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Et Charles était là... (en cours)

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Et Charles était là... (en cours) - Page 2 Empty Re: Et Charles était là... (en cours)

Message  noisette Dim 28 Fév 2010 - 22:15

***********


La nuit était tombée. Comme un lourd rideau sur la scène d’un théâtre. Comme un voile noir sur un regard qui s’éteint. Comme un drap sur un corps sans vie, pensa Dana avec un pincement au cœur en se rappelant tous ces morts passés entre ses mains.
Ma dernière nuit peut-être…
Elle se tourna vers la fenêtre et se perdit dans les étoiles.
On aurait dit qu’elles voulaient lui parler…

Soudain, elle se retrouva dans un endroit si sombre qu’elle se mit à trembler. Ses membres étaient glacés. Ses yeux étaient aveugles et ses poumons l’asphyxiaient.
Il y avait une odeur de terre mouillée. < Je suis morte ! Non ! Je suis vivante et vous m’avez mise au caveau ! Sauvez-moi. Ne me laissez pas seule, ici ! Par pitié ! >.
Elle perçut un bruit. Un ricanement. Et sa vue s’éclaircit. De toutes ses forces, elle jeta son espoir vers la lumière vacillante qui s’approchait.
< Sauvez-moi ! > hurla-t-elle en silence à la forme qui grandissait. Rien ne sortit. Ses lèvres étaient scellées.
Elle distingua un rouge brillant, puis un vert satiné et un jaune pailleté. Et devant l’image qui lui apparaissait avec une netteté diabolique, une vague de terreur la souleva.

Le clown…

Il tendait ses énormes mains vers elle. Elle ne pouvait pas lui échapper.
Il ne m’aura pas si je meurs. On ne peut pas faire de mal à une absente… puisqu’elle n’est plus là !
En fixant son tortionnaire, elle se laissa tomber dans le gouffre immonde. Plutôt mourir, pensa-t-elle, le cœur au bord des lèvres, vomissant sa chute effrayante et interminable !

Quand soudain, elle sentit un contact sur sa peau et son vertige se stoppa instantanément comme si des bras puissants venaient de la recevoir dans une mousse de pétales de fleurs.
La lumière revint. Et la sécurité avec.
Elle ne voyait pas le visage de son sauveur mais une mélodie lui parvint et la voix de Mélissa emplit ses oreilles d’une comptine de son enfance. Et son rire éclata comme les étoiles tintinnabulent…

Dansez, les petites filles,
Toutes en rond.
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.
Dansez, les petites reines,
Toutes en rond.
Les amoureux sous les frênes
S'embrasseront.
Dansez, les petites belles,
Toutes en rond.
Les oiseaux avec leurs ailes
Applaudiront.
Dansez, les petites fées,
Toutes en rond.
Dansez, de bleuets coiffées,
L'aurore au front.
Dansez, les petites femmes,
Toutes en rond.
Les messieurs diront aux dames
Ce qu'ils voudront.

« Il serait temps que tu apprennes à nager, Starbuck » interrompit une voix grave qui tressaillait de fierté.
Papa !, murmura Dana…
« N’aie pas peur, reprit le capitaine. Nous ne sommes pas seuls… ».
Sur ces mots, une chaleur inexplicable l’envahit et la couvrit d’une brume dorée.
Derrière la danse des petites filles, il lui semblait déceler une plainte si faible, si lointaine qu’elle hésita à s’en détourner pour mieux savourer la clarté merveilleuse qui l’attirait inexorablement vers l’avant, toujours plus loin.
Mais la plainte restait, refusait de disparaître et tout doucement, pénétra son corps immobile avec une retenue respectueuse, comme si elle s’excusait de venir troubler sa rencontre avec la lumière. Là, une profonde mélancolie la saisit et mouilla la peau de son bras gauche.

Quelqu’un la retenait.

Elle jeta un œil vers l’astre bienveillant et sentit son souffle sur ses lèvres. Puis elle revint à la plainte au regard vert et humide.
De chaque côté, il y avait de l’amour. Elle se sentit pousser des ailes.
« Que choisis-tu ? » ronronna un chœur de visages tendres et attentifs, parmi lesquels elle reconnut sa mère, Bill et Charlie.
< Je choisis d’avancer sans crainte là où tout cela me conduira. >

Quelque chose roula dans le creux de sa main comme un ruisseau qui vient de naître. Et la plainte posa ses lèvres muettes sur sa peau en une douce et douloureuse caresse.
Elle se pencha vers la terre et murmura « Je suis encore là ».
Mais Mulder ne la vit pas.



Elle respirait paisiblement malgré les cernes violettes qui cerclaient son visage. Il posa une dernière fois sa bouche sur le voile fin de son bras et sécha le sel qu’il avait malgré lui déposé dans sa paume ouverte.
- A demain, murmura-t-il.
Mais en réalité, aucun son ne passa ses lèvres.
Il contempla une dernière fois la silhouette fragile endormie sous la lune et sans bruit, il quitta l’hôpital en proie à un désespoir aussi profond que l’était le sommeil de celle qu’il aimait sans oser se l’avouer…


***********


- Au revoir, mon père.
- Adieu, Dana.

< Adieu ! >. Il y a des jours où un mot prend soudain un tout autre sens, pensa Dana dans un éclair de lucidité, comme une révélation.

Adieu… Un couperet, lourd et froid comme une guillotine. Comme la main d’un homme aimé que l’on sent glisser sous ses doigts en sachant que c’est probablement la dernière fois que l’on touche sa peau chaude comme la vie. Comme l’image de ce même homme qui passe le pas de la porte et qui s’éloigne à jamais vers un monde parallèle où tout continuera sans vous…

Mais Adieu… Le parfum d’un espoir fou, insensé, allégé du moindre doute…

Il y a les « A tout à l’heure » : un rendez-vous dans un monde temporel, un programme comme une certitude.
Et il y a les « A Dieu » : un rendez-vous au centre même de l’être et du divin, pour l’éternité.
Toute sa vie, elle avait reçu et distribué les « à plus tard », « à tout à l’heure », « à bientôt ». Sans vraiment réaliser le privilège contenu dans ces expressions si banales. Celui de se projeter vers demain.
Peut-être que maintenant, l’heure était venue de passer aux « A Dieu »…
Vivre ou mourir. Il était temps de lâcher prise et laisser les jeux se faire. En confiance. Quel qu’en soit le tirage. Et sans regrets.
Elle prit sa croix entre ses doigts. Elle lui sembla tiède, douce et réconfortante. La peine était toujours là, mais elle sentit que l’« A Dieu » ne lui faisait plus peur…


- Dana ? répéta doucement Charlie.
Elle ne l’avait pas vu approcher. Il la regardait, défait, les yeux noyés dans la détresse… et l’alcool, devina-t-elle.
- Charlie, articula-t-elle dans un souffle.
- …
- J’ai… une sale tête, pas vrai ?
Il hocha la tête, la gorge serrée et passa un doigt sur sa joue.
- Oui… Mais tu as un beau sourire.
Il s’assit sur la chaise près du lit.
- Le docteur Zuckerman a prévenu Maman, dit-il la voix basse… Elle arrive.
- Très bien, prononça Dana presque détachée.
Il prit sa main. Elle leva son visage vers lui. Il pleurait.
- Si je pouvais… hoqueta-t-il.
Elle pressa ses doigts faiblement.
- Tu es là. C’est tout ce dont j’ai besoin.
Il essuya ses larmes sur la manche de sa chemise.
- Bill arrive aussi.
Entre deux inspirations sifflantes qui lui brûlaient les poumons, elle esquissa un sourire.
- Les deux héros cabossés réunis à mon chevet. Quelle veine… !
Il parut soudain terriblement mal. Ca arracha un rire à sa sœur qui toussa mais parvint finalement à se reprendre.
- Ne me regarde pas avec ton air de chien battu. Je ne suis pas idiote.
- Ah… J’aurais du me douter…
- Vous avez fait la paix ?
- Quelque chose comme ça, oui.
- Tant mieux.
- Quand on perd un joueur, l’équipe serre les rangs, murmura-t-il avec amertume.
Elle le regarda longuement jusqu’à ce qu’il se réchauffe un peu à son sourire.
- Où est Mulder ? demanda-t-il pour changer de sujet.
- Il va venir, assura-t-elle avec confiance.
- Il devrait déjà être là pour toi…
- Il est en train de risquer sa carrière et sa liberté… pour moi justement.
Silence.
- Vous êtes un peu fous tous les deux, tu sais ?
- Fous ?… C’est possible. Il en faut bien si l’on veut changer un peu le monde, tu ne crois pas ?
Elle s’essoufflait et ferma les yeux d’épuisement. Il embrassa doucement la peau si pâle de sa main.
- Je t’aime tu sais, s’étrangla-t-il.
Elle rouvrit les yeux.
- Moi aussi, Charlie. Moi aussi, reprit-elle dans un murmure presque inaudible et à bout de force.
- Repose-toi Dana. Je reste là…
- Oui… S’il te plaît… Reste, articula-t-elle juste avant de sombrer dans un demi-sommeil agité.

Parce qu’elle allait le livrer ce dernier combat. Quelle qu’en soit l’issue.
Elle était prête à accepter de se démettre de sa vie terrienne, mais seulement lorsque Dieu lui-même viendrait lui ôter les armes.
Parce que cette vie valait bien qu’on la retienne. Parce que Mulder avait encore besoin d’elle.


***********


Margareth s’arrêta un instant devant la chambre. Sa main tremblait sur la poignée.
Voilà. C’était maintenant.
Le miracle n’avait pas eu lieu. Et Dana était déjà en train de partir…
L’heure n’était plus à la colère, mais aux derniers gestes d’amour.
Dans un sanglot, Margareth sut ce qu’elle avait à faire. Etre auprès de sa fille, la serrer contre son cœur… et la laisser s’en aller en la confiant au seul être dont l’amour pouvait dépasser celui d’une mère…
Elle devait laisser Dana aller « à Dieu »…

Seigneur, elle meurt…
Elle meurt…

Puisque tu ne peux la sauver, alors, offre-lui le plus beau des linceuls.
Embaume son corps et son cœur.
Parfume sa peau de ton esprit.
Saisis son âme entre tes mains comme le plus précieux de tous les biens.
Et emporte là, le plus près possible de toi.
Qu’elle se réchauffe à ton soleil.
Qu’elle étreigne ceux qu’elle aime et que nous avons perdus.
Que ta chaleur l’enveloppe comme la plus douce des couvertures pour l’éternité.
Et par-dessus tout, donne-lui enfin la paix…
Que ma fille soit enfin pleinement libre et heureuse après tout ce qu’elle a du traverser.

Tu m’as offert la joie de la voir vivre dans mon foyer pendant toutes ces années.
Aujourd’hui, puisque c’en est ainsi, je te rends ma fille.
Je m’en remets à toi.
Soigne là comme ton enfant unique, ton amour le plus cher.
Et souffle à son oreille à chaque seconde combien je l’aime…
Et que bientôt, je la retrouverai…



***********


Un jour plus tard…


- Est-ce qu’il va bientôt venir ?
Skinner regarda les yeux suppliant qui se levaient vers lui et reçut brusquement la révélation fulgurante, plus douloureuse qu’il ne l’aurait jamais cru :

Elle l’aimait.
Et personne ne viendrait jamais les séparer. Le destin l’avait écrit dans les larmes et le sang. Et ces mots là, nul ne les défait.

- En fait… Il hésita une seconde. En fait, il est là, dehors, derrière la porte.
- Quoi ? ! Mais pourquoi n’entre-t-il pas ? protesta-t-elle avec stupéfaction.
Puis avec un air farouchement déterminé, elle jeta ses draps sur le côté et posa ses pieds à terre. Charles dissimula un sourire.
- Dana, fais attention à toi. Tu es encore faible. Tu ne devrais pas… commenta Bill qui s’était précipité pour la soutenir.
- Je vais bien, Bill.
Margareth s’approcha et posa une main apaisante sur le bras de son fils aîné.
- Laisse, Bill.
Sa fille lui sourit avec reconnaissance et, à pas prudents, avança jusqu’à la porte et sortit.
- Dana… soupira le militaire alors que Charlie et Skinner esquissaient une nouvelle grimace amusée.
- Mon garçon, déclara d’un ton ferme Maggie en se tournant vers l’homme qu’elle avait nourrit au sein quelques décennies auparavant et qui maintenant la dépassait de deux bonnes têtes. Ta sœur est restée parmi nous parce qu’elle sait exactement où elle va dans la vie et avec qui. Et il semblerait qu’elle ait une bénédiction bien supérieure à n’importe laquelle des nôtres pour cela. Alors ne la jugeons pas mais réjouissons-nous simplement pour elle. Parce qu’elle a trouvé sa route et que le Seigneur tient à ce qu’elle la poursuive. Tu ne vois rien à redire à ça, n’est-ce pas ?

< Voilà ! Rhabillé pour l’hiver ! >
Bill regarda sa mère avec tendresse. Et se surprit tout d’un coup à penser qu’elle et Dana se ressemblaient furieusement en fait. Des têtes de mules. Mais dieu sait qu’on ne pouvait pas s’empêcher de les aimer.
Charles lui donna une petite accolade et lui murmura dans l’oreille.
- Tu ne vas quand même pas te mettre le Seigneur à dos, vieux frère ? Ou pire encore. Te mettre Maman à dos !

A l’extérieur, Dana referma sans bruit le battant, se retourna et se figea immédiatement, désarçonnée par le spectacle qui s’offrait à elle.
Il pleurait. La tête effondrée sur ses mains, il tenait encore une photo tachée de sang.
Lui. Lui et sa sœur Samantha.

Elle fit un pas et il se tourna vivement. En deux secondes, il fut debout, face à elle. Ses doigts se posèrent sur les bras frêles de son amie. Sur son visage encore en larmes, une expression émerveillée s’épanouit.
- Tu n’imagines pas la peur que tu m’as faite, Scully !
- Et moi donc, murmura-t-elle avec émotion.
Il rit et se passa la manche sur ses yeux humides.
- J’ai l’air très con, non ? !
- Non.
- Scully, tu…
- Chut, l’interrompit-elle. Pas de palabres. Serre-moi contre toi. S’il te plaît.
Il aurait voulu sortir une petite plaisanterie pour évacuer le vertige qui le saisissait mais il n’était pas capable d’articuler quoi que ce soit de plus.
Il la ramena contre elle. Elle glissa ses bras dans son dos comme elle l’avait déjà fait quelques semaines auparavant à l’hôpital et se lova contre son torse. Il aurait voulu qu’elle s’abandonne. Elle le fit… d’une certaine manière. Mais pas comme il s’y attendait. C’est elle qui osa resserrer son étreinte. Elle qui vint doucement l’embrasser dans le cou. Elle qui remonta ses mains délicates sur ses joues, s’écarta brièvement pour croiser ses yeux verts perdus, ébranlés entre peine et joie, doutes et certitudes. Et elle qui l’attira sur son épaule.
Il n’avait pas envie de résister. Alors, dans un soupir, il se laissa aller. Il l’enlaça comme un bateau s’arrime à son port, écrasant presque sa poitrine tant il voulait imprimer la marque de sa peau, de son souffle comme un baume sur ses douleurs. Dans l’élan, il la souleva légèrement et elle se retint d’autant plus fort à son cou.
Ils restèrent ainsi longtemps. Faisant taire toute vicissitude autour d’eux. Plus de cahots. Juste la paix.
Une crique dans la tempête.

Il finit par se détacher d’elle et lui proposa par un geste de s’asseoir. Ce qu’ils firent en collant leurs genoux et en gardant leurs visages très près l’un de l’autre.
- Qui t’a sauvé, Scully ? L’implant ?… Dieu ? Je voudrais savoir ! pressa-t-il.
- Toi. Articula-t-elle en caressant sa main. Tu m’as retenu alors que j’étais sur le point de me laisser partir… Ma famille aussi… En fait - elle sourit - je crois qu’il y a eu ici une union de forces qui m’ont porté. Vraiment.
De sa main libre, elle effleura sa fine croix dorée avec une expression sereine mais énigmatique.
- Des forces ? demanda-t-il.
- Des puissances qui mobilisent ce que les hommes ont de meilleur et les transcendent.
- Dieu, donc.
- Dieu est en l’homme. Et il était en toi lorsque tu t’es battu pour trouver la vérité et me sauver en me remettant cet implant. En tous cas, c’est ce que moi, je crois.
Il la scruta avec émotion.
- D’accord. C’est ce que tu crois.
- Je crois que nous ne sommes pas seuls, Mulder…
Elle lui sourit largement. Il réprima un petit rire.
- Maintenant, reprit-elle plus gravement, parle-moi de ta sœur… Que s’est-il passé ?

Et il lui raconta tout.


**********


J'ai fait un rêve, la nuit de Noël.
Je cheminais sur la plage, côte à côte avec le Seigneur.
Nos pas se dessinaient sur le sable en laissant une double empreinte, la mienne et celle du Seigneur.
L'idée me vint, c'était en songe, que chacun de nos pas représentait un jour de ma vie.
Je me suis arrêté pour regarder en arrière.
J'ai vu toutes ces traces qui se perdaient au loin.
Mais je remarquai qu'en certains endroits, au lieu de deux empreintes, il n'y en avait qu'une.
J'ai revu le film de ma vie. Ô surprise !
Les lieux à l'empreinte unique correspondaient aux jours les plus sombres de mon existence.
Jours d'angoisse ou de mauvais vouloir,
Jours d'égoïsme ou de mauvaise humeur,
Jours d'épreuve et de doute,
Jours intenables...
Jours où moi aussi j'avais été intenable.
Alors me tournant vers le Seigneur,
J'osai lui faire des reproches :
"Tu nous avais pourtant promis d'être avec nous tous les jours !
Pourquoi n'as-tu pas tenu ta promesse ?
Pourquoi m'avoir laissé seul aux pires moments de ma vie ?
Aux jours où j'avais le plus besoin de Ta présence ?"
Mais le Seigneur m'a répondu :
"Mon ami,
Les jours où tu ne vois qu'une trace de pas sur le sable, ce sont les jours où je t'ai porté !"

Adémar de Barros (poète brésilien)

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Et Charles était là... (en cours) - Page 2 Empty Re: Et Charles était là... (en cours)

Message  noisette Mar 25 Mai 2010 - 9:06

CH 9. Prométhée post-moderne




Fin Novembre 1997

< Il me tend la main ? Alors ça ! Il veut me faire danser ?
C’est surréaliste ! Je n’en reviens pas qu’il…
Bon, en même temps, c’est vrai que si je jette un œil à la salle, nous sommes un peu… comment dire… dans un autre monde !
Ses yeux ne me lâchent pas. Je lui offre ma main. Je ne sais pas. C’est peut-être son petit air de ne pas y toucher. Il est… assez irrésistible !
Cet homme a un charme fou ! Et je parie qu’il ne s’en rend même pas compte !

