fracas et les cris, la vue de leur mère et de Mulder contemplant la porte-fenêtre de la cuisine grande ouverte – aux rideaux virevoltant sous le déchaînement du vent nocturne et glaciale – les alarma. Une personne manquait à l’appel.

-          C’est Dana ? demanda Bill.

Margaret se retourna, laissant apparaître le carnage que la vaisselle et le verre en cristal avaient subi sous la pulsion de détresse de leur sœur pour donner à percevoir son âme en morceaux.

-          C’est Dana ! confirma Charles, loin d’être tranquille.

Mulder, lui, ne se retournait pas. Il se contenta d’ordonner :

-          Charles, Bill, rattrapez-la... Vite !
-          Mais qu’est-ce qui se passe ? demanda Bill, les yeux ronds par l’étonnement.
-          Je t’expliquerai en chemin. Faut pas traîner ! ordonna Charles à son tour.

Fox Mulder – impuissant – observa les deux frères s’engouffrer dans la sortie choisie par leur sœur ; puis la main de Margaret Scully vint trouver l’épaule de Mulder, et celle-ci décida de révéler :

-          Fox... J’ai à vous parler.

*

Dix minutes plus tard

22h20

Dans le salon, Margaret Scully confiait quelques instructions discrètes à Tara et à Janis dans le but de ne pas éteindre la veillée... Dans le cas contraire, Georgia et Matthew risquaient de sombrer dans la déception. Margaret avait dit :

-          Il y a un petit souci avec Dana... mais cela devrait s’arranger...

Tara – ignorante – avait été presque dupe, mais pas Janis. Le sourire crispé de Maggie avait permis d’entrevoir la gravité de l’événement. La porte de la cuisine se referma une nouvelle fois et Tara demanda :

-          Que se passe-t-il ? J’ai bien vu que Dana... était encore plus sombre que d’habitude...
-          Alors donnons-lui de la lumière, répondit Janis.
-          Comment ?

Janis se tourna une nouvelle fois vers les enfants en train de choisir une musique à mettre dans le lecteur stéréo situé près du sapin. Les autres membres de la famille de Tara – également mis dans la confidence par Margaret – les aidaient à choisir. Un doux carillon mêlé dans une voix masculine apaisante s’éleva délicatement autour d’eux quand Janis – assise sur le canapé avec Tara –  trouva enfin la réponse qu’elle dévoila dans une énigme –, au même instant où l’éclairage tamisa la pièce en rouge et bleu :

-          En déposant Dana sur le sol du soleil.

...

Elle avait ordonné : attendez-moi ici, je m’en vais voir Tara et Janis, je reviens dans deux minutes. Et quand Margaret Scully refit surface dans la cuisine dont la porte fut – à nouveau – soigneusement bien fermée, elle y trouva un Fox Mulder anéanti dans les remords. Son dos maintenu droit était si raide ; les épaules de cet homme luttaient pour s’affaisser, mais il tenait la résistance. Son cœur n’était pas rongé par leur dernière promesse qu’il venait de trahir : ne pas parler ; mais par son incapacité chronique d’avoir pu tenir à distance Scully du feu. Pourtant, Mulder savait – profondément – que les opposés s’accrochent. Ce soir, la glace avait attiré le feu. Mulder ne pouvait être responsable, mais la culpabilité attaque toujours l’innocent.

Cessant de décortiquer les épaules robustes, mais si fragiles, de Fox Mulder, Margaret Scully avoua :

-          Mon père est mort d’une leucémie.

Et les épaules masculines se retournèrent.

...

Bill et Charles Scully, eux aussi, avaient décidé de s’éloigner de la ville. Les couleurs brillantes enveloppant l’aura des maisons sombraient pendant que les arbres centenaires et noirs se dressaient au rythme d’une course dépourvue d’oxygène. La vitesse de propulsion fraternelle était si importante que l’air s’écartait sur leur passage pour ne pas les freiner.

-          Tu es sûr de toi ?
-          Je suis l’aîné ! Je connais notre sœur depuis plus longtemps que toi, au cas-où tu l’aurais oublié !
-          Et je suis le cadet... se remémora Charles à voix basse. Il n’était pas agacé, face à Bill, cela ne servait plus à rien.

William Scully Jr. n’avait pas rappelé son rang hiérarchique supérieur avec sécheresse – une habitude naturelle, la fonction militaire déteignant trop souvent sur l’espace privé – mais avec inquiétude. Depuis le mois de mai, plus aucune nouvelle de son unique sœur lui était parvenue et les révélations encore tièdes de son frère avaient confirmé ses craintes... Dana était malade. Et sept ans plus tôt, parce qu’il avait jugé trop vite celui qui s’acharnait à créer la vie dans son corps, aujourd’hui elle n’avait pas parlé... Pour Bill, plus aucune erreur n’était permise ou la condamnation pour la maintenir dans sa prison de verre résisterait à perpétuité.

-          Alors ? insista Charles voulant s'assurer de la bonne direction.

Depuis la première question, l’air avait pu à nouveau descendre dans leurs poumons ; les deux frères avaient mis fin à cette fausse course-poursuite devant un portillon en bois abritant l’entrée d’une forêt. Une fausse course-poursuite puisque la cible, depuis le commencement, restait en dehors du spectre de la visibilité. L’étoile avait quitté la lumière...

Bill se tourna vers son frère :

-          Je suis absolument sûr.

...

Mulder, de ses mains, triturait le mug dans lequel Margaret versait du thé. Le clapotement régulier et vibrant de l’eau chaude trouvant sa résonnance au cœur d’elle-même détendit ses muscles, mais pas les pensées de cet homme en plein doute. Margaret reposa la théière ; la pluie voluptueuse avait cessé. Assis l’un en face de l’autre, la table entre eux et les yeux de Mulder coulant dans la théine, elle reprit :

-          Lorsque Dana est arrivée au terme lui permettant d’accéder à son rêve, être médecin... personne n’a compris son choix de renoncer à l’exercice de la médecine pour intégrer le FBI mais maintenant, nous comprenons, et surtout nous acceptons.

Ces derniers mots lui firent décrocher les yeux du liquide encore prêt à déborder par-dessus les bords de la tasse. Et Fox Mulder, perdu par l’échec d’avoir fait tomber la reine, demanda :

-          Que comprenez-vous ?
-          Fox ! Sans Dana, aujourd’hui, vous seriez mort ! révéla-t-elle. Et ma fille n’aurait encore jamais ressenti le bonheur. 

...

La violence l’arrêta. Les arbres aux racines gigantesques venaient de faire valser son équilibre. Le portillon qu’elle avait dépassé régulièrement avec la carabine et ses frères n’était plus qu’une entité invisible. Ses pas, trop rapides pour son état physique, l’avaient emportée loin, dans le cœur d’une forêt où lumière et chaleur n’existaient plus depuis de nombreuses heures. Mais Bill lui avait dit qu’elle avait été reconstruite par Matthew. Elle se hissa au-dessus du sol et analysa les dégâts. Les mains égratignées et la robe embuée de poussière terreuse. Époussetant le vêtement, une toux sèche – pour lui faire entendre sa faiblesse – l’attaqua, puis son âme et son corps sursautèrent.

-          Dana !

Bill...

-          Dana !

Charles...

Sa gorge brûlait, le souffle manquait et la nausée l’envahissait, mais la fugue noire reprit dans le sentier obscur.

...


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L'Aura d'espoir [en cours de construction] Empty Re: L'Aura d'espoir [en cours de construction]

Message  PtiteCoccie88 Lun 1 Juil 2013 - 21:07

-          Dana !
-          Dana !

Un bruit sourd – une masse s’effondrant sur le sol dans la terre – avait retenti.

-          La cabane ! Elle prend la direction de la cabane !
-          Mais elle n’existe plus !
-          Elle a été reconstruite il y a deux semaines par Matthew ! révéla Bill.
-          Quand papa la disputait... c’était toujours là-bas qu’elle se réfugiait.

...

Tout à l’heure, Mulder n’avait pas osé, mais cette fois-ci :

-          Vous avez dit... que votre père était mort d’une leucémie...
-          C’est exact Fox... accentua Margaret Scully. Mon père était très lié avec Dana. Avec lui, Dana était capable de parler durant des heures et jamais il ne s’en est lassé...

Margaret venait de cesser d’émettre le son du passé pourtant, elle et Mulder ne se quittaient pas des yeux. En ces instants, son rôle était de porter à la lumière celui qui guiderait celle qui s’enlisait dans les profondeurs. Le temps pour s’égarer dans le désarroi d’un avenir incertain face à la maladie révélée ne devait pas s’écouler ou sa fille tomberait puisque le monde serait occupé à plonger sous la tristesse. Alors elle reprit en confiant :

-          Que Dana développe ce même mal... ne me surprend qu’à moitié.

Une confidence alertant Mulder qui précipitamment ajouta :

-          Le facteur génétique a été vérifié par les médecins, Dana développe une leucémie isolée, aucun gène héréditaire qui aurait pu être à l’origine de ce nouveau cancer n’a été détecté...

Margaret avait été sur le point de reprendre la parole quand :

-          Je reste persuadé que les radiations que le gouvernement lui a fait subir sont elles-seules responsables...

Le regard de Fox Mulder devint soudainement très sombre.

-          Comme vous me l’avez dit... sans moi elle n’aurait peut-être jamais ressenti le bonheur mais sans moi elle n’aurait sûrement jamais ressenti la mort...
-          Fox ! arrêta-t-elle, le poing cognant sur la table afin de ramener la raison échappée ailleurs. Vous n’êtes en rien responsable. Ma fille vous ressemble. Beaucoup. Mais chez elle, la peur au-lieu de la porter... la fait tomber. Et cette peur attirant vers le bas est ce qui lui a toujours permis de vous freiner quand vous, Fox, montiez trop haut. Constamment Dana vous a protégé d’une chute trop brutale. Elle est votre équilibre.


...

Ici, la lune éclairait mais le froid intérieur persistait, et les tremblements – malgré la cavalcade accélérant la circulation sanguine déclenchée par l’explosion d’émotions insoutenables – doublèrent en intensité. Pour y accéder, il était nécessaire d’emprunter l’échelle suspendue à l’arbre ayant été choisi pour abriter les planches en bois dont l’assemblage donnait à voir une petite maison au toit carré ; parfaite pour servir de base stratégique destinée à deux frères et deux sœurs –, ou pour y cacher un oiseau noir.

Posant un pied sur le premier barreau cylindré rendu fébrile par le balancement de l’échelle sous son poids, elle accrocha ses mains aux cordes brûlant les paumes desséchées, et l’oiseau noir – à la respiration saccadée – disparut dans l’ascension d’un ciel aux étoiles invisibles. Les yeux du désespoir sont aveugles sur le monde extérieur. Mais dans le ventre, une étoile était fécondée. La mère, verrait-elle le scintillement ?

...

L’échelle, cinq minutes plus tard, éleva le poids des frères...

Échouée au centre de la pièce fabriquée par un petit garçon de sept ans, leur sœur ne dormait pas, ne pleurait pas, elle leur murmura :

-          William aurait dû aider Matthew à reconstruire notre cabane...

Charles s’agenouilla. Par terre, Dana était recroquevillée. Pour la redescendre, il fallait la relever. Pour la ramener dans le foyer éclairé, il fallait l’extirper de la cabane noire.

Bill s’agenouilla à son tour. Lui, comme son frère, avait bien compris qu’elle n’avait jamais voulu parler du père, mais de celui qui aurait dû être le cousin de Matthew.

-          Tu ne dois pas en vouloir à Mulder.

Les cheveux accrochés au plancher, Dana tourna la tête pour apercevoir le frère qui venait de parler. Et parce que sa sœur le regardait enfin dans les yeux, il remarqua la perruque légèrement décentrée de son axe par la course, par le plancher, et puis surtout parce que ses cheveux ne lui appartenaient pas.

Le timbre fut étrange –, hypnotique :

-          C’est lui qui m’en veut...
-          Non !
-          Si ! Pourquoi Mulder aurait-il parlé ?
-          Pour libérer la pression ! Contenir ces émotions dans ton état, ce n’est vraiment pas bon ! assura Bill de toutes ses forces, mais rien ne semblait être parvenu jusqu’au cœur des cellules saines. Trop de cellules malades étouffant les autres...
-          Ils m’en veulent tous les deux...
-          Qui ils... demanda Bill doucement. Il ne comprenait pas qui était ce deuxième il.
-          Dieu ! s’exclama-t-elle, le regard soudainement agrandi et lunaire... perdu dans un nuage... tout comme sa voix.
-          Dana... prononça Charles, effondré. Je refuse que tu penses une telle chose.
-          Pourquoi ?

La voix n’était plus sans consistance, la pierre rigide et sévère revenait la recouvrir. Elle reprit avant de laisser le temps à une réponse :

-          J’ai abandonné William. Et maintenant, Dieu me punit pour mon acte...
-          Un acte de courage Dana ! coupa Charles insistant sur le mot important.

Mais elle contre argumenta :

-          De lâcheté Charles ! C’était de la lâcheté...
-          Il est en sûreté maintenant ! tenta son autre frère.
-          Bill... Nous n’en savons rien ! Le meilleur moyen de s’assurer de sa sûreté aurait été de le garder près de moi... et de Mulder.
-          Peut-être Dana ! mit en avant Bill. Mais peut-être pas !
-          Si ! Forcément, sinon pourquoi serais-je en train de mourir...
-          Pour des tas de raisons révélant un corps épuisé, mais certainement pas pour te juger coupable ! accentua Charles aussi fort qu’il le put, aussi puissant que l’amour qu’il possédait pour sa sœur. Et cet autre enfant qu’il t’accorde est synonyme de bénédiction Dana.

Elle ne réagit pas. Ils choisirent de l’imiter. Elle décortiquait chaque lettre. Mais son opinion personnelle ne se dessinait pas. Qui choisir ? Le petit frère ou le grand frère ?

-          Bill ? finit-elle par émettre, en quête d’une autre démonstration.
-          Charles a raison.

Leur sœur médita ces dernières paroles. Il n’y avait donc qu’un choix. Le chemin de la bénédiction... La grossesse avait débuté après le cancer... Si quelqu’un avait voulu la punir, l’ordre aurait été retourné. Alors pourquoi ?

Comment vérifier ce choix ? Se relever et attendre de tomber pour réfuter ? Ou se relever et attendre de ne jamais tomber pour confirmer ?

...

La raison fraternelle était en train de réussir. Dana se relevait. Encore tremblante, elle parvenait à redescendre les barreaux, un par un, de l’échelle. Et quand elle posa le pied sur la terre, le corps ne pencha pas. Peut-être suffisait-il de prendre la confiance en point de mire pour canaliser la peur... Peut-être.

Sur le trajet inverse, dans les bras de Bill qui l’avaient soulevée avant que l’autre pied ne touche la terre noire, l’étoile qui ne demandait qu’à retrouver ses étincelles, laissait entrer le sommeil. Les mouvements réguliers provoqués par la marche dans le corps de son frère s’infiltraient dans le sien qui se retrouvait bercé en silence. Si le deuxième pied avait touché terre, le corps serait tombé, peut-être. Elle ne connaitrait jamais la réponse. Si Mulder avait parlé à Margaret, peut-être était-ce parce qu’elle était sur le point de tomber. La confiance... prévenir l’autre d’une chute trop brutale ?

L’épuisement – mental et physique – avait réduit à néant la garde de cette sœur au bouclier de fer. La respiration régulière, et le visage emparé par la sérénité reposant contre la poitrine de Bill, parvinrent à détendre, pour eux-aussi, leurs traits et leurs rythmes cardiaques.

Pour ce soir, l’étoile avait gagné la bataille face à celle qui ne fauchait que pour réduire en poussière, mais la paix ne serait pas encore signée. Et sous le bouclier figeant le combat, resterait-il encore des épées pour avancer sans perdre ?

...

Que dire ? Que confier face à cette mère semblant habitée par la parole de Dieu ? La colère l’avait saisie. Vraiment. Mais suite à la visualisation de la mort coulant dans les veines de sa propre fille, Margaret avait décidé de choisir le calme rassurant autrui et conduisant aux solutions. La colère ne mène nulle part ; elle éclate en morceaux au-lieu de recoller l’âme qu’on dit perdue. Mais en attendant qu’elle retrouve un chemin, comment éclairer ?

Mulder avoua :

-          Elle ne veut pas de cet enfant...
-          Je l’ai bien vu, Fox.
-          ...

Mais lui, Mulder, ne voyait plus rien. Ne regardant plus Maggie, il ne semblait plus voir, pourtant les yeux étaient ouverts. Et cet homme finirait par s’égarer aussi à force de perdre l’équilibre fuyant en-dehors des sentiers éclairés... Sans Scully, son équilibre, Mulder risquait la chute.

Margaret devait les ramener, tous les deux, ou la troisième âme, elle aussi, serait perdue.

-          Dana est médecin ! Et en tant que tel, son raisonnement, au-lieu de faire appel à son cœur, trouve ses fondements sur une logique scientifique ! Elle ne doit cesser de se repasser en boucle les dangers que votre futur enfant encoure tant qu’elle le portera dans son ventre...

Votre futur enfant... Ces mots étaient si irréels. Construits pour d’autres, mais certainement pas pour eux. Il voulait de ce futur... mais elle ?

-          Je crois bien que c’est l’après qui l’effraie...
-          Et vous serez là pour la guider ! s’acharna-t-elle à convaincre, une fois encore, coupant la parole, il fallait faire vite, seulement cinq mois étaient devant. Vous êtes là pour lui faire prendre conscience que ce qui est arrivé à votre fils ne se reproduira pas pour ce nouvel enfant tout comme la leucémie qui a tué son grand-père ne la tuera pas !
-          Comment pouvez-vous en être si sûre ?
-          Je ne crois pas aux coïncidences Fox... Je reste persuadée que tout repose sur une logique ne devant rien au hasard.

Ces mots... Il les connaissait... Non, il ne les avait pas entendus... Il les avait lus... Dans sa thèse...

-          Einstein disait cela...
-          Et c’est Dana qui me l’a appris. Fox ! Si nous ne traversions jamais le noir... jamais nous ne pourrions reconnaître la lumière.

Il releva la tête. Et pas une goutte d’eau salée ne se montrait près des cils de cette mère au regard assailli par la détermination.

-          Fox... Ayez confiance. Le Seigneur ne vous aurait pas demandé autant d’épreuves pour vous laisser encore plus bas...
-          Je ne crois pas en Dieu Margaret.

Les lèvres maternelles s’articulèrent pour répondre ; but jamais atteint, le grincement de la porte fenêtre stoppa la mécanique corporelle. La conversation s’arrêta. Le corps de Dana gisait dans les bras de Bill ; les yeux étaient fermés. L’étoile éteinte...

-          Montez-là à l’étage, ordonna Margaret à ses fils.

Et Mulder essayait de se convaincre – accrochant des yeux celle endormie – que le noir ne frappait que pour mieux faire jaillir l’étincelle quand elle se réveillerait. Pour que le monde entier voit, pour atteindre le très haut que personne ne touche, l’étoile doit s’élancer du plus bas, tout aussi difficile à atteindre, car en bas, la respiration n’existe plus.

...

Une heure plus tard

00h02

-          Qu’est-ce qu’elle a Tante Lyly ?
-          Elle est fatiguée.
-          Mais c’est impossible d’être fatiguée le jour de Noël...

Charles hissa Georgia sur ses genoux. À côté d’eux sur le canapé, Mulder n’observait plus la distribution des cadeaux orchestrée par Margaret. L’interrogation imprévue de Georgia avait rendu la contemplation impossible. Et sa dernière réflexion restait sans réponse. Elle demanda au silence puisque seul lui décidait de répondre ; la détermination dans le cœur :

-          Mais est-ce qu’elle ira mieux bientôt ?

Ce fut cet instant que Margaret choisit pour se rapprocher de son fils et de sa petite-fille, ainsi que de Mulder qui répondit, brisant enfin le court monologue de Georgia :

-          J’espère...

La voix avait été si triste... Il devenait primordial de recharger l’espoir... Dans les mains vinrent se déposer deux petits paquets bleus argentés. Margaret précisa :

-          Celui-ci est pour vous Fox... et celui-ci pour Dana.

Accordant un regard à Charles puis un nouveau à Mulder, elle consigna :

-          Vous n’aurez qu’à les ouvrir chez Yumi...