Stop ! Reprends-toi Dana ! De la maitrise. De la distance. De…
Oh et puis, flûte !>

***

< Il faut me prendre au sérieux ! Allez Scully ! Accepte…
Elle sourit. Il y a de la malice au fond de ses yeux. C’est bon ça !
J’évite son regard en faisant le beau gosse tranquille qui n’a même pas besoin de vérifier que sa partenaire est partante pour un tour. Mais je ne suis pas si tranquille. Avec elle, je redoute toujours un peu « le vent » !
Je sens avec un frisson ses doigts se glisser dans ma main. Yes !
Elle accepte que je la conduise sur la piste.
One point for Mulder ! >

***

< Il m’attire à lui d’un geste impérieux et je suis déjà chavirée !
Ca n’est pas sérieux… Franchement, ca n’est pas sérieux !
Je n’ai plus l’âge de…
Mais qu’est-ce que je dis ?! Je n’ai surtout plus l’âge de perdre du temps avec des conneries sur l’âge. Voilà ! La vie est trop courte. La vie est bien trop courte…

Chavire-moi Mulder ! Tu m’as ramené à la vie, tu peux bien me faire revivre au plaisir. Et heureusement pour moi, tu n’as probablement même pas idée de ce que tu me fais…>

***

< Elle est rose comme une jeune fille. Celui qui a dit que faire danser une femme était un vain passe-temps n’a jamais vu une Scully se métamorphoser ! On oublierait presque qu’il y a trois semaines seulement…

Non. Je ne veux plus penser à ça… Je veux profiter de cette soirée, profiter de sa présence, profiter de ce sourire rayonnant !
Bénie soit Cher ! Et béni soit le disco ! >

***

< Il ne se force pas. Il aime danser. C’est évident !
Je ne lui connaissais pas ce goût là… Ca me plait ! >

***

< C’est trop gros si je me colle à elle ?… Tant pis, j’y vais ! C’est le pas après tout et on n’a qu’une vie !
Hop, hop ! Un petit mouvement balancé du bassin… >

***

< Et en plus, il bouge comme un diable… Oh j’aime… J’aime ! >

***

< Reste classe, Fox. Tu n’es pas un vulgaire pelotteur. Elle n’est pas une quelconque « pelottée » ! Regarde-la ! Et tant pis si tu te noies dans ses… >

***

< Il a posé ses yeux verts sur moi. C’est comme si le silence se faisait. Je soutiens un instant son examen délicat. Je n’ai plus envie de rire. Il vaudrait mieux qu’il porte son regard ailleurs parce que sinon… >

***

< J’aime ses yeux. Elle est tellement… Ca recommence. Elle me trouble. Elle…
Oh merde !

Merde ! Merde ! Merde !
Il faut que je regarde ailleurs avant que mon corps ne commette l’irréparable ! La scène, voila : je dois regarder la scène.

Genre je préfère mater Cher que Scully. N’importe quoi !

Je contrôle. Je me concentre.

C’est la clé. Le contrôle… >

***

< Alléluia !
Il a senti ma prière !
Mais … ? ! C’est moi ou… ? >

***

< Je ne contrôle rien ! Vite, vite ! Un p’tit tour pour faire dispersion… >

***

< …Non.
Non. J’ai du rêver…
Voilà qu’il se met à me faire tourner. Ce que c’est bon !
Depuis combien de temps un homme qui me plait ne m’a-t-il pas fait virevolter comme ça ?… >

***

< Ouf ! Je crois que j’ai sauvé les apparences. Ca va mieux.
Elle me laisse la diriger, mais elle a cette façon si particulière d’anticiper et d’accompagner mes élans. On dirait qu’elle se coule à mon rythme comme si elle le connaissait par cœur…
Comme si elle était faite juste pour moi.

Oh la vache ! Je deviens un p***** de romantique ! >

***

< J’ai l’impression que je danse avec lui depuis toujours. C’est comme si…
Mmm. J’ai de drôles d’idées qui me trottent dans la tête, mais il me rappelle à l’ordre.
Il m’attire à lui, me plaque contre son torse. Je rougis je crois. Et j’ai du mal à contrôler ma respiration hachée… Une môme ! >

***

< Elle s’écarte de moi en esquissant la moitié d’un tour. Ses doigts glissent dans ma paume et cherchent à s’échapper mais elle me vrille de ses yeux bleus avec une lueur mutine. Que veut-elle ? >

***

< Retiens-moi Mulder ! Ramènes-moi contre tes hanches ! >

***

< Elle joue ! Je n’y crois pas ! Elle est en train de jouer avec moi ! Mais elle oublie que, pour ça, je ne suis pas le dernier !
Je la rattrape fermement. Elle a un petit hoquet de rire. J’adore ça ! Et j’en profite pour, dans la foulée du mouvement, enlacer plus encore sa taille de ma main droite… >




- J’ignorais que les légistes dansaient si bien.
- J’ignorais que les psy aussi !
- Je m’entraine tous les soirs devant ma glace !


< J’ai dis ça d’un air inspiré. Elle rit. Si elle savait seulement à quel point c’est vrai !
Je relance.>


- Quand as-tu dansé pour la dernière fois ?
- Il y a une éternité ! Elle crie pour couvrir la musique.

< Ce week-end, seule dans mon salon ! Mais pas question que je lui dise ! >

- Et toi ?
- Oh, moi… Pareil.

< Hum. N’importe quoi. Le flirt et ses mensonges habituels… Ridicule !
Pourquoi rit-elle de nouveau ? C’est un petit rire embarrassé. Elle approche ses lèvres de mon oreille pour que je distingue mieux les sons de sa bouche au milieu du brouhaha. Mais à vrai dire, je n’ai d’yeux que pour ses prunelles brillantes…>


- En réalité, ce n’est pas tout à fait ça… Je…
- Oui ?

< C’est la honte mais je déteste lui mentir. Tant pis… >

- C’est idiot ! rougit-elle.

< J’entends ses mots, je devine, et mon cœur se gonfle de plaisir. Parce qu’elle ne veut pas me raconter d’histoires ? Parce qu’elle préfère la sincérité au risque du ridicule ? Je la serre un peu plus contre moi. Elle prend une longue inspiration et se jette à l’eau. >

- Ca m’arrive de… Bon… Tu vois…

< Je vais la libérer.>

- Ne me dis rien. Je crois que je sais… Encore une amatrice honteuse de disco !
- Pourquoi pas ? me défie-t-elle. J’assume !

< Ou je déconne ! Il risque de me le ressortir pendant longtemps ! … Mais… Qu’est-ce qu’il a dit, au fait ? « Encore » ?!>

- Mulder ?
- Mmm ?
- « Encore » ? Dois-je comprendre que tu… ?
- Chuuut !

< Il place son doigt sur ma bouche et jette furtivement un œil de conspirateur autour de nous. J’ai encore envie de rire. C’est qu’il semble bien qu’il me sort le grand numéro !
Et de fait, il saisit doucement les revers de ma veste et m’attire tout contre lui.>


- Continuons l’air de rien, murmure-t-il. Personne ne doit savoir !




***********


3 heures plus tard…

Il gara la voiture sur le parking de l’hôtel, coupa le moteur et se tourna vers sa partenaire.
Elle s’était endormie pendant le trajet du retour. L’immobilité du véhicule et le calme soudain semblèrent agir comme des signaux sur son esprit inconscient et Scully émergea doucement.
Avec un sourire, Mulder la laissa en silence prendre le temps de s’étirer discrètement, de cligner des paupières. Elle ouvrit les yeux avec cette expression fugace qu’il n’avait pu observer que rarement chez elle. Une expression bien éloignée de son souci de contrôler tout ce qu’elle donnait d’elle-même.
Ici, son visage avait affiché un micro moment d’abandon. D’abandon total et absolu. Celui qui nous saisit lorsqu’on se laisse aller à la seule volonté de son organisme, sans soucis de paraître : lorsque le corps exige le repos…
< Peut-être aussi lorsque ce même corps assouvit… d’autres désirs…> ne put s’empêcher de penser Mulder soudain troublé.

Il toussota pour se redonner une contenance.
- On est arrivé…, déclara-t-il doucement.
Avec un sursaut presque imperceptible, elle se redressa et repassa immédiatement en mode « contrôle », comme un reflexe vital.
- Très bien… Très bien, articula-t-elle pour se donner le temps de se resituer dans les évènements.
Puis elle parut se souvenir et un léger sourire passa sur ses lèvres. Il crut voir ses doigts s’animer et sa tête dodeliner comme si la musique venait à nouveau la remplir, comme une réminiscence…
Elle tourna légèrement son visage vers lui et il nota avec émotion qu’à nouveau l’abandon s’affichait sur ses traits. Il fallait qu’elle se sente vraiment bien pour le laisser transparaitre ainsi.
- Merci… Merci pour cette belle soirée.
- Tout le plaisir était pour moi.
Ils restèrent quelques secondes dans cette position, à se détailler l’un l’autre avec tendresse.
- Tu n’as pas l’intention de dormir ici ? plaisanta-t-il pour couper court à la léthargie doucereuse qui s’emparait de lui.
Elle sourit.
- Non.
Et dans un mouvement parfaitement synchronisé, ils attrapèrent chacun la poignée de leur portière respective.
Mulder s’extirpa de la voiture, en profita pour exécuter quelques étirements et se dirigea vers l’arrière. En faisant le tour de l’autre côté, elle le rejoignit. Il ouvrit le coffre, empoigna leurs deux sacs de voyage, un dans chaque main, et fit un pas vers elle. Un néon rose projetait sa lumière sur la silhouette encore frêle de Scully et révélait ses traits. Elle était manifestement fatiguée – la maladie avait laissé des traces –, mais il la sentait heureuse aussi. Et le constat le remplit de joie.
- Tu peux me tenir ça ? pria-t-il en lui tendant les valises.
Elle ouvrit les mains pour les prendre.

Aussitôt, Mulder saisit délicatement le visage de Scully entre ses doigts. Il lui souleva légèrement le menton alors qu’elle le fixait avec surprise. Qu’avait-il en tête ?
Elle portait toujours leurs bagages et lorsqu’il se pencha avec détermination vers elle et posa sa bouche près… très près de ses propres lèvres, elle se retrouva littéralement incapable de bouger le moindre muscle, d’opposer la moindre résistance. C’était comme si son corps tout entier était empêtré par ses mains encombrées.
Le cœur battant, elle le laissa prolonger ce baiser inattendu, d’abord trop interdite pour s’éloigner de lui, puis simplement, il fallait bien qu’elle se l’avoue, parce qu’elle commençait à y prendre goût…

Finalement, il s’écarta et l’œil malicieux, il récupéra leurs sacs en guettant la réaction de sa partenaire.
Elle sourit.
- Ce n’était que ça ? taquina-t-elle doucement.
- Euh… bredouilla-t-il, désarçonné par le sous-entendu épicé et un brin osé.
- Oublie. Elle s’était un peu empourprée. Je plaisante.
- Ah…
Il ne sut s’il devait s’en trouver soulagé ou déçu.
- Désolée. C’est la danse surement, se justifia-t-elle. Et l’alcool, peut-être…
- L’alcool, j’en avais déjà eu un petit aperçu !
Si c’était possible, elle devint plus rouge encore au souvenir de cette nuit où elle s’était présentée chez lui passablement éméchée ! Il rit de sa mine contrite.
- Bon à savoir, donc ! Quelques tours de danse et une bonne musique vous rendent aussi une Scully toute émoustillée…
- Touché ! convint-elle de bonne grâce.
- Je garderai le secret. Promis !
Pour le coup, elle rit à son tour.
- Je crains que l’info n’ait déjà filtré auprès de quelques autres…
Mulder déglutit péniblement. Scully n’évoquait pratiquement jamais les hommes qui avaient pu partager son intimité autrefois. La remarque lui laissa un gout bizarre, vaguement amer au fond de la gorge.
Un peu lâchement, il ne préféra pas relever. L’idée qu’elle ait pu vivre sans lui, aimer loin de lui, que cela soit seulement possible, lui semblait soudain presque inconcevable… Elle devait être près de lui, nécessairement…

Sinon, ils n’auraient jamais dansé ainsi, non ?…

En lui-même, il se fustigea. Décidemment, il brassait des pensées particulièrement stupides ce soir.
Elle avait du se rendre compte de son imperceptible malaise parce qu’elle semblait tout d’un coup plus réservée.

- Ahem… On y va ?


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Message  noisette Jeu 10 Juin 2010 - 12:41

***********


- Bien. Bonne nuit alors.
- Oui. Bonne nuit.
Elle le regarda. Elle n’avait pas envie qu’il parte. Pourquoi fallait-il que cette soirée se termine ?
Il se balançait d’un pied sur l’autre devant la porte, avec ce petit sourire qu’elle aimait tant.
Ni lui, ni elle ne semblait décidé à s’en aller…

C’était à elle de le faire. Après tout, ils étaient devant la porte de sa chambre.
Elle glissa le passe magnétique dans la fente. Il y eut un déclic. Elle poussa le battant, se tourna une dernière fois vers lui. Elle n’allait pas lui redire encore « Bonne nuit », cela aurait été consternant…

Pourquoi fit-elle ça ? Elle n’aurait pas été capable de l’expliquer elle-même.

Elle prit la large main de son partenaire, la porta à sa bouche et l’embrassa. Il tressaillit en sentant les lèvres de Scully baiser ses doigts mais n’eut pas le temps de se demander comment répondre à un geste pareil.
Elle avait disparu et il se retrouvait seul dans ce long couloir impersonnel. La veine de sa tempe droite battait la chamade. Il resta figé quelques secondes à fixer la porte comme si elle pouvait s’ouvrir sur Scully par la seule force de son esprit. Et avec un serrement de cœur, il lui tourna le dos et se dirigea vers sa chambre.

Appuyée contre le bois, Scully essayait, elle, de ralentir son souffle qui s’était emballé. Sans se l’avouer, elle tendait l’oreille et préparait sa peau à sentir le frémissement du battant lorsque Mulder frapperait pour lui dire que finalement, il voulait encore rester un peu près d’elle…
Mais le bois ne frémit pas.
Et seules ses lèvres et sa peau frémirent violemment…
Du désir inassouvi…
Elle s’en voulait.


***********


A quoi bon passer si près de la mort si l’on passe encore à côté de ses envies de vivre ? marmonna-t-elle pour elle-même en sentant l’eau chaude s’écouler sur elle et glisser au creux de ses reins.
Elle régla le débit pour qu’il soit moins fort. Et elle avança sa tête.
Elle la leva si près du pommeau que le jet vient frapper vivement ses lèvres. Elle gouta à cette « caresse » brutale avec une terrible sensation de manque. Son corps exigeait sa dose, qu’on le touche, qu’on l’embrasse, qu’on le bascule et qu’on le fasse virevolter, tournoyer.
Encore.

En la faisant danser ce soir, Mulder avait réveillé des besoins longtemps enfouis et là, ils venaient cogner à ses oreilles, impérieux, intransigeants.
< Du plaisir > lui susurrait chaque parcelle de sa peau, s’épanouissant comme les fleurs éclosent au printemps. Mais ces fleurs là étaient assoiffées et la source semblait si faible qu’on l’eut crue tarie…
A moins qu’au contraire, elle ne soit prête à jaillir et à renverser tout sur son passage. A moins qu’elle n’ait la force de fracasser les faux murs et les vraies forteresses…

Que dois-je faire ? Qu’ai-je seulement le droit de faire ? se tourmenta Scully. Elle s’enveloppa dans une large serviette de bain et se figea face à son reflet dans la glace embuée. Elle aurait juré qu’il l’interpellait.

Mais le reflet se tut et disparut dans la brume chaude, emporté par les gouttelettes qui se condensaient sur le verre.
Un mirage.
Ou peut-être… un appel…

Elle était seule devant ses choix. Et, à la vérité, ce soir, elle n’avait pas envie d’être seule.
Elle passa un pyjama de soie bleu et se dirigea vers la porte de sa chambre.


***********


Renversé sur son lit, Mulder tentait de se changer les idées. Mais rien à faire. Ce soir, les problématiques animalières des lions ou des arachnéens le laissaient de glace. Il ne pensait qu’à elle.

Non que ce soit chose rare. Mais il s’était produit quelque chose sur la piste de danse.
Il y avait eu une ouverture, un coche.
L’un de ces moments qu’il faut saisir, faute de quoi on court toute sa vie derrière des regrets. Et là, il ne l’avait pas saisi.
Enfin… pas complètement.
Et qu’y a-t-il de plus frustrant que cette sensation d’inachevé lorsqu’on ne désire partager avec l’autre qu’absolu et vérité ?

Il sauta sur ses pieds. Il devait prendre sa chance en main.
C’est ce qu’il se dit en tournant la poignée de sa porte.
Il était en tee-shirt et caleçon. C’est qu’avec son esprit entièrement déterminé, tendu, vers son idée première, il ne pouvait tout de même pas penser à tous les détails pragmatiques !


***********


- Excusez-moi, Monsieur…
Il se retourna. Un peu plus loin dans le couloir, une femme à l’allure sportive lui faisait signe.
Il s’approcha. Dans ses bras, elle tenait un petit garçon qui devait avoir dans les deux ans, deux ans et demi et qui dormait profondément.
Mulder sourit.
- Il est un peu tard pour lui, n’est-ce pas ?
- Les séminaires pour médecins n’ont pas d’heures ! acquiesça-t-elle.
Elle avait un petit accent français charmant et portait encore un badge : « Docteur Stéphanie Magoo, C.H. Le Mans, France ».
- Je suis désolée, poursuivit-elle en cherchant visiblement ses mots, mais ce… « truc »… de porte…
- La serrure ?
- Voilà ! J’y arrive pas. Elle est très dure et je voudrais éviter de réveiller Nathan. Vous pourriez… ?
- Oui, bien sur, s’empressa Mulder en saisissant la clé qu’elle lui tendait maladroitement.
Il la tourna dans son verrou, elle résistait. Le docteur fit la grimace.
- Vous me rassurez ! Ca m’aurait… euh vexant (Il sourit à la faute d’accord) si vous y arrivez tout de suite !
De son épaule, il força sur la porte en réitérant l’opération. Cette fois ci, elle s’ouvrit.
- Fantastique ! Merci beaucoup !
- Je vous en prie.
Mulder s’effaça avec un sourire pour la laisser entrer. Avec un petit air malicieux, elle passa devant lui.
- Je vous aurais bien proposé un verre de bon vin français, mais comme vous êtes déjà presque au lit…
Elle lorgna le caleçon en retenant manifestement un petit rire. Il rougit avec un petit rire gêné.
- Mulder ?
Il se retourna vivement.
- Scully ? !
- Qu’est-ce que tu… ? commença-t-elle surprise.
Elle s’interrompit. Elle venait d’apercevoir la silhouette féminine juste derrière lui. Une ombre passa sur son visage, presqu’aussi vite remplacée par une expression désemparée. Elle venait de tomber sur l’image attendrissante du petit homme endormi.
Elle déglutit.

Une femme et un enfant.

Une femme et son enfant…

Ca lui tomba dessus brutalement, sans prévenir. Une vague de tristesse indicible.
A quoi bon ?
A quoi bon puisque cette femme, ce ne serait jamais elle…
Tout cela… ses émois de midinette, même ses ardeurs inconvenantes qui lui trottaient derrière la tête… Tout cela paraissait si dérisoire.
Tellement stérile.

Stérile comme son propre ventre.

Elle frissonna.

Mais il était déjà près d’elle.


- Au revoir, Monsieur et merci.
Avant même que celui-ci ait le temps de se retourner, le docteur Magoo s’éclipsa discrètement. Elle n’était pas née de la dernière pluie. Et là, de toute évidence, il fallait que ces deux là se retrouvent. Seuls.
Son instinct lui soufflait qu’ils avaient des choses à se dire…

- Mulder…, murmura-t-elle. C’est un prénom, ça ?!


***********


- Euh… Je t’explique…
- Je ne te demande rien, murmura-t-elle d’un air absent.
- Je venais te voir.

Il posa doucement sa main sur le bras de Scully et le pressa légèrement. Elle leva les yeux vers lui. Ce qu’il vit dans son regard le meurtrit. Où était passé le lumineux sourire qu’elle affichait deux heures plus tôt seulement ? Il la saisit gentiment par la taille et la poussa à l’intérieur de la chambre.
Elle le laissa faire, passive. Prête à laisser la pièce se jouer sans elle.

Il ferma le verrou et revint vers elle. Elle le regardait sans sourire, avec une distance douloureuse.
- Me voir pour quoi ? finit-elle par demander comme si c’était l’idée la plus absurde qu’on lui ait jamais soumise et oubliant totalement qu’elle s’était apprêté à faire très exactement la même chose que lui.
Il ne savait pas trop quoi répondre.
- Je ne sais pas. Pour parler peut-être.
- Parler… répéta-t-elle tout bas.
Et avec un soupir, elle alla s’asseoir sur le lit.
- Ca ne va pas ?
- Tout va bien. La vie est belle.

Elle se fustigea immédiatement d’avoir laissé suinter tant d’amertume dans sa réponse.
Il la regarda un moment en silence. Elle se redressa et croisa son regard inquiet.
- Merci pour le spectacle, ajouta-t-elle avec un demi-sourire en désignant d’un signe de tête le caleçon fantaisie de son collègue.
- A ton service, répondit-il, bien conscient du fait qu’elle tentait de botter en touche.

Il la sentait tellement lointaine. Tout lui paraissait si différent lorsqu’ils dansaient ensemble.
Tout d’un coup, il sut avec certitude ce qu’il devait faire.

Il se dirigea vers la télévision, zappa sur une chaine musicale jusqu’à trouver la musique qu’il lui fallait.

Woman, I can hardly express,
My mixed emotions at my thoughtlessness,
After all, I'm forever in your debt,

And woman, I would try to express,
My inner feelings and thankfulness,
For showing me, the meaning of success.

Woman, I know you understand,
The little child, inside the man,
Please remember, my life is in your hands,

And woman, hold me close to your heart,
However distant, don't keep us apart,
After all, It is written in the stars.

Woman, Please let me explain,
I've never meant to cause you sorrow or pain,
So let me tell you, again and again and again...
I love you, yeah yeah, Now and forever…


En entendant s’élever la voix de John Lennon dans la pièce, Scully ne put retenir un imperceptible hoquet et ferma les yeux.

Woman…

C’était bien ça le problème.
Comment se définit-on comme femme lorsqu’on vit sans amour ? Ni celui d’un homme, ni celui d’un enfant ?
Elle retint une larme en serrant un peu plus fort ses paupières.
Soudain, elle sentit une force impérieuse la mettre debout, lui saisir la taille et l’enlacer avec un mélange de tendresse et de puissance incroyablement rassurante.
Il l’avait prise dans ses bras et se balançait doucement contre elle, imprimant la marque de leurs deux corps l’un sur l’autre. La façon dont il la tenait aurait du la faire rougir tant elle était intime, abandonnée et confiante comme seuls des amants se le permettent.
Des amants… ou des personnes avec qui on partage un lien rare, sans faux-semblant et en toute vérité.

Elle autorisa sa larme à glisser le long de sa joue et à aller s’écraser dans le cou de cette personne rare là.

- C’est l’enfant ? murmura délicatement Mulder en posant une main dans ses cheveux et en embrassant ses cils humides.
- Je ne pourrais jamais en avoir, lâcha-t-elle dans un souffle. Et elle releva ses yeux vers lui.

En soutenant son regard, il resserra son étreinte.

- Je sais. Je suis désolé, mais Dana…
- Chut…, l’interrompit-elle. Il n’y a rien à dire.
- En es-tu bien sure ?
- Fais-moi danser, Mulder. Je ne veux rien d’autre. C’était une belle soirée. Je ne veux pas la gâcher.
- Alors dansons.

Au bout de quelques minutes, elle était définitivement apaisée. Une femme se définit d’abord par rapport à soi-même, pensa-t-elle. Je sais qui je suis. Je suis vivante, je suis entourée de peu de gens mais ceux-là sont exceptionnels. Et pour le reste…, on verra ça plus tard.

C’est ça. Plus tard.

Sa tête était bien lourde.

- Scully ?! Tu tombes de sommeil !
- Mmm ?...
- Il est l’heure de se coucher, jeune fille !
- Oui ?
- Incontestablement ! Au lit !
- Tu restes ?

Elle avait posé la question en toute innocence. L’épuisement abat tout ce qui n’est pas sincère et totalement naturel.

- Euh…
- Tu voulais parler, au fait ? sembla-t-elle tout d’un coup réaliser.

Il souleva les draps et lui fit signe de s’installer. Elle s’exécuta sans rechigner.

- C’était sans importance.
- Ah. Bon. Tant mieux. J’aurai crains de m’endormir en pleine confidence…, confessa-t-elle en baillant.
- Il n’y avait rien d’urgent, je t’assure.
- Très bien, approuva-t-elle en lui prenant la main et en l’attirant candidement vers elle. On peut remettre ça à demain, alors.
- On peut. Je reste alors ?
Mulder s’était un peu empourpré.
- Euh… Oui ? Sauf si…
- Non ! Non. Si tu veux. Il n’y a pas de problème.
- Ca me va.
Ils se sourirent.
- Bonne nuit, Mulder.
- Bonne nuit, Scully.

Ils s’installèrent en se tournant le dos, prêts à s’assoupir presque instantanément.
Mais il y eut une petite seconde, juste avant que chacun d’eux ne sombre dans un sommeil profond, où un immense sourire s’afficha sur leurs deux visages.
Un double sourire parfaitement synchrone.
Mais cela, ils ne le surent jamais.


***********


A plusieurs centaines de kilomètres de là, Charles Scully et Laureen s’endormaient tous les deux avec le même sourire sur les lèvres.

Mais quelques heures plus tard, Charlie se réveilla en proie à des tremblements irrépressibles. Il se leva, s’extirpa avec mille précautions du lit conjugal et se dirigea sans bruit vers l’un des placards du salon.
Il ouvrit le meuble, saisit une bouteille…

- Ne la prends pas, Charlie…

Il sursauta et se retourna vivement.

Laureen était debout sur le pas de la porte.
Elle s’avança et au fur et à mesure qu’elle se rapprochait, la gravité dans son regard se mua en douceur.
Mais il tremblait toujours.
Elle lui prit la bouteille des mains, la rangea à sa place. Puis elle entoura son homme de ses bras délicats et se mit à le bercer.
On aurait dit qu’ils dansaient un slow sans musique.

- Laureen…, balbutia Charlie.
- Chut ! Elle posa un doigt sur sa bouche. Viens… et laisse-moi te faire l’amour…



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Message  noisette Lun 26 Juil 2010 - 11:12

CH 10. Emily


24 Décembre 1997

Charles,

Combien de fois ai-je pris la plume ces dernières années pour t’écrire ?
En fait, je n’ai pas le souvenir de l’avoir fait à part pour la naissance des garçons. Je suppose que je ne suis donc pas crédible si je prétends t’écrire comme ça, sur un coup de tête.
Ce n’est pas un coup de tête.
J’ai besoin de te parler. Et je ne sais pas trop par où commencer.

D’abord, je veux te dire que tu as raison de passer ces fêtes avec ta belle-mère. J’espère que tu ne te fustigeras pas toi-même de n’être pas là avec ce qui va suivre. On ne peut pas être partout et c’est bien que toi, Laureen et les enfants soyez près d’elle : elle a eu une année difficile, c’est son premier Noël sans son mari : je suis certaine que vous saurez la soulager en ces temps où la peine face à l’absence de ceux qu’on aime nous revient si brutalement en plein cœur comme un boomerang revient à l’envoyeur.
Je pense beaucoup à Mélissa. Et à papa.
Et je sais que c’est aussi le cas de Maman. Je la sens parfois comme perdue dans sa propre vie. L’espace d’une seconde douloureuse. J’espère que nous saurons alléger le poids du manque…
La vérité c’est que je n’en suis pas sûre. Mais au moins nous sommes en famille autour d’elle.

A ce propos, et ça n’a aucun rapport, embrasse fort les garçons. Tu peux même annoncer solennellement à Jack que je vais pouvoir tenir ma promesse : j’ai finalement réussi à avoir des places pour le SuperBowl (ça m’a coûté de rédiger totalement les trois derniers rapports d’enquête ce qui n’est pas si cher payé si on considère que de toute façon, c’est toujours moi qui m’y colle…). Je crois que nous passerons un très beau week-end pour cet anniversaire. Quant à Christopher, rassure-le et dis-lui qu’il peut lui aussi déjà réfléchir à une idée. Après tout, ces dix ans ne sont que dans un an et demi… (il m’avait parlé d’un saut en parachute. C’était pour rire ? !…)

Ce n’est pas pour ça que je t’écris. Tu t’en doutes.
Je ne sais pas comment m’y prendre pour te raconter tout ça avec douceur et tact, alors, par avance, pardonne-moi si je suis peut-être brutale.

Voilà. Quand tu as appelé ici il y a quatre jours, Maman t’a parlé du soi-disant suicide de cette femme sur lequel je me suis retrouvée « fortuitement ». Nous sommes en vacances et Bill n’apprécie pas tellement de me voir travailler alors que nous devrions passer du temps en famille. Je suppose qu’il faut se résoudre une fois de plus à ce que je ne sois pas ce qu’on attend d’une « bonne » fille… Enfin, bref. Pour faire court, cette femme avait une fille de trois ans, une enfant adoptée, Emily.
Et si j’ai enquêté, ce n’est pas un hasard. Je sais que tu ne me jugeras pas, maintenant que tu connais mieux mon parcours : j’ai reçu plusieurs appels téléphoniques d’une femme me disant qu’Emily avait besoin d’aide. A chaque fois, elle en avait effectivement besoin… sauf que ces appels ne sont pas supposés avoir existés, ils ne sont pas référencés sur la base de données du FBI… et que cette femme, si soucieuse du bien-être de la petite, avait la voix de Mélissa…
Maman pense que je me raconte des histoires, que c’est une étape normale du deuil…
C’est vrai que la mort de Missy me laisse aujourd’hui encore avec un vide immense (et une culpabilité immense aussi…), mais je suis une scientifique et j’ai des raisons solides, rationnelles et irréfutables de me battre pour Emily.
Cette enfant ressemblait tant à Mélissa que j’ai fait faire des tests ADN. Et le résultat est sans appel. A la première analyse, leur profil génétique correspond parfaitement, comme deux membres d’une même famille. J’ai demandé des vérifications complémentaires mais mon expérience me souffle déjà la vérité que j’éprouve avec une certitude absolue, dans mon cœur comme dans ma tête.

Cette petite fille est l’enfant de Mélissa.

Et c’est donc notre nièce.

Bill a beau prétendre qu’il a une photo de Missy d’octobre 94 où elle ne semble pas enceinte (Emily est née en novembre 94) ; Maman peut bien rejeter l’idée que notre sœur ait pu avoir un bébé sans que nous le sachions et le faire adopter (elle semble faire totalement abstraction de la fuite de Mélissa il y a quatre ans sur la côte Est du pays. On croyait savoir pourquoi, mais ne nous sommes nous pas trompés ?) ; Moi, je sais que je dois faire quelque chose pour Emily et que Mélissa me l’a confiée à sa manière. J’ai donc fait une demande d’adoption…

Charlie, je sais que tout ça va très vite mais rarement les choses ne m’ont parues si limpides. Je veux être une mère pour la fille de Missy. Et aujourd’hui, je suis abattue : je viens de voir la femme des services sociaux de San Diego : ils vont formuler un avis négatif quant à ma requête…
Parce que je suis célibataire, parce que je n’ai jamais vécu en couple et parce que mon métier est dangereux et n’offre pas la vie stable et sûre nécessaire à un enfant.
Voilà, en trois mots, le portrait de ma vie que vient de me dresser une étrangère. Une condamnation presque sans appel. Une de plus. J’avais déjà perdu la possibilité de concevoir et ils veulent me refuser celle d’élever… Je suis découragée.

J’ai peur que Bill et Maman ne me soutiennent pas vraiment devant la Cour de Justice de San Diego. Maman a du mal à avaler la couleuvre. Tu la connais. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais elle n’arrive pas vraiment à concevoir que sa propre fille ait pu vivre ceci et plus encore, sans le lui avoir dit… Elle me semble dans le déni qu’Emily puise être de la famille. Et puis il y a autre chose que Bill ne me passera probablement pas : je n’ai pas tout à fait le profil d’une Tara pour qui la vie ne commence que maintenant qu’elle est mère… (Je suis en colère et je dis des bêtises : en fait, Tara a été très gentille).
Bill avait vraiment fait des efforts au début de la semaine pour se montrer sympa et attentionné, mais il m’a clairement signifié que mon désir d’adoption est une mauvaise idée (j’ai commis l’idiotie de lui parler de la voix de Mélissa, et à partir de là, tout n’était que conneries et c’est à peine s’il n’estime pas que je suis sous l’influence néfaste de Mulder, à qui je n’ai pas parlé depuis une semaine !). Pour lui, tout se résume au vide intersidéral qui m’habite : parce que je n’aurais pas d’enfants ? ! Parce que Missy n’est plus là ? ! Il a eu la délicatesse de m’épargner les détails de son raisonnement…
En fait, je ne sais pas si c’est leur jugement qui me blesse ou si le bilan de mon existence qu’on me met sous le nez me désespère…
Mais tout ça en réalité est sans importance, ce ne sera jamais que blessure d’amour propre. Alors que pour Emily, tout cela est l’enjeu d’une vie. Et que je suis celle qui peut la tirer de ce bourbier, j’en ai la certitude.
Il y a autre chose que tu dois savoir à propos de notre nièce. Elle est atteinte d’une grave maladie. Une maladie qu’on n’est pas certain de pouvoir traiter.

J’ai bien réfléchi : je suis prête à quitter le FBI pour offrir une vie presque normale à la fille de Missy. Pour être avec elle dans les bons comme les mauvais jours. Je ne suis pas exemplaire, je ferai peut-être des erreurs mais je jure que personne ne désire plus moi le bien de cette enfant et que je me mettrai en quatre pour lui apporter tout ce que la vie aurait du lui apporter déjà : la sécurité, l’amour… Et je jure aussi, quoi qu’ils en pensent, que je tiendrais sa main même si la situation devait mal tourner (Dieu nous en garde).
Il y a des choix dans une existence qui s’imposent d’eux-mêmes. Parce que la chance ne se présente pas deux fois. Parce que c’est mieux pour elle. Parce que j’ai besoin de faire ça pour elle, pour Mélissa. Et que je sais que, même si le chemin est douloureux, il sera pavé d’amour.
De l’amour, j’en ai à donner Charlie. Je ne veux plus me laisser conduire par la peur : la peur de voir la mort ou la souffrance de ceux que j’aime. La peur d’en souffrir moi-même. La peur que tout se brise… En me protégeant de cette souffrance, je me prive et je nous prive de ce pour quoi notre cœur bat et de l’essence même d’une vie. Ca ne peut plus continuer comme ça…
Tu sais de quoi je parle. Je n’ai pas oublié certains de tes bons conseils.

Aujourd’hui, je viens te demander ton aide. Je ne veux pas te faire le moindre chantage ni que tu te sentes obligé de quoi que ce soit. Mais si tu crois que je peux être une bonne mère pour Emily, je te supplie de venir témoigner en ma faveur devant la Cour de Justice de San Diego. Je t’en prie.
Sinon, ne t’inquiète pas, je trouverai bien un autre moyen.

Voila. Je me sens un peu bizarre de t’avoir lâché tout ça en vrac. Je n’ai pas fait de brouillon, tu apprécieras…
Je ne t’écris pas souvent mais tu noteras que quand je le fais, on ne peut pas me reprocher de retenir mes émotions ! Prenons ça comme la manifestation de la bonne influence que tu exerces sur ma petite personne…
Plus sérieusement, sache que quoi que tu décides, je t’aime.
Rappelle-moi s’il te plait.

Dana


Dernière édition par noisette le Dim 19 Déc 2010 - 19:36, édité 2 fois

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Message  noisette Lun 30 Aoû 2010 - 10:30

***********


25 Décembre 1997. Noël…


Les enfants déballaient les cadeaux quand le facteur était arrivé. Charlie avait tout de suite reconnu l’écriture soignée sur l’enveloppe. Il avait pesé le courrier avec un sombre pressentiment.
Dana.
Dana avait écrit… et son ventre déjà se tordait d’inquiétude.


- Je dois le faire Laureen. En 25 ans, je ne crois pas qu’elle ne m’ait jamais demandé quoi que ce soit. Je dois le faire.
- Tu n’as pas à te justifier. Je peux très bien m’occuper des enfants et de Maman le temps qu’il faudra…
- Dana s’est fait une obligation de ne jamais dépendre de l’aide de qui que ce soit, reprit Charlie très bas en tournant le dos à sa compagne. Tu te rends compte ?! Ma sœur me « supplie » de témoigner pour elle, elle qui sait à peine prononcer le mot même de supplier !
Ses mains tremblaient en disant cela. Il jeta fébrilement un vieux pyjama et un tee-shirt dans la petite valise qui contenait déjà une trousse de toilette.
Laureen s’approcha de lui et posa doucement les mains sur les épaules tendues de Charlie. Il inspira un grand coup en la sentant coller son corps contre son dos et l’étreindre avec tendresse.
- Je sais…, dit-elle.
- Bill a beau l’aimer, il l’enfoncera devant les juges. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’elle a traversé et de ce que cette enfant représente pour elle…
- Et que représente-t-elle ? Ce qu’elle doit à Mélissa parce qu’elle se sent coupable ?
- Ce qu’elle croit lui devoir… Mais c’est plus encore… Elle ne sera pas capable d’abandonner cette petite fille malade à des souffrances d’adulte. Elle n’en sera pas capable… C’est comme…
Sa voix s’étrangla dans sa gorge.
Laureen se plaça face à lui et l’obligea à lever ses yeux bleus brouillés vers elle en posant ses paumes fraîches sur les joues brûlantes de son homme.
- C’est comme si elle devait se sauver elle-même, n’est-ce pas ? murmura-t-elle.
Il s’arrima au regard serein de cette femme qui pouvait tout comprendre, même l’indicible. Peu à peu, il sentit la peur qui lui battait la poitrine s’éloigner lentement. Il sourit tristement.
- Il faut que ça marche, chuchota-t-il en passant ses doigts dans les boucles brunes de sa compagne. Pour elle, pour la petite…
- Et pour toi, ajouta très doucement Laureen.
Il ne répondit rien, se contentant de la serrer un peu plus fort contre lui et d’inspirer son parfum qui l’apaisait comme rien d’autre. Ou presque…
Au bout de quelques minutes, elle s’écarta doucement.
- Charles, tu l’imagines vraiment quitter le FBI… et Mulder ?
- Je ne peux pas croire que le Mulder dont elle m’a parlé puisse la laisser seule dans cette épreuve…

Tout d’un coup, la sonnerie du téléphone retentit en bas de l’escalier. Il y eut une cavalcade. Les garçons se défiaient manifestement de décrocher le premier.
Charles et Laureen se regardèrent avec un petit sourire, mais se turent lorsque la voix de leur aîné prenant la ligne sur un « Allô ? » triomphant monta jusqu’à eux. Au bout de quelques secondes, le ton enjoué de Jack se mua et il se mit à répondre par des phrases courtes, étouffées. La gorge sèche, Charles sentit le malaise s’insinuer plus profondément encore en lui et s’enrouler autour de sa peau comme une algue glacée. Maintenant, ça lui prenait le cou.
Ils entendirent le pas pressé de leur aîné qui s’élançait dans l’escalier et la porte s’ouvrit à la volée sur le jeune garçon.
- P’pa ? C’est Danette au téléphone…
Charlie lâcha immédiatement sa femme pour quitter la pièce et prendre l’appel. Lorsqu’il passa devant l’adolescent, celui-ci lui attrapa le bras.
- Elle a l’air drôle…
Les yeux juvéniles se posaient sur son père avec une prière muette. Il reprit.
- Sa maladie, c’est vraiment fini, hein ?
Laureen s’avança, ébouriffa ses cheveux châtains et lui déclara doucement.
- Ta tante chérie vit des moments difficiles mais normalement, elle est tirée d’affaire. Et ton père va aller passer quelques jours auprès d’elle.
En disant cela, elle fit signe à son homme d’y aller. Avec reconnaissance, il croisa son regard confiant. Puis, comme si le reste du monde pouvait désormais s’évanouir dans la seconde, il se précipita vers le combiné.
Il ferma les yeux brièvement, le temps de tenter de calmer la tempête en lui, puis d’une voix presque calme, il articula.
- Dana ?
- Charlie…
Jack avait raison. Il y avait un vibrato dans son souffle qu’elle devait essayer de retenir mais qui ne faisait aucun doute.
- J’arrive, Dana. J’étais en train de faire ma valise.
Il l’entendit soupirer. De soulagement, eut-il l’impression. Elle laissa passer un instant puis avec un rien plus de sérénité dans la voix, elle déclara doucement.
- Assieds-toi, Charlie. Il y a du nouveau…


***********


Sous le choc, il raccrocha le combiné, tituba et se rattrapa au mur.
Tout tournait autour de lui. Les parois semblaient se rapprocher jusqu’à l’oppresser physiquement. Devant ses yeux, la réalité se désagrégeait, les images se mélangeaient comme dans un kaléidoscope ivre. Et au milieu de ces morceaux de monde brisés, de ces fractales de lumières aveuglantes, une image émergeait.
Une image hypnotisante à faire hurler.
Celle d’un regard.
Le regard d’une enfant qui appelle à l’aide et que l’obscurité avale, implacable.
Le regard d’une femme qui supplie que le destin tourne.
Qu’il tourne aussi, qu’il tourne enfin. Qu’il balaye les vieilles photos fantômes, l’ombre mortelle et le sort sadique. Qu’il la libère, elle, et lui rende son enfance. Et qu’il libère Emily et la laisse vivre sa jeunesse.