Puis elle termina :

-          N’espérez plus, maintenant il faut croire.

...

Mais sans espoir, l’étape suivante demeurerait inatteignable.

 

*

 

 

Dans la nuit

02h00

Tous les présents avaient été ouverts sauf deux bleus argentés. Plus il montait, plus les marches craquaient. Les autres étaient encore en bas, le bruit des salutations de départ entre Bill et sa belle-famille grimpait jusque dans le couloir de l’étage. Il ouvrit la porte. Une appréhension accompagnait son geste. Il avait peur de ce qu’il découvrirait... Juste une étoile endormie... Le bruit mécanique de l’ouverture et de la fermeture du sac – dans lequel il entreposa les cadeaux – ne déclenchèrent aucun mouvement dans le corps de Dana. Son sommeil était si lourd... Même si la chute n’avait pas été brutale, car il l’avait prévenue, elle était tombée dans la terre. La chute avait eu lieu. Et maintenant, comment rapprocher le ciel ?

Il se glissa dans les draps. Là encore, Scully ne bougea pas. Avec la plus grande délicatesse et après avoir congédié ses frères, Margaret avait réussi à déshabiller sa fille, mais elle n’avait pas osé toucher aux cheveux... Allongée sur le côté, son visage se montrant à lui, plus rien n’indiquait la noirceur qu’il avait porté face au déchaînement soudain de la peur de l’autre. Ses joues étaient aussi pures que la porcelaine. Il ne les toucha pas. Le calme ne devait pas s’enfuir. Pas encore... ou le risque de ne plus se relever deviendrait certain.

Le lendemain matin

08h09

Et lorsque les rayons apportèrent la lumière à travers la fenêtre, celle-ci semblait ne s’être jamais réveillée depuis l’instant où, dans les bras de Bill, elle s’était endormie. Tout comme il avait ouvert le sac en silence à l’entrée dans la chambre quelques heures plus tôt, il referma la porte en silence et descendit les marches.

Quand elle se montra enfin, trois heures plus tard, Mulder prenait un café avec Charles et Janis autour d’une petite table ovale installée sur la terrasse. Un simple bonjour sortit de ses lèvres... La douceur du soleil d’hiver caressant sa peau pâle la surprit... Plus rien ne sortit. L’explosion de la veille avait – étrangement – purifié son estomac... et la tête était enfouie dans du coton... Puis Charles et Janis dirent : « Nous vous ramenons en Caroline... ».

...

Une heure plus tard

12h54

Margaret savait. Tout le monde. Sauf Dana. Sur le perron, Maggie et Mulder se disaient au-revoir. Sa fille avait déjà trouvé refuge sur la banquette arrière. Janis, dans la voiture également, se retourna et demanda :

-          Est-ce que ça va ?

Scully décrocha son regard de la vitre et dit :

-          Oui...

Janis allait reprendre quand elle ajouta, presque étonnée :

-          Je n’avais jamais autant dormi depuis tellement de mois... confia Dana.
-          Les chocs émotionnels, une fois sur deux, produisent cette réaction, expliqua Janis.
-          Je sais. Je suis médecin ! répondit sèchement Scully sans le vouloir vraiment.
-          C’est vrai ! s’exclama Janis veillant à ne pas relever l’agressivité involontaire.

Le cliquetis des portières avant et arrière s’ouvrant se déclencha. Mulder et Charles prenaient place. Cette fois-ci, pas de Georgia. Margaret et elle restaient jusqu’à la fin des vacances ensemble. Et Scully accrocha, encore et encore, son âme à la vitre dont le paysage défilait... défilait... défilait... quand :

-          Ce n’est pas la bonne route...
-          Qu’est-ce que tu dis ? fit mine de ne pas avoir entendu le conducteur.
-          J’ai dit ce n’est pas le chemin pour rentrer à la maison Charles !

Elle se tourna vers lui. Quand elle avait besoin d’être rassurée... elle se tournait toujours vers lui... et depuis douze ans maintenant. Il répondit à sa question silencieuse :

-          Aie confiance Scully...

...
...
...

L’oiseau blanc perçait les nuages gris et dessinait le ciel pur... L’hôtesse bleue interpella Mulder et, le sommeil attrapant à nouveau Scully, le son s’échappait en miettes... Non... rien...

Les bougies placées au cœur des lanternes faisaient danser les reflets jaunes et rouges sur les murs chuchotant des ruelles nocturnes. La foule – immense et muette – recouvrait chaque pavé dans laquelle Mulder et Scully, à contre-courant, s’avançaient. Les réacteurs grimpèrent en puissance au-dessus du Pacifique. La foule n’encerclait pas, elle s’ouvrait sur leur passage. Plus la ruelle était parcourue, plus les murs verdoyaient et le jour se fondait avec la nuit. Au bout, une petite fille auréolée de lumière les attendait. Les cheveux rougis par le soleil, les quatre années la séparant de sa petite sœur, Mélissa Scully montra le chemin. Le pont rouge se matérialisa sous leurs pieds et près du lac, pendant que dans les haut-parleurs la voix de Charles Scully résonnait, la nourrice apparut.

*


Dernière édition par PtiteCoccie88 le Sam 27 Juil 2013 - 17:19, édité 1 fois
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Message  PtiteCoccie88 Ven 26 Juil 2013 - 9:48

 16
*
 
 
Aimer la vie est facile quand vous êtes à l’étranger.

Là où personne ne vous connaît,

vous tenez votre vie entre vos mains,

vous êtes maître de vous-même plus qu’à n’importe quel moment.
Hannah ARENDT
 
 
La pression – douce et rassurante – frôlant ses phalanges finissait de la réveiller. Mulder enlaçait sa main. Ses lèvres contre son oreille, ne cessant de caresser sa paume, il lui répétait :
-          Nous sommes sur le point d’atterrir...
Mesdames et Messieurs, ici votre commandant de bord, la température actuelle au sol est de neuf degrés, depuis notre départ de Los Angeles, onze heures et cinquante minutes se sont écoulées et il est actuellement 14h27 à Tôkyô. Bienvenue dans le futur !
L’entente des derniers mots étira un sourire sur les lèvres de la sœur qui – les yeux encore mi-clos – murmura :
-          C’est tout à fait Charles... Bienvenue dans le futur...
Aussitôt, les passagers sentirent l’avion engager sa descente dans la province de Kantô. Ne quittant toujours pas la main de celle emmitouflée dans le sommeil, Mulder souleva la manche de sa veste. Les aiguilles de sa montre indiquaient encore l’heure de Washington. Puis une voix féminine – japonaise – informa une nouvelle fois les passagers.
-          Qu’est-ce qu’elle raconte ? demanda Mulder.
-          Aucune idée... révéla Scully, la voix happée par la fatigue. J’ai juste compris Tôkyô...
-          Je suis déçu. Tu m’as tellement dit que tu comprenais le japonais pendant l’embarquement.
-          C’est la vérité mais... j’ai si sommeil.
-          Il n’est à peine que trois heures du matin en Caroline, c’est pour ça.
Elle termina enfin d’ouvrir complètement ses paupières. Et le sourire quitta ses lèvres. Scully se rappelait – avec violence – pourquoi Janis et tout le reste de la famille avaient décidé de les expédier au-dessus de l’océan reliant les deux continents. Une douloureuse dispute – silencieuse – éclatait depuis des semaines entre Mulder et Scully, et qui avait atteint son paroxysme dans l’ancienne cuisine familiale des Scully et qui depuis, n’appartenait plus qu’à Bill et Tara.
Elle le regardait. Il la laissait faire. Dans la voiture qui les avait conduits dans la cité des Anges, il avait prononcé : aie confiance. Mais ce qu’il pouvait lire dans ses yeux, bleus et parsemés de cicatrices rouges... lui disaient que ce serait compliqué. Elle détourna son regard. Contempler une dernière fois le ciel à partir d’en haut. Et abandonner la main qui ne se voulait que protectrice.
Mulder, triste, assista au refus de cette protection ; un rejet perforant lentement mais précisément son cœur. L’attention cérébrale de Scully était déjà fortement soutenue sur ce qui se déployait de l’autre côté du hublot – vaporeux, filandreux, psychédélique... – mais il tenta quand même :
-          Scully...
Tout ce qu’il récolta fut une main s’élevant – lui intimant de se taire – et se recroquevillant sur elle-même.
...
En douze années, ce fut la première fois qu’elle renonçait à lui faire confiance. Mais Mulder – lui – n’abandonnait jamais. Et même si le cœur était morcelé...
Ces instants étaient ceux où elle avait le plus besoin de lui. Partir serait trahir leur promesse.
*
 
Dimanche 26 décembre 2004
Aéroport de Tôkyô – 15h00
Assis sur la banquette arrière, ils entendirent – pendant que le coffre claquait sur leurs bagages – Charles indiquer au chauffeur du taxi :
-          Ginza eki ni ikitai desu ga.

À l’avant, son frère discutait avec le conducteur. Sa sœur ne l’observait pas, elle se réduisait à l’entendre -, l’absence des yeux décuplant la puissance avec laquelle les sonorités asiatiques s’engouffraient, avec majesté, dans le conduit auditif. Derrière la vitre, le décor était hautement urbain. Depuis quelques minutes, les axes périphériques englobant l’aéroport s’étaient retirés pour laisser dessiner d’imposantes dames de verres flirtant avec le ciel du pays où le soleil se lève. La hauteur renversait les yeux et Dana devait lever la tête – pour envelopper au cœur de son esprit et du corps parcouru de frissons – la grandeur démesurée. Ces dames de verres parlaient avec vous, elles jetaient dans vos iris des mots rouges et lumineux. Des images cryptées venant en paix afin de vous capturer… L’hiver irradiait de tout son voile hostile, et pourtant la lumière éclairait le moindre fragment constituant les gratte-ciels, modernes et gracieux, de la mégalopole. Et les rues étaient si larges… L’atteinte de l’autre rive paraissait toujours impossible, mais ils y arrivaient. Les Japonais parvenaient toujours de l’autre côté.
Avant de monter dans l’avion, Charles lui avait promis qu’elle irait mieux. Mulder n’avait plus entendu un frère dont la sœur s’échappait dans les profondeurs, mais un frère convaincu du pouvoir que détenait sa sœur : la résilience.
En attendant, Scully observait – hypnotisée – ce qui se mouvait derrière la voiture les transportant au milieu des rues de Tôkyô. Pourtant, Charles avait aussi mentionné que tous les pieds de la famille Scully avaient foulé – à plusieurs reprises – le sol éclairé. Étrange… Elle semblait découvrir l’endroit pour la première fois… Depuis qu’elle était enceinte, Scully semblait tout redécouvrir…
Après la vie, la mort avait été trouvée. Et ce pays, régulièrement, lavait ses morts pour retrouver l’étincelle, dans les décombres.
Au milieu de la banquette, la main blanche et raide s’était échouée. Mulder court-circuita la raison. Sa paume avança et se déposa sur la sienne, si douce malgré l’aspect dévitalisé… La main était enveloppée, serrée, pressée, et entrelacée. Les yeux toujours accrochés au ciel, Scully soulevait, avec Mulder, le premier décombre.
*
Tôkyô Station
15h45
Il l’aida – en lui prenant son sac – à gravir le marchepied.
-          Ma route s’arrête ici ! avertit Charles Scully.
Elle se retourna pour le regarder. Il ajouta pendant qu’elle reprit son sac.
-          Tu trouveras Yumi à l’autre bout.
Inquiète, elle demanda :
-          Tu crois vraiment qu’elle me reconnaîtra ?
-          Dana ! Tes yeux n’ont pas changé. Une telle brillance ne peut s’oublier…
-          En es-tu bien certain ?
-          Absolument.
Du bout des doigts, Charles frôla l’une des fossettes de sa sœur au visage si émacié par l’épuisement et la maladie. Derrière lui, les voyageurs sur le quai ne marchaient pas, ils flottaient. Dans l’horizon, un train à grande vitesse – blanc et à la ligne futuriste – vrombissait depuis ses entrailles, crachant son impatience précédant son lancement imminent. Le tumulte tournant et vertigineux de la gare s’occultait sous ses rugissements réguliers. Les tympans brûlèrent ! Les décibels propulsés à l’extérieur du sifflet du contrôleur annonçaient un départ. L’homme repositionna avec rigueur son képi et gonfla une nouvelle fois sa poitrine -, électrisant encore plus fort l’oreille interne bouillonnant sous les pointes fines des aiguilles s’enfonçant dans les tissus cellulaires de Dana Scully fermant les yeux afin d’apaiser le fléau interne alimenté par l’extérieur.
Charles retira sa main et conseilla :
-          Tu devrais rejoindre Mulder dans votre compartiment.
Dana refit percevoir le bleu de ses yeux en hochant la tête. Et les roues s’enclenchèrent avec faiblesse mais détermination, puisque la rotation grimpait en précision et vitesse. Les mains de sa sœur appuyées dans l’encadrement de la portière du wagon dominant le quai de toute sa hauteur et de son charme oriental, Charles la regardait s’éloigner et à laquelle il envoya un signe de la main signifiant qu’ils se reverraient bientôt. Quand elle répondit à son symbole, l’imitant, Charles sourit ; puis son corps et les fragiles cheveux soulevés par la vitesse l’emportant au sud du pays, disparurent à l’intérieur.
L’éloigner pour qu’elle se rapproche. Un risque dangereux, mais qui en réussite, éblouirait d’espoir le monde.  

L’express provincial – leur train – était plus oriental que teinté d’atmosphère spatiale. Marron et doré, les passagers, sans descendre à terre, pouvaient s’exposer à l’air complet entre chaque wagon. Un souffle s’éleva dans le compartiment. Mulder, tournant la tête vers la source perceptive, quitta des yeux le paysage hautement urbanisé, hétéroclite et anarchique en raison des nombreuses destructions et reconstructions, pour se concentrer vers l’intérieur du wagon. Scully faisait son entrée. Elle avança dans la profondeur, déclenchant le mécanisme automatique refermant doucement la porte derrière elle. Ici, le son était si serein et silencieux -, votre tête, tout en restant à la surface, plongeait sous l’eau. Scully dépassa deux passagers nippons, un homme et une femme, puis progressa encore de quelques pas en direction de la fenêtre, là où Mulder l’observait parvenir jusqu’à sa hauteur. Et pour la première fois depuis jamais, il n’eut pas besoin de forcer sur ses yeux verts remplis d’espoir pour percevoir son ventre déployant le petit cœur.
La mort et la vie se trouvaient enfin équilibrées. Mais jusqu’à quand.
-          Mulder ? essaya-t-elle, fébrilement, de le ramener près de la conscience. Est-ce que tu peux m’aider à ranger ma valise ?
Elle parlait si peu ces derniers jours qu’elle avait presque oublié qu’elle possédait un instrument vocal.
-          Oui ! réagit-il, enfin, à sa demande.
Ce bref échange avait légèrement intéressé l’autre couple assis près des portes. Les touristes étrangers, essentiellement dans cette direction du pays, étaient plus que rares en hiver. Mulder terminait de positionner la valise sur les hauteurs pendant qu’elle sentit une délicate insistance en leur direction. Mais dès qu’elle entreprit de partir en quête de cet appui oculaire… celui-ci avait déjà disparu. Au Japon, la discrétion était plus précieuse que l’or.
Sur la banquette en cuir bleu tournant vers l’indigo à la lumière, Mulder reprit sa place. Elle avait choisi de s’asseoir en face. Non à côté. Sinon, comment aurait-il été possible d’admirer aussi bien Kantô fuyant devant la province de Chûbu étouffant sous la ville bétonnée puis... … … les « voies du ciel »… … … Elles serpentaient au cœur des Alpes Japonaises, offrant des axes routiers vers l’inaccessible, et protégeant le plus grand qui en cette ouverture d’hiver, autorisait le dévoilement de son col neigeux royal… … … Le mont Fuji.
Mulder abandonna l’émerveillement céleste et détailla -, elle.

S’il avait pu souffler un vœu, il aurait souhaité ne jamais quitter ce train pour ne jamais prendre le risque de laisser descendre la renaissance.
*
Soixante Minutes Plus Loin – 100 km au Sud-ouest de Tôkyô 
Péninsule d’Izu – 17h03
Les rails crissaient sous la force de freinage afin d’arrêter – en douceur – la bête orientale ayant conservé l’aura du XIXème siècle. À l’intérieur, Scully rabaissait la vitre de leur cabine pendant que Mulder retirait les bagages feutrés dans l’emplacement réservé au-dessus des sièges. Quant au couple qui – pendant un peu plus de trente minutes avait partagé leur voyage – il était descendu en amont, dans la deuxième ville du pays -, Yokohama.
Le couloir n’était pas bondé. Les parois laquées dans un blanc vanillé chargeaient d’une claire pureté les iris de ceux qui passaient, sans pour autant anesthésier la lucidité. Personne, ni elle ni même Charles, Janis ou encore Margaret n’avaient offert ces informations permettant de dessiner la solution. La détresse de Dana – violente – avait détruit toute logique dans l’environnement. Il demanda :
-          Qui est Yumi ?
Ne cessant sa marche, elle se tourna vers lui puisqu’il marchait derrière elle et offrit :
-          La nourrice.
Pour aussitôt se retourner vers le point de mire menant vers la sortie.
-          Et ? redemanda Mulder qui refusait de se satisfaire de cette brièveté.
L’avancée vers la sortie ne croisait que quelques personnes, toutes aux traits asiatiques. Le silence de Scully dominait toujours. Leurs corps quittaient l’intérieur pour l’extérieur quand il décida de persévérer à nouveau :
-          Yumi était la nourrice, reformula Mulder.
Et leurs pieds sur le quai – immobiles – elle lui accorda un regard qui ne put masquer ce que la nourrice associait.
-          Yumi était la nourrice de Mélissa… Durant l’année 1963, mes parents ont été mutés ici… Bill y a fêté ses six ans et Missy ses quatre ans.
-          Tu… faillit-il presque interrompre. Tu ne m’en avais jamais parlé.
-          Quelle utilité cela aurait-il pu avoir Mulder… reprit-elle, avec une tristesse noirceur, ne cessant de le regarder afin de trouver la réponse toute seule.
-          Pour en savoir plus sur toi Scully. Rappelle-toi que nous vivons ensemble…
-          Je vis dans un hôpital Mulder… … … avait-elle articulé péniblement.
Quelquefois, en vérité souvent, son comportement le déstabilisait. Elle ne semblait se rendre compte qu’ils étaient deux. Certes, le bureau fédéral les poursuivait depuis quatre ans, il était précieux de maîtriser la divulgation d’informations. Mais… Elle avait mis du temps pour lui confier la raison de son entrée au FBI. Elle, pour lui, avait su dès la première seconde : pour débusquer la vérité et brûler ceux qui l’étouffaient. Lui, pour elle, n’avait su qu’au bout de sept ans, presque huit : pour fuguer.  
Il ne se découragea pas, reprit, même s’il avait perdu ses yeux dès que le son ensemble avait été prononcé :
-          Oui. C’est vrai, mais pas totalement puisqu’en ce moment… l’hôpital est très loin.
Peut-être était-ce sa faute. L’enfant qu’il avait voulu lui offrir avait été accompagné d’un : cela ne changera rien entre nous. Peut-être que les mots, chez elle, avaient été sauvegardés littéralement en dépit des événements qui avaient bousculé cette promesse, qui pour lui, avaient tout changé.
Il se pencha près de son visage. Elle ferma ses yeux, surprise par le souffle chaud qu’elle sentit à l’orée de ses lèvres.
-          Ce qui signifie qu’elle était enceinte de toi.
Un souffle sensuel. Hautement inapproprié. Elle rouvrit ses yeux, il était si proche… et d’un timbre inaudible, elle émit :
-          Oui.
Dans leur dos, le train repartait. Mais le déchirement mécanique ne sembla parvenir jusqu’à eux. Ils s’accrochaient. Elle ne pouvait le quitter… Il était étrange qu’elle se retrouve sur cette partie terrestre dans les mêmes conditions corporelles que sa mère… Pourquoi ?... Le temps des réponses aux questions n’était – peut-être – plus le bon endroit. Mais Margaret Scully était tombée enceinte, ici, là où Dana n’était jamais née, uniquement maintenue en sécurité -, puisque le ventre protège du monde extérieur.
Il fut le premier à reprendre conscience du lieu où ils se tenaient.
-          Peut-être devrions-nous tenter de trouver cette Yumi…
Si peu d’âmes étaient sorties du train reliant Tôkyô jusqu’à ici, elles étaient nombreuses à vouloir se rendre là d’où ils surgissaient. Aussitôt, l’interrupteur qui avait été mystérieusement fermé, s’ouvrit et engouffra en eux un tonnerre tonitruant de syllabes indémontables.
-          Cela risque d’être compliqué, informa-t-elle en même temps qu’elle se frayait un chemin entre les corps pressés, parfois figés, et autour desquels régnait toujours une confusion de sons opaques, mais d’un enthousiasme crescendo.
-          Ta mémoire encyclopédique ferait-elle enfin défaillance ? ironisa Mulder suivant Scully au plus près.
-          Depuis décembre 1963, reprit-elle sans relever la remarque, nous sommes revenus quelques fois, toujours à Pâques, nous logions chez Yumi, mais la dernière fois fut en 1973 ! Yumi n’avait alors que cinquante trois ans. Maintenant, elle communique plus avec les esprits qu’avec les vivants…
-          Les esprits Scully ? souleva-t-il afin de lui faire réaliser que ses dernières paroles n’étaient pas dignes dans la bouche d’une personnalité sceptique.
Vivement, elle se retourna :
-          C’est ce qu’ils disent ici, mais je n’ai jamais laissé entendre que j’y croyais ! cria-t-elle, un train lancé à pleine vitesse entrait sur les rails.
-          Dana !
Mulder fut le premier à repérer d’où provenait l’interpellation qui avait réussi à se faire percevoir malgré le bruit chaotique régnant sur le quai. Scully se retourna encore. Une dizaine de têtes plus au fond, tous les deux discernèrent une main levée, et qui appartenait plus à la quarantaine qu’aux dernières années de la vie.
-          Tsu ! s’exclama Scully, surprenant Mulder.
Elle regarda ce dernier dans les yeux, et les pupilles électriques, elle recommença :
-          C’est Tsu !
Pour la – vraiment – plus grande surprise de Mulder. Elle souriait tellement.
-          Tsubasa ! Pour être plus précise ! rajouta-t-elle encore, si émerveillée…
-          Tsubasa… répéta pour lui-même Mulder puisque l’étoile, émergeant par surprise entre les scintillements, avait déjà replongé dans la foule.
Une seconde de fraction avant d’imiter son plongeon, il dit :
-          Et qui est ce Tsu ?