Sa fille !

Sa fille… Dana avait un enfant !

Il lutta contre sa première réaction : de se redresser et de se diriger vers le buffet de sa belle-mère, là où étaient soigneusement entreposés ses alcools et les whiskys désormais orphelins de son beau-père.
Il passa sa langue sur ses lèvres sèches.
Il avait de la route à faire. Il fallait rester sobre. L’avenir de sa sœur en dépendait peut-être.
L’avenir de sa sœur. Et celui d’une petite Emily, sa fille…
Chienne de vie où les services sociaux et la maladie disputaient cette gamine à sa propre mère. Chienne de vie qui venait une fois de plus s’en prendre à ceux qui ont déjà tellement perdus…
On croit que lorsque la foudre est tombée une fois à un endroit, elle n’y retombe plus jamais. Mais la vérité est toute autre. La foudre tombe là où elle l’a choisi. Elle sélectionne ses victimes avec soin. Et elle s’acharne. Elle tombe encore, et toujours. Chaque fois plus fort. La foudre aussi a ses boucs émissaires. La foudre est une belle salope !

Charles se représenta l’image d’une commission d’hommes et de femmes dont le métier consistait à sauver ou noyer des vies en décidant de ce qu’était une famille. La cour de justice de San Diego… C’est devant eux qu’il allait devoir plaider en faveur de Dana…
Il inspira profondément, rejetant l’idée inadmissible que cette audition supposait.
Ils n’oseraient pas. Ils n’oseraient pas retirer Emily à une femme qui lui avait donné la plus grosse part d’elle-même. Cette part qui faisait que la petite ressemblait tant à une Scully d’après Dana…
Elle était de la famille ! Point ! Et la famille, on la protège. Ou on porte toute sa vie le poids de sa trahison…
Charlie laissa dériver son attention vers le vase qui trônait dans l’entrée de la maison. Becky, la mère de Laureen, avait eu cette idée étrange hier après-midi de faire un bouquet d’épis de blé… parsemé de coquelicots.
De coquelicots… Pourquoi ramasser des fleurs qui ne seront plus que l’ombre d’elles-mêmes à la seconde où on les coupera ? Il fixa leur éclat déjà terne, fané. Rouge…

Rouge !

Il tressaillit et se retint de jeter rageusement le vase.

Se calmer. Fermer son esprit au doute insidieux. A la tentation de tendre la main vers ce liquide pervers dans lequel se reflétait le visage de son pire ennemi : lui-même.
Il avait de la route à faire.
Une sacrée route à faire. En kilomètres et en introspection.
Mais elle avait besoin de lui, et quelle que soit la distance, l’épreuve, il serait là.
A l’heure.
Cette fois.

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Message  noisette Sam 4 Sep 2010 - 10:33

***********


Cour de justice de San Diego. 30 décembre.


Une autre juge – une qui avait été présente lors de l’audition de Bill - entra de nouveau dans la pièce.
- Pardonnez cette interruption mais… enfin… les témoins du dossier suivant attendent dehors depuis plus d’une demi-heure…
Elle se retourna vers Scully avec une expression désolée.
- Oui, c’est bon, trancha le président. Il s’adressa à Dana. Vous pouvez y aller, nous vous tiendrons au courant.
On la congédiait. On avait d’autres dossiers à traiter.
Bien.
La justice avait toujours ce sens très particulier du tact.
D’ailleurs l’homme qui venait d’interroger Mulder s’était déjà replongé dans les papiers. S’agissait-il de ceux pour l’adoption d’Emily ? Dana n’en était même pas sûre.
Elle se leva avec raideur. Elle s’apprêtait à sortir derrière Mulder, mais le président parut se raviser. Il leva les yeux de ses chers formulaires et l’interpella.
- Mademoiselle ?
Elle fit signe à son partenaire de l’attendre dans le couloir.
- Nous ne devions pas voir votre second frère ?
Son cœur se serra. Où était Charlie ? Elle se pinça les lèvres pour dissimuler son trouble, et répondit lentement.
- J’essaye de le joindre depuis tout à l’heure sur son portable mais…
Elle laissa sa phrase en suspens. La femme prit la parole. Sa voix était bienveillante, mais ses mots étaient fermes et sans équivoques.
- Quand vous l’aurez, dites-lui bien que s’il tient à témoigner, il devra le faire jusqu’à demain, 16 heures au plus tard. Passé ce délai, nous prendrons notre décision et le dossier sera définitivement clôt.
- Je comprends.
Elle avala difficilement sa salive.
- Au revoir, Mademoiselle, balaya le juge consultant ostensiblement sa montre.
Dana surprit le coup d’œil réprobateur de la femme devant ce geste qui frisait la grossièreté.
Mademoiselle. En plus, elle détestait qu’on l’appelle ainsi.
- Au revoir…

Elle s’obligea à refermer doucement la porte derrière elle, comme si cela pouvait calmer le battement effréné de son cœur. L’agrément pour l’adoption d’un enfant peut-il tenir à une porte que l’on ferme plus ou moins délicatement ? A ce stade, il lui semblait que si elle avait pu rendre son souffle, son pas, chacun de ses gestes plus maternel, elle l’aurait fait.

- Ca va ?
Mulder la dévisageait avec sollicitude.
- Oui.
Le « oui » mécanique qui ne dupe personne.
- Mmm…
- Non. En fait, non. Je ne comprends pas pourquoi il ne décroche pas…
- Charles ?
- Ce n’est pas son genre. Il a du se passer quelque chose.
- Il aura eu des problèmes de réseau, ou de batterie à plat.
Il tentait de la rassurer et se sentait plutôt soulagé de ne pas avoir à aborder le sujet des révélations qu’il venait de faire devant la Cour.
- Il devait arriver ce matin.
- La route est longue depuis Salt Lake City… Et en voiture, il n’est pas à l’abri d’un petit problème mécanique.
- Mmm. Surtout le tacot de Charlie.
- Ah, siffla-t-il en forçant un air enjoué. Ce serait lui l’heureux propriétaire de Lizzie ?
- De qui ?
- Lizzie, la vieille guimbarde de Cars.
Devant la mine déconcertée de sa partenaire et poursuivant son petit jeu de diversion, il consentit à expliquer avec un brin de condescendance.
- Le dessin animé !
- Le… !
- Ah ah !
- Je ne te demande même pas d’où tu connais un dessin animé pour enfant…, releva-t-elle d’un air absent. L’éclectisme de tes goûts en matière de cinéma ne cessera jamais de m’étonner…
- C’est mon côté scout ! Toujours prêt !
Elle se tourna vers lui d’un mouvement si brusque qu’il eut un infime sursaut. Il ne fanfaronnait plus et se sentit soudain terriblement mal à l’aise. Son apparente désinvolture était déplacée, maladroite. Mais comment reprendre une discussion normale quand on vient de révéler à une femme déjà trop meurtrie par la vie que des hommes se sont servis sur son corps ?… Qu’ils l’ont privée de ce qui définit le féminin même… Ils avaient pris ses ovules au nom du ciel !
Elle le fixa pendant quelques secondes qui parurent interminables à Mulder. Son regard voilé de noir se posait sur lui insistant comme une supplique.
- Prêt à… ?
Il n’y avait plus matière à rire.
On parlait d’un enfant. On parlait d’être père… ou mère…
Dana se rappela l’épisode « Monsieur Patate », de la facilité avec laquelle il avait réussi à faire sourire la timide Emily. Ca ne l’avait surprise qu’à moitié en fait… Que Mulder sache parler ainsi aux enfants. Mais ce jour là, elle avait vu autre chose en lui, comme une improbable révélation. Quelque chose qui le rendait soudain terriblement proche d’elle.
- Je peux comprendre, Dana. Je peux tout comprendre.
Il aurait voulu avoir la force d’articuler une excuse. Peut-être pour ces hommes si peu hommes qui s’étaient fournis sur elle comme en pièces détachées. Peut-être d’avoir porté sur lui un morceau d’elle dans une éprouvette, de l’avoir glissé dans sa poche comme sa propriété. Peut-être de le lui avoir caché en croyant la protéger…
Mais il ne dit rien de plus.
Elle baissa les yeux, juste une seconde, le souffle court, puis revint sur lui.
- J’ai peur Mulder, avoua-t-elle très bas.
- Je sais. Je suis là.

Elle pinça ses lèvres, réprimant un tremblement irrépressible. Elle n’osait plus ouvrir la bouche. Elle sentait qu’elle ne pourrait rien livrer d’autre qu’une plainte inaudible. Les mots s’étouffaient dans sa gorge. Il le devina et ne chercha pas à rompre ce silence.
Au bout de quelques instants, il reprit doucement.
- Alors ? Tu ne m’as toujours pas dit : qu’est-ce qu’il a comme voiture Charlie ?
Elle sourit et pendant un court instant, une lueur de tendresse vint éclairer son visage. Elle s’éclaircit la gorge et parvint à articuler en reprenant presque son assurance habituelle.
- Depuis une dizaine d’années, il a une vieille Chevrolet bleue cabossée de partout, mais que veux-tu c’était un coup de foudre, alors…
- Un homme de goût, ton frère.
- Tu dis ça parce que tu n’as pas vu la voiture. Déjà à l’époque, personne n’en voulait…

Son sourire disparut à nouveau. Cette voiture abandonnée et la manie de Charlie de recueillir mécaniques et petites bêtes fracassées : tout semblait toujours revenir à Emily. Son visage se crispa.
Emily…

Mulder passa discrètement une main apaisante dans son dos.

- Je déteste quand ils t’appellent Mademoiselle…
Elle lui sourit avec reconnaissance.
- Et moi donc !
- Je m’attends à voir apparaître une vieille fille, pincée, en costume 1900, revêche et le cœur sec, qui me prescrira une tisane pour calmer mes ardeurs et mon insolence.
- Tout à fait moi !

Ils se turent un instant.
- Mulder, tu resterais avec moi ce soir chez Bill ?
- C’est que je crains que ton frère ne soit pas enchanté de m’y voir…, objecta son partenaire avec réticence.
- Le jour où il sera là comme toi quand j’ai besoin de lui, je me soucierai de ce qu’il en pense.
Elle avait dit ça très vite d’une voix où sourdait une colère rentrée mais bien présente. Fox hésita à peine.
- J’ai pris une chambre d’hôtel.
- Oh.
- Mais je n’ai pas de couvre-feu…
Elle leva les yeux vers lui.
- Une nuit blanche ? Ca ne te ferait pas peur ?
- Non. Non, posa-t-il doucement. Du bout des doigts, il caressa sa joue. De ça, je n’ai pas peur…


***********

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Message  noisette Ven 10 Sep 2010 - 15:24

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Au même moment. Quelque part dans un désert de l’Utah.

Cinq jours qu’il tenait. Cinq jours d’une sobriété qui lui faisait souffrir le martyr. Et rien ne l’y avait aidé. La terre entière semblait vouloir le mettre au défi.
Sa voiture l’avait lâché en plein désert. Il faisait chaud, monstrueusement chaud. Depuis 48 heures, il se retrouvait coincé dans un no man’s land de l’Utah où seul un antique bar déglingué offrait une protection contre le soleil meurtrier, assommant. Ici, les autochtones ne semblaient pas connaître autre chose que la bière. Et puis il y avait eu ces deux serveuses.
Elles étaient gentilles pourtant…
La plus âgée lui avait spontanément apporté une chope avec ce phrasé inénarrable qu’il aurait savouré en toute autre circonstance : « Tiens mon chou ! Pour effacer ta triste mine. Et on ne paye qu’en sourire hein ! ». Il avait payé ainsi. Malgré le désespoir qui l’avait étreint lorsque l’homme qui faisait office de garagiste lui avait annoncé qu’il fallait attendre la livraison du lendemain. Il avait « payé » mais il n’avait pas bu…
Quant à la plus jeune des deux femmes, elle s’était assise face à lui en le faisant parler, s’étonnant de le voir parcourir Salt Lake City – San Diego en voiture. « T’as pas de tunes ? » avait-elle demandé avec sollicitude. « Plutôt pas de couilles » avait-il rétorqué en ne riant qu’à moitié et en expliquant sa peur de l’avion et des espaces confinés. La serveuse avait éclaté de rire et dix minutes plus tard, elle revenait avec un whisky et un papier avec son numéro de téléphone. Il était resté là, longuement. Comme un con. Ses yeux passaient du verre tentateur au message griffonné pour le moins équivoque. Mais il n’y avait pas d’issue par ici. C’était un cul de sac. Un piège.

La nuit tombait. Il se leva, glissa dix dollars sous le verre et après un sourire désolé en direction de la jeune femme audacieuse, il s’éclipsa et s’éloigna à l’écart des quelques bâtiments. Puis dans le désert aride, mais rafraîchi par la nuit, il s’assit entre deux buissons d’épines.
Il avait mal. Mal au bide. Mal au cœur. Mal à être simplement…
Ses mains d’abord commencèrent à trembler si fort qu’il se griffa les paumes en serrant ses poings pour tenter de se contenir. Puis son corps tout entier se mit à se convulser. Entre ses lèvres sèches comme une bûche qui se craquelle et se consume, il sentit la bile jaillir et se précipita à genoux pour vomir. Il se vidait littéralement : de la peur de ne pas arriver à temps, de la haine de son hideuse dépendance, du dégoût de ce qu’il devenait, tout se mélangeait dans ce liquide nauséabond qui s’écoulait de lui.
Dans un cri animal, il cracha tout, prêt à s’arracher les boyaux pour extirper de lui ce qui le tuait. Et ce qui pouvait la perdre, elle...
A bout de force, il parvint à rouler un peu plus loin. Allongé de tout son long contre la terre assoiffée, les yeux piquants de larmes et les ongles plantés dans le sol, il toussa encore un peu. Puis il souffla. Longuement. Il ouvrit grand ses paupières et plongea son regard dans les étoiles comme un marin qui cherche sa route.
Et là, enfin, il gagna une juste trêve et réintégra son corps encore tremblant. Petit à petit, une paix profonde l’étreignit dans des bras puissants, chaude comme le cocon originel. Les larmes libérées roulèrent sur ses joues et s’écrasèrent pour nourrir la terre aride.
Le ciel était noir, un noir d’ébène comme on ne le voit plus dans ce monde où les lumières des villes polluent les campagnes les plus retirées. La robe sombre se déchirait de milliers d’éclats brillants. Les étoiles. Comme des âmes persistantes, bienveillantes couvant l’humanité en silence.
Charles s’abandonna à cette contemplation, s’abreuva à la source lactée de la voie céleste et elle lui apparut.
Cette étoile flamboyait comme une comète dans l’azur. On eut dit une bergère veillant tous ces éclats brisés.
Souvent le soir, Charles écoutait leur discrète mélodie. Mais cette nuit, tout était différent. Les étoiles tintinnabulaient comme jamais. Elles imploraient. Il y avait urgence.

Stella.
Charles frémit et se raccrocha à la sensation rassurante de sa peau fiévreuse contre le sol dur.
Stella lui revenait en plein cœur et elle voulait qu’on lui raconte une histoire. Elle exigeait la fin de l’histoire.
Et cette fois, il sut qu’il irait jusqu’au bout.


***********


Le 31 décembre. 19h30 heures.

Charles raccrocha, abattu, avec le sentiment que sa tête pesait des tonnes. En quelques secondes, il venait de passer de l’euphorie à l’accablement. Il avait à peine eu le temps de parler à Dana. Il lui avait dit qu’il était arrivé in extremis pour plaider en sa faveur devant la cour de justice de San Diego, mais elle avait l’air ailleurs. Lorsqu’il s’était enquis d’elle et de la petite, il avait compris. Emily avait eu un « accident ». Un kyste au cou apparemment. Et maintenant, elle était hospitalisée dans un état critique. Tout s’accélérait. L’heure n’était pas à savoir qui serait sa mère, mais si elle allait survivre. Dana s’était excusée. Elle ne pensait qu’à rejoindre sa fille et Charlie se retrouvait perdu, avec de nouveau une furieuse envie de boire. Boire jusqu’à ce que tout ça disparaisse au profit d’un brouillard blanc et d’une éphémère sensation de légèreté… avant que ne retombe la chape de plomb du sort qui s’acharne.
Il avait promis qu’il passerait chez Bill. Sa mère serait là, ainsi que Tara. Il ne désespérait pas y retrouver sa sœur. Il faudrait bien qu’elle se repose.

Bill, Tara, Maggie et lui. Une famille anémiée. Sans cri d’enfants. Sans le rire de Mélissa. Sans même - Charlie se surprit à le regretter - les échos virils du Capitaine quand il se prenait à vouloir chanter les vieux classiques de Noël sous les gloussements amusés de sa descendance à l’âge bête de l’adolescence.
Une famille qui quelques jours avant pouvait imaginer accueillir en son sein une petite fille de 3 ans… et qui devait maintenant en faire le deuil, orpheline avant même d’avoir eu le temps de l’adopter…
Charles ferma les yeux.
Laureen, Jack et Christopher lui manquaient.
Laissant les passants qui se pressaient vers les voitures le doubler, il s’arrêta au milieu de l’avenue. Les endimanchés continuaient à avancer, le bousculant comme on bouscule toujours ceux qui ne suivent pas le rythme collectif imposé. Ce soir, ceux-là exigeaient qu’on arrose, qu’on se réjouisse à l’arrivée de la nouvelle année. Et ils pestaient contre ces idiots de trouble-fête, infoutus de mettre le pied devant l’autre et le champagne dans la coupe. Dédaignant leurs grognements, Charles ouvrit son portefeuille et en tira une photographie écornée. Sa moitié, resplendissante, poussait la balançoire sur laquelle deux garçons encore petits riaient aux éclats. Il sourit. Ca lui faisait toujours le même effet.
Il s’apprêtait à la ranger quand il aperçut en dessous le coin d’un tirage plus ancien. Un cliché jauni. Il retint sa respiration et le sortit.
C’était une photo de vacances. Elle représentait quatre enfants sous un soleil étincelant. Une jeune fille nageait dans une eau claire et adressait une grimace au photographe, tandis que les trois autres, debout sur des roches noires s’amusaient du spectacle. Ils avaient l’air heureux, nimbés d’une innocence encore intacte. Le regard de Charlie ne parvenait pas à se détacher de l’image d’une fillette, aux yeux brillant d’excitation et qui battait des mains.
Dana.
La fratrie Scully.
Avant que tout ne foute le camp…
Il s’obligea à ranger posément le document, souffla un bon coup et se dirigea vers la première bouche de métro qui s’offrait à lui.