Lorsqu’il sortit de la zone pleine à craquer sous la surpopulation, il put enfin découvrir dans sa totalité ce mystérieux Tsu. Et une Dana toujours aussi radieuse -, ce qui ne manquait pas de le perturber.
-          Bonjour Monsieur Mulder ! prononça l’homme avec un fort accent natif du pays tout en penchant légèrement son corps en avant afin de parfaire les salutations.
Mulder était sur le point de répondre quand il sentit un non silencieux se déposer sur lui par l’intermédiaire de sa si douce main touchant son épaule. Une main qu’elle avait retirée aussitôt.
-          Je me présente : Monsieur Tsubasa Tahōto, fils de Yumi Tahōto, dit le quatrième fils Tsu. En anglais de l’Amérique du nord, Tsubasa signifie ailes. Monsieur Charles Scully, le frère de Dana, ici présente, a dit que vous avez besoin de beaucoup d’ailes pour accéder au chemin de la sérénité. Bienvenue au Japon Monsieur Mulder !
Tsu, de taille moyenne, fluet et brun, s’arrêta de parler sur ces mots. Une seconde fois, la main de Scully vint subtilement retrouver l’épaule de Mulder. Un geste qui lui fit comprendre qu’il avait, maintenant, le droit de parler.
-          Bonjour Monsieur Tahōto, exécuta Mulder, le sourire aux lèvres tout en inclinant – avec délicatesse – sa tête le plus parfaitement possible.
Et lorsqu’il se tourna vers l’étoile, celle-ci irradiait toujours. Une brillance se propageant dans son corps à lui…

Aussi incroyable que cela pouvait être perçu, l’obscurité était suspendue.
*


Dernière édition par PtiteCoccie88 le Dim 28 Juil 2013 - 22:25, édité 2 fois
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Message  PtiteCoccie88 Ven 26 Juil 2013 - 10:04

Voiture citadine de Monsieur Tsubasa Tahōto, dit Tsu
17h32




La côte dentelée parsemée de rochers et de falaises se levait sous leurs yeux. Ils n’entendaient pas, ne voyaient pas très bien non plus, mais ils pouvaient imaginer le souffle des vagues caresser leurs visages.
Tsu, à travers le rétroviseur interne, apercevant la focalisation de Dana, lança :
-          Je te déconseille de te baigner, l’eau est froide. À ta place, je privilégierai l’onsen, le volcan est toujours actif ! termina-t-il dans un clin d’œil.
Aussitôt ces mots dits, la voiture, noire et luxueuse, s’engagea sur un pont suspendu terminant de relier la terre. Et depuis l’élévation soudaine, les flots de cet océan émeraude se firent plus précis, claquant contre les parois rocheuses auréolées de pins aux troncs tortueux plongeant vers l’avant. Le pont quitté, la végétation se découvrait, laissant entrevoir des branches nues.
Mulder se retourna vers Scully, et avide de savoir, il lui demanda :
-          Est-ce que tu reconnais ?
-          Oui… souffla-t-elle, étonnée. Tout est si…
Et devant les difficultés rencontrées par Dana dans la clôture finale de sa pensée, Tsu osa compléter :
-          Immortel !
Mulder, éveillé par le choix de cette réponse choisie, chercha le regard de l’homme qui, en ce pays, leur servait d’ailes voyageuses. Les yeux de Monsieur Tahōto enfin trouvés dans le reflet depuis la banquette arrière où Scully avait pris place, à l’image du taxi, avec lui, il entreprenait de juger le degré d’exactitude habitant les traits de cet homme au visage… hautement sérieux. Il avait dit immortel… Malgré l’aura charismatique de leur hôte, Mulder ne put refreiner son humour qu’il peinait à canaliser même face aux choses les plus sombres, même face à cette hypothèse : la mort de Scully. Il se retourna encore vers elle :
-          Sais-tu s’ils sont en recherche de chirurgien pédiatrique dans cette partie du pays Scully ?
-          Mulder… temporisa-t-elle doucement, car chuchoté, mais suffisamment clairement pour lui faire comprendre…
-          On ne plaisante pas avec les croyances Monsieur Mulder ! L’immortalité ne peut être accédée que par la présence du corps. L’esprit lui-aussi doit être présent. Sans cette synchronisation, l’environnement ne peut rien pour vous. Écoute ce que le corps crie à l’esprit et l’épée dans ton cœur sera retranchée.
Mulder intériorisa ces paroles à la même vitesse que ses doutes revinrent le posséder. Et si… Pas de main reposant au milieu cette fois-ci. Mais deux membres tortionnés ensemble. Les yeux soudainement rivés sur ses genoux depuis la sentence, elle broyait ses mains. Elle aussi, de la part de Tsu, avait reçu en elle l’éclair douloureux empreint de vérité. Le corps, pour rester en vie, ne dépendait que d’elle. Et si…
Et si Scully ne relevait jamais les yeux ?
*
 
 
L’Île du Volcan d’Izu – Maison de Yumi Tahōto
17h57
La maison offrait toute l’atmosphère traditionnelle attachée aux plus ancestrales coutumes. Pendant qu’il sortait de la voiture, Mulder sentait toujours en lui les vagues, non celles de l’océan Pacifique qu’ils avaient dominé, mais celles de Scully. Refusant d’accepter ce nouvel espoir qui lui été permis depuis quatre mois, elle accordait tout de même une certaine importance aux particularités mystiques de ces lieux. Mais la contradiction, il l’avait découvert depuis longtemps, régissait sa personnalisé toute entière. Scientifique mais aussi croyante…
Sous leurs pieds, de fines dalles beiges, plates et biscornues, recouvraient la mince allée centrale sur laquelle tous les trois progressaient. De part et d’autre, le feuillage des cèdres persistaient. Ils apportaient ainsi un sentiment de sécurité se déposant sur vos bras, les recouvrant puis les emmitouflant. Plus le chemin avançait sous leurs pas, plus l’extérieur ne semblait vous menacer. La maison de la famille Tahōto était coupée du monde.
Sous le porche, Scully murmura :
-          La maison a été réhabilitée, n’est-ce-pas ?
-          Tu as raison Dana. Depuis le dernier tremblement de terre encore plus au sud, celle-ci menaçait de s’effondrer, confirma Tsubasa.
Et malgré la faible température s’élevant, la nuit tombant et l’air se rafraîchissant, il rappela à Dana et apprit à Mulder :
-          Il faut enlever votre manteau.
Mulder s’exécuta mais répliqua :
-          Elle pourrait attraper froid !
-          Monsieur Mulder, répondit Tsu avec un calme toujours aussi vivifiant. Depuis quarante-six ans que ma famille vit dans cette région, celle-ci n’est jamais tombée malade. L’hiver dans notre pays, contrairement au vôtre, purifie les corps. Nos traditions veillent à protéger les âmes, mortes ou vives.
Mulder contempla Scully positionnée au centre. Son manteau reposait déjà sur son bras. Et la porte s’ouvrit.
Une femme que l’œil soupçonnait âgée, et pourtant très peu marquée par les rides de la vieillesse, apparut. Tout comme un visage préservé du temps, les cheveux – eux-aussi – bénéficiaient de cet éclair de jouvence. Mulder ne pouvait cesser de dévisager Yumi Tahōto dont les yeux brillèrent de félicité précieuse quand elle rencontra ceux de Dana qui lui renvoyèrent l’étincelle allumée par la vague d’images du passé à jamais gravées dans le cœur battant à tout rompre. Les veines malades gonflaient sous la peur de décevoir. La nourrice possédait le don de déchiffrer l’intérieur -, surtout celui fragmenté par la culpabilité. Mais Dana, réussissant à décrocher un souffle de force égaré dans toute sa destruction parvint à s’incliner avec grâce et prononça dans un accent parfait :
-          Ojama shimasu.
Et la vieille femme – imitant la faible inclination de Dana – répondit avec un grand sourire :
-          Konnichiwa Dana.
Rassurée par sa performance – effectuée à la perfection – à son tour Dana dessina un sourire fragilisé par des lèvres blessées dans le froid et un corps intérieur défaillant. Posant une main sur l’épaule de celui qui se tenait à sa droite, de la même manière qu’elle l’avait déjà fait dans la gare, le cœur apaisé elle reprit :
-          Je te présente Mulder.
-          Je vous souhaite la bienvenue Monsieur, salua-t-elle encore une fois.
Contrairement à son fils, Yumi ne possédait aucun accent dès qu’elle s’exprimait en anglais. Et Mulder, ne voulant ternir la prestation de Scully, préféra se contenter d’utiliser uniquement un simple hochement de tête plutôt que de saccager une langue qu’il n’avait que très rarement entendue. Dana, tout en farfouillant dans la poche interne cousue sur son manteau flottant sur son bras, et intriguant ainsi hautement Mulder, continua encore :
-          Tsumaranai mono desu ga… mais juste avant que Charles et moi nous nous quittions, il a tenu à me donner ceci pour vous.
Dans les mains de Yumi, un objet enveloppé dans un velours noir, s’y déposa. Sans laisser un temps à l’air pour qu’il puisse respirer, la femme – sage – demanda :
-          Que t’a-t-il dit exactement Dana ?
Quelque peu surprise, elle répondit quand même :
-          En réalité, mon frère ne m’a rien dit. À la descente du taxi qui nous a conduit jusqu’à la gare principal de Tôkyô, il s’est juste contenté de le mettre dans mes mains comme je viens de le faire avec vous.
Contre toutes les attentes de chacun, Yumi affirma :
-          Je crois plutôt qu’elle t’est destinée.
-          Elle ? releva Mulder au même moment où le velours noir, par l’une des mains de Yumi, fut soulevé.
Tsu émit un souffle de stupeur et de chercheur d’or découvrant enfin la merveille suite à une longue quête.
-          C’est une étoile des Roses…
Mulder et Scully se tournèrent vers lui.
-          C’est quelque chose de très rare Dana. Je ne sais pas où Charles a obtenu cela, mais seuls les esprits reprenant possession de leurs corps peuvent révéler ce pour quoi est destinée chaque Rose…
Mulder et Scully continuaient d’observer Tsu. Tous deux étaient vraiment, mais vraiment sceptiques…
-          Je suis sûre qu’elle t’aidera à te repérer en mon absence, signala Yumi remettant entre les mains de la propriétaire l’objet si… fermé dans ses secrets.
-          En votre absence ? fit remarquer Mulder, puisque sa partenaire était soudainement foudroyée dans la perplexité.
-          À partir de ce soir et durant toute cette semaine, je m’établis chez mon fils Tsu. Je me consacrerai uniquement à vous apporter quelques fois mes plats que Dana aimait manger lorsqu’elle venait ici. Seule la paix est autorisée à rester autour de vous.
La Rose dans la main, Scully chercha Mulder du regard, puis ensemble ils se tournèrent vers l’âme la plus vieille de l’île, qui une ultime fois, pencha les yeux afin de les inviter à pénétrer dans le cœur du volcan.
*
Salon – « Ima » – de la maison de Yumi Tahōto
18h38
-          Ryokucha o onegaishimasu.
Yumi exécuta immédiatement la demande de Scully et fit couler, à l’aide d’une louche en bambou, dans le chawan le thé vert bouillant au cœur du récipient dont la fonte préservait la chaleur, et que Dana désirait.
Tous les quatre avaient retiré leurs chaussures se trouvant depuis quelques minutes abandonnées dans l’entrée. Installés dans l’espace central de la maison, Yumi offrait un souffle de repos à ses invités. Le silence n’était pas rare. Le voyage arrivé à son terme épuisait la vigilance et la capacité à engager une conversation. Regroupés autour d’une table basse en bois, leurs pieds nus appréciaient la douce chaleur feutrée du tatami. Scully portait son bol à ses lèvres quand Mulder, du regard, décida de décrypter cette maison aux couleurs suaves et dorées. Devant elle et lui, le coucher du soleil transperçait la palissade coulissante, constituées de multiples rectangles, et derrière laquelle il était possible d’imaginer, caché sous ces dominos semi-opaques, un jardin. Le thé brûlait ses lèvres, mais Scully lutta contre la perception trop forte, et parvint à faire descendre en elle le liquide réparateur amenant un tonique apaisement.
En face d’eux, assis sur les genoux, Yumi et Tsu observaient leurs invités – reprendre leur énergie – ayant opté pour une position ayant traversé l’occident : en tailleur. Pendant que Dana sentait le feu envelopper son corps dans sa totalité, Tsu dit à Mulder :
-          De la neige est annoncée pour cette nuit. Le spectacle de la source thermale encerclée par le manteau blanc est une émotion intemporelle protégeant les cœurs -, même les plus morcelés.
Encore une fois, les paroles intriguèrent Mulder qui, arrêtant sa découverte depuis ses iris émeraudes, accorda un nouvel intérêt au fils de Yumi Tahōto -, Tsubasa dit Tsu le quatrième. Heureux d’avoir capturé la curiosité de Mulder, Tsu décrit :
-          Il vous suffit de pousser cette palissade, de marcher sur un kilomètre, et l’onsen se dévoilera à toi.
Le bol réchauffant toujours ses mains, les mots prononcés firent fermer les yeux de Scully. La source thermale… Située au bout du jardin qui ne se terminait jamais, l’évocation de ce lieu brillant sous la beauté se dessinait à l’intérieur des yeux dans un bain de fleurs de cerisiers encadrant la source et dansant sur la surface liquide. Cette eau, grâce au travail du volcan, conservait pour l’éternité une chaleur propice à la plongée du corps et de l’esprit. Les saisons changeaient l’extérieur, mais jamais l’intérieur qui lui restait immuable -, presque. Puisque cette eau ne recevrait plus jamais le rire éclatant de Mélissa Scully…
-          Ta sœur est en paix, révéla Yumi à celle dont la tristesse avait voilé le visage.
Et Mulder comprit que, dans l’âme de Scully, les cicatrices brûlaient le corps. Et à force de brûler, le miracle périrait dans les flammes.
*
Dans la nuit
02h17
Ses yeux s’ouvrirent. Une courte nausée envahit son estomac pour immédiatement se dissiper dans le rien. Le centre de la palissade, donnant accès au monde situé de l’autre côté, avait été étiré, montrant à voir l’arrière jardin protégé par une baie vitrée – fermée – glissée sous la palissade mi-ouverte. L’éclairage lunaire traversant la pièce dont les rayons s’échouaient à pas de biche sur le futon lui fit percevoir que la nuit était encore bien profonde. Étendue sur le flanc, elle n’avait pourtant plus sommeil. Le fort décalage horaire les avaient conduits à s’allonger très tôt. Trop peut-être. Yumi et Tsu partis, le salon s’était rapidement métamorphosé en une chambre couvrant les corps d’un voile fluide et protecteur malgré l’extérieur froid -, la peau nue, en ces lieux, restait toujours chaude. Sur le dos, il reposait. Sa tête posée directement sur le matelas, l’oreiller qui aurait pu servir de frontière avait été délaissé derrière les cheveux roux, ses yeux s’arrêtèrent sur la poitrine montante… descendante… montante… descendante… Une poitrine nue, le drap blanc avait glissé. L’éveil maintenant ses paupières ouvertes et alertes, légèrement Scully se redressa pour attraper le voile et le remonter sur le torse masculin afin de le recouvrir mais… son geste s’arrêta… … Une énergie similaire à celle qui l’avait soulevée dans la gare. Cet instant où ils s’étaient sentis seuls au-milieu d’une foule grouillante. Cette seconde où leurs lèvres s’étaient frôlées… … Cet intermède béni où ils s’étaient respirés mutuellement… …  Au lieu d’y déposer le satin, ce fut sa paume, fragile, qui toucha la peau. Si chaude… Et qui la fit respirer avec force... Son souffle bruyamment éveillé se synchronisa avec celui qui dormait tandis que la main, s’ouvrant, se posa de tout son poids sur le corps, une main qu’elle fit glisser jusqu’au cœur tambourinant avec sérénité. Celui de Scully accélérait… Le visage de Mulder était calme. Celui de Scully attiré… Sa tête vint se déposer contre ce cœur, recouvrant de son visage, de ses longs cheveux et de son souffle, le cœur de celui qu’elle n’avait pas touché depuis des semaines pour ne pas écrire des mois. Tellement longtemps qu’aucun souvenir – aucune image – ne parvint en sa mémoire. Scully entendait le corps de Mulder. Les yeux encore ouverts, ils accrochèrent le dehors et… les premiers flocons. La tête bercée par la vie intérieure et le corps réchauffé par la poitrine embrassant sa joue, les cristaux défilaient dans ses yeux qui – sa main désormais accrochée à l’épaule de Mulder – se fermèrent.
*


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Message  PtiteCoccie88 Lun 12 Aoû 2013 - 17:08

17
*


She wants the silence but fears the solitude.
She wants to be alone and together with you.
So she ran To The Lighthouse
Hoped that it would help her see…


FLORENCE + THE MACHINE, Landscape.

There is a coherence in things,
a stability;
something,
she meant,
is immune from change,
and shines out
(she glanced at the window with
its ripple of reflected lights)
in the face of flowing,
the fleeting,
the spectral,
like a ruby;
so that again tonight
she had the feeling
she had had once today
already,
of peace,
of rest.


Virginia WOOLF. To The Lighthouse, “The Window”.