***********


1h30 plus tard. Chez Bill.

- Dieu merci ! Te voilà enfin ! Je m’inquiétais, Charles ! Tu aurais pu prévenir…
- Bonsoir Maman.
- Que s’est-il passé ? On t’attendait hier…
Margareth lui prit la valisette des mains et le poussa à l’intérieur avec empressement.
- Rien de bien intéressant, vraiment. Salut Bill.
- Frangin ! salua son aîné en lui serrant la main. Tu t’es planté contre un lampadaire ?
- Je n’ai même pas eu besoin de lampadaire. Ma chevrolet s’est plantée toute seule, comme une grande.
- Ah ! Je t’avais bien dit qu’une bagnole pareille te ferait des ennuis !
- Eh ouais, tu me l’avais dit. Bien fait pour ma pomme. Ca m’apprendra à oser choisir ma voiture sans l’aval de mon frère omniscient, chambra Charlie avec un petit sourire. Bonsoir Tara. Tu es superbe… et énorme !
- Merci, c’est trop ! Je croirai entendre Dana ! gloussa-t-elle.
- Ces deux là sont champions de la transmission de pensée, commenta Bill avec une pointe de jalousie dans la voix.
Tara eut un léger rire, ne dissimulant pas son plaisir de voir arriver un peu de sang neuf dans le huit clos oppressant qui prenait ses aises depuis presque une semaine.
Coupant court à l’interlude rafraîchissant, Margareth saisit son fils cadet par le bras.
- Chéri, Tu as pu voir la Cour ?
- Oui Maman. Rassure-toi. C’est fait.
Sur le visage de sa mère, Charlie lut un immense soulagement et peut-être aussi, nota-t-il avec un serrement de cœur, l’ombre de la culpabilité.
- C’est bien. C’est très bien.
Elle pressa son bras un peu plus fort en le regardant avec émotion. Il sut qu’elle avait deviné la teneur de son témoignage et qu’elle lui en était reconnaissante.
- J’espère que tu as été honnête avec les juges, attaqua Bill.
- Tu penses ! Je ne sais pas mentir, tu me connais…
Les deux frères se toisèrent quelques secondes.
- Je dis ça pour le bien de Dana, pour lui épargner des souffrances inutiles, s’obstina le militaire.
Charles serra les dents et ne répondit pas. Tara s’intercala entre les deux hommes et s’empressa de détourner la conversion pour faire retomber la tension qui avait fondu sur eux plus vite que le guépard sur sa proie.
- Viens t’asseoir ! Tu dois être épuisé après un voyage pareil. Tu veux boire quelque chose ? ajouta-t-elle en toute innocence.
Margareth et Bill se figèrent sur ces mots. Charles ne put s’empêcher de remarquer leur brusque changement d’attitude. Avec un soupçon de tristesse, il leur dissimula une grimace déconfite.
- Un jus de fruit, s’il te plaît. Ce sera parfait…
Et tous s’autorisèrent à respirer de nouveau.


***********


Ils s’étaient installés autour de la petite table de la cuisine.
- Cette môme va mourir… A quoi bon ? insista Bill.
Son ton n’était pas agressif. Juste fatigué.
- On a déjà vu des mourants revenir à la vie, s’entêta son frère.
- C’est vrai, intervint Maggie soudain rassérénée.
Il y eut un silence.
- Oui, admit l’aîné… Mais ça ne lui épargnera pas les épreuves, les séjours interminables à l’hôpital. Cette petite n’est pas comme nous… Ce kyste, c’est… c’est monstrueux.
- Ce n’est pas de sa faute, tout de même !
- Ce n’est pas ce que je dis : c’est juste qu’elle… enfin… qu’elle n’est pas comme le reste de la famille. Elle n’est pas… normale. Tu vois ?
Charlie le fusilla du regard et lui jeta sèchement.
- J’espère que votre enfant naîtra sans l’ombre d’un handicap si le prix à payer de la différence, c’est la répudiation !
Bill sursauta et Tara se décomposa soudainement. Devant la réaction de sa belle-sœur, Charles regretta aussitôt ses paroles et prit ses mains avec douceur.
- Pardonne-moi Tara. C’est idiot ce que je viens de dire. Tout se passera bien, j’en suis certain ! Vous aurez un enfant magnifique…
Elle ravala sa salive. Puis, se redressant, elle fit le tour de l’assemblée pour s’arrêter enfin sur son homme et tout en s’adressant à Charlie, elle fixa le regard sombre de Bill.
- Ne t’excuse pas. Tu as raison. Même si notre enfant était différent, je l’aimerais quand même. Elle soutint les yeux réprobateurs de son mari et enfonça crânement le clou. Je l’aimerais peut-être plus encore.
D’un geste brusque, Bill se leva en repoussant brutalement sa chaise et sortit en claquant la porte.
Tara s’affaissa, les larmes aux yeux. En soufflant, elle posa ses paumes sur son ventre comme si le geste avait le pouvoir secret de l’apaiser. Margareth ne dit rien mais passa doucement une main dans le dos de sa bru.
- Vous savez, je l’aime votre fils, Maggie ! Mais parfois…
- Parfois il a besoin qu’on lui ouvre un peu les yeux et le cœur, compléta sereinement Margareth. Mon mari était pareil. Mais lorsqu’il verra votre enfant, Bill aura oublié tous ses préjugés et il tombera amoureux de son petit comme son père a aimé follement ses propres enfants. Même s’il n’a pas toujours su le leur dire, ajouta-t-elle avec un regard tendre pour son cadet.
- Merci…, hoqueta Tara. Avec vous, on dirait qu’il y a toujours de l’espoir même pour les cas les plus décourageant !
Elle souriait au travers des larmes.
- Je vais aller lui parler, annonça Charles résolument.


***********


Il fumait, assis sur le perron. Il ne se retourna pas quand Charlie s’approcha et ne leva même pas les yeux sur lui lorsqu’il vint s’asseoir à son côté.
Finalement, il lâcha plein d’aigreur.
- Tu me prends vraiment pour le roi des cons, hein ? Mais tu ne sais pas de quoi tu parles…
Charles ne dit rien. Bill poursuivit.
- Toi et Laureen, vous avez eu vos enfants quand vous l’avez voulu. Pour moi et Tara, c’est une autre histoire. Ca fait des années qu’on essaye, des années à forcer la nature, des années où notre couple a souffert comme tu n’en as pas idée. Alors cet enfant, je l’aimerai tel qu’il est parce qu’il a été désiré comme personne. Mais je veux qu’il vive ! On en a tellement bavé, on avait presque fait le deuil de fonder une famille. Je refuse de prendre le risque que nous mettions au monde un enfant s’il faut qu’on nous l’arrache. Tara ne s’en remettrait pas…
- Pourquoi est-elle en colère alors ? demanda doucement son frère. Quel rapport y a-t-il avec Emily ?
Bill tira une longue bouffée.
- Elle m’en veut parce que j’ai demandé des tests au début de la grossesse. Je voulais savoir si… le fœtus… avait un problème…
- Un problème ? relança posément Charlie en notant l’emploi du mot « fœtus » pour marquer la distanciation que son frère avait voulu créer.
- J’étais inquiet ! éclata Bill. Tu peux comprendre ça ? ! J’ai contraint la femme que j’aime à des batteries d’examen et je lui ai fait jurer d’avorter si jamais on détectait une pathologie mortelle ! Voilà ! Voilà le problème !
Il parut sur le point de s’effondrer.
- Elle voulait se réjouir de sentir enfin la vie en elle et je lui ai gâché les cinq premiers mois où elle portait notre enfant…
Sa voix se brisa. Mais il ajouta très bas.
- Je ne pouvais pas faire autrement. Je ne pourrais toujours pas faire autrement. Même en sachant le mal que ça lui a fait. Parce qu’on ne sait jamais…
- Elle t’en veut encore ?
- Tu l’as vue !
- Je crois qu’elle te pardonnera.
- Tu crois ça ?
- Bill, ça fait plus de quinze ans qu’elle te pardonne ton grand cœur de grand con ! Cette femme est une sainte !
Ca arracha un rire au militaire.
- Pas une sainte, non ! Mieux que ça !
- Dis-le lui.
Cette fois, l’ainé regarda son frère droit dans les yeux.
- Dis le lui, insista Charles… Et ne confonds pas ta vie et celle de Dana…
Bill se renfrogna.
- Dana n’a pas besoin d’aimer une personne qui va mourir. Elle a assez souffert.
- Ce n’est pas « une personne ». C’est sa fille. Sa fille !
- On ne devient pas parent en une semaine, Charles.
- Tu te trompes, murmura calmement son cadet. Moi, je suis devenu père en une seconde.
- …
- Cette seconde où j’ai vu la sage-femme me tendre le petit corps si chaud, si minuscule de Jack. Et la seconde d’après où il s’est recroquevillé dans mes bras, à peine plus grand que ma main posée sur sa peau pour le protéger.
Les deux hommes se dévisagèrent un court instant. C’était bizarre. Pour une fois, les rôles semblaient s’inverser. Le premier fils paraissait soudain bien fragile.
Charles reprit plus bas encore en fixant son frère directement dans les yeux.
- Je suis père. D’ici quelques heures, toi aussi, tu auras un enfant. Alors, laisse Dana vivre sa vie de mère. Même si cela ne dure que quelques heures éphémères, il n’y en aura pas de plus précieuses… Elle doit les vivre… C’est cruel mais c’est comme ça. Ca l’a toujours été : L’amour ne peut se vivre sans souffrance. Mais il faut le vivre. Sinon, on meurt petit à petit… Comme un petit vieux qui se rabougrit, s’enferme en lui et se ferme aux autres. Tu ne veux pas ça pour elle, n’est-ce pas ?
- Je voudrais juste qu’elle soit heureuse.
- Je sais.
Bill hésita.
- Je l’ai cassée devant la Cour de San Diego.
- Elle y était préparée. Et je suis passé derrière. Ne t’en veux pas trop.
- Je suis une merde.
- …
- Parfois, j’ai l’impression que je ne sais pas…
- Pas quoi ?
- Je ne sais pas… parler le même langage, me comporter simplement en grand frère et pas juste en inquisiteur. J’essaye et je foire. Toujours.
- Tu t’en rends compte, Bill. Ca finira bien par changer…
- Je l’espère. Je n’en pas envie de rester un con. Pas envie de devenir un petit vieux rabougri alors que…
- … alors que tu vas devenir père ? sourit Charlie.
- Je veux être un bon père. Et si possible un bon frère… Et même…

- Un bon mari ? proposa Tara d’une voix attendrie mais manifestement essoufflée.
Bill sauta sur ses pieds et se planta face à sa femme, manifestement dans ses petits souliers.
- Tu as tout entendu ?
- De vos confidences ? Juste la fin. Rassure-toi !
Son homme lui sourit d’un air penaud. Elle enchaina.
- Chéri, je regrette vraiment d’interrompre ce qui ressemble fort à une réconciliation, mais je crois que je vais devoir te réquisitionner…
Bill soupira.
- Je te préviens : dès que le bébé atteint trois mois, je te refilerai à nouveau la vaisselle.
Il entreprit se diriger vers la maison d’un pas trainant sous le regard étonné puis malicieux de son épouse.
- Bill ?
- Oui ?
- Et si avant la vaisselle, on commençait par le mettre au monde ce bébé ?
- Le… ? !
- Tu as bien entendu ! ne put s’empêcher de rire Tara.
- Mon Dieu ! Ca y est ? !
- On dirait bien.
- Je file chercher le sac !
- Chéri, le sac est dans la voiture depuis 2 heures, informa tranquillement Tara.
- Quoi… tu… ?
- Les contractions ont débutées il y a un peu plus de deux heures. Nous sommes prêts. On peut y aller.
- Deux heures ! Mais… Mais ! Il fallait me le dire !
- Eh bien mettons que j’estime que les contractions sont une affaire de femmes, déclara sa femme. Ca fera l’équilibre avec la vaisselle, non ? finassa-t-elle.
Bill éclata de rire.
- Chérie, tu es folle ! Mais maintenant, tu me laisses prendre le commandement.
- Je présume que je n’ai pas le choix…
- On dit « oui, capitaine », corrigea son homme en tenant son bras avec précautions pour l’amener vers la voiture.
- Oui, capitaine !
Il l’assit à la place du passager, referma la portière et fit le tour du véhicule. Il s’apprêta à y rentrer à son tour mais s’interrompit tout d’un coup. Son visage s’assombrit.
- Charles ? alpagua-t-il.
- Je m’occupe de Dana. Ne t’inquiète pas, anticipa son frère. Tu vas avoir un bébé ! Profite de ce moment.
Bill eut un vrai sourire.
- Merci frangin.


***********


La sonnerie retentit.
Il était bien tard pour appeler. Le regard de Charles croisa celui de sa mère, inquiet.
- Je vais répondre, déclara-t-il en passant subrepticement sa main sur l’épaule de Margareth qui lui renvoya un sourire un peu forcé.
Il se dirigea vers le poste et décrocha.
- Allo ? Charles Scully à l’appareil…
Personne ne répondit mais il crut percevoir une infime plainte de l’autre côté de la ligne.
- Dana ? Dana, c’est toi ?
- Oui…je…
Elle avait l’air en état de choc.
- C’est Emily ? insista-t-il. Dis-moi !
- …
- Dana !
- Il y a eu un accident…
- Comment va-t-elle ?! pressa-t-il.
- Elle vient d’entrer dans le coma. Elle…
Sa voix s’éteignit. Margareth s’était approchée et fixait son fils d’un air suppliant. Il lui fit signe de se calmer.
- Tu es à l’hôpital ? Mulder est avec toi ?
- Je… je crois qu’il doit venir.
- Dans combien de temps ?
- Une heure, deux heures… Je ne sais pas.
- J’arrive !
- Charlie, tu n’es pas obligé…
- J’arrive tout de suite.
- Ca ira, tu sais… C’est juste que...
- Starbuck ?
- Je suis perdue. C’est comme si…
- Oui ?
- Comme si on avait voulu me dire qu’elle ne pouvait pas… vivre…
- …
- Charles, je crois qu’elle va mourir…
- Non ! Dana…
- … et je crois que je dois la laisser partir…


***********


Charles s’avança. Dana était là, derrière le sas en verre, allongée sur un lit d’hôpital et serrant contre elle un petit corps frêle encore enveloppé d’une blouse jaune. Les machines étaient éteintes. Les moniteurs ne ronronnaient plus. L’écran qui surveillait les battements de cœur n’affichait que du noir…
L’enfant était morte.
Le sang de Charlie se glaça dans ses veines. D’une démarche mécanique, il franchit la porte coulissante et se posta derrière sa sœur.
Elle ne parut pas réagir. Peut-être ne l’avait-elle pas entendu s’approcher. Avec un frisson, il découvrit par dessus ses épaules les traits de cette petite fille. Emily. Sa nièce.
Si Bill l’avait vu comme lui à cet instant, il n’aurait pas eu la force de témoigner contre Dana devant la Cour. Parce qu’il aurait fallu pour ça renier Mélissa ! Paradoxalement, la fille de Dana était le portrait craché de leur sœur ainé.
Le regard de Charles suivit le dessin si paisible des traits de cette enfant. Puis les bras protecteurs de Dana passés autour de la petite poitrine. Et enfin, il osa s’arrêter sur le visage de Dana.
Ses yeux étaient fermés. Sur son front, entre les sourcils, il y avait ces plis de douleur contenue et sur ses joues, des larmes avaient marqué leur trace blanche.
Le cœur serré, il sortit de son dos un vieil ours en peluche affublé d’une drôle de salopette écossaise et il le glissa entre sa sœur et la petite.
Là, Dana parut sortir de sa torpeur. Elle ouvrit les yeux découvrant la relique. Teddy, l’ourson fétiche de leur enfance.
- Bonsoir Charlie, articula-t-elle sans même se retourner.
Lentement, elle s’arracha à l’étreinte mortelle et se leva, gardant dans ses doigts tremblants la menotte encore tiède d’Emily. Ses yeux restaient rivés sur elle. Elle inspira difficilement lorsque son frère enlaça ses épaules par derrière. Il murmura.
- Elle est belle ta fille...
Elle contint un sanglot et parvint à lâcher finalement en contemplant l’image apaisée de l’enfant.
- Je l’ai tenue dans mes bras Charlie…
- C’est bien, Dana.
- … mais je ne sais pas si elle a su…
- Si elle a su ?
- Que j’étais sa mère.
Cette fois, une grosse larme roula jusqu’à son cou et elle ferma ses yeux écrasée par la souffrance.
- Tu l’as aimée jusqu’au bout. Je suis sûr qu’elle a compris, souffla Charles, la gorge nouée.
- Je n’ai eu que sept jours pour l’aimer !
Elle avait parlé très bas mais dans son ton brûlait la révolte contre cette injustice faite à l’enfance même.
- Qu’est-ce que ça pèsera sept jours ridicules face à une vie de cobaye, face à l’assassinat de ses parents adoptifs, face à une maladie qu’elle n’a pu que subir parce qu’ils avaient besoin d’elle pour des expériences ?! reprit-elle avec une colère sourde et un désespoir sans nom.
- En sept jours, certains ont fait le monde, chuchota Charlie à son oreille. En sept jours, toi, tu as sauvé son monde, tu l’as libérée. Pour toujours. En sept jours, tu l’as aimée et tu as donné un sens à sa vie. Tu as transformé son éphémère en éternel.
Ils se turent longuement. Et finalement, un fragile sourire apparut sur le visage de Scully. Elle se remémorait les ultimes moments passés à attendre la mort avant sa miraculeuse rémission. Passée la terreur, il y avait eu la foi. Et les vraies raisons d’y croire…
- Oui. Oui, approuva-t-elle avec une sérénité nouvelle. Ca, je le sais maintenant. De l’éternité, je jure qu’elle n’a rien à craindre.
Elle se tourna vers Charlie.
- J’ai vu la lumière, j’ai senti la chaleur. Derrière la vie, il y a encore de l’amour…
- Alors, elle est heureuse…
Elle acquiesça. Pourtant, il voyait bien les lèvres tremblantes et les yeux noyés de larmes de Dana.
- Emily est heureuse… Mais toi, tu as le droit d’être malheureuse…, souffla-t-il en lui ouvrant ses bras.
Elle soutint ses yeux bleus si doux sur elle. Et dans un soupir, pour une fois, elle abandonna sans calcul à son frère le droit d’être le roc à sa place. Elle devenait cristal, bris de verre. Alors, contre son cœur, entre ses bras, sans retenue, elle se laissa fondre jusqu’à noyer la douleur…


***********


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Message  noisette Ven 17 Sep 2010 - 13:35

***********


2 janvier. Eglise de l’immaculée conception.