Lundi 27 décembre 2004

04h17

Il ressentit avant de comprendre. Une douceur chassant le froid l’enveloppait. Il ouvrit les yeux. Son corps se serrait contre le sien et sa tête reposait sur lui. Et Mulder comprit. Scully – en cette nuit – revenait à lui. Il resta ainsi à la contempler – offerte – avant qu’elle ne reparte dans la lumière où la raison étoufferait le désir. Ils avaient appris qu’elle était enceinte et depuis, il n’avait plus eu le droit de la toucher -, parce que le système immunitaire était fragilisé mais surtout parce qu’elle avait dressé autour d’elle une forteresse impénétrable verbalisant silencieusement une condamnation pour avoir insufflé à nouveau la vie au cœur du corps. Mais il n’avait jamais douté. Avec délicatesse – pour ne pas la réveiller – sa main glissa entre les racines de la fragile chevelure en feu. Il n’avait jamais douté de sa capacité à revenir dans l’obscurité charnelle où les cœurs respirent ensemble. Et avec un léger tremblement provoqué par la présence d’une émotion complexe l’envahissant entre désir et retenue, l’autre main vint trouver ce bras nu étendu près de lui. Il semblait la goûter pour la première fois. Une main qu’il faisait descendre dans une lente caresse fluide et légère. Une pression délicieuse flirtant avec la peau qu’il guidait dans le but d’en éveiller les sens. La descente prenait son temps. La paume de ses doigts traçait à l’encre pulpeuse des cercles faisant ralentir le parcours qu’il entreprenait, parfois les cercles suggérés se mouvaient en lignes droites arrières rebroussant la sensualité préméditée appartenant à l’étape finale puis… la main de Mulder plongea… saupoudrant plusieurs frémissements sur la chair désirée... Une propulsion… gorgée de pulsions déchaînables au moindre geste se rebellant avec le cœur… qui s’arrêta lorsqu’il trouva sa main ouverte et qui à sa rencontre… se referma sur la sienne... métamorphosant la ballade des émotions en virée sensuelle. La main de Mulder était prisonnière de celle de Scully. Les yeux maintenus fermés – les cœurs en suspension – elle venait de lui murmurer sans voix qu’elle ne dormait pas.

- Scully… appela-t-il dans un chuchotement au souffle court.

Mais elle ne répondit pas. Seule la peau qui s’était mise à frissonner sous ses caresses continuait de se faire entendre. Et il respecta son demi-silence… puisqu’elle resserra son étreinte autour de son corps à lui.

Quelques respirations apaisées plus loin, leurs deux esprits sombrèrent à nouveau – ensemble – dans le noir où leurs corps venaient d’attraper les prémices d’une lueur d’éveil au cœur de la maison de lumière.

*


08h17

Quand ses yeux s’ouvrirent à nouveau, elle n’était plus là. Mais la trace que les draps avaient recueillie par le poids de son corps à présent absent portait encore en elle une chaleur préservée qui dès que sa main vint se poser dans les plissements satinés… fit clore ses yeux. Mulder – qui au creux de la nuit – avait cru être au cœur d’un rêve éveillé lorsque sa peau avait rencontré son parfum. Mais la porcelaine tintant avec douceur jusqu’à lui mouvait le rêve en une réalité enlacée dans du coton. Mulder était en train de percevoir la neige recouvrant d’une épaisse couverture nacrée le jardin silencieux… De ses doigts il avait goûté son corps. De ses lèvres… il espérait le savourer.



Dans la cuisine, auréolée par le sifflement d’une théière, Mulder, vêtu uniquement d’un pantalon, découvrit Scully se retournant et qui, avec un sourire apaisé, prononça :

- Veux-tu du thé ?
- Je veux bien… lui fit-il savoir tout en prenant place autour de la table appartenant à une cuisine ayant été choisie moderne à l’inverse des autres pièces.

Le thé versé, il fit glisser à sa hauteur la tasse qu’elle lui avait destinée. Tout le long du mur en contact avec l’extérieur, des vitres encastrées dans la hauteur du mur cheminaient. Dehors, le manteau blanc rendait muette la nature et pourtant, la lumière s’engouffrait avec force dans chaque interstice. Et l’espace d’une seconde, Scully sembla se fondre dans cette lumière masquant le teint blanc. Une pâleur qui refit surface dès qu’elle fit le tour de la table, derrière laquelle son corps se tenait encore debout, et prit place près de lui. Dans une autre tasse, elle versa du thé, il demanda :

- As-tu bien dormi ?
- Oui.

Immédiatement, Scully préféra porter à ses lèvres le liquide brûlant plutôt que de développer. Pieds nus, dans sa chemise de nuit, elle ne s’arrêtait pas de déployer la chaleur aromatisée dans ses organes. Et Mulder, une fois encore, demanda :

- As-tu rêvé ?

Scully reposa la tasse, vide.

- Oui.
- Et que se passait-il ?

Elle tourna la tête et attrapa ses yeux.

- Tu connais la réponse…

Elle rapprocha son visage et diminua sa voix dans un chuchotement :

- … puisque toi aussi, il se trouve que tu y étais…

Des paroles implicites divulguées dans un timbre si voluptueux qu’elle venait d’engager une montée dangereusement interdite par la raison depuis des tréfonds du corps jusque dans le cœur de l’esprit masculin sentant la garde de bienséance se relâcher. Scully répondait – ne cessant d’alimenter cette ombre de surprise en lui – à son jeu. Aurait-elle envie de continuer… d’aller plus loin… d’aller jusqu’au bout…

- Et ce rêve Scully… a-t-il une fin ?

Mais ce regard – profond – qu’elle lui offrait en braquant ses yeux dans les siens s’arrêta dès qu’elle se leva brusquement.



Cela faisait-il parti des règles ?



Prenant son thé avec lui, Mulder partit en quête du savoir féminin qu’il redoutait. Scully ne jouait plus. Le mot fin avait été associé à autre chose pour Scully. Une fraction de seconde – la dernière qu’il avait pu contempler au sein de ses iris – avait trahi le mouvement de sa pensée. Fin chez elle signifiait mort. Alors que chez lui… il signifiait l’inverse. Pour toujours, Mulder et Scully s’affronteraient pour ne jamais perdre l’équilibre.

Dans le couloir, une vague glaciale rencontra son torse dénudé. La baie vitrée dissimulée sous la palissade venait d’être tirée dans sa totalité. La vision de Scully dominant l’étendue sauvage l’émerveilla en le soulevant, puis le terrassant en l’ensevelissant. Depuis qu’ils parcourraient les rayons de cette péninsule, et surtout depuis qu’ils se ressourçaient au sein de cet endroit pénétré par la lumière, une énergie hantée par le trouble et le sublime faisait respirer leurs poumons. Mais la lucidité de Mulder – elle – ne parviendrait jamais à se faire aveugler -, ni par le spectre brillant, ni par la reine blanche. Scully – dans la neige – était sortie pieds et bras nus, et si elle continuait, le froid purifiant décrit par Tsu se changerait en son ennemi.

Abandonnant la tasse sur l’étagère et attrapant son pull qu’il enfila, il sortit et à pas sans bruit, arriva derrière elle. Avant de parler, il attendit le signal qui lui annoncerait qu’elle prenait conscience de sa présence.

- Je suis insensible au froid depuis quelques temps Mulder…

Mais devinant par effraction les pensées masculines rongées par l’inquiétude d’un avenir incertain, elle avait été plus rapide.

Scully s’était voulu rassurante, mais quand elle se retourna, sur ses lèvres, un sourire crispé y était accroché.

- Je ne peux pas tomber plus malade que je ne le suis déjà Mulder…
- Scully… s’étrangla-t-il.
- Mulder… répéta-t-elle, la voix étouffée par une émotion inattendue… Je ne veux pas mourir.
- …
- Mulder…

Scully s’accrochait à son nom. Mais Mulder ne répondait pas. Il ne sut que répondre. Cette maison, en plus de réveiller le corps qu’elle avait violemment éteint depuis l’aube de l’automne, déclenchait l’instinct de survie que nous rencontrons lorsque…

- Je sens la mort si proche…

Dans ses mots, ses lèvres s’étaient si déformées qu’elles s’étaient brisées.

- … Ne me laisse jamais partir.

Et Mulder la projeta dans ses bras.



Enfouie dans son épaule, la voix écartelée, elle décida de  révéler :

- Dans l’avion, j’ai rêvé de Mélissa… Elle n’avait que quatre ans… Elle était dans la lumière… Mulder…

Elle desserra leur étreinte pour voir son visage. Elle dû forcer. Il la serrait si fort.

- Missy m’attendait… Elle m’attend.

Et ce regard – identique à celui qui s’était emparé de Mulder il y a sept ans – revint dans ses yeux. Scully le reconnut. Ce regard embuant l’émeraude anesthésiait la voix. Sept années passées, à son chevet, il avait réussi à lui articuler qu’elle se trompait. Mais ce matin… parce que la maison éclairée vivifiait la clairvoyance… il ne put dire pour lui mentir.

Et ce fut le silence qui reçut la responsabilité – lourde – de certifier la vision de la reine des neiges. Elle n’était pas inconsciente. Une rémission aussi brutale, deux fois sur trois, traçait le visage de la mort imminente. Et il se trouvait qu’elle avait déjà obtenu le un sur trois.

Avant de la ramener à l’intérieur, il déposa un baiser sur son front, et Mulder lui promit sans qu’elle le sache… qu’elle serait heureuse dans sa robe en bleu -, une dernière fois.

*

15h44

- Comment as-tu reconnu Tsu aussi vite ?
- Je ne comprends pas…
- Hier dans la gare…

Sans hésiter elle répondit :

- Sa voix…

Puis plus doucement :

- … La tonalité a changé… mais les vibrations restent intactes.

Un dernier repas terminé depuis un peu moins d’une heure, Mulder et Scully avaient décidé de rejoindre à nouveau cette pièce si centrale -, le salon qu’ils préféraient garder en aspect intime. Allongés sur le futon aux draps déplissés, le lit avait été fait, leurs corps n’étaient pas serrés l’un contre l’autre. Et Scully, une nouvelle fois de trop, se retrouvait happée – épuisée par la chimiothérapie – dans les tréfonds ouvrant un portail sur les rêves… ou les cauchemars.

Étendue sur le dos dévoilant un bas ventre touché par une grâce légèrement rebondie, Mulder – impuissant – l’observait lutter contre le sommeil. Le clignement des paupières, court puis prolongé, portait un doux masque de neko sur son visage. La veille, les iris électriques offerts avaient fait battre le cœur masculin aussi vite que celui-ci était en train de ralentir sous l’apparition fracassé d’un corps arborant chaque jour une nouvelle pièce de gris. Mulder priait. Et dans tout ce gris, la pièce centrale, aussi brillante le destin la voulait, finirait – à son tour – par se détacher. Pour rester en vie, l’ombre ne devait pas perdre la lumière. Mulder priait pour revoir l’étoile bleue. La revoir et la sentir…

L’explication donnée par Scully n’avait surpris que faiblement Mulder. Elle avait toujours été très douée pour décoder les détails. Et le sauver -, lui.

- Est-ce qu’il t’arrivait de jouer avec Tsubasa lorsque tu étais enfant ?

Ses mots avaient été déposés dans l’air avec un soin si particulier qu’une caresse semblait avoir frôlé l’oreille plus réceptive à ce qui se passait dans l’enclenchement du sommeil paradoxal qu’à cette voix masculine dont le rassurement parvint à la retenir encore un peu.

- Je jouais davantage avec les enfants de Tsu…

Mais Mulder comprit qu’il fallait attendre le prochain réveil de Scully pour que sa curiosité de l’histoire du passé obtienne apaisement puisque les propos semblaient être gouvernés par les profondeurs désordonnant l’esprit.

Mais elle reprit, l’étonnant, Scully s’accrochait :

- … Tsu a soixante-trois ans…

Mulder – cette fois-ci – fronça les sourcils. L’esprit désordonné ou non, l’erreur mathématique n’entrerait jamais dans le monde de Scully.

- J’étais persuadé qu’il avait notre âge… fit savoir Mulder, un brin de stupeur l’accompagnant.

Puis la logique reprit sa place :

- Tsubasa est le quatrième fils de Yumi… C’est impossible qu’il puisse déjà être si âgé…
- Mulder… Au Japon, quatrième fils n’est rien d’autre qu’un titre honorifique. Yumi n’a qu’un seul enfant…
- … … Scully !

Elle ouvrit – dans un effort titanesque – une nouvelle fois ses paupières. Elle entrevit, dans un épais brouillard envahissant l’espace, Mulder se redresser sur ses coudes afin d’accrocher avec fermeté mais protection le regard de celle qui – respirant à la fois si près et si loin de lui – sombrait dans un ailleurs solitaire où la présence de l’autre n’est qu’une illusion.

- … Tsubasa paraît presque deux fois plus jeune que moi Scully !
- Mulder… offrit-elle, la voix grésillant et soupirante… Yumi est la mère de Tsu… Elle aussi fait extrêmement jeune…
- Cinquante ans Scully ! Yumi ne semble pas avoir plus de cinquante ans !

Et le scepticisme claqua :

- C’est génétique Mulder.

Puis le dernier battement des paupières emprisonnèrent les yeux bleus.



Si paisible… l’extérieur semblait être. Et pourtant, l’intérieur était si fragmenté. La regarder dormir – pour Mulder qui n’osa remettre en ordre la mèche rousse barrant son front…des mèches il lui en restait si peu… – revenait à contempler une œuvre d’art ; unique. Et qui, il le pressentait risquait d’être, dans ce labyrinthe obscur au cœur duquel le sang arpentait, détruite. Errance. Les yeux de Mulder avaient quitté le corps de Scully. Peur. Ils vagabondaient dans la pièce. Noirceur. Ils cherchaient sans chercher. Repères brouillés. Je suis sûre… qu’elle t’aidera à te repérer… en mon absence… Puis les yeux de l’espoir attrapèrent le velours noir.



Reposant toujours à l’intérieur du tissu, l’objet depuis la veille demeurait profondément enfoui dans la poche de son manteau qu’elle avait déposé en travers de son sac de voyage. Sans ces quelques centimètres dépassant depuis l’intérieur jusqu’à l’extérieur, même l’œil le plus averti n’aurait pu découvrir où se dissimulait l’étoile des Roses… Se levant, Mulder se dirigea dans la pièce et parvint au devant de ce qu’elle n’avait cru être que pour Yumi. Saisissant le manteau d’hiver, le parfum de Scully fut soulevé et enivra Mulder… qui ferma les yeux. Ses poumons se déployaient, cueillant chaque goutte de l’arôme vanillé s’engouffrant en lui. Quand il rouvrit les yeux, elle résidait dans sa main. Il ne la détailla pas tout de suite. Ce ne fut que lorsqu’il eut atteint à nouveau le lit qu’il s’exécuta, parcourant les innombrables pictogrammes enlianant l’étoile qui n’était pas plus importante qu’une boussole de navigateur. Les cinq branches ordinaires étaient présentes, mais deux autres, moins attendues, se trouvaient attachées sous les deux branches qui auraient pu servir de bras. Taillée dans une pierre inconnue, transparente et opaque selon les endroits, le bijou évoluait au cœur d’une finesse et d’une légèreté parfaite. Les contours avaient été voulus dans la plus grande symétrie, mais dès que le regard dépassait les frontières pour se retrouver au centre, les yeux se voyaient dans l’obligation de surmonter d’importantes crevasses taillées dans la pierre qui – touchées avec la main – prenaient l’effet de ronces aiguisées et pour celui qui ne prenait garde, l’étoile pouvait devenir coupante. Sept branches constituaient l’étoile, toutes plongeaient en un centre dévoilant le cœur des pétales d’une rose contemplée d’en haut… Repérer… Qu’avait voulu signifier Yumi… … Sept branches… Sept points cardinaux ?... Les deux branches encastrées sous les bras de l’étoile semblaient être l’équilibre. Il se tourna vers Scully. D’après la vieille âme à l’aura régénérative, la rose appartenait à la neige. Rapprochant le mystère près du corps endormi, rien, puis… Brusquerie et colère envahirent l’étoile aux branches s’arc-boutant, se redressant en se colorant et pivotant pour venir avec force et vitesse intégrer les sommets en le centre. Mulder n’avait pu retenir un hoquet de surprise mêlé à un effroi déstabilisant. L’étoile n’était plus ; une rose sans corps, silencieuse et intrigante, avait pris possession de la paume ouverte de Mulder reposant à seulement quelques centimètres du ventre de celle endormie… La réaction avait été violente. Pareil à une âme farouche ayant reçu une beauté qu’elle refusait de laisser approcher. Le mécanisme avait tranché l’air mais il n’avait en rien troublé le sommeil de Scully. Une inquiétude naissant en lui – celle de l’avenir incertain – Mulder ne put résister à l’idée d’accrocher la poitrine pour l’observer se soulever… Depuis quelques nuits, il avait besoin de vérifier qu’elle respirait toujours… … … Puis doucement, il décida d’approcher encore plus près la Rose du troisième cœur mais… la fleur sans corps s’anima d’une volonté encore plus déterminée que précédemment. Se déplia. L’étoile réapparaissait. Quitta avec conviction la main de Mulder. S’élevant. Libre de tout ancrage. Et traversa la pièce, claquant l’air, pour disparaître au cœur des livres réunis dans la bibliothèque qui occupait la totalité du mur auquel Mulder et Scully faisaient face.



Lorsque Mulder atteignit la bibliothèque, il constata que l’étoile n’avait pas disparu. Au-contraire. Celle-ci avait décidé de révéler un livre. Un de ses sept sommets piquants avait choisi de s’encastrer dans la couverture. Au cours de son investigation détaillée de l’objet, il avait pu identifier un sens dans lequel orienter la pierre étoilée. Et si son identification était exacte, le pic encastré indiquait le sud. Attrapant et retirant le livre élu, Mulder effectua – le plus doucement possible – la libération du livre désormais balafré. Dès la seconde où il put reprendre à pleine main l’étoile, il l’enveloppa – l’endormant – sous le velours noir. Et l’étoile plongea au fond du sac de Scully. La couverture était parsemée de kanji et d’hiragana. Un livre épais rappelant les éditions anciennes. L’ouvrant prudemment, Mulder entreprenait le défilement des pages qu’il arrêta dès qu’il trouva le signe lui chuchotant qu’il avait atteint l’indice mis en évidence par une tâche – à l’encre rosée – laissée en signature par la pointe de l’étoile. La légende accompagnant la gravure était cryptée en écriture japonaise, mais il n’eut pas besoin de réveiller Scully pour demander un interprète. Ce qu’il pouvait y voir convenait parfaitement. Où Charles avait-il obtenu cette pierre semblant venue d’un autre monde ?... La réponse ne serait peut-être jamais entendue ici ; elle n’était, pour l’instant, pas vraiment encore très importante. Mulder se retourna. Ce qui – en ces instants – consistait à être primordial, était de la sauver. Ils iraient donc au sud, à l’endroit que la gravure ancestrale symbolisait -, dans l’onsen.

*

Le lendemain matin : mardi 28 décembre 2004

11h04

Yumi Tahōto descendit du taxi s’arrêtant juste devant la demeure agencée selon les couleurs du pays ; un taxi s’éclipsant dès qu’elle se fut rapprochée de son allée menant chez elle. Sous son bras, Yumi portait un panier en osier rempli d’un certain nombre de provisions locales. Elle franchissait les dalles minces quand l’émotion sereine l’accompagnant se brouillait plus elle se rapprochait de sa maison. Le silence envahissant dès qu’elle fut à l’intérieur inquiéta son instinct aussi rapidement que son esprit réussit à la rassurer. Un sentiment couplé entre espoir et détresse la terrassait depuis que ses pas foulaient l’entrée. Dans la cuisine où sur la table elle laissa le panier, il n’y avait personne. Dans l’espace Ima où le futon jonchait toujours en travers de la pièce… personne non plus. Ce ne fut que lorsque les yeux devancèrent l’intérieur pour retrouver l’extérieur que Yumi comprit l’origine de la perception, séquestrée dans une dualité, qui la hantait depuis son arrivée. Durant un temps très court, Yumi avait cru que l’absence de ses invités était responsable de cette hétérogénéité l’encerclant. Une absence provoquée par l’ange noir se montrant pour emmener avec lui celle qui était en train de partir et à la fois en train de rester. Yumi observait Dana depuis l’intérieur. Allongée sous l’auvent où sur le sol la neige ne parvenait pas, elle écoutait l’intérieur de la Terre. Dana – l’oreille collée à même le revêtement naturel – était sur le flanc, étendue dans toute sa longueur. Yumi se décida, après plusieurs secondes d’observation à son insu, à dépasser le chambranle de la porte-fenêtre. La détresse… appartenait à Scully. L’appréhension parcourrait les membres de la vieille âme, car elle sentait que l’esprit serait plus difficile à soigner que le corps. Et Yumi aimait profondément Dana. Elle s’approcha et s’agenouilla tout près. Très rapidement, elle l’entendit murmurer :

- Mulder est parti…
- Il va revenir.
- …
- Pourquoi te tiens-tu ainsi ?
- Je ne sais pas…

La voix de Dana était calme, régulière, un peu énigmatique.

- Tu entends, n’est-ce pas ? répondit Yumi pour elle.
- …
- L’enfant que tu portes commence à se manifester plus fortement.

Dana redressa les yeux.

- J’ai eu soudainement l’impression que la folie s’emparait de moi dès l’instant où j’ai réalisé que ma perception décuplée de l’environnement saturant mon esprit coïncide et augmente avec le développement de cet enfant. Plus il grandit, plus tout devient si…
- Opaque et transparent…

Dana se redressa complètement, les larmes envahirent ses yeux. Yumi posa une main sur l’épaule dénudée puisque la chemise de nuit, une fois de plus, était l’unique vêtement qu’elle s’était décidée à revêtir dans cette froideur hivernale.  

- Oui… murmura Dana, reconnaissante de l’aide apportée par Yumi éclairant enfin le chaos intérieur qui se débâtait depuis des semaines en elle.
- Et que te fait entendre ton enfant ?

Dana resta un instant interdite. Parfaitement consciente de son comportement frôlant avec l’irrationnel. Elle était pétrifiée à l’idée que quelqu’un, à l’exception de Yumi, la découvre ainsi, prostrée à même le sol. Et pourtant, elle recommença, se rallongea, enfonça son oreille et tenta de comprendre ce que la vie criait en elle… …

… …

Avec un grand calme, Dana fit savoir sa réponse :

- Le bouillonnement de la source…  
- C’est là-bas que tu dois aller, annonça Yumi avec une sagesse sublime.

Mais Dana se releva vigoureusement sur ses genoux, annonçant un refus prochain.

- Je ne veux pas retourner à l’onsen ! Je ne veux pas y retourner sans ma sœur…
- Dana… prévint Yumi. Les morts fissurant nos rêves guident l’esprit à l’équilibre rompu vers une nouvelle paix.
- Ma sœur est morte parce que j’étais persuadée que mes choix n’étaient pas concernés par l’erreur. Abandonner mon fils était une erreur… avoua-t-elle en faisant tomber son regard.

Seule une bourrasque hurlante de vent s’éleva en guise de réponse. Puisque Yumi savait qu’elle n’avait pas encore terminé. Et Scully, ramassant son regard pour le déposer à nouveau dans celui de la femme brune reprit sans surprendre :

- Comment dois-je faire pour réparer Yumi ?
- Écoute ce que le corps crie à l’esprit…
- … et l’épée dans ton cœur sera retranchée.

Yumi, émue de l’entendre terminer le crédo, dessina un sourire touchée par une tendresse maternelle. Et déposa une caresse telle une bénédiction sur son visage.

- Tu as toujours appris plus vite que les autres… Ne laisse plus la peur te freiner.
- C’est loin d’être évident, se défendit-elle, les yeux criblés par les balles du désespoir.
- Mais pas impossible.
- Yumi…

Dana s’épuisait. La triste culpabilité la dévorait ; à côté, le cancer n’était qu’une éraflure.

- Les erreurs conduisent à la vérité. Un jour d’espoir, tu comprendras…

Dana voulut répondre mais la panique de Mulder, revenant du sud, l’en empêcha.

- Elle a fait un malaise ? cria-t-il à Yumi, essoufflé, sa marche s’étant mouvée en une course déclenchée par la terreur dès la fraction où il l’avait perçue effondrée au sol.
- Je vais bien Mulder ! se redressa-t-elle le plus vite qu’elle put sur ses jambes -, aidée par la main de Yumi.
- Que s’est-il passé ? s’empressa-t-il de demander aux deux femmes.
- Je… … J’écoutais.

Mulder se tourna vers Yumi en quête d’une explication plus profonde, mais elle n’eut pas besoin d’intervenir puisque :

- J’écoute ce qu’il me fait entendre.

En fournissant sa réponse, Dana avait posé une main sur son ventre. Il se rapprocha d’elle. Yumi s’écarta. Mulder enlaça le visage de Scully. Des joues incroyablement chaudes alors que sa tenue était incroyablement déshabillée. Mulder se retourna vers Yumi.

- Pourquoi n’a-t-elle pas froid ?

Mais cette dernière ne répondit pas. La spiritualité émanait autour du corps de Yumi. Mulder sentit une émotion gauche et trouble en lui. Et il était maintenant hautement convaincu que Charles avait prévu depuis le départ de les déposer en ces lieux ô combien mystiques. Yumi s’était figée. Ce n’était pas son rôle de lui répondre. Et quand il revint aux yeux de Scully, les iris bleus sombraient dans des vagues figeant le corps mais une volonté détruisant l’impossible.

- Parce que je l’ai choisi… J’ai choisi de ne plus avoir froid.

Sa réponse lui fit réaliser à quel point – chez elle – l’esprit dominait le corps. La guérison finale ne devrait rien aux traitements. En plus de ses mains, il déposa son front contre le sien -, et ne purent remarquer l’envolée de Yumi. Il lui murmura :

- Hier… J’ai pu entendre notre enfant.
- Comment… voulu-t-elle savoir dans une voix terriblement effritée.
- Cela n’a pas d’importance.
- Mulder…

Il l’embrassa. Il ne voulait plus qu’elle parle. Elle n’avait plus envie de fuir. Leurs lèvres, tressaillant, s’étaient percutées avec violence. Il voulait qu’elle ressente. Sur sa propre joue, une larme chaude coulait, mais elle ne lui appartenait pas. Scully, dominée par un tremblement se déclenchant sous la puissance de l’électricité pour éteindre la mort, pleurait sur Mulder. Se hissant sur la pointe des pieds, elle l’agrippa et serra l’étreinte qu’il lui demandait. Leurs yeux fermés, ils devaient, dans l’obscurité, sentir l’aura.

*
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Message  PtiteCoccie88 Lun 12 Aoû 2013 - 17:27

14h08

Il ouvrit l’armoire. L’ouverture faisait grincer la porte en bois. Sur l’étagère la plus élevée, il trouva rapidement ce qu’il cherchait. Mulder plongea ses mains, la porte se refermant pétrifia à nouveau les tympans de Scully se trouvant à côté, et avant qu’il ne fasse un geste en sa direction, son manteau en laine d’une élégance noirceur recouvrant ses épaules et dont les boutons étaient déjà clos, elle déballa :

- Je ne veux pas le porter Mulder ! Je vais avoir l’air ridicule…
- Scully…

Elle l’avait amusé. Un sourire se déployait sur lui. Sa réaction était disproportionnée. Immature… Pour la convaincre, il fit appel à ce qu’elle aurait pu lui dire, si les rôles avaient été inversés.

- Ce n’est qu’un chapeau Scully. Et pour moi… tu ne seras jamais ridicule...

Elle le regardait comme une enfant. Lorsque la mort approche, les âmes malades disent qu’il leur semble parfois refaire le chemin inverse. Marcher à l’envers pour retourner d’où nous venons. Elles quittent l’adulte qu’elles sont pour retrouver l’enfance où la mort n’est pas pour eux. Pas encore… Et c’est ce qu’elle semblait devenir en ces jours. Une enfant.

- Et puis… sur le trajet… avec toi… il n’y aura que moi… Personne d’autre que toi et moi pour admirer ce si beau chapeau…

Puis avec un sérieux encore plus grand ayant pour but de faire prendre conscience du danger :

- Il neige et je veux que tu sois protégée. Même si ton esprit n’a pas froid, ton corps lui… ne peut être du même avis puisque tu ne l’écoutes pas… À force de lui demander le contraire de ce qu’il ressent, tu l’épuises…

Elle ne répondit pas. Elle lui offrait cette reconnaissance à travers sa bouche muette et ses yeux doués d’une parole silencieuse. Des yeux qui disaient merci. Puis elle s’empara de l’objet tant redouté, et l’enfonça sur sa tête, faisant disparaître ses cheveux effilochés sous les larges rebords du chapeau gris feutré au style victorien.



14h20

Le bruissement de leurs pas fondant la neige était l’unique compagnon de route parcourant la forêt au rythme de leur traversée au cœur de la Terre blanche. Les sapins aux branches centenaires les observaient depuis leurs hauteurs majestueuses arpenter une nature qu’elle n’avait pas traversée depuis le jour où tout semblait encore si certains dans les yeux des deux sœurs. Une terre que Mulder – éclaireur – avait apprivoisé quelques heures en amont.

Mulder et Scully marchaient. Depuis dix intenses minutes, les flocons – dans leur chute libre dominant le ciel – tourbillonnaient. Elle leva la tête pour voir, hissa ses yeux pour contempler, et entrouvrit ses lèvres pour ressentir le froid ardent mais saupoudré de délicatesse fascinant l’observatrice. Gardant une progression régulière aux côtés de Mulder, ses prunelles absorbant la baie céleste parée d’une robe incrustée de diamants étincelants, elle frissonna. Sa peau ressentit la chaleur s’enrouler sous sa paume. Il venait d’enlacer sa main. Les yeux ainsi tombés dans le ciel, Scully ne réalisait pas sa perte d’équilibre. Mulder était sa barre sur laquelle l’étoile devait prendre appui pour se surélever. Pas s’abîmer. En réalité, Scully redoutait la vision imminente. Disperser son regard était son compromis. Pour s’échapper sans disparaître, les sommets vertigineux des sapins aux fines aiguilles respirant la résine, la lumière éclatante de la dame blanche silencieuse, la descente régulière des flocons timides, le chuchotement rassurant du vent libéré, et les yeux de Mulder dévoilant une profondeur amoureuse… se dessinaient sur sa toile bleutée. Mais Scully ne voulait plus marcher en arrière. Elle ne put déplacer son regard derrière elle ou sa volonté aurait été contredite. Désormais, il ne restait plus que le loin appartenant à l’horizon. Détachant l’emprise qu’elle offrait à Mulder, Scully porta – arrêtant un instant ses poumons – son attention rigoureusement devant elle -, là où la Terre rose ne meurt jamais.      



Leurs mains ne cessant de s’accrocher, Scully ancra – profondément déstabilisée – l’âme émeraude appartenant à celui qui lui avait donné le courage pour croire. Sous la déconcertation naissant sur les traits de sa partenaire, Mulder choisit de n’esquisser qu’un demi-sourire. Il souhaitait qu’elle puisse se rendre – par elle-même – jusqu’au bout de la révélation prenant vérité dans leurs yeux. Pour comprendre et accepter, ce qui pour lui était évident par une simple pensée, elle devait voir. Flamboyantes – roses et blanches – elles surplombaient l’entrée de la source.

- Ce…

Elle ne put achever. La stupeur priva Scully de sa possibilité d’émettre une nouvelle vibration. Bouche bée… elle regarda vers ce qui, devant, se montrait à ses yeux. Ses perceptions attrapèrent la même vision qui – loin d’être une chimère – se révélait baignée d’une aube brillante de vérité. Les cellules au cœur du cortex partagèrent une seconde fois la même image -, les fleurs de cerisiers étaient vivantes… … immortelles.    



Scully reconsidéra Mulder.

- Ce n’est pas possible. Ces fleurs ne naissent qu’en avril. En mai… elles sont déjà mortes… termina-t-elle si bas qu’il ne faillit pas discerner la fin.

Et en réponse à son trouble, il donna un grand sourire dont le contour de ses lèvres si étirées renforçaient l’atmosphère mystérieuse. Puis il mit en évidence :

- En théorie…

Il préféra faire une pause. Les mots suivants resteraient à jamais douloureux puisque celle qu’il aimait était devenue victime de sa quête. L’émotion le submergeait. Il ne pouvait encore donner vie à sa pensée finale. Et, Scully persuadée qu’il ne voulait plus rien ajouter voulut contre-argumenter, mais ne put réagir. Un nœud se resserrant au sein du filet neuronal se déployait, bloquant l’accès vers les mots qu’elle aurait aimé choisir pour lui prononcer.

- En théorie… reprit Mulder. Tu es stérile…

Et le visage de Scully s’affaissa. La pression s’échappait du corps. Elle ne pouvait que s’incliner devant cette évidence. Les larmes secouèrent l’intérieur puis… elles apparurent au bord des cils… pour couler -, avec douceur. Ils ne restaient plus que quelques mètres à franchir. Mulder prit la décision de l’arrêter. Le bruissement neigeux cessa. Ses mains vinrent envelopper son visage – froid – dans une caresse figée. De la vapeur s’échappait de leurs bouches entrouvertes. Avant d’interrompre le silence, Mulder laissa Scully savourer le transfert thermique, récupérant le froid de la reine, sacrifiant la chaleur qu’il possédait. Elle clôtura son regard. Il demanda :

- Tu me fais confiance ?

Offrant le bleu regard noyé dans une eau palpable :

- Je te fais confiance.





14h32

Ils y étaient. Tous les deux. Ils étaient devant l’ampleur sempiternelle. Les sapins qui, de chaque côté, avaient bordé leur route, restaient encore derrière -, veillant et poudrés d’une majestueuse poussière immaculée. Au-dessus, les cerisiers, jeunes et fougueux, pleuraient pour les envelopper, et devant, la montagne grise couvant le repos du volcan s’élevait avec un charisme grandissant. D’une sérénité imperturbable depuis l’extérieur, l’intérieur vibrait pour l’éternité. Un faux calme qu’il était possible de ressentir dès lors que la main plongeait sous l’eau -, chaude. Sur la peau, l’eau de l’onsen cicatrisait l’angoisse et assemblait les fragments éclatés. Scully retira sa main, redressa son dos qu’elle avait courbé et se tourna vers lui – Mulder. Dans un geste tremblant, elle monta ses mains jusqu’à son propre manteau et commença à le déboutonner. Mulder la laissa descendre jusqu’au dernier fermoir puis il prit l’initiative de lui apporter un relai. Il glissa ses mains sous les frêles épaules, les enlaçant, ouvrant le manteau, l’écartant et libérant Scully de la laine noire tombant, dans une raideur soudaine, sur la neige. Une raideur qu’elle devait confier pour pouvoir oublier. La neige veillerait sur les vêtements frigorifiés pendant que la reine de glace danserait avec le feu.



Maladroite, elle ouvrit la veste qui, comme le manteau noir, dans un bruit sourd frappa la neige. En dehors de ces soubresauts soulevant la poudreuse, le silence régnait, il n’autorisait que les saccades irrégulières de leurs respirations, gorgeant le vide entre leurs visages d’une vapeur incandescente au cœur du grand froid. Un tremblement rapide et surprenant contrôla son corps ; sous les mains de Scully se dissimulant sous son pull, Mulder frémissait. Durant un fragment temporel, il se sentit défaillir au centre d’une crevasse où à l’intérieur le temps n’est plus, où les émotions ne reçoivent pas de noms pour qu’elles puissent être cristallisées au cœur d’une mémoire sauvant la vérité brute. Elle lui retira son pull, désordonnant les cheveux bruns dans une bourrasque de laine, et violemment bousculé par le froid plaquant son torse nu, perçant l’âme bleue chavirant, à demi-voix il prononça :

- Tu trembles…
- Non.
- Tu as froid Scully, crut-il discerner au cœur du rouge recouvrant ses yeux bleus. Rentre dans l’eau ! Ne m’attend…
- C’est… coupa-t-elle, envoyant une nouvelle décharge vaporeuse sur les lèvres de Mulder… Toi qui me fais trembler…

Ils se tenaient si proches. Mulder était chaviré. D’une voix rauque dont elle n’avait pas encore soupçonné l’existence chez elle jusqu’à l’entendre, elle avait imposé sa vérité. Et pour appuyer cette révélation articulée dans une saccade fiévreuse, Scully ouvrit ses mains – le pull qu’elle séquestrait toujours tomba – qui se retrouvèrent sur son torse. Mulder ferma les yeux. Scully ne mentait pas ; ses mains étaient si chaudes ; surtout, elle ne donnait plus l’air d’affronter son corps avec son esprit. En cet instant, une osmose l’emportait loin de l’épuisement -, et ensemble, Mulder et Scully cessèrent de respirer.



Revenant à eux – un fragment d’émotion supplémentaire embrasant leurs corps – de ses mains, il chercha son visage qu’il toucha pendant qu’elle retirait les siennes de son torse. Scully était brûlante. Et la marche vivifiant le corps évoluant dans ces montagnes n’y était pour rien. Ce n’était pas non plus l’onsen. C’était eux. Rien d’autre. Scully, en cette après-midi d’hiver, s’autorisait à libérer les cris rendus atones par sa volonté prisonnière d’elle-même. Une délivrance que Mulder était prêt à guider avec toute sa passion qu’il plaçait en elle. En attendant, il admirait la nudité se peignant un peu plus précisément à chaque pièce qu’elle retirait avec des mains blanches nerveuses et agitées. Chemisier, pantalon, chaussures, chaussettes, dentelles… que reçut la neige désormais habillée de ses vêtements. Elle était nue. Presque. Ses seins se soulevaient. Le cœur semblait sortir pour venir rejoindre le sien. Dissimulant avec difficulté le désir qu’elle provoquait, ne l’abandonnant pas des yeux, il se concentra sur son geste, qui en un mouvement, libéra ses cheveux, et le chapeau tomba.



Elle entra dans l’eau la première. Mulder terminait de quitter ses derniers habits. Elle laissa la source monter jusqu’à sa taille très rapidement. Les degrés proposés par le bassin, dessinant le périmètre d’un vaste lac, immergeaient le corps dans une béatitude sans frontière. Parcourant la surface de l’eau avec ses mains qu’elles ne noyaient pas, Scully montra un sourire, son ouïe percevait un fin clapotis prenant naissance en son dos -, Mulder la rejoignait. Elle ne se retourna pas tout de suite, non pas encore, elle voulait se délecter, seule, de cet instant intime qu’ils créaient à deux. Juste quelques secondes… … … Quand elle jugea que le temps du plaisir solitaire était arrivé à son terme, elle délaissa la vue du volcan pour retrouver les cerisiers mais… ils étaient seuls. Éveillant son regard, aiguisant ses pupilles, elle resta un court moment figée, ne saisissant qu’à moitié pourquoi Mulder n’était pas là où il aurait dû se trouver. Puis l’onde de surprise dissipée, elle exprima son agacement amusé :

- Mulder !...

Elle tourna doucement sur elle-même ; dans le silence montagneux, elle le guettait.

- Mulder !

Elle tourna encore sur elle-même, lentement, plus attentive au danger qu’à la bêtise d’un homme de quarante-trois ans.  

- Mulder… répéta-t-elle, affutant son ouïe recueillant un calme perçant.

L’inquiétude la terrassa d’un bond malgré sa logique qui lui criait qu’il n’était que caché sous l’eau – opaque – pour exactement déclencher ce qui l’irradiait en cette seconde : une peur flirtant avec une nauséeuse panique.

- Muld…

Il avait surgi. Devant elle. Si près qu’il lui avait arraché un cri. Intérieurement, il s’en félicitait, mais la découverte du regard azur martelé par la frayeur et des palpitations étouffant la veine placée sous son cou, Mulder changea son attitude et l’enfonça dans ses bras. Posant une main contre sa nuque, Mulder humidifia sa chevelure qu’elle avait laissé libre de toute pression élastique. Son corps collé contre le sien, il la sentit se détendre. Et il écarta une mèche, rendue noire par l’eau, pour libérer son oreille afin d’y murmurer :

- Je t’ai fait peur ?
- Non.

Mais elle avait répondu trop rapidement, démasquant les failles hantant encore sa voix.

- Je t’ai fait peur… se corrigea Mulder, affirmant.

Une once de regret habilla sa réalité tandis qu’il la resserra encore plus près contre lui. Elle ne répondit plus. Mulder caressant sa nuque, il lui avait fait fermer les yeux. Enfouissant son visage dans son épaule gouttelée, agrippant son dos, elle souhaitait s’endormir. Dans ses bras et le corps submergé, elle voulait y rester des heures. Si le cœur venait à s’arrêter, cela devait se produire contre son corps -, l’illusion de l’éternité serait alors décrochée.



Une minute plus tard, peut-être plus, peut-être moins, Mulder ne savait pas, il sentit sa poitrine se remplir d’air, elle prenait une grande respiration, et peu à peu il la sentit se décoller pour pouvoir le revoir. Ému, il en profita pour lui ordonner avec bienveillance, l’espoir au fond des yeux :

- Je veux que tu plonges ta tête.