Il était sorti juste avant la fin de la messe. Il étouffait. Ses mains tremblaient comme jamais. Il s’était soulé la veille dans un bar minable de la ville, mais depuis il n’avait pas avalé une goutte et le manque l’assaillait à nouveau.
Il avait réussi à tenir presque une semaine sans boire. Depuis combien d’années cela n’était-il pas arrivé ? En dépit de la parenthèse nocturne encore floue que sa gueule de bois lui rappelait douloureusement, il voulait tenir. Par respect pour sa sœur au moins.
Pour tenter de se calmer, il se dirigea vers les employés des pompes funèbres qui attendaient en fumant près du corbillard et leur taxa une clope.
Puis il s’éloigna et tira quelques bouffées en contemplant les lieux. L’église et son cimetière était à la périphérie de la ville. Devant lui s’étendaient de larges pelouses entre les tombes et un peu plus loin apparaissaient les premiers champs. Il faisait beau. Très froid et très beau. Il remonta le col de sa veste et joua un peu des fumées combinées de la cigarette et de la vapeur sortant de sa bouche.
Un être s’éteint et le monde continue de tourner. On devrait se révolter, crier à la provocation. Et en fait, quelque part dans la brèche qui s’est ouverte en nous, on reçoit le spectacle de la vie qui continue avec une minuscule forme de soulagement. La nature vient planter une graine en nous. Dans quelques semaines, quelques mois, elle aura grandi et la vie aura repris ses droits, doucement, pleine d’égards et d’humilité.
Il vit apparaître au bout de la route une berline grise qui se dirigeait sur eux. Par curiosité, il tenta de distinguer les traits de son conducteur mais son investigation fut interrompue par des mouvements dans son dos. Il fit volte-face. Margareth, Bill et Tara étaient sortis de la chapelle. Il s’avança vers eux et s’arrêta devant Tara qui berçait doucement Matthew. Le petit pleurait. Tara avait les larmes aux yeux et semblait un peu perdue…
- Tu permets ? demanda tranquillement Charlie tout en écrasant rapidement son mégot par terre.
Sans attendre sa réponse, il saisit délicatement l’enfant entre ses larges mains. Il l’installa au creux de son coude et se mit à lui parler très bas. La plainte s’atténua un peu et stoppa complètement lorsque Charles glissa un bout de son petit doigt entre les lèvres prêtes à téter de Matthew.
- Il est beau cet enfant.
Bill sourit.
- Merci, hoqueta Tara en s’essuyant les joues.
Charles continuait à contempler le fragile petit bonhomme.
- C’est si beau un enfant vivant… murmura-t-il.
Il avait cru se faire cette réflexion en lui-même mais s’aperçut qu’il l’avait proférée à voix haute.
Le malaise s’insinua de nouveau. Maggie s’approcha.
- Charles…
Il y avait un très léger reproche dans son ton.
- Pardon, je ne voulais pas…, bredouilla-t-il confus.
Ne sachant comment s’excuser de sa maladresse, il se résolut à rendre le nouveau-né à sa mère. Il se pencha vers le visage maintenant apaisé.
- Matthew ? N’écoute jamais les vieux cons qui voudraient te comparer à d’autres. Tu es toi et ta vie n’en remplace aucune autre. Elle est à toi. Et personne ne peut écrire ton histoire à ta place…
- Crois-tu qu’il mesure déjà toutes les implications d’un tel discours ? demanda son frère avec un mince sourire.
- Je suis sûr qu’il méditera avec attention les bons conseils de son tonton… quand il aura reçu sa dose de câlins et qu’il aura tété, roté, pissé et dormi tout son soul !
La répartie inattendue déclencha un rire salvateur et Charlie se sentit un peu soulagé.
Son regard s’échappa un peu plus loin. A l’entrée de l’église, la femme des services sociaux attendait visiblement que sa sœur sorte…


***********


Ce silence était assourdissant. Mulder finit par se retourner et fit un pas vers elle pour poser doucement sa main sur son épaule.
- Scully… ?
- Ca va aller, souffla-t-elle.
- Je suis désolé. Ils ne pouvaient pas laisser de preuves. Ils auraient profané sa tombe s’il l’avait fallu…
- Ca va, Mulder. Ils ne peuvent plus rien lui faire.
- Et toi ?
- Moi, murmura-t-elle, ils ne peuvent plus me la prendre puisque je l’ai laissé partir…
Il prit sa tête entre ses mains et releva tendrement son visage vers lui. Elle se laissa prendre dans son regard vert, tranquille comme une mer intérieure.
- Je t’attends dans la voiture ? Ou tu préfères rester avec ta famille ?
- J’arrive, Mulder.
Délicatement, il fit glisser ses doigts derrière son cou et se pencha vers elle pour déposer un petit baiser sur sa joue.
- A tout de suite…
- A tout de suite, émit-elle d’une voix rauque et basse.


***********


Charles aperçut un homme grand, élancé qui franchissait le porche du bâtiment. Il frémit quand il réalisa que ça ne pouvait être que Mulder. Il ne l’avait vu qu’une fois. De dos en plus. Cette nuit où Mélissa était morte…
Il hésita à aller à sa rencontre, mais lorsqu’il vit apparaitre à son tour Dana à la lumière du jour, lorsqu’il la vit cligner des yeux, éblouie par le soleil, il préféra mettre temporairement son projet de côté. Il s’avança vers elle.
L’assistante sociale le devança. Charles s’interrompit et détailla sa démarche empruntée et son air manifestement chagriné alors qu’elle tendait un document à sa sœur et qu’elle s’éclipsait ensuite presque sans un mot.
Il rejoignit Dana. Elle contemplait la feuille blanche à l’en-tête du tribunal de San Diego d’un air désemparé.
- Qu’est-ce que c’est ? s’enquit-il un peu inquiet.
Sans rien dire, elle lui tendit l’arrêt de la Cour et se détourna pour lui dissimuler son trouble.
Il lut le texte, puis le relut, abasourdi de voir sortir un tel document dans de telles circonstances.
Sans se retourner, elle demanda.
- Qu’est-ce que tu leur as dit pendant cette audition, Charlie ?
Il la prit par les épaules et l’obligea à se retourner vers lui. Elle avait les yeux baissés sur sa croix, le pendentif de ses quinze ans dont elle avait fait cadeau à Emily. Elle semblait en état de choc.
Il prit le bijou entre ses doigt, dégagea le cou de Dana et lui murmura en rattachant la croix à son cou.
- Je sais que c’est difficile…
- Ca semble si dérisoire. Mais ça change tout…
- Non, Dana. Tu ne peux pas dire ça. Tu as été sa mère à l’instant où ton cœur s’est ému devant elle et que tu as voulu la protéger. Ce papier ne change rien. L’amour ne s’écrit pas d’encre…
- … oui, il s’écrit dans nos actes, tu me l’as déjà dit.
- C’est toujours une certitude.
Forçant son instinct, il la prit d’autorité dans ses bras et la berça lentement contre son cœur. Elle était raide comme du bois mort.
- Que leur as-tu dis alors ? insista-t-elle.
- Je leur ai raconté une histoire…
Il la sentit se détendre doucement.
- Décidemment, je vis au milieu de conteurs…, sourit-elle tristement.
Il s’écarta un peu.
- Comment ça ?
- Mulder aussi raconte de belles histoires…
- C'est vrai. Je me souviens que tu m'en avais parlé.
Charles reporta son attention vers le grand brun. Il s’était arrêté pour saluer Margareth et s’éloignait maintenant vers la voiture garée près de la grille.
- Tu me le présentes ?
- Je préférerais que ce soit dans d’autres circonstances…
- Oui… Bien sûr…
Il y eut un silence.
- Alors ? Cette histoire ?
- Elle t’attend sur ta boite mail depuis trois jours.
- Je n’ai pas consulté - …
- Je m’en doute, interrompit Charlie. Prends ton temps. Je n’enverrais le manuscrit aux éditeurs qu’avec ta bénédiction…
- Tu m’intrigues.
- J’ai autre chose dans mon coffre pour toi. Tu as une seconde avant…
Il n’osa pas terminer sa phrase et désigna d’un coup de menton les croques-morts qui attendaient le signal de Scully pour porter l’enfant en terre.
Elle suivit son regard et resta longuement muette. Brusquement, elle leur tourna le dos et partit dans la direction inverse.
- Dana ?!
Il lui courut derrière.
- Tu n’assistes pas à la mise en terre ? s’alarma-t-il.
- Emily n’est pas dans ce cercueil, Charlie, siffla-t-elle entre ses dents.
- …
Elle consentit à s’immobiliser, et en fuyant les yeux ahuris de son frère, elle ajouta.
- Ca n’a pas d’importance. Emily n’a jamais été dans ce cercueil au fond. Elle est dans mon cœur. Et personne ne l’en délogera…
- …
- Merci Charlie, conclut-elle pour couper court à toute question. Elle se reprit, consciente soudain de sa sécheresse. Merci vraiment.
- Dana, tu pleures ?
- Je vais bien.
- Idiote ! murmura-t-il doucement.
Cette fois, elle releva la tête vers lui, interloquée. Sa mâchoire était serrée, son front était tendu… mais elle ne pleurait pas. Ce corps disparu ne valait rien. C'était un corps sans vie. Elle se raccrochait à cette conviction comme à une bouée.
- Tu vas en parler à Mulder, au moins ?
La gorge sèche, elle hocha la tête de haut en bas.
- Alors, vas le retrouver. Vas-y vite, la chassa-t-il en lui dissimulant son émoi.
Elle le dévisagea et vint elle-même l’étreindre brièvement. Et lorsqu’elle embrassa sa joue en s’agrippant à son cou quelques millièmes de secondes, il crut presque entendre un pudique « Je t’aime »… A moins peut-être seulement que les actes aient parlé…


***********


Elle s’assit sans un mot, tenant toujours la feuille entre ses doigts crispés.
Soudain ses épaules s’affaissèrent et elle laissa rouler les larmes, presque sans bruit, comme si elle voulait retenir sa respiration.
Il vint glisser sa main contre ses doigts meurtris, dénouant avec d’infinies précautions le poing fermé. Puis il se décala un peu sur son siège pour qu’elle puisse poser son visage contre son épaule. Ce qu’elle fit en se laissant guider tendrement.
Ils restèrent ainsi longtemps.
Il finit par chuchoter à son oreille.
- C’est ce papier ?
Elle renifla et se redressa. Fixant le lointain au travers du pare-brise, elle acquiesça. Sur un ton presque neutre, elle récita la phrase qui s’était imprimé sur sa rétine dans la douleur.

« Nous, Cour de Justice de San Diego réunit en ce premier janvier de l’an mil neuf cent quatre vingt dix huit, déclarons que Mademoiselle Dana Katherine Scully est bien la mère biologique et légitime d’Emily Sim. Elle reçoit à ce jour la pleine autorité parentale sur son enfant. Elle s’engage notamment à assurer le bien être physique et psychologique de sa fille (…). »

- Ils ont daté la décision au premier janvier, à zéro heure trente…, ajouta-t-elle d’une voix sourde.
- Zéro heure trente, répéta Mulder stupéfait.
- Une heure avant qu’Emily ne meurt, confirma Dana. Une heure avant que Matthew ne naisse…
- Mais alors…
Elle inspira avec peine et planta ses yeux bleus sur lui.
- Alors, étouffa-t-elle dans un sanglot, j’ai vraiment perdu un enfant…


***********


3 jours plus tôt. Devant la Cour de Justice de San Diego.

L’homme le dévisageait avec un agacement manifeste. Il avait peut-être espéré partir un peu plus tôt ce soir pour préparer un probable réveillon familial. <Bienheureux ceux qui peuvent fêter une nouvelle année sans craindre ce qu’elle apportera ou volera dans leur foyer…> pensa Charlie.
Le président prit la parole.
- Monsieur Scully, nous allons devoir vous poser certaines questions sur…
- Est-ce que… Pardonnez-moi de vous interrompre, osa Charles. Je répondrais à toutes vos questions mais j’aurais aimé d’abord vous montrer et vous lire quelque chose…
Les trois juges se dévisagèrent, désarçonnés.
- Je ne sais pas si ma sœur vous en a parlé, enchaîna-t-il rapidement de crainte de ne pouvoir tenir son objectif, mais je suis auteur. J’écris des romans, des histoires, souvent pour les enfants.
- Monsieur Scully…
La désapprobation du doyen paraissait de plus en plus évidente.
- Je vous en prie. Il faut m’écouter ! poursuivit Charlie avec une nouvelle urgence dans la voix. C’est important ! Il y a quelques années, j’ai commencé à écrire celle-ci…
Tout en parlant, il se mit à ouvrir sa sacoche et en sortit une liasse de feuillets, dont les derniers étaient écris à la main.
- … A l’époque, je n’ai pas été capable de la finir. Je… je bloquais littéralement.
Il posa son regard franc sur eux, livrant sans pudeur son désarroi.
- Ma sœur aînée, Mélissa, avait décidé de m’aider. Mélissa était illustratrice et elle pensait que de voir le début de ce conte en image pouvait me tirer de l’impasse. Alors elle a commencé à dessiner et peindre… ceci.
En même temps qu’il parlait, il extirpa d’un immense porte document une série de peintures, des huiles pour la plupart, qu’il étala avec d’infinies précautions au centre de la table.
Sa gorge était sèche lorsqu’il ajouta.
- Missy est morte… et j’ai laissé tomber, même si je garde en permanence avec moi ce manuscrit. Mais il y a deux jours, j’ai vécu une nuit un peu particulière et la fin m’est apparue comme une révélation. Une évidence. S’il vous plaît, je voudrais vous raconter cette histoire…
- Monsieur Scully, je ne vois pas bien le rapport, gronda le président.
- Oui, j’ai bien conscience de la bizarrerie de ma requête, mais…
La seule femme du trio prit la parole à son tour.
- Devons-nous comprendre que cette histoire a un lien avec votre sœur Dana, monsieur ?
- Oui, Madame. Il souffla un coup. En fait, d’une certaine façon, c’est très exactement l’histoire de ma sœur…
- Quel est le titre de votre album ? demanda doucement son interlocutrice.
- Ca s’appelle « Stella, la fille au cœur en mille morceaux »…


***********


Je voudrais vous raconter une histoire. Pardonnez-moi si, à l’occasion, elle est un peu bruyante. C’est que l’héroïne de cette histoire, selon son humeur, fait parfois autant de bruit qu’une portée d’oisillons, qu’une volée de cloche de Pâques ou qu’un carillon à vent dans la tempête.
Elle s’appelait Stella… comme les étoiles. Et comme les étoiles, depuis qu’elle était petite fille, elle tintinnabulait… Parfois très fort.
Vous vous demandez sûrement ce qui fait qu’une petite fille (qui n’était pas la dernière des cloches !) tintinnabulait comme ça.
Moi qui la connais bien, je ne vous le dirais pas. Enfin… je ne vous dirais pas tout. Sachez juste que quand elle était bébé, elle était exactement comme les autres bébés. Elle bavait, elle crachait, elle pleurait parfois, elle riait aux éclats en étalant de la purée sur sa jolie frimousse. Elle babillait comme un poussin bavard et les poussins, c’est déjà bavard alors un poussin bavard, vous imaginez ! Elle rêvait de trésors, d’aventures et de maisons en bonbons. Elle construisait des abris pour les animaux blessés. Une petite fille comme tant d’autres en somme.
Et puis un jour, tout a changé. Stella s’est mise à tintinnabuler. C’était le cœur, comme disent les docteurs. Il s’était brisé. Et il y avait maintenant des milliers de petits bouts de cœur qui se cognaient à l’intérieur.
Ca faisait un pétard pas possible et pourtant bizarrement, je crois que peu de gens l’entendaient. Mais moi, je n’entendais que ça.
Quand elle marchait, ça cliquetait. Quand elle jouait, ça cliquetait. Qu’elle saute par-dessus un ruisseau et son ventre faisait des concerts qui auraient fait pâlir d’envie toutes les vaches à clochettes d’Europe. Qu’elle ait peur, et ses grelots s’entrechoquaient, et Stella grelottait, elle grelottait comme ça…

Petit à petit, Stella grandissait. Avec le temps, elle apprit à faire moins de bruit. Je crois qu’elle s’était fait un joli sac en bandoulière pour y mettre tous ses morceaux de cœurs. Ils étaient là, bien tassés, les uns contre les autres. Elle les gardait cachés sous son cache-cœur (c’est à ça que sert un cache-cœur. Les gens l’ignorent souvent…). Elle savait maintenant marcher, jouer et même courir sans provoquer le moindre tintement argenté. Stella ne tintinnabulait presque plus.
Il faut la comprendre. Stella ne voulait pas déranger les autres. Mais personne ne peut faire disparaître ainsi une telle quantité de grêlons cristallins.
Alors parfois, lorsque son cœur sursautait, Stella redevenait un vrai carillon.
Ca l’embêtait, Stella.
Pourtant, moi, je crois bien que je préférais encore son carillon au silence de ses petits morceaux serrés et bien cachés.(…)



***********


- Voila.
Ils se taisaient. Un long silence s’installa. Mais ce n’était pas un silence hostile. La femme attira à elle une des toiles et la contempla longuement. D’une voix emprunte de respect, elle finit par lâcher.
- Cette huile… lorsque Stella rencontre le zèbre qui voulait être une danseuse… Elle est magnifique !
- La dernière peinture de ma sœur Mélissa, approuva Charles.
- Vous avez des sœurs remarquables, n’est-ce pas ?
- Les mots ne suffisent pas, murmura-t-il tout bas.
Le président n’avait toujours rien dit. Il paraissait préoccupé. Finalement, il s’adressa à son témoin mais son ton n’avait plus rien d’agressif.
- Il y a une chose que… Dites-moi. Si j’ai bien compris, vous avez écris cette histoire il y a quelques années, c’est bien ça ?
- Oui.
- Donc avant le cancer de votre sœur. Avant même le décès - …
- L’assassinat.
L’homme fixa l’écrivain droit dans les yeux. Et reprit en se raclant la gorge.
- Avant même l’assassinat de votre sœur aînée, n’est-ce pas ?
- En effet.
- Alors, s’il faut voir dans votre jeune héroïne l’image de votre sœur Dana, puis-je vous demander… ce qui a brisé son cœur en mille morceaux ?
Il y eut un nouveau silence.
- Vous pouvez le demander. Mais je ne peux pas vous répondre. Ca ne m’appartient pas. C’est à elle. Je peux juste vous promettre qu’à cause de cela, je sais qu’il n’y aura pas de meilleure mère pour Emily.
- Comme Stella pour cet enfant que personne d’autre ne sait consoler, n’est-ce pas ? intervint la femme. Parce que nul autre qu’elle ne sait comment vivre avec les grelots d’un cœur en mille morceaux ?
- Parce que nul autre qu’elle ne peut savoir tout le chemin qu’il y a à faire pour les recoller ces morceaux.
- Je comprends.
La femme hocha la tête gravement.
- Monsieur Scully ?
C’était la femme. Encore. Celle qui l’avait manifestement soutenu dès le début.
- Pardonnez-moi si je suis indiscrète mais… le narrateur…
- Oui ?
- On jurerait qu’il se reproche quelque chose vis à vis de Stella. Non ?
- …
Il avait froid. Il aurait voulu sortir. Rentrer dans le premier bar. Et boire jusqu’à rouler par terre.
- Monsieur Scully ? reprit le président plus sévèrement.
Charles fit le tour de leurs visages. Ils attendaient une réponse. Et lui, était venu pour leur en donner. Des réponses.
- On est toujours coupable d’être celui qui a été sauvé, non ? murmura-t-il avec un sourire triste qui ressemblait plutôt à une grimace.
- Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire que vous avez raison… d’une certaine façon. Je suis redevable à ma sœur de m’avoir sauvé la vie. Mais si cela vous inquiète, sachez qu’ici je ne paye pas ma dette. Pour cela, il aurait fallu que je vous mente et c’est inutile. Dana sera la meilleure des mères. Je vous l’ai dit parce que je le pense, je le sais. C’est un fait. Je ne fais que vous livrer la vérité… La vérité se suffit à elle-même.
- Vous êtes plein d’espoir…, tempera le juge en haussant les sourcils.
- Peut-être… Peut-être que c’est cela l’espoir : de croire que seule la vérité peut nous délivrer…

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Message  noisette Sam 16 Oct 2010 - 11:02

CH 11. Superbowl




Février 1998.