Elle fronça les traits. Mulder comprit que la mission serait plus ardue que prévu. Et pourtant, disparaître sous l’eau, elle en faisait parfois son activité préférée. Jamais le soir, elle ne venait le rejoindre dans les draps sans avoir offert à son corps une ondulation d’eau chaude qu’elle glaçait toujours dans les dernières secondes.

- Je ne sais pas Mulder…

Elle paraissait effrayée. Mais Mulder ne renonça pas. Il devait la convaincre. Il irait jusqu’à sombrer avec elle -, pour la sauver.

- Et si je le fais avec toi ?

Dana arqua ses yeux dans le vide. Elle lui donnait le sentiment qu’elle reconsidérait sa demande. Ces quelques secondes s’étiraient pour Mulder. L’appréhension le gagnait. Il ne pouvait l’obliger par la force. Quand :

- Seulement si tu m’accompagnes… proposa-t-elle, ne devinant ô combien elle soulageait Mulder -, qui jusqu’à la fin lui apprendrait à croire, et à ne pas renoncer.

Scrutant leurs yeux, avant de disparaître, ils attendaient l’accord mutique et mutuel traversant l’esprit – ouvrant un nouveau fragment dans lequel le temps n’existe pas – et son corps fut baptisé.



Leurs deux corps fondirent et la Terre noire poursuivie par les névroses fut délaissée. Les bruits plongeaient en une matière feutrée et si unie en elle-même. Les yeux fermés, Dana rencontra l’origine de la création. Sous l’eau, ils retournaient dans la Terre bleue. Un néant où la poussière n’est pas la terreur flottant au bout du chemin noir enfermant les hommes mais une douceur éclairée par l’aura bleutée libérant l’espérance. Dana ouvrit les yeux. La lumière du ciel dévisagée depuis les profondeurs faisait parvenir un certain miracle dans le regard. Sur l’onsen, la mer du ciel portait du bleu tandis que sur la route, séparant la maison de lumière des cerisiers, son costume était blanc. Étrange… Et si les hommes n’étaient jamais sortis de l’eau, le monde n’aurait jamais oublié l’océan terrestre à présent éclaté dans la violence, sombre et hostile.  

Elle arrêta son admiration céleste et chercha son visage. S’accrochant sur la pointe des pieds pour rester au fond, elle le trouva. Dans ses yeux, Mulder perçut l’étincelle. Puis elle commanda un battement de jambe, des bulles s’échappèrent de sa bouche, et décrocha son corps du sol qu’elle laissa remonter en apesanteur.

Une grande inspiration accompagna son entrée à la surface. Mulder, refaisant pour la deuxième fois son apparition, l’imita. Passant une main dans ses cheveux qu’elle mettait en arrière afin de dégager son visage, les yeux encombrés par l’eau encore profondément immiscée derrière les paupières, elle nagea vers lui. Dans leurs descentes, le bord s’était éloigné. Mulder l’attrapa avant qu’elle n’arrive jusqu’à lui, la faisant glisser là où elle n’avait toujours pas pieds -, là où lui touchait terre pour elle. Enlaçant son cou plus pour ne pas couler que par désir, il sentit ses cuisses se refermer autour de sa taille. Ils se sourirent.

- Ramène-moi au bord ! osa-t-elle commander malgré sa parfaite lucidité qui lui chuchotait qu’elle était, embrassée ainsi à lui, condamnée à la perdition.      

Mais il ne souriait plus. Elle tenta de résister. Dana voulait défier la tension -, une dernière fois. Elle devait le mettre à l’épreuve.

- Tu y crois vraiment ?... exprima-t-elle dans un souffle sans faille.

Une maîtrise de soi-même qui était parfois bien difficile d’arracher à Dana Scully, la résistance au désir resterait sa marque. Une attitude, qui au lieu de ralentir la pulsion, décupla la tentation de Mulder comprenant qu’il devait forcer l’invitation au voyage s’il voulait dompter l’intelligence rationnelle et déferrer celle de l’émotion.



Rien ne s’étant produit, elle reprit :

- Tu crois aux vertus des Onsens ? À leurs pouvoirs…

Et son cœur manqua un battement. . .

Plusieurs. . . . . . La bouche entrouverte, le souffle ne sortait plus. Seuls ses yeux, miroitant un émoi troublé, parvenaient encore à lui murmurer son message contradictoire écartelé entre une restriction s’épuisant et un lâcher prise grandissant. En cette fraction, il n’y avait plus que la main de Mulder rencontrant sa chair qu’il avait soudainement décidé de presser dans l’intimité de sa hanche. Mais la rationalité tonnant encore au loin, elle réussit à lui balbutier :

- Ne fais pas ça…

L’oxygène ne rentrait plus. Il devenait vital d’écouter la plainte du corps où elle finirait par mourir, emportée par la suffocation. Mais l’homme, alimentant leur désir, était là pour déchaîner la sève.

- Ne fais pas quoi… appela-t-il, frôlant l’insolence.
- Tu sais très bien…

La voix était hachée, foudroyée par un timbre grave si involontaire qu’il activa le brasier de la séduction.

- Ça ? sollicita-t-il incroyablement sourdement pendant qu’il déviait sa main vers les hauteurs.

Regarder sa poitrine, sous l’effet de la respiration, se mouvoir ainsi à la surface déversait au sein de ses sens à lui, une émotion tendant vers la grâce sublimée. Il la vit vouloir résister une dernière fois, puis ce fut terminé. Doucement, Dana calfeutra ses yeux et amena son front contre le sien. Dans une non-préméditation, excitée par le faible écart séparant leurs visages, leurs lèvres s’effleurèrent alors qu’il maintenait sa caresse progression, lente mais régulière. Il préférait conserver son regard. Il voulait la voir s’absenter continuellement au cœur d’une défaillance dont il était auteur. Mais son ambition se retourna contre lui à la seconde où ce qui n’avait été qu’un effleurement se mua en une profonde rencontre. Mulder ne put que – à son tour – fermer ses yeux. Elle l’embrassait, se synchronisant au rythme du parcours – posé, presque paresseux, mais divinement voluptueux – qu’il faisait naître entre ses jambes. Il ne la possédait pas encore totalement qu’elle accélérait son baiser, s’offrant profondément. Le désir devint brusquement plus lourd et sa respiration muette vira sa direction. Son gémissement discret enivra Mulder, faisant naître une poussée d’ivresse dans son cœur. Recevant sa langue, il prenait soin d’y répondre avec ferveur. Et enfin, dans un mouvement qui n’était plus retenu par la rigueur, il la ressentit hisser son bassin au-dessus du sien. Ce fut juste après cet interstice sacré qu’il déploya sa main sur elle, lui arrachant un fort soupir qu’elle eût du mal à entendre. Peu à peu, il sentit son baiser se ralentir… non parce qu’elle ne voulait plus… mais parce qu’elle ne pouvait plus. Dana rouvrit les yeux, elle aurait voulu le voir, mais le trouble occultait sa vue. En dépit de leurs regards amarrés l’un à l’autre, Dana ne percevait qu’une nébuleuse égarée dans du flou. Mulder ne se lasserait jamais de cette contemplation. Revenant à lui contre son front, elle n’y resta que quelques instants, un frisson l’irradiant de manière inattendue, soulevant encore un peu plus son bassin, raidissant lentement son dos, électrisant ses muscles, sa tête glissa contre sa joue. Au cœur de cette descente sur son visage, dans un dernier effort habité par la conscience, elle réussit, du bout des lèvres, à capturer sa bouche, lui donnant un baiser frôlé. Et perdant définitivement sa garde, la respiration bruyante et dérapante, Dana s’enfouit dans l’épaule de Mulder qui recueillit – étouffés – ses ultimes gémissements.    



Il voulut attendre que l’esprit reprenne possession, délicatement, du corps chargé encore sous de délicieuses impulsions électriques la faisant vibrer. Mulder porta une nouvelle fois sa main derrière sa nuque humide, caressant les cheveux dont les racines depuis quelques semaines étaient profondément clairsemées. Mais il ne renoncerait pas au miracle de pouvoir très bientôt entrelacer la fibre réparée, éclatante d’une vitalité enflammée, entre ses doigts. Elle se retira de son épaule, sans pour autant quitter son bassin, il aurait pu la garder ainsi jusqu’à la fin, dans l’eau, le poids de l’être est si aérien. Et Mulder, avant même qu’ils ne puissent revoir leur visage, dans son oreille, lui posa cette question, celle qui depuis des semaines lui brûlait le cœur :

- Si c’est un garçon ?

Scully sentit son âme se renverser ; Mulder était en train de lui injecter une adrénaline propulsée par une peur, qui à jamais serait l’otage de sa conscience. Croisant leurs regards, elle vit ses lèvres lui proposer, dans un murmure, un prénom. Mais seul Dana pouvait entendre. La voix de Mulder était si secrète que la nature contemplant la scène ne parvenait à faire taire le silence pour capturer les mots. Mais les fleurs de cerisiers, respirant sur la Terre rose, purent voir Dana sourire, un spectacle qui – pour ces fleurs – les aiderait à patienter, jusqu’à la naissance.

Une dernière fois, la voix de l’homme ressuscitant sa femme s’éleva :

- Et si c’est une fille ?





Choisissant une fausse question, elle lui demanda :

- Je veux rentrer à la maison.

Et avec sa plus grande tendresse, Mulder rendit à Scully sa liberté. Arrivés près du bord, elle quitta ses bras, toucha le fond de l’onsen, et très vite son corps sortit de l’eau où ses pieds retrouvèrent la neige. Le contraste glacial, terrassa son esprit -, les sens recevant une overdose.

- Qu’est-ce que c’est froid ! gronda-t-elle les dents serrées.

Les dernières vagues rythmant la surface de la source, accompagnant la sortie de Mulder, envahirent ses oreilles, puis son manteau à présent épuré de toute raideur, enveloppa jusqu’aux genoux son corps nu. Mulder, en lui remettant son manteau, avait déposé une caresse si souple qu’elle eu l’illusion qu’il venait d’offrir des ailes à son dos.

En silence, elle le regarda remettre ses vêtements. Depuis la sortie de l’eau, entre eux, pas un mot n’avait été prononcé. Elle ferma son manteau. Puis la veste grise recouvrant la masculine carrure de Mulder, Scully attrapa ses chaussures ainsi que son chapeau, et pieds nus – un souffle divin venant la posséder – elle s’élança vers la lumière -, cette maison qui était leur phare.



Mulder ramassa ses habits qu’elle avait oubliés sur le sol, et même si elle ne s’en rendait pas compte, peu importait, Mulder volant lui aussi à sa poursuite, il réalisait pour elle. Scully, depuis cette première fois située douze ans en arrière où il lui avait demandé si elle croyait, n’avait jamais couru aussi vite. Et c’était beau de la voir se précipiter ainsi -, vers l’aura d’espoir.

Dans sa course, les lames qui avaient planté ses pieds à la remontée hors de l’eau et sur laquelle pas un seul flocon ne tombait, n’étaient plus son ennemi. Les cristaux ne tombaient qu’entre les sapins… Et pour une raison qui resterait inconnue pour la conscience, la neige était chaude. La vérité était qu’elle ne courait plus. Guidée par Mulder, Scully s’élevait.



Dès qu’elle passa la baie vitrée, elle jeta ses chaussures qui sur le sol en bois s’écrasèrent dans un bruit sourd. Et de son autre main, le chapeau glissa. Elle était essoufflée, étonnamment elle n’était pas épuisée. Au cours de l’allée, un instant son corps lui avait avoué qu’il ne désirait plus marcher -, il devait s’écrouler. Mais Scully, ne se voyant pas, ne réalisait pas qu’elle se métamorphosait. Derrière elle, Mulder franchissait le seuil. Moins de trente secondes les avaient séparés durant cette nouvelle traversée de la Terre blanche. Puis ce fut son corps qu’elle étendit sur le lit. La regardant s’allonger si suggestivement ainsi sur le dos, Mulder attaqua ses yeux bleus pendant qu’il posait calmement les vêtements féminins à terre. Il se recula un court instant afin de refermer la palissade et d’insuffler à la pièce une lumière douce et voilée dans du doré, puis avec un geste dominé par un contrôle absolu – afin d’offrir, à celle qui l’attendait, son désir le plus intact, puissant -, et total – il se libéra de sa veste.

S’avançant doucement, il se déposa avec délicatesse près d’elle. Ils ne se parlaient pas, ils n’en avaient pas besoin, le regard complètement ravagé par la vue de la proie qu’ils s’apprêtaient à lacérer, extériorisait déjà bien assez.

Il déboutonna le premier bouton, le deuxième, puis le troisième… Une effroyable lenteur accompagnait le travail de ses mains… Et le manteau d’hiver, une nouvelle fois, s’écarta. Submergé par l’émotion martelant son envie qu’il était à présent difficile d’ignorer, Mulder rencontra le ventre. Une plume semblait s’être arrêtée à même sa peau, précisément à l’endroit où depuis quatre mois, une merveille construisait ses étincelles.

Mulder renforça l’appui qu’il offrait à son ventre par une caresse épaisse et si large… qu’elle ressentait la vibration se réveiller. La main de Mulder propageait une chaleur si immense… L’apaisement dépassait la surface et pénétra en elle, à l’intérieur. Ils lisaient dans les yeux de l’autre. Mulder pouvait entendre les sifflements du désir chuchotés par la respiration de Scully. Il aurait été possible de croire qu’elle peinait à trouver son oxygène, mais ce n’était pas le cas. C’était même tout l’inverse. Elle succombait sous l’air – par son visage si proche du sien – qu’il insufflait dans son être tout entier, soulevant son corps qui sur le lit sombrait dans le souffle libérateur. Et déshabillée de toute sa logique, Dana fit disparaître ses mains sous le torse se déployant sous ses yeux, et pour la deuxième fois elle le débarrassa de son pull. Quittant son ventre, il remonta sa main sur sa poitrine pendant qu’elle, faisant descendre ses mains dans son dos, attira son corps sur le sien. Il massait ses seins et Dana faillit sombrer… mais ses yeux devaient rester ouverts, ils devaient… Un effort surhumain s’empara d’elle pour résister. Ils s’étaient fermés… Ils s’étaient ouverts… Ils devaient rester ouverts pour qu’elle puisse piéger ses lèvres qui cette fois-ci ne s’effleurèrent pas, elles se cognèrent, Mulder et Scully voulaient se heurter, ils ne voulaient plus respirer l’air offert par l’extérieur, ils voulaient arracher l’oxygène du corps de l’autre pour le détourner en eux. Ils voulaient enfouir et posséder. Et se prenant lentement, ils fermèrent leurs yeux.

La fenêtre restée ouverte, les sons du dehors n’étaient plus perceptibles. Leurs respirations étouffaient le moindre bruissement étranger. Il ne survivait plus que les leurs -, plaintifs et soupirés. Tous les deux, leurs pupilles restant à l’écart de la lumière, étaient dans le noir. Mulder, ne cessant de l’embrasser, glissait sa main, quittait sa poitrine, pour rejoindre son bras qu’elle étendait, ouvert à lui. Leurs phalanges se frôlèrent, jouèrent à se fuir et à se rapprocher en même temps qu’il sentait l’impatience féminine se manifester. Sans vraiment s’en rendre compte, sous lui, elle avait remonté ses jambes, les éloignant des draps pour venir étreindre la taille de Mulder. Leurs doigts s’entrelacèrent. Et sous la perception d’un grondement invisible, ensemble, ils cessèrent l’embrassement de leurs lèvres -, tremblantes et nerveuses. Ils redécouvrirent leurs regards. Agités par une fièvre enivrant et rendant fébrile, ils n’étaient plus les mêmes. Le bassin de Dana se souleva légèrement et, leurs mains se séparant, il l’aida à se dégager entièrement de son manteau qu’elle décala sur le côté. Puis, il vint trouver son front. Il lui donnait une caresse qu’il faisait glisser vers sa joue. Et, depuis le bas du ventre, elle commença à le ressentir. Dans l’eau, elle l’avait touché près, en surface, maintenant elle voulait le serrer près, à l’intérieur. La main de Scully vint s’intéresser à la fermeture protégeant la taille de Mulder. Dans son regard, il pouvait y lire une attente dont elle s’était privée depuis un grand nombre de jours… puisqu’elle n’espérait plus. Mais cette attente assoiffée, il avait déjà pu l’admirer et la conserver dans son cœur -, particulièrement en ces fragments où ils se découvraient pour les toutes premières fois, lorsque sa main s’immisçait sous ses jupes noires du FBI, et fendues. La braguette descendit et il retrouva ses lèvres, furtivement, il les quittait déjà, il se redressait -, pour enlever ce qui ne devait plus être, et la rejoindre au cœur de sa nudité où – Dana cambrant inconsciemment, dans une lenteur sensuelle, son corps sous l’effet du corps nu masculin se dévoilant pénétrant ses iris – elle l’invitait.

De ses mains elle l’enlaça et de ses jambes elle l’entoura. Mulder coula sa main sous sa cuisse et gracieusement, il releva Scully contre lui. Plaquée contre son torse, elle tremblait ; elle dû renforcer l’emprise qu’elle, de ses mains, détenait autour de ses épaules, s’agrippant toujours plus fort, pour tenter de se calmer. Mais ce fut la pression des lèvres qui caressait son cou qui terminèrent de l’apaiser et, avec lenteur, elle revint vers lui, se défaisant de son épaule dans laquelle Dana s’oubliait encore et -, elle prit les commandes.

Attrapant ses lèvres à lui, les mains possédant son dos à elle, ils trahissaient la poussée fiévreuse les chavirant. Enfonçant ses ongles sur sa peau, déchaînée par une sensualité provocante prenant son ancrage au creux des reins, Dana détermina l’ouverture de la faille -, dans laquelle, embrassés l’un dans l’autre, ils s’enlisèrent. Elle ondula ses hanches pour mieux le trouver, il la sentit frémir ; il faufila ses mains sous son bassin pour mieux la capturer -, et elle s’arracha de ses lèvres. Son buste – dans un accident – soudainement propulsé en arrière, Scully n’avait pu retenir son cri -, et qui brutalement leur avait fait ouvrir les yeux… Il attendit un temps pour elle, celui qui lui offrit la permission de revenir à lui sereinement tout en remettant son bras derrière son cou qui, dans la surprise d’une décharge qui n’était qu’un prélude, s’était échappé… Et la mesure reprit… Les yeux injectés de vibrations et les pupilles dilatées, Mulder admirait Scully se mouvoir lentement, presque contrôlée, mais la danse – sans que ni lui ni elle ne puissent y faire quelque chose – accéléra. Leurs respirations se désordonnèrent, elles s’exaltaient, s’enflammaient en se saccadant, elles étaient hachées dans la fièvre. Leurs fronts scellés l’un à l’autre, elles débordèrent, se soulevant, elles se coupèrent -, et leurs cœurs s’arrêtèrent.    

*


Mercredi 29 décembre 2004

09h08

L’eau fraîche coulait sur ses mains. Une eau qu’elle porta jusque sur ses yeux pour les réveiller. Puis elle éteignit le robinet du lavabo. Dans le miroir de la salle de bain, son reflet se dessina un vif instant, si court qu’elle avait failli ne s’apercevoir de rien. Elle recula et décida d’allumer la lumière pour éclairer la pièce plongée dans la pénombre où aucune fenêtre ne possédait les murs. Et – secouée par son portrait – elle demeura ébahi. Bouger était impossible. Elle n’était pas pétrifiée mais en guerre. L’esprit luttait avec le corps. Dans sa chemise de nuit, elle se rapprocha doucement vers la glace. Et quand elle parvint au but, elle ne put que déglutir avec peine. Elle éprouvait presque une épreuve dans cette fixation d’elle-même. Scully ne se reconnaissait pas. Cette femme appartenait à un autre temps. C’était celle qui respirait dans la vie -, quand sa peau n’était pas encore blanche, que ses cheveux n’avaient pas encore chuté dans un profond coma, et que le cancer n’enfonçait pas encore ses yeux au creux des orbites. En cet instant, le discernement scientifique de Dana Scully se retrouvait au cœur d’impétueuses rafales démontant l’océan de ses yeux. Il dormait encore mais depuis d’où elle se tenait, Scully, noyée par un sentiment d’urgence, décida de le réveiller :

- Mulder !

Cette femme, qui se dressait face à elle, ressemblait à celle qui depuis hier après-midi reprenait mystérieusement possession de son corps. Elle recula d’un pas et recommença, plus fort :

- Mulder !

Elle ne quittait pas ses yeux bleus. À l’intérieur des iris, elle y disséquait les vagues du choc mais aussi, elle redécouvrait cette détermination qui l’avait guidée à quitter la médecine pour servir la justice. Une remarquable force à laquelle Mulder avait succombé -, et qui l’avait sauvé. Mulder… Et ce matin, Scully percevait que c’était lui qui la sauvait. Mulder… répéta-t-elle dans le cœur de son âme à présent silencieuse ; Dana était en paix. Le fond de l’image tissa une deuxième âme. Il était réveillé et dans son dos, il s’approchait. Et parce qu’il était son opposé, la mer émeraude était calme, une sérénité qui plus elle se jetait dans l’océan, plus les yeux de Scully plongeaient sous l’apaisement que Mulder détenait. Quand soudain, dans ses cheveux – flamboyants – sa main s’entrelaça, puis l’obscurité s’empara d’elle. Mulder, avec une douceur flirtant parmi les griffes de la passion, murmura à celle qui venait de fermer ses yeux :

- Tu es si magnifique…

Mais sous ses paupières, Scully, depuis qu’elle avait respiré dans le ventre de l’onsen, baignait au sein de la lumière. En elle – et pendant qu’il restait là, accroché au visage purifié que le miroir réfléchissait dans son esprit, une femme touchée par la grâce divine – l’électricité qui dans la profondeur nocturne avait irradié leurs corps défila dans son cœur et à l’extérieur la magnifia, encore davantage. Pratiquement ensemble, ils s’étaient réveillés mais, ils n’avaient pu trouver la raison pour se rendormir. Seule la passion – inassouvissable – avait été encore – et encore – attrapée. S’immerger dans la source avait rendu l’amour immortel.

Dana retrouva son regard et authentifia la thèse du chercheur de vérité :

- Les fleurs de cerisiers ne meurent jamais.



- Maintenant que tu te vois ainsi… y crois-tu ?

Durant un temps, elle ne répondit rien. Elle se retournait pour qu’il puisse l’accueillir dans ses bras. Mulder, lui, ne semblait pas avoir été transformé. Une impression qui était juste, puisqu’il n’avait jamais été en train de mourir.

Contre sa poitrine, Mulder pouvait entendre battre son cœur. En cet intermède qui n’appartenait qu’à eux-deux, il le sentait travailler paisiblement, mais au-cours de ces dernières heures, depuis la source jusque dans les draps, Mulder avait pu sentir le cœur de Scully au sein de son ivresse. Et enfoncée dans ses épaules, elle répondit, non sans trembler :

- Daisuki da.



Mulder ne put masquer la faible surprise prenant corps en lui, mais Scully ne la vit pas, elle ne voyait pas son visage, elle ne respirait que son corps saisi par un sentiment trouble qui s’était quelque peu emparé de lui à l’entente des sons opaques. Il demanda :

- Qu’est-ce que ça veut dire ?

Alors Scully se retira de son emprise, et avec une gratitude hissée par l’amour qu’elle éprouvait pour lui, elle offrit à ses lèvres un baiser.



Et les sons devinrent transparents.

*

Trois Jours Plus Tard : samedi 1er janvier 2005

17h18

Sur le quai, Yumi Tahōto embrassa encore une fois Dana Scully. Quelques voyageurs se retournèrent sur eux -, c’était si rare ; c’était si rare de voir les âmes se toucher par le corps. Au Japon, ils n’en avaient que très rarement besoin, puisqu’ils se tenaient déjà par le cœur.

- Au-revoir Monsieur Mulder, prononça Tsubasa.

L’homme souriait, s’inclinait avec respect devant ce couple qu’ils redéposaient vers l’Occident.

- Vous rencontrer fut et restera un honneur, continua-t-il. J’espère que vous avez pu trouver ce dont vous aviez besoin, car le chemin de l’espoir n’est pas terminé. D’autres épreuves se dresseront à vous. L’esprit des étoiles, à jamais, demeurera mystérieux.

Pour accompagner ses derniers mots, l’homme avait quitté Mulder pour se tourner vers Scully. Puis il fixa de nouveau son attention :

- Mais vous saurez ramener l’aura… C’est votre privilège, Monsieur Mulder.



Ils ne surent que répondre. Ils ne surent parce que leurs esprits n’en étaient rendu qu’à l’étape où celui-ci peine à décoder les implicites.

- Très bien Tsu, intervint Yumi Tahōto, signifiant le point final.



Et Mulder, puis Scully, montèrent dans le Shinkansen -, repartant comme ils étaient arrivés, avec l’aura.

*



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Message  PtiteCoccie88 Ven 20 Sep 2013 - 20:45

18
*

Until All The Pieces Fit…



Lundi 3 janvier 2005

La pluie s’abattait avec acharnement sur le pare-brise depuis une durée qui semblait ne jamais avoir eu de commencement, le temps était si long qu’il occultait le début. Dana fixait les essuie-glaces. Mulder conduisait depuis dix minutes. Un instant, ses yeux quittèrent la route et il dit :

- Nous y retournerons. Je te le promets.

Immédiatement, elle tourna son regard vers lui, ce qui arrêta l’emprise hypnotisante que les essuie-glaces possédaient sur elle.

- Le ciel était si bleu… murmura-t-elle, avide d’espoir.

Replaçant son attention au centre de la route, il répondit avec sérieux :

- C’est parce qu’en hiver, au Japon rien ne meurt.

Scully le regardait avec intensité. Puis en refocalisant brièvement mais avec soin ses yeux dans les siens, avec une complicité volontaire, presque espiègle, il ajouta :

- D’après Tsu ! Bien évidemment…

Elle lui sourit maladroitement. Et pendant qu’à son tour, elle se mettait à dévisager de nouveau la route en train de quitter les montagnes pour entrer en périphérie du centre de la ville, les percussions sifflantes et régulières provoquées par le frottement des balais sur le pare-brise semblèrent accentuer leur volume sonore. En réalité, cette illusion était produite par le silence qui entre Mulder et Scully s’allongeait. Quinze minutes plus tard, la voiture s’arrêta sur le parking d’un supermarché appartenant à la ville d’Asheville. Aussitôt le moteur coupé, de chaque côté de la Ford berline, les portières s’ouvrirent et dès que Mulder eût récupéré un caddie entre les mains frigorifiées par la pluie déchaînée, tous les deux – Mulder et Scully – se précipitèrent à l’intérieur de la grande surface.

*

Dans les rayons qu’ils arpentaient, les cheveux de Scully étaient encore marqués par l’orage qui les avait soudainement encerclés. Il était lundi matin et il n’y avait que très peu de monde entre les allées. Mulder et Scully se dirigeaient déjà vers la caisse quand elle l’entendit s’exclamer :

- On a oublié le gruyère râpé !
- … On a oublié le gruyère râpé… répéta-t-elle doucement, quelque peu déphasée. J’y vais ! proposa-t-elle avec une vivacité soudaine ; une attitude contrastante qui ne manqua pas de troubler Mulder.
- Non ! argumenta-t-il tout en se voulant bienveillant. C’est au rayon froid. Je ne veux pas que tu y retournes.

Et il lâcha le caddie qu’il remit entre les mains de Scully. Ce ne fut qu’au bout d’une longue minute, si étirée qu’elle eut en elle la vision d’un Mulder qui ne reviendrait jamais du pays glacé, qu’elle réalisa où ils s’étaient arrêtés. Déstabilisée, presque mal, Scully s’éloigna du chariot et s’avança au cœur du vaste rayon. Avant Noël, ils avaient dit, d’une voix précipitée, au docteur Alison Baker qu’ils ne voulaient pas savoir si c’était une fille ou un garçon. Avec l’une de ses mains, Dana toucha un pyjama en éponge, bleu. Suspendu sur un cintre, c’était du un mois. Ses doigts enveloppaient le petit pied quand dans son dos, il lui demanda :

- Qu’est-ce que tu fais ?

Elle sursauta.

- Oh… se reprit-elle. Rien du tout.

Elle lâcha enfin le vêtement. D’une voix plus grave où les tremblements de la surprise s’étaient évanouis :

- Je ne fais rien du tout Mulder.

Et le sourire maladroit dessina une fois de trop pour lui son visage à elle.



Sur le tapis de caisse, Scully alignait les articles que Mulder réceptionnait à l’autre bout dans les sacs. Entre eux, le laser rouge bipait à chaque seconde quand Dana décida de prendre un air plus que préoccupé. Dans ses mains, elle détenait un pot de confiture qu’elle venait d’extirper du fond du caddie. Mulder qui se débattait avec les articles que l’hôtesse de caisse livrait avec vitesse avait remarqué son important tracas. Scully hissa enfin la tête en sa direction et d’un air sidéré lui demanda cette explication :

- Pourquoi as-tu pris de la confiture de fraise ?
- Et bien… parce que tu es enceinte ? risqua tout de même Mulder alors qu’il se savait déjà condamné par sa propre remarque.
- Mulder ! répliqua-t-elle, agacée. C’est… C’est une légende !

Elle ne le regardait plus. Elle bafouillait de stupeur et tremblements et parce qu’elle était dans un raisonnement si agité, Mulder crut qu’elle était sur le point de faire tomber le pot à terre.

- C’est atrocement faux ! Aucune étude scientifique n’est venue prouver à ce jour une association pertinente entre l’aire gustative ainsi que le cortex olfactif d’une femme possédant un taux particulièrement élevé de progestérone et les vertus nutritives du fruit du fraisier !
- C’est exact Bones !
- Quoi ? demanda-t-elle irritée, ne lui accordant qu’un regard énervé involontaire et ne comprenant visiblement pas sa dernière remarque.

Scully fulminait pour elle toute seule. Mulder croulait dans un bonheur intérieur et l’hôtesse ne manquait pas une parole.  

- Dis-moi ce que tu veux en échange…
- Non ! coupa-t-elle. Cette fois, j’y vais.

Pendant qu’ils avaient parlé, il s’était rapproché d’elle mais il n’était pas encore arrivé à sa hauteur qu’elle avait déjà disparu entre les rayonnages du magasin. Il n’avait plus que le choix de reprendre sa place à l’autre bout de la caisse. Au milieu de sa trajectoire, il recroisa l’hôtesse qui avait ralenti la cadence. Avec un clin d’œil espiègle, il lui lança :

- Les hormones !

Puis envahi par une forte pensée, bizarre et soudaine, Mulder donna l’impression que son corps ramassant les courses et son esprit kidnappé dans les songes se dédoublaient. Et surprenant l’hôtesse, il prévint :

- Je reviens !

La femme brune, âgée d’une quarantaine d’années, ne paniqua pas par cet abandon soudain du caddie et resta concentrée sur son travail. Ceux qui ne revenaient jamais, cela arrivait souvent. Elle connaissait ce client qu’elle avait toujours cru célibataire… jusqu’à aujourd’hui. À chaque fois, il était venu seul et rien dans ses achats n’avait laissé présager qu’il achetait pour deux. Mais aujourd’hui, elle avait comprit que le deuil du fantasme romantique devait être enclenché. Il revenait déjà. Essoufflé ; il avait dû courir. Il ne posa pas l’article sur le tapis, il lui remit directement entre ses mains. Maintenant cet homme, élégant et beau, achetait pour trois.

Elle revint enfin. Sur le tapis, avec conviction Scully posa une confiture de figue.

*

Dans la cuisine, elle ouvrit la porte du réfrigérateur et commença, en les saisissant les uns après les autres au cœur du sac des courses que Mulder lui avait tendu, à ranger les produits frais sur les étagères plus que vides. Ils étaient rentrés du Japon seulement depuis trois jours et avaient utilisé la totalité de cet intervalle pour dormir. Cette attitude emmitouflée sous les couvertures avait été le seul antidote pour garder captif encore un peu le rêve… qui avait fini par s’échapper quand le téléphone avait sonné. Elizabeth Van de Kamp, après avoir eu la confirmation de leur retour dès l’entente du timbre de Scully à travers le combiné, proposait de venir dans la semaine. Et lundi matin était arrivé. Tout en pliant le sac désormais vide, toutes les courses étant rangées, elle entendit Mulder pénétrer enfin dans la maison. Aussitôt, elle ressortit de la cuisine et entreprit :

- Donne ! Je vais m’en occuper…
- Ça ira, refusa Mulder, le deuxième et dernier sac de provisions dans les bras.

Il avait déjà disparu dans la cuisine. Elle s’apprêtait à le rejoindre à l’intérieur de la pièce mais l’ordre qu’il lui donna arrêta vivement ses pas juste au niveau du seuil.

- Tu peux aller chercher le courrier ?
- Oui, répondit-elle automatiquement.

Il tourna la tête vers elle. Une légère surprise de ne pas assister à son départ maquillait son visage. Il précisa, toujours avec respect :

- Maintenant !

Elle fronça les sourcils.

- Maintenant… répéta-t-elle, plus pour mémoriser et comprendre ce qu’il lui disait que pour l’étonner.

Et Scully mit en route son corps, pivota sur elle-même, attrapa son manteau qui depuis quelques minutes reposait, avachi, sur le canapé, plongea sa main dans la poche, oui, les clefs de la boîte aux lettres y étaient et les gonds de la lourde porte d’entrée grincèrent.

Mulder continuait de faire disparaître leurs achats à l’intérieur des placards. Depuis qu’elle était enceinte, Scully était malade, l’était-elle encore ? Depuis le bain de l’Onsen, il osait penser au miracle. Mais plus la grossesse se développait, plus Scully semblait s’échapper dans des pays où seulement l’absence et la solitude étaient autorisés. Scully était si actuellement unique, toujours intelligente, soudainement mystérieuse.



Ses pas foulaient l’allée. Il ne pleuvait plus. Sa démarche propulsait parfois dans un accident maladroit quelques gravillons au devant d’elle. Le vent s’était activé et soulevait ses cheveux colorés d’un roux qui chaque jour devenait de plus en plus puissant… comme autrefois. Les rafales étaient si robustes qu’elles lui donnèrent l’illusion qu’elle ne marchait plus ; que tout son corps – entier – volait.

La boîte aux lettres, elle-aussi, cria lorsqu’elle s’ouvrit. Un hurlement vite étouffé par la voix traversant la crinière chauve des arbres. Le courrier n’avait pas une seule fois était récupéré à partir de l’instant où ils avaient pris la direction de l’archipel. Qui aurait pu ? Ils ne connaissaient personne… Une vingtaine de lettres baignées dans de la publicité, toutes à destination de Scully, envahirent ses bras. Un tour de clef referma la boîte métallique, puis Scully retourna dans sa maison. Au retour, ses yeux attrapèrent la balançoire que les anciens propriétaires avaient laissée. Scully… Scully ne retournait pas dans sa maison, Scully retournait dans leur maison. Pas sa puisqu’elle n’était pas toute seule. D’ailleurs, seule, elle ne l’avait jamais été. Mulder, dès le début avait été présent même si… même si – sept années – avaient été nécessaires pour le voir parce que lui, dès qu’elle s’était avancé dans le cœur de son bureau, avec son sourire, ses cheveux si bien coiffés, sa main tendue… un peu rigide… il avait été éclairé.



- Mulder ?

Il n’était plus dans la cuisine. Elle était revenue dans le séjour où sur la table dès son retour elle avait posé avec délicatesse le courrier. Elle écouta autour d’elle, mais aucun son en provenance de son bureau. Il ne pouvait y être, de l’eau coulait à l’étage. Scully se dirigea vers les escaliers et monta. Lorsqu’elle s’introduisit dans la chambre, la porte de la salle de bain située à l’ouverture de la pièce était presque fermée. Elle l’aperçut se laver les mains. Il aimait toujours faire cela ; se laver les mains après être revenu de l’extérieur. Elle s’avança encore un peu dans leur chambre et ce qui devait arriver, arriva. Scully s’était figé. Sa vision l’y avait obligé. Sur le lit, il reposait… Mais parce que depuis qu’elle avait plongé dans l’eau, Scully avait fait le choix d’avancer malgré le courant s’opposant à elle, Scully réussit à sortir de sa fixation. Quand le lit fut atteint, elle le souleva et ses yeux s’humidifièrent. Sans doute, Mulder avait profité de cet instant où elle avait switché la fraise avec la figue… Mulder… murmura-t-elle. L’eau s’arrêta. Et doucement elle se tourna vers l’homme qui s’avançait.

- Jamais, toute seule, je n’aurais osé l’acheter…
- Tu n’étais pas toute seule…

Elle sourit, entre un tremblement intérieur et une joie qu’on préfère refreiner de peur d’être à nouveau démonté par l’avenir incertain.

- Mais nous ne savons même pas si c’est un garçon Mulder… interpella-t-elle, la voix enrouée par l’émotion mouvementée.

Il ne répondit pas tout de suite. Il attrapa sa main… celle qui ne tenait pas le pyjama -, et fit savoir :

- Il n’y a pas que les garçons qui portent du bleu.

*
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Message  PtiteCoccie88 Mar 6 Mai 2014 - 13:32

19
*

It’s always darkest before the dawn…
Florence + The Machine

Mercredi 9 février 2005
10h15

Elle n’osait pas. Ils étaient partis au Japon. Fuir. Elle n’osait pas, la dernière fois que les yeux avaient été ouverts, elle avait hurlé tout bas qu’elle ne pouvait pas. Un léger cliquetis se fit entendre et cinq secondes plus loin, quelque chose frappa derrière la palissade qui coulissa.

- Le gilet de Dana est arrivé, prévint avec douceur le docteur Alison Baker occupée en pleine échographie du fœtus âgé de cinq mois et demi.

Et pourtant, les yeux restaient fermés. En réalité, cette chose qui avait frappé n’était que Mulder qui depuis la salle d’attente était redescendu jusqu’à la voiture. Etourdie sous la luminosité trop forte du soleil d’hiver, elle y avait oublié de quoi recouvrir ses épaules. Et la climatisation au froid acerbe propulsée à l’intérieur de la clinique lui avait violemment remis en mémoire que les reines des neiges étaient aussi fortes que fragiles.

Parfois, elles peuvent même éclater en pièces.

Quant à Mulder, parce que ce rendez-vous était pour lui une expérience encore trop inédite et troublante, ce ne fut que deux étages plus haut qu’il avait surpris celle protégeant leur enfant comme peinte en plein été. Leur tour sur le point d’arriver, il s’était précipité à la voiture, sans elle. Et la porte de l’ascenseur le plongeant vers le bas s’était fermée sur lui tandis que celle du docteur Baker s’ouvrait pour Scully. Hormis une rapide entrevue juste avant les fêtes de fin d’année, ces instants étaient donc les premiers où Alison découvrait cet homme et où ce dernier entendait avec précision le battement du troisième cœur. Doucement, ne pas la surprendre !... il déposa le gilet sur le haut de son buste pour y recouvrir ses épaules. Sous les ordres d’une reine au royaume de la peur, ses yeux se maintenaient encore fermés. Mulder quitta provisoirement le visage de Scully et arrêta son regard sur l’écran du moniteur. En plus d’entendre, il voyait. Délicatement, il s’empara de sa main gelée à l’intérieur de laquelle il y ressentit les maigres phalanges s’écarter afin de mieux entrelacer les siennes, chaudes. Apaisantes. Et, enfin, Dana osa ouvrir les yeux.

Elle pouvait. Son corps et son âme avaient tellement fugué si loin de Mulder qu’un cercle à l’encre muette avait été tracé. Revenue au point de départ, elle pouvait renaître.



L’espace de l’examen avait été quitté pour retrouver celui où se situait le bureau du docteur Baker. Depuis une minute, elle s’occupait sur l’ordinateur à mettre à jour les données concernant sa patiente. Mulder et Scully, eux, restaient silencieux, presque bercés par la mélodie du clavier informatique.

Alison Baker n’avait pas encore tout à fait terminé de saisir toutes les données nouvelles que, le visage toujours concentré sur l’écran, elle fit savoir :

- Je souhaite vous revoir impérativement dans quinze jours…

Puis elle délaissa complètement l’ordinateur et accorda toute son attention au couple pour que celui-ci soit davantage réceptif à son message.