- Bon, tu as bien compris, Jack ?
Elle lui passa sa veste en jean. Il la regarda goguenard. Il avait le même sourire craquant que son père.
- C’est moi qui ai 10 ans ! A ton âge, tu devrais arrêter ces « enfantillages » !
Il singea l’air faussement excédé que prenait Maggie quand elle sermonnait ses enfants. Elle rit.
- A mon âge, c’est moi la chef ! Jeune insolent !
- Trop facile de te faire partir au quart de tour, Danette !
- Chut !
- Mais t’inquiète, il est pas encore arrivé ! Promis, je t’appellerai pas comme ça devant lui.
- J’y compte bien !
- T’as un truc dans les dents.
Elle pesta et chercha la glace du regard en grommelant.
- Flûte ! Toujours au bon moment…
Jack eut pitié d’elle. Il la prit par le bras.
- Mais non, t’es canon ! J’te faisais juste marcher !
Elle le dévisagea un instant. Il lui claqua une bise sur une impulsion. Elle soupira, bluffée une fois de plus par la ressemblance entre Jack et Charlie. Ils possédaient tous deux ce mélange de chaleur familière et de charme juvénile qui lui plaisaient infiniment.
Elle prit à son tour son pardessus et se laissa entraîner par le jeune garçon excité comme une puce.
- J’suis trooop content d’y aller au Superbowl.
Elle sourit.
- J’suis trooop contente que tu sois content ! rétorqua-t-elle en roulant des yeux.
Il éclata de rire.


***********


- Pourquoi on prend sa voiture ?
- C’est plus simple. Il nous ramènera à la fin du match.
- Et pourquoi il vient lui ? renchérit innocemment Jack avec un coup d’œil très intéressé vers sa tante.
- Disons que quand il a su que nous y allions, il a exercé… certaines pressions pour venir aussi, et que j’ai cédé lâchement pour avoir la paix, ajouta-t-elle en soupirant plus pour elle-même.
- Ca veut dire quoi « certaines pressions » ?
Scully rougit un peu.
- C’est rien. Des trucs de grands.
- Ah ouais, gloussa Jack. Je vois…
- Tu ne vois rien du tout. D’ailleurs, en fait, tout bien réfléchi, c’était plutôt des trucs de gamins… Mais tu vas vite comprendre. Je suis sûre que tu vas a-do-rer Mulder !
- Et toi, tu l’adores ? relança le garçon l’air de rien.
Ils étaient en haut des marches du perron. Elle s’interrompit et dévisagea son neveu avec une légère hésitation.
- Je… je l’aime beaucoup, oui. C’est un ami.
- Genre !
Le cri partait du cœur !
- Que… ?

- Hey ! Scully !
Mulder leur faisait de grands gestes, debout à côté de sa voiture garée sur le trottoir d’en face. Dana chuchota à l’oreille du jeune garçon.
- Avoue ! Ton père t’a chargé de me tirer les vers du nez !
- Nan. Rien du tout. Pourquoi tu dis ça ? demanda Jack en lui souriant avec sa petite gueule d’ange.
- Salut Jack ! apostropha Mulder en traversant la rue pour les rejoindre. Tape m’en une, ajouta-t-il en levant la paume. Oui, je sais. Après tu auras le droit de parler de moi en disant « le vieux ringard » !
Jack sourit et tapa la main.
- Salut !
Fox se tourna vers Scully avec un grand sourire.
- C’est pas une chouette idée de sortir tous ensemble, alors ? ! Bon sang ! Les Broncos de Denver ! Je vais voir jouer les Broncos, Scully ! Reconnais que toi aussi tu en rêvais !
Elle eut un petit rire.
- En fait, là, je suis déjà en train de regretter de t’avoir dit oui…
- Meuh non ! Je vais bien me tenir… surtout si tu nous achètes des casquettes clignotantes aux couleurs de l’équipe, pas vrai Jack ?
Le garçon se marra et se tourna vers sa tante.
- Maintenant, je crois que je comprends ce que tu voulais dire avec tes « pressions »…, chuchota-t-il.
- Tu m’en vois ravie !
- C’est quoi ces messes basses ? interrogea Mulder toujours d’excellente humeur. Allez montez, fit-il en ouvrant la portière à Jack puis à Scully. En route pour le Qualcomm Stadium et la finale du siècle !


***********


Jack ne savait plus où donner de la tête. Il s’émerveillait devant l’immensité du stade, devant la verdeur immaculée de la pelouse, devant les flots de spectateurs que déversaient d'immenses escaliers pour nourrir des gradins par milliers. De sa vie, il n'avait jamais eu la sensation d'être au cœur d'une telle masse humaine, enthousiaste et fiévreuse. Il était au cœur de l’événement et ça le comblait de joie.
Il en oubliait presque des détails autrement plus prosaïques.
- Jack ? Tout va comme tu veux ?
- C’est trop génial !
- On peut savoir pourquoi tu te tortilles ainsi ? insista Dana.
Il s’interrompit dans sa contemplation et parut enfin réaliser ce que son corps lui commandait.
Il fit une grimace. Devoir s’arracher à cet univers aussi fascinant alors même qu’il en découvrait toutes les saveurs, toutes les odeurs et accessoirement tous les langages exotiques voire endémiques était un crève-cœur.
Mulder et Scully se jetèrent un coup d’œil entendu avec un sourire complice.
- Jack, tu as déjà été dans les toilettes d’un stade d’envergure nationale ? interrogea Fox avec une mine de conspirateur.
- Euh… non, répondit Jack à nouveau happé par l’ambiance et écarquillant les yeux devant un groupe de supporters qui arrivaient habillés et peinturlurés uniquement aux couleurs de leur équipe.
- Je t’accompagne avant que l’irréparable ne se produise peut-être ? proposa Dana en ébouriffant les cheveux bruns de son neveu.
Il repoussa la main gentiment et lui cria pour couvrir les braillements de la troupe bariolée.
- Ca va ! Je ne suis plus un bébé !
- Ce stade est immense. Je ne veux pas te perdre…
- Ouais, mais bon… Pas toi, quoi !
- Comme tu voudras. Mulder ? Tu pourrais faire le guide ?
- Mais avec plaisir ! C’est un grand moment d’initiation dans la vie d’un homme. La première fois aux chiottes -…
- Mulder !
- … pardon, aux pissotières du stade ! Je suis très honoré.
Jack s’était enfin connecté à la conversation et eut un petit rire ravi.

Il n’y avait pas encore trop de monde aux toilettes mais elles étaient déjà à la hauteur de leur réputation. Sales, le sol maculé de liquides qu’on se gardait bien d’oser identifier, et dispensant des effluves « virils » sinon des senteurs « animales »…
- Voilà le plus haut lieu de la camaraderie masculine ! annonça Mulder à Jack en lui offrant d’un large geste un panorama du site.
Le garçon sourit distraitement. Devant lui, un homme bedonnant se mouvait tant bien que mal pour défaire sa braguette. Il puait la bière et semblait passablement éméché.
Jack se renfrogna et murmura.
- Ouais. Le plus haut lieu après les comptoirs de bar…
Mulder se tourna vers lui, un peu surpris de sa remarque et suivit son regard sur le pitoyable alcoolique.
Il comprit. Scully lui avait déjà confié le problème de Charlie. Et de toute évidence, ce n’était pas que le problème de Charlie…
Il tapa gentiment l’épaule de Jack.
- Il y a des gens fantastiques qui se perdent parfois derrière un bar. Ce n’est pas immuable.
- Immuable ?
- Ton père peut changer.
Le visage du garçon se ferma soudain.
- Qui a dit que je parlais de mon père d’abord ?!
- Ton père et moi, on s’est croisé sans avoir vraiment eu l’occasion de se parler. Il te l’a dit ?
- Non.
Mulder le prit par le bras et s’écarta un peu dans un coin.
- C’est un chouette type, tu sais. Ce qu’il a fait pour Scully, aucun de nous n’a su le faire.
- De quoi tu parles ?
- Il a témoigné pour elle devant tout un tas de juges. Pour qu’elle puisse adopter Emily.
- Pourquoi « pour qu’elle puisse l’adopter », c’était sa mère non ? Je veux dire : c’est sa mère, se corrigea-t-il en se pinçant les lèvres.
- Ce sont des histoires compliquées, même si ça aurait du être aussi simple que tu le dis. Ton père a assuré, crois-moi…
- …
- …
- C’est pas que je l’aime pas, tu sais.
- Je sais.
Jack se détourna pour observer autour de lui et Fox comprit qu’il ne fallait pas insister davantage. Le garçon reprit de lui-même, comme si de rien n’était.
- Bon, on y va là parce que moi, sinon…
Mulder hocha la tête et ils reprirent leur place dans la file.

- Tu l’aimes bien Dana, non ?
Manifestement, Jack cherchait à changer de sujet de conversation. Fox saisit la perche.
- Forcément. C’est la meilleure ! Tous les autres gars du FBI sont raides de jalousie qu’elle soit ma coéquipière et pas la leur.
Ils arrivèrent devant les pissotières.
- Ouais, convint Jack en se plaçant face à l’urinoir et en baissant sa braguette, mais ça, c’était pas ma question.
Mulder retint un sourire. Le neveu n’était pas un Scully pour rien : il avait oublié d’être bête. Fox s’installa à côté en tournant légèrement le dos à son jeune co-pissier.
- C’est un interrogatoire ? plaisanta-t-il.
- Ben c’est pas compliqué pourtant : t’es amoureux d’elle ? reprit Jack en attaquant de plus belle sans se laisser démonter.
- C’est très personnel ça jeune homme…, temporisa Mulder.
- Ca, ça veut dire oui ! trancha le gamin avec aplomb.
- Mais pas du tout ! se défendit son aîné. J’adore ta tante mais c’est une amie…
- C’est pas qu’une amie.
- OK. C’est ma collègue aussi.
- Papa dit que tu lui as sauvé la vie.
- Il dit ça ton père ? Décidément, un jour, il faudra vraiment que je le rencontre.
- Donc, c’est vrai.
Mulder se tut quelques secondes et referma à son tour son pantalon. Il avait la vague impression d’être un peu dépassé.
Le garçon se dirigeait déjà vers la sortie.
- Hep ! Hep toi ! T’as rien oublié… ?!
- Quoi ? demanda l’autre d’un air faussement innocent.
- Tes mains ! ordonna Mulder en désignant les lavabos.
- Oh, c’est bon ! On dirait ma mère.
- Une femme très bien ! Tu veux un bon conseil, mon gaillard ? Le lavage des mains quand on va pisser, c’est comme le pain chaud dans un hot dog. Il en faut un au début, un à la fin !
Jack éclata de rire.
- Ca, Maman, elle le dit pas ! Je te demande pas ce qui fait la saucisse, hein !
- Ni la moutarde, merci !
- T’es trop bizarre comme mec…
- Désolé !
- C’est bon. C’est marrant.
- Je sais que c’est de la pédagogie bas de gamme mais j’espère qu’au moins tu retiendras.
- J’crois que oui, c’est plutôt clair !
- Bien ! Alors maintenant que tu as les mains propres, tape m’en une !
- Euh, tu sais… j’ai été poli tout à l’heure, mais franchement, je préfère te mettre au parfum. « Tape m’en une ! », c’est vraiment out !
- OK, tu fais quoi alors pour montrer que t’es cool ?
- Ben, tu check ! déclara Jack en haussant les épaules d’évidence.


Quelques minutes plus tard, les deux hommes étaient de retour. Jack se réinstalla à côté de sa tante, tandis que Mulder gesticulait, manifestement accaparé par une préoccupation d’importance. Il ne mit pas longtemps à craquer.
- Je crève de faim. Allez ! Soyons fou ! Je vous offre les hot-dog ?!
- C’est trop, Mulder…, taquina Scully dans un sourire.
- Un hot-dog ? Encore ! s’exclama Jack presque simultanément.
Les deux hommes pouffèrent de concert sous le regard interdit de Scully.
- Eh ben, je vois que vous n’avez pas mis longtemps à devenir de supers « potes » !


***********


- Il est cool, ton copain…
Elle se tortilla sur son siège un peu gênée.
- Oui enfin, ce n’est pas vraiment « mon copain » tu sais.
- Bah quoi ? Vous sortez pas ensemble ?
- Non. Et je trouve que tu es décidément bien indiscret !
- …
Il la fixait avec une telle insistance qu’elle finit par lâcher.
- On ne s'est jamais embrassés.
Elle passa sa main sur son cou. Elle avait assez chaud tout d’un coup et aurait juré que ses joues rougissaient violemment. Il la considéra avec une bienveillance légèrement condescendante.
- Ca va, Danette…
- Jack !
- Oups, pardon ! Dana !… Sortir, c’est pas s’embrasser, hein… J’suis pas un gamin.
Elle dissimula un sourire et arqua le sourcil.
- Ah bon ? Et c’est quoi, à dix ans, « sortir ensemble » ?
- Tu sais !
- Mmm ?
- Ben, c’est le faire, quoi !
Elle ne put retenir un rire.
- « le » ? Tu es moins précis tout d’un coup.
- Faire l’amour ! protesta Jack en rosissant et piqué au vif.

- Trop bon ! La finale de l’année et un cours « Vie affective et sexualité » niveau débutant : j’ai pas perdu ma journée !

Scully et Jack se retournèrent tous les deux vivement. Juste derrière eux une jeune femme avec d’immenses yeux verts les saluait en riant à gorge déployée. Elle souleva une casquette d’officier de marine posée de travers sur des cheveux très noirs – aussi noirs que sa peau était blanche – et leur adressa un petit geste d’excuse pour désamorcer tout embryon de conflit.
- Pardon, c’est très impoli d’écouter les conversations des autres. Continuez ! Je vous jure que je ne recommencerai pas.
Elle fit un clin d’œil à Jack et reprit un bel appareil photo, un réflexe de professionnel, pour coller son œil à l’objectif et viser quelques scènes de vie de stade sur les gradins.
Les deux Scully se dévisagèrent un instant interdits puis, haussant les épaules, ils reprirent leur position initiale face à l’immense pelouse.
- Dis-moi, Jack…
- Oui ?
- Tu ne m’avais pas dit qu’il y avait une certaine Jennifer avec qui tu sortais ?
- Ben si.
- Mais alors… vous… ?
- Ah non, mais pas nous ! s’exclama-t-il avec une mine dégoutée. Moi, c’est juste une copine, hein. On fait pas des trucs ensemble !
- Très bien ! approuva vigoureusement Scully. Vous êtes un peu jeunes pour « sortir » comme ça…
- Ben oui, y’a pas le feu au lac comme dit maman.
Dana sourit en reconnaissant le goût des expressions imagées de Laureen.
- Et bien tu vois, en fait Mulder et moi, c’est comme si on avait dix ans aussi…
Elle avait dit ça, l’air faussement ingénu. En réalité, ses yeux pétillaient en regardant les joueurs qui venaient juste de pénétrer sur le terrain. Tout autour, les spectateurs se relevaient et applaudissaient avec forces cris d’encouragement leurs équipes respectives.
Jack se tourna vers sa tante, la contempla avec affection quelques secondes et se pencha vers son oreille pour lui chuchoter.
- Ouais mais nous, on s’est embrassés !
Dana singea la surprise et lui répondit sur le même ton.
- Un bisou ?
- Un baiser ! (cette fois, c’était la précision de langage de Charlie qui venait déteindre sur son grand fils. Cela la fit sourire.)
- Pas avec la langue quand même ! murmura-t-elle affectant un haut le cœur.
- Nan, c’est trop crado ! gloussa Jack aux anges.
- Trop beurk ! conclut-elle avec une mine définitive alors que son jeune neveu se tordait de rire.

- Qu’est-ce qui est beurk ? s’enquit Mulder revenant les bras chargés de hot-dog et se penchant dangereusement vers les deux dissipés spectateurs pour les leur tendre.
Ils le fixèrent une seconde, puis se regardèrent à nouveau… et repartirent de plus belle dans leur fou-rire sous l’œil décontenancé de Mulder.
Reprenant son souffle après quelques instants, Jack saisit un pain avec un air gourmand.
- Merci… euh… comment je t’appelle au fait ?
- Mulder ! répondirent dans un bel ensemble les deux adultes ce qui leur arracha un sourire amusé.
- Super Mulder, si tu préfères, précisa l’agent du FBI.
- Non, mais c’est quoi ton prénom ? insista Jack en louchant devant la saucisse fumante et en s’apprêtant à croquer dedans à pleines dents.
- C’est secret.
- Fox ! lâcha Dana en couvrant la voix de son partenaire.
- Hey ! Traître !
- Foch’ ! répéta le jeune la bouche pleine. Ch’es ch’pécial…
- Ouais… Ouais, je sais. Regardez ! Ca va commencer ! s’écria Mulder tentant une grossière diversion.
- Ch’es ch’pécial mais cha te va bien ! conclut le garçon en administrant un coup d’épaule amical à son voisin.
Celui-ci baissa les yeux sur le gamin, le détailla quelques secondes avec incrédulité et sous le regard bienveillant de Scully, il consentit à étirer ses zygomatiques.
- N’empêche, ajouta-t-il en revenant au spectacle sur le terrain, appelle-moi Mulder ou prépare-toi à une vengeance au goût de ketchup !