- … C’est un véritable miracle qu’aucune complication ne se soit développée entre votre première venue et aujourd’hui…
- J’en ai conscience, dit calmement la principale concernée.
- Pourquoi…

Le docteur Baker était perplexe… Appuyant ses coudes sur le bureau, après une pause, elle reprit :

- … pourquoi avoir passé sous silence si longtemps votre leucémie ?
- Probablement la peur, docteur Baker, trouva Scully à répondre.

En ces instants, l’émotion qui en elle s’était violemment déployée en septembre subsistait encore trop fortement à l’état d’un nœud opaque et rigide.

- Dans quinze jours, Dana, insista le médecin.
- J’y veillerai, avertit Mulder échangeant un regard avec le médecin tel un accord tandis que celui de Scully quittait la scène légèrement agacé.

Percevant le changement d’humeur posséder sa patiente, afin que celle-ci ne sombre pas plus dans l’irritabilité provoquée par un nocif mélange entre hormones de grossesse et agents chimiques à visée aussi thérapeutique que destructrice, de manière stratégique, Alison décida de mettre en relief la beauté retrouvée :

- Début janvier, comme vous le savez, j’ai cherché à obtenir de vos nouvelles par l’intermédiaire de l’hôpital dans lequel vous travaillez. L’infirmière-cadre de votre service m’a alors dit que vous étiez partie en vacances ; je ne peux que constater que cela vous a parfaitement réussie.

Et sur les lèvres de Scully, malgré les yeux baissés sur le bureau, le sourire y ouvrit les traits de son visage. Dès que le complément, qui cachait derrière lui une localisation lumineuse et sereine, avait été prononcé par Alison, le super-huit... l’étincelle de l'Onsen, ces rues gigantesques aux reines cristallisées démesurées, l'éclat d'un blanc immaculé de la maison ancestrale coupée du monde et son cœur qu'elle avait ressenti vivre... avait été peint dans sa mémoire. L’œil éclairé par l'étoile, elle prononça : « Le Japon. »

Le regard de Scully à nouveau revenu sur la scène du dialogue, juste avant de se concentrer une dernière fois sur l’écran d’ordinateur à la recherche d’un élément qu’elle n’arrivait pas à trouver, dans un sourire qui se voulait chaleureux, Alison ajouta :

- Je vous souhaite d’y retourner avec votre enfant.

Un des deux aurait pu répondre merci ; ils préféraient figurer l’avenir avec prudence, car…

- Quand aura lieu la dernière séance de chimiothérapie ? demanda le docteur Baker.
- Dans dix jours, informa aussitôt Scully qui par sa réponse à cette question permit de combler les trous du dossier informatique qu’Alison terminait de saisir.
- Cette dernière séance est-elle vraiment nécessaire docteur ? s’inquiéta Mulder. Les dernières analyses sanguines sont très bonnes, et vous l’avez vu vous-même, le fœtus se porte bien.

Alison se tourna vers lui.

- Par précaution. Dana est certes en rémission, mais si le protocole l’exige, il est préférable de ne pas s’en écarter.
- Ma mère sera là, rappela Scully qui à son tour chercha le regard de Mulder.
- Dana ayant jusqu’ici plutôt bien supporté le traitement, je dirais que le plus difficile est désormais derrière nous. Cette dernière séance n’est plus qu’une simple formalité.



- Très bien, articula Mulder après un court silence.

Contre toutes les attentes, l’espoir n’étant que trop rarement dans le jeu du corps médical, le docteur Baker avait su sortir toutes les cartes de la sérénité. Mais le voile noir dissimulé derrière le regard de Mulder y resta imperméable. Depuis Rosa, la jeune fille crayonnant ce qui n’était encore que demain, Mulder ne parvenait à effacer le dessin de Scully aux yeux si clos que l’âme bleutée en vacillerait dans le rien.

*

Dix jours plus tard : samedi 19 février 2005
14h45 – Lady Of Sorrows Hospital

Margaret Scully ne regardait pas, ni ne découvrait et encore moins contemplait. Elle décortiquait la chambre 442 pour inspecter que sa fille, allongée ici durant trois jours, se trouvait bien en sécurité.

- Tu es bien sûre qu’une chambre stérile n’aurait tout de même pas été préférable ? demanda-t-elle à sa fille.

Dès que toutes les deux avaient été amenées dans la pièce, la plus jeune avait aussitôt trouvé refuge sur le lit. L’enfant prenait du poids. Il était à présent très difficile pour un inconnu d’ignorer la grossesse de Scully -, sauf si, bien évidemment, cet étranger appartenait à la lune. Le buste redressé et ses jambes allongées sur les draps marqués par les plis du repassage et respirant l’hygiène drastique des hôpitaux, la fille tenta de rassurer la mère :

- Je vais mieux, Maman. De telles conditions auraient été incohérentes, et surtout très contraignantes, aussi bien pour le personnel que pour moi, toi et Mulder.

Margaret qui entre ses mains tenait toujours le sac de sa fille rappela :

- Tu ne pourras jamais m’empêcher de m’inquiéter pour toi, Dana. Je suis ta mère.

Sur ses paroles, elle s’était rapprochée de la concernée qui froidement rappela à son tour :

- Et je suis médecin !...

Puis le regard déviant imperceptiblement de celui de sa mère afin de ne pas perdre le fil de ses propres mots, Dana continua :

- S’il y a quelqu’un dans cette pièce qui sait ce qui est bien ou pas, je crains que ce ne soit pas toi.

Margaret ne rétorqua rien. Elle soupira. Ça, c’était sa fille. Un soupir révélant que Dana avait réussi à la rassurer. Si le caractère têtu se faisait entendre, cela lui suffisait à sentir que, oui, elle allait bien.

Ces deux dernières échangèrent un regard silencieux, et Scully craqua la première. Le rire nerveux s’échappa d’elle, bientôt rejoint par celui de sa mère plus complice. Deux rires qui n’avaient duré que quelques secondes. Margaret posa la main sur la joue de sa fille qui pour une fois n’eut aucun soubresaut de recul ; elle lui murmura :

- Cela fait tant de bien de te retrouver Dana…
- … Onakaga suita ! choisit-elle, après une courte hésitation, de répondre avec détermination… juste avant de perdre à nouveau au jeu de la sévérité, et emportant sa mère avec elle dans la défaite heureuse.

Toutes les deux, ensemble, pour ce bonheur aussi imprévu que lumineux. Puis… Margaret s’éloigna du chevet pour les portes du placard au fond duquel, après avoir fait glisser la fermeture du bagage, elle y entreposa les quelques vêtements. Et puisque sa fille avait faim, elle lui demanda :

- Que veux-tu que je te ramène de la cafétéria ?
- Hotto ti ! s’exclama Scully.

Margaret se retourna :

- On dit s’il te plaît !

Toujours allongée sur le lit, Scully leva les yeux au ciel, et sur un air espiègle corrigea :

- Oneigai shimasu haha !

En refermant le placard, Margaret sourit et revint vers sa fille :

- Heureusement que Charles te ressemble… Je refusais qu’il t’y embarque… Ne pas m’écouter a fait du Japon ta renaissance.
- …

Scully préféra ne rien répondre, juste esquisser un sourire envers sa mère. Rester silencieuse pour ne pas aggraver le trouble qui naissait en elle. Ses mains, les siennes, étaient venues se poser sur son ventre arrondi dissimulé sous sa tunique. Ce geste était toujours très nouveau. Pour William, elle s'était refusé à le faire ou dès qu'elle le sentait, en sa mémoire, lui revenait cette pensée offrant cette vision macabre : Mulder est mort. Sa mère, qui en cachette avait noté la marque d'affection, décida de ce moment pour sortir de la pièce et y ramener à sa fille la boisson chaude qu'elle lui demandait. Dana vivait un moment nécessitant discrétion et intimité pour que le lien à naître soit préservé du nœud de l'appréhension. Ensuite, l'ultime injection commencerait. Et parce qu’elle était seule, la voix fragilisée par l’émotion de la leucémie qui reculait pour y laisser vivre la mère et l’enfant, ses mains ne cessant de protéger son ventre, elle osa chuchoter :

- Je sais que tu aimes le thé… mais je te préviens ! Celui en sachet est dénué de toute subtilité… surtout s’il est Américain.

*

Maison de Mulder et Scully.
Au même moment.

Il écarta les rideaux, fit pivoter la poignet et la fenêtre s’ouvrit. La lumière n’était pas encore. Mais plus le grincement du volet en bois desséché se libérait des gonds dans lesquels il se trouvait emprisonné depuis la fin de l’été, plus les longueurs d’ondes se propageaient dans cette pièce où ses mains avaient soulevé sa robe et où les siennes s’étaient agrippées à lui pour qu’ils s’emportent au plus vite loin de toute conscience. L’instant n’était en rien propice à la pensée qui le traversait, elle était en pleine chimiothérapie, certes la dernière d’un traitement aussi violent que sournois, mais parce que ces trois prochains jours scellaient la vie du plus bel amour… Mulder culpabilisait de s’être laissé voler par le désir. Il était encore prématuré pour s’assurer que la rémission se stabilisait… et lui n’avait rien eu mieux à faire que de s’enivrer par mégarde. Etrangement, depuis cette fin d’après-midi d’été où les yeux s’étaient clos pour que les lèvres respirent avec le cœur de l’autre, le parfum de Scully restait préservé par l’intérieur des draps qu’il soulevait et enlevait du lit.

La grossesse avançant, leur enfant ne résisterait pas au choc d’une nouvelle cure en cas de récidive avant le terme.



Et pourtant, il l'avait vue et sentie, sa renaissance. Mais le bleu du Japon qui même en hiver ne meurt jamais paraissait déjà si loin... qu'il n'était plus qu'un mirage. Une réalité qui se brisait pour disparaître dans l'illusion.

Ou ce rêve inaccessible.

Devant toute cette abstraction dominante, comment était-il possible d'être sûr du futur si même les roses les plus clairvoyantes n'y voyaient à présent que des yeux fermés par la noirceur du fusain ?...



Mulder sortit de la chambre d’amis pour la cuisine et engouffra les draps dans la machine à laver. Ces derniers se devaient d’être d’une propreté irréprochable. À partir de cette nuit et jusqu’à l’accouchement, Margaret dormait à la maison.

*

Cinq jours plus tard : jeudi 23 février 2005
16h48

- Est-ce que ça va toujours ?
- Oui…

Sa réponse avait été hésitante. Le rituel hebdomadaire, mis en place depuis le début des traitements, ne parviendrait donc jamais à effacer la crainte qui s’enfonçait en Dana dès que l’aiguille glissait dans la veine. Elizabeth ne fit que rougir deux tubes. La prisonnière de l’épée inspira une dernière fois profondément et l’infirmière libéra son bras. Pour Margaret et Mulder qui assistaient à la scène, Scully n’avait témoigné aucun trouble. L’hésitation ne s’était fait ressentir que par son auteur. Jusqu’à la fin, elle resterait debout -, et elle se releva.

- Tu as besoin de quelque chose, Dana ? s’assura Maggie repérant qu’elle s’éloignait un peu trop vite à son goût du canapé.

La fille se retourna, et dans un sourire trop crispé, informa qu’elle s’en allait juste aux toilettes. Aussitôt verbalisée, cette nouvelle sembla faire redescendre le rythme cardiaque de sa mère.

Quarante-huit heures qu'elle était revenue à la maison. Et plus elle montait les escaliers, plus l'anomalie progressait en Mulder resté au dos du canapé du salon. Elizabeth rangeait son matériel. Il la regardait s'éloigner à l'étage. Maggie s’éclipsa dans la cuisine. La main de Scully trop appuyée à la rampe engouffrait dans les yeux verts toute la lourdeur émotionnelle imbriquée dans celle qui soudain s'arrêta.

Une seconde.

La faille n'avait été qu'un éclair. Qui dans un choc invisible pour autrui avait foudroyé Mulder. Elle n’était déjà plus dans l’escalier. Mais l’intuition qu’il aurait préféré ne jamais brutalement posséder ne se dissiperait pas même en l’absence visuelle de celle qui aurait pu aller dans la salle de bain située en bas. Et l’infirmière rangeant décidément trop doucement ses affaires… La nausée d’angoisse électrocuta Mulder. William n’avait été abandonné que pour le protéger d’un danger représenté par eux-mêmes -, mais aussi par les autres. Mulder dévisagea celle qui refermait sa mallette. Aujourd’hui, aucun soupçon sur l’origine de la grossesse de Scully. C’était ce jour dans sa robe bleue et rien d’autre qu’ils s’étaient offert mutuellement un second miracle. Ce jour dans sa robe bleue et rien !... Mulder avait sursauté. Mais l’objet de sa frayeur n’avait pas muté. L’épicentre se situait bel et bien en madame Elizabeth Van de Kamp. Cette dernière n’avait que toussoté, et elle s’avançait vers lui. Il délaissa précipitamment son regard plus accusateur qu’interrogateur, et avec un plus neutre il lui accorda cette parole qu’elle lui demandait :

- Margaret qui lors de mon arrivée m’a ouvert la porte alors que vous vous trouviez encore à l’étage avec Dana m’a proposé de rester quelques minutes de plus…

Elle ne termina pas, Mulder avait déjà compris. Et ne pouvant qu’assister à la stupeur qui ébranlait l’homme se tenant juste devant, posant une main sur son épaule, elle réconforta :

- Cela arrive d’oublier… surtout en de pareilles circonstances.

Mulder hocha la tête, bien trop ému pour ne serait-ce que balbutier un faible remerciement. Il s’en voulait de ne pas s’en être souvenu… La porte de la cuisine s’ouvrit, et au cœur du salon se propulsa un arôme doux et chocolaté.



La fraîcheur glissait sur ses bras dénudés. Dana avait préféré monter. En bas, depuis que sa mère y arpentait les pièces, l’environnement de cette maison qu’elle-même et Mulder apprenaient encore à découvrir pour l’apprivoiser bouleversait son équilibre. À l’étage, elle y avait seulement désiré y aspirer l’ordre silencieux. Scully ferma le robinet, l’eau s’arrêta. Les manches de son gilet redescendirent sur sa peau et le miroir lui renvoya son regard. Plus de rouge à lèvres se fracassant dans l’émail du lavabo, plus d’aigreur soulevant le cœur de l’estomac ; rien d’autre que Dana Scully, quarante et un ans depuis quelques heures, dévisageant la profondeur de ses traits. Les trois jours de la cure s’étaient bien déroulés. Pas d’effets secondaires non plus pour le moment. Et Dana savait par avance qu’il n’y en aurait pas -, ils auraient déjà dû se faire ressentir. D’un côté, toute sa logique lui chuchotait que son corps avait progressivement, au fil des séances, trouvé les armes pour se battre en évitant de détruire son intérieur ; mais de l’autre, à travers ses yeux ancrés dans la glace, son bleu crachant le tumulte lui hurlait l’inverse. Parce que tout était détruit, il n’y avait plus rien. Un fragment, le rouge remplaça le bleu de ses yeux. Elle ne pouvait écarter cette atroce hypothèse. Depuis la veille au soir, et si face au miroir, Scully n’était plus que la seule… La porte grinça. C’était Mulder. Il l’avait remarqué. Ce geste léger. Presque invisible. Mais pourtant bien réel. Mulder l’avait surprise la main sous ses yeux pour n’y sécher rien de plus inquiétant qu’une larme humide. Tout de suite, fidèle à sa dureté du visage qu’elle avait déjà retrouvée, elle lui avait donné un sourire -, forcé.

- Scully…

Il s’approchait. Doucement, il parlait. Même un aveugle aurait pu voir le déchaînement interne de cette femme. Avant de pénétrer dans la salle de bain, par l’entrebâillement de la porte, il avait noté sa fixation de son reflet. Alors, il entreprit de dire :

- Tu ne vieillis pas, nous grandissons.

Et elle lui donna ce nouveau sourire, plus sincère ; moins contrôlé, mais tellement si triste.

- Non…
- Tu ne me crois pas ? devança-t-il en se rapprochant encore plus.

Juste derrière elle, contre son dos qu’il pouvait sentir respirer sur sa poitrine à lui, ses mains montèrent jusqu’à son visage et en dessinèrent les contours. La rencontre de leurs deux chairs l’une contre l’autre, ses joues sous ses mains, l’apaisèrent un instant. Elle ferma ses yeux.

- Les rides ne détruisent pas, elles métamorphosent…

Elle ouvrit ses yeux, avec encore ce drôle d’étirement sur ses lèvres que le miroir renvoyait. Elle se voulait rassurante, mais elle n’y arrivait pas. Le timbre murmuré de ses derniers mots n’avaient en elle diffusé aucune sérénité. Depuis le départ, son anniversaire qu’elle aussi avait oublié n’était pas coupable. Le rouge revint dans ses yeux.

- Non !... répéta-t-elle.

De son visage, elle y détacha les mains de Mulder pour les emporter sur son ventre -, et totalement le bleu se retrouva évincé.

Mulder, une flèche glacée perforant son cœur, dans la brutalité de l’évidence qu’elle lui faisait sentir, concrétisa l’origine de l’angoisse qui, lorsqu’il l’avait observée monter les escaliers, avait pris naissance dans son esprit.

Mulder obligea vivement Scully à se retourner vers lui. Les mains à présent sur sa taille pour la retenir de chanceler encore plus dans le gouffre de cette possibilité, il essaya l’unique solution.

- À dix-huit heures, nous avons rendez-vous avec le docteur Baker. À la moindre chose inhabituelle, elle nous avertira, mais pour l’instant…
- Mulder !...

Elle l’avait coupé.

- Mulder… recommença-t-elle.

Elle n’avait plus que chuchoté tellement l’émotion brûlait la gorge… C’était maintenant au vert de s’écrouler pour y laisser entrer la vague rougeoyante.

- Je ne sens plus le bébé.





Une minute était passée… ou peut-être cinq quand…

- Dana ?... Fox ?

Depuis le salon, Margaret s’impatientait. Et même si la torpeur du cauchemar éveillé ne cessait de s’abattre dans le corps, Mulder et Scully – en silence – prirent la décision irrévocable de ne rien montrer.

À l’appel de sa mère, Scully avait deviné.

- Je n’ai toujours pas entendu Elizabeth repartir, maman a dû préparer quelque chose…
- Tu es sûre que ça ira ? voulut-il vérifier juste avant de redescendre.

Toujours dans la salle de bain, elle hocha la tête et d’une voix solide affirma :

- Seulement si tu restes près de moi.

Sur son front, les lèvres de Mulder s’y déposèrent, et la promesse se fit écouter :

- Je ne te quitte pas.



Plus les pas descendaient, plus les marches grinçaient. Un court instant, le regard de Scully accrocha la fenêtre du salon derrière laquelle un ciel doré se dessinait. Margaret offrit un sourire. C'était si rare de contempler leurs mains ensemble. Et aucun doute, leur décision était insubmersible. Le naufrage ne provoquait qu’une violente sérénité. Scully se concentrait maintenant sur la pâtisserie posée sur la table basse qu’elle et Mulder, parce qu’ils n’étaient toujours pas arrivés en bas, dominaient de sa hauteur. Scully n’avait toujours que très peu savouré ces organisations imprévues aussi petites étaient-elles. Mais parce qu’il s’agissait d’une marque d’affection d’une mère envers sa fille, elle se força, et accorda une courte étreinte à celle qui l’attendait en bas des marches. Elizabeth, restée en retrait près du canapé, l’avait remarqué. Non. Pas cet accord muet. Autre chose. En arrivant, parce que sa patiente se trouvait déjà assise, cela avait été imperceptible. Or, depuis sa position actuelle, et dès qu’elle avait levé les yeux en sa direction vers les hauteurs de l’escalier, la crainte était visible. Bas. Elle le portait trop bas. La fille desserra sa mère et Mulder reprit sa main.

Ensemble autour de la petite table, Scully échangea un merci silencieux avec Elizabeth pour sa présence. On lui tendit le couteau et dans le cœur du carrelage, les dents s’y enfoncèrent. Jamais Scully ne put l’attraper. Le ciel désormais noir, ses yeux étaient fermés ; le fracas du couvert, qui aurait dû arriver dans ses mains et qui ne s’y retrouverait jamais, hurlait dans son crâne. Le couteau tombait par terre. Les mains fortement plaquées sur son ventre, la contraction avait tranché.

*

A SUIVRE : chapitre 20, le grand final !  affraid  cheers  bounce  I love you 






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