***********


Dernière édition par noisette le Dim 19 Déc 2010 - 19:42, édité 1 fois

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Et Charles était là... (en cours) - Page 2 Empty Re: Et Charles était là... (en cours)

Message  noisette Lun 1 Nov 2010 - 16:26

***********


- Alors, c’est pas génial le football américain ? demanda Mulder en adressant un gigantesque clin d’œil à sa partenaire.
Jack, entièrement hypnotisé le match, se leva brusquement. On le sentait prêt à imploser et totalement surexcité.
- Ouais ! Davis vers la ligne de but !
Autour de lui, les corps se tendaient vers l’avant, concentrés comme un seul et unique bloc humain sur les dix yards qui restaient à parcourir au running back des Broncos de Denver.
Scully regarda Mulder avec malice.
- Personnellement, je préfère… le base-ball !
Terrell Davies franchit triomphalement la ligne de but des Packers de Greenbay et une gigantesque vague souleva le Qualcomm Stadium. Sautant comme un cabri sur son siège, Jack hurlait les mains levées avec la foule.
Mulder n’avait pas bougé. Scully non plus. Ils se fixaient, indifférents aux cris autour d’eux. La puissance électrique qui passait entre eux à ce moment était telle que, comme au seuil d’un orage, on frôlait le court-circuit. Elle sentit un frisson la parcourir sous l’intensité de l’examen de son ami. Un frisson comme une flamme qui ferait sauter tous les verrous et tous les circuits. Un frisson capable d’exploser tous les fusibles. Un frisson qui pouvait soudain la faire fondre, la mettre à nu sans la plus petite protection. A nu. A vif.
Le base-ball… Ce souvenir lui revenait en plein cœur. Il l’investissait en propriétaire, palpitant comme la caresse légère d’un souffle chaud sur sa nuque.
Comme la brûlure d’une main posée sur sa hanche.
Comme l’étreinte d’un corps plaqué contre son dos.
Comme ces bras larges qui se moulent jusqu’au moindre arrondi de ses bras à elles, et qui se meuvent en une danse d’une grâce parfaite…

Le stade entier était debout, hurlant sa joie pour les uns, son désespoir pour les autres… mais eux restaient là, assis, les yeux dans les yeux.
Les pieds se mirent à frapper le sol et une vibration profonde monta dans les gradins tandis qu’une autre remontait la colonne vertébrale de Scully. Elle sentit son cœur s’emballer et le sang affluer dans ses joues.
Et Mulder qui la fixait toujours…
Ses yeux verts auraient du se détourner depuis longtemps déjà… Parce que ce regard posé sur elle était si intime qu’il la bouleversait.
Fox n’y pouvait rien. Même si c’était une folie de la regarder ainsi, de livrer tels quels les remous de son esprit. Le sourire qu’elle avait eu en évoquant cette séance d’initiation, et ses yeux bleus, si bleus, si ouvertement troublés l’aspiraient vers elle comme l’œil d’un cyclone.
Il tendit sa main et, du bout de ses doigts, il caressa doucement le creux de sa paume. Mécaniquement, elle vint emmêler ses doigts à ceux de son partenaire…

C’était le dernier des lieux où se laisser ainsi glisser, le dernier des moments. Mais si l’abandon ne se commande pas, il ne se tient pas en cage non plus. L’animal est sauvage, imprévisible et se fout des regards obliques. Et là, Scully en faisait la déstabilisante expérience.
Elle était en train de perdre le contrôle, de s’abandonner à ces désirs profonds, à cet élan irrésistible hérissant le fin duvet sur sa peau.
Mulder l’ensorcelait. Voilà qu’elle s’absentait du monde pour ne plonger qu’en lui…
Leurs corps se tendirent l’un vers l’autre…

- On a gagné, Danette ! cria Jack en sautant au cou de Dana.

- Jack !
Mulder éclata de rire. Et toute la charge émotionnelle contenue dans ces dernières secondes se perdit dans le flot de son rire en cascade.
- Danette ? ! Il t’appelle Danette ? !
- Oups ! Mince ! J’ai ripé ! réalisa le garçon.
- Je crois que je vais mourir là tout de suite, râla Scully avec un air si pitoyable que les deux hommes s’esclaffèrent.

Il y eut un flash juste derrière eux et ils firent tous les trois volte-face dans un bel ensemble.
- Encore une, mais cette fois essayez de fermer vos bouches, vous allez gober les mouches !
La petite brune qui s’était immiscée dans la conversation deux heures plus tôt arma son appareil et déclencha un tir en rafale alors que Jack, jouant le jeu avec ravissement venait s’enrouler contre le dos de sa Danette… sans omettre toutefois de lui faire discrètement deux oreilles de lapin derrière la tête. Mulder souriait en regardant Scully… Elle dissimulait bien mal son bonheur de recevoir ainsi les démonstrations d’affection si spontanées de son neveu.

La jeune photographe suspendit son mouvement. Elle avait utilisé sa dernière prise et la pellicule se rembobinait. Elle eut un sourire entendu en s’approchant de Scully pendant que Jack et Mulder récupéraient leurs affaires en commentant avec animation la fin du match.
- J’aime le son du film qui se met en boite. Ca n’a rien à voir avec les appareils numériques. On dirait qu’il se prépare pour mieux nous surprendre.
Dana sourit. Elle voyait exactement ce que la jeune femme voulait dire. Elle aussi avait aimé ce bruit lorsqu’elle était un peu plus jeune et qu’elle avait le temps de s’émerveiller encore. Un temps qu’elle ne prenait plus assez à son goût…
Tout en parlant, l’autre venait d’ouvrir son appareil pour saisir délicatement la précieuse récolte.
- Tenez, dit-elle en la tendant à Scully. Vous m’avez inspiré. Je crois qu’elle vous revient.
- Mais c’est… enfin, je veux dire ce sont vos photos, vos souvenirs de cette finale ! Je ne veux pas vous priver de…
- C’est bon ! interrompit la jeune femme en riant gaiement. Ce qui compte ce n’est pas de marquer ce genre de moment, ce n’est pas l’image sur papier glacé. L’important, c’est ce qu’on y a fait, ce qu’on a vécu… et ce dont on se souviendra.
- Vous êtes sûre ?
- Moi, je me souviendrais de vous… Et de ce que j’ai vu de vous, ajouta-t-elle avec un sourire énigmatique en direction de Jack puis de Mulder à qui elle adressa un petit signe de la main.
- Merci, c’est…
- Ca va, ça va. Ce n’est qu’une pellicule, hein ! balaya-t-elle d’un air amusé. Oh, et au fait, les photos de boxe thaï du début, vous pouvez les jeter. J’en ai d’autres. Je dois y aller. Salut… et salut mec !
Elle checka dans la main de Jack et disparut parmi la foule.
- C’était qui ? interrogea Fox.
- Un courant d’air frais, répondit Scully pensive. Bon. On y va ?


***********


- Non ? ! C’est sérieux alors l’histoire du saut en parachute ? Christopher veut vraiment ça pour ses dix ans ? ! répéta Dana en frémissant.
- Bah oui ! Carrément.
- Génial, j’ai toujours rêvé de faire un saut en parachute, s’emballa Mulder.
Elle le regarda interloquée.
- Ah parce que tu t’invites en plus ? !
- Dana Scully qui s’envoie en l’air, je veux voir ça…
- Mulder !
Jack se tordit de rire sur la banquette arrière manquant de s’étouffer bruyamment.
- Tu ne veux pas te mettre en mode off juste deux secondes ? soupira Scully. Jack, ça va ?
Elle se retourna l’air inquiet devant le visage rougi de son neveu.
- Ca… ça va ! toussa-t-il.
- Ton père me tuera si je ne te ramène pas en entier. Et plus encore, si tu lui raconte les divagations de cet… - elle grimaça en jetant un coup d’œil vers Fox qui conduisait tout en ne perdant pas une miette de la discussion – cet ado attardé !
- Ca m’étonnerait, nota Jack en croisant les bras d’un air serein.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que dans le genre ado attardé, Papa se défend assez bien !
Cette fois, c’est Dana qui ne put retenir un rire.
- Alors Charlie est un ado attardé hors classe ! Catégorie « exceptionnel, à conserver précieusement » !
- Et Mulder, il est quelle catégorie ? demanda candidement le garçon en se penchant vers les passagers avant, le regard mutin.
Elle eut une petite hésitation. Arrêté au feu rouge, Fox la scrutait attentivement et haussa les sourcils avec un intérêt manifeste.
- Catégorie… « qui manque s’il n’est pas là » ? déclara-t-elle le sourire aux lèvres en soutenant le regard attentif de son partenaire.
Pour une fois, celui-ci parut à court de réplique. Alors il se contenta de venir serrer furtivement les doigts de sa voisine. Puis se reconcentra sur la route tandis que Jack se renfonçait dans son siège avec une mine satisfaite.

Quelques pâtés de maison plus loin, ils arrivèrent devant l’immeuble de Dana. Mulder se gara et descendit pour ouvrir à Jack et tenir la portière de Scully.
- Vous voilà à bon port !
- Tu restes, hein ? demanda le jeune sans arrière pensée.
Fox hésita une seconde en regardant Scully.
- Euh non.
- Tu peux monter prendre un dernier verre, si tu veux, lâcha Dana les joues un peu plus roses.
Il laissa passer deux longues secondes.
- Un café alors.
Et il lui sourit. Elle s’arrêta sur son visage avec bonheur quelques instants de trop. Au fond de lui, Jack ne put s’empêcher de noter le très joli teint de pêche et les yeux brillants de sa tante.


***********


Vingt minutes plus tard.

Elle vint s’agenouiller près du matelas. Il la regarda faire en souriant.
- Je sais que tu as dix ans maintenant… Mais est-ce que j’ai encore le droit… ?
Il l’interrompit en riant et passa ses bras autour du cou de sa tante.
- C’était super Danette, déclara-t-il simplement en l’embrassant. Merci !
- Ca m’a fait très plaisir à moi aussi tu sais, lui avoua-t-elle en égarant quelques secondes ses doigts dans les épis bruns.
Il s’écarta et plongea ses yeux en elle, soudain grave.
- Elle te manque ?
- Qui ? articula-t-elle d’une toute petite voix en sachant pertinemment de qui il parlait.
- Emily… Ma cousine, reprit-il d’une voix plus sourde.
Elle n’eut pas la force de répondre et caressa juste sa joue, le cœur soudain très lourd.
- Elle te manque, répéta Jack. Mais cette fois, c’était une affirmation.
- Oui. Mais elle est plus heureuse maintenant. C’est ça le plus important. C’est ton père qui t’a parlé d’elle, n’est-ce pas ? s’enquit-elle avec douceur.
- Papa et Mamie, précisa le garçon.
Dana tressaillit.
- Mamie aussi ?
- Ben oui. Pourquoi ?
- Je… je ne sais pas. Mamie et moi n’en avons pas beaucoup parlé.
- Ah… Pourtant, moi, elle m’en a parlé. Je crois qu’elle aurait voulu plus la connaître… Moi aussi, j’aurais voulu, ajouta-t-il un peu tristement.
- Et moi aussi, souffla Scully si bas qu’il ne l’entendit pas.
- L’autre jour, continua Jack sur sa lancée, elle en a discuté avec le père Mc Cue.
- Vraiment ?
- Il lui disait qu’elle avait de la chance d’être l’heureuse grand-mère de trois petits gars comme nous et Mamie a dit qu’elle avait aussi une petite fille et que c’était un ange… Après, on est allés poser des fleurs sur sa tombe.
- C’était vous…, murmura Scully les larmes aux yeux.
- Danette ? Ca va ?
- Ca va mon bonhomme. Ca va bien. Je suis heureuse.
- Tant mieux, se rasséréna-t-il en s’allongeant. Bonne nuit alors.
- Bonne nuit Jack.
Elle se leva lentement et se dirigea vers la porte du séjour. Elle posait la main sur la poignée lorsqu’il se redressa et l’apostropha d’un ton malicieux.
- Danette ? Si ça va pas, peut-être que Mulder y peut…
- Jack ! Bonne nuit ! insista-t-elle en détachant bien chaque syllabe.
Et elle referma la porte doucement derrière elle un large sourire aux lèvres.


***********


- Tu crois qu’il va se relever pour demander à boire, faire pipi ou te dire qu’il a peur du noir ?
- Je crois qu’il va s’endormir profondément en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
- Et on dirait que tu vas vite le suivre, nota Mulder avec une petite caresse tendre sur sa joue.
Elle riva son regard dans le sien.
- Je t’ai promis un café chaud.
- Ce n’est pas une obligation ! rigola-t-il.
- Ca me fait plaisir.
- Dans ce cas…
Ils se dirigèrent tous les deux vers la table. Elle sortit deux tasses et prépara en silence le café. Le liquide brun se mit à s’écouler en prenant tout son temps dans le creux de la cafetière. Fox observait sa partenaire, appréciant ses gestes précis, la paix sur son visage et l’abandon que la fatigue avait laissé s’installer sur ses traits fins. Elle sentit les yeux posés sur elle et se tourna vers lui pour croiser son regard. Il était si doux ce regard vert, attentif et délicat.
Un slow. Elle eut soudain envie de danser dans ses bras et l’idée vint illuminer son visage. Il lui sourit à son tour.
- Dana Scully, vous avez une idée en tête.
Elle acquiesça lentement et s’éloigna quelques instants. Il l’entendit glisser un CD dans son lecteur, et se tourna à moitié vers elle, curieux de savoir ce qu’elle tramait.
Quelques violons s’élevèrent dans la pièce, suivie d’un cœur de voix d’hommes. Puis c’est la voix brûlante de Ray Charles qui vint emplir l’appartement.
- « Georgia on my mind» ? reconnut Mulder avec un sourire appréciateur.
Elle ne répondit pas et s’avança vers lui, toujours calé sur sa chaise. Elle lui tendit la main comme une invite.
- Moi ? protesta Mulder dans un petit rire.
- Non, l’entité invisible qui est assis précisément là où tu es, taquina-t-elle.
Il prit la main tendue et se redressa.
- C’est qu’on commence à prendre des habitudes tous les deux !
Il glissa ses doigts autour de la taille de Scully et la ramena contre lui. Puis de son autre main, il attrapa les doigts de son amie et les yeux dans les yeux, il l’attira encore un peu plus contre lui.
- Danse avec moi, Da-nette !
Elle tenta de le fusiller avec ses yeux mais elle peinait à se rendre crédible.
- Continue et je dégaine le Fox, menaça-t-elle d’une voix basse et terriblement capiteuse bien malgré elle.
Il la regarda bien en face.
- Même pas peur !
- Vraiment ? … Fox ? murmura-t-elle à son oreille en retenant un rire.
- Bon Ok, je rends les armes. Arrête, par pitié. Ca me fait des trucs dans le cou !
- Alors, tais-toi et fais moi danser. S’il te plaît.
- Avec plaisir, convint-il en resserrant imperceptiblement son étreinte.
Ils se laissèrent emporter par le rythme langoureux et ensorcelant.
Dans sa chambre, Jack eut un sourire réjoui.




***********


- Rentre bien. Et… merci.
Elle lui tenait la porte. Il se tourna vers elle.
- Tout le plaisir était pour moi. A lundi, Scully.
Il se pencha vers elle et déposa un petit baiser sur sa joue. Avec un clin d’œil, il ajouta.
- Tu apprécieras j’espère que je ne le fasse pas avec la langue !
Elle le dévisagea interloquée.
- Il paraît que c’est beurk, termina-t-il avec un large sourire.
Avant qu’elle ait pu reprendre ses esprits, il s’était éclipsé.
Elle referma derrière lui et se laissa aller contre la porte avec la sensation délicieuse de chatouillis dans le ventre.
Mulder…


***********


Maison de Charles et Laureen Scully. Le lendemain.

- Alors ? Raconte ?
- C’était mortel ! Faut que je raconte à Chris’ ! s’écria Jack en jetant son blouson sur la patère au risque de la renverser dans l’élan.
Et il s’élança dans l’escalier.
- Bonjour Papa, bonjour Maman ! reprit Laureen d’une voix forte en levant les yeux au ciel.
- B’jour P’pa ! B’jour M’man !
La voix du garçon se perdit au fond de leur couloir. Laureen et Charlie se regardèrent en souriant.
- Il a pas l’air trop malheureux dans l’ensemble !
- Dans l’ensemble, non ! convint Charles en riant. Mais ce jeune homme a un rapport à me faire et j’entends bien y avoir droit !
- Tu n’as pas honte d’envoyer ton fils espionner ainsi Dana ?
- Je sais : ce n’est pas bien. Mais je suis curieux et je trouve ma sœur bien trop avare en informations croustillantes !
- Oh parce que toi, tu lui en donne des informations croustillantes ? !
- Ben… non !
- Egalité donc !
- Oui, mais moi, j’ai un atout dans ma manche, susurra Charles à l’oreille de sa femme. Jaaack ! cria-t-il en s’élançant à son tour dans l’escalier.


***********


- Alors ? Parle-moi un peu de lui !
- Il est super cool !
- Tant mieux !
- Il est grand, brun…
- Oui, ça je sais. Dana m’a montré une photo. Mais, enfin… comment il est avec elle ?
- Il adore la faire tourner en bourrique. Il la touche pas mal.
- Comment ça il la touche ? releva Charlie surpris.
- Ben, il passe sa main dans son dos, il prend ses doigts un petit peu…
- Voyez-vous ça… murmura Charles avec un sourire.
- Il la fait rire !
- Il la fait rire ?
- A mort ! Et je suis sûr qu’elle adore !
- Ca, mon gars, tu verras vite qu’avec les filles, quand on les fait rire, c’est à moitié gagné !
- Et pour l’autre moitié ? demanda Jack soudain beaucoup plus sérieux.
Son père le dévisagea avec tendresse.
- La deuxième moitié, c’est… un peu plus compliqué. Il faut… savoir faire briller leurs yeux.
- Savoir faire briller leurs yeux, répéta le jeune d’un air pensif.
Puis il eut un sourire éclatant.
- Alors tu veux que je te dise Papa ?
- Oui ?
- Mulder…
- …
- Il a gagné ! Et pas qu’un peu !


***********


Quelques jours plus tard…

Elle laissa tomber sa veste sur la chaise, mit un peu d’eau à chauffer et s’assit devant la pochette de photos développées. Elle ne l’avait pas encore ouvert.
Elle inspira un coup et défit l’attache de protection. Puis, elle prit avec précaution la pile de clichés dans ses mains.
Sur le dessus, il y avait une photo magnifique. Le vent balayait une cote escarpée. Une silhouette était tournée vers la mer, mais son visage en partie dissimulé par de longs cheveux noirs virevoltant devant ses yeux semblait sourire au photographe. Dana crut reconnaître la jeune femme du stade même si elle avait les cheveux un peu plus court. Si c’était elle, qui prenait la photo ?
Puis comme elle le lui avait annoncé, suivait une dizaine de tirages de combat de boxe thaï. Les photos avaient été prises en extérieur en plein soleil et la photographe avait parfaitement su capter les mouvements précis, tout en puissance, des combattants. Scully sourit. La qualité de ce travail faisait naître des espoirs nouveaux de souvenirs sur papier glacé de cette superbe après-midi du SuperBowl. Avec un peu plus de fébrilité, elle passa à l’image suivante.
C’était Jack. Rayonnant comme un prince !
Si jamais elle avait douté qu’il ait passé un merveilleux moment, cela levait toutes ses craintes.
Il y eut d’autres vues du stade, des portraits, des ambiances prises sur le vif et à jamais marquées.
Puis, elle arriva devant une série de trois photos.
Sur la première, on apercevait sur les côtés que tout le monde était debout, apparemment en proie à une liesse incroyable, et au milieu, elle était là… assise… face à Mulder… assis aussi.
Scully sentit soudain son cœur s’accélérer. Elle passa à la suivante. La scène était presque la même mais là, quelque chose avait changé. Les mains moites, elle fixa leurs visages et se posa, le souffle court, sur leurs yeux… Ces regards ! Ils étaient… si… intenses !
Tout lui revint. Ce moment où elle s’était sentie partir, tomber au plus profond de ces yeux clairs. Ce moment où leurs mains s’étaient…
Elle avança encore.
Sur la troisième et dernière photographie, il y avait leurs mains entremêlées et leurs deux corps se penchaient l’un vers l’autre…

La théière se mit à siffler. Elle sursauta. Avec une expression bouleversée, elle jeta les photos au milieu de la table de la cuisine et se releva prestement pour arrêter le gaz.
Elle resta ainsi de longues secondes, le cœur battant, à tourner le dos aux clichés.

La preuve…
Celle qu’elle ne voulait pas voir.
Celle qu’elle n’était pas prête à voir.
Elle finit par se rapprocher. Elle prit les photos – elles étaient encore une fois magnifiques - les contempla une dernière fois puis elle les emmena dans sa chambre. Elle les glissa délicatement dans une feuille pliée en deux, ouvrit le tiroir de sa table de chevet, souleva la bible et les quelques papiers qui s’y trouvaient et déposa tout au fond les témoignages éclatants de ce que Mulder et elle éprouvaient l’un pour l’autre. Elle les recouvrit de ses petites affaires et referma doucement le tiroir.

Elle revint dans la cuisine. Dans la pile de tirages, il y en avait un où ils étaient tous les trois.
Jack souriait de toutes ses dents face à l’objectif tout en enlaçant sa tante par derrière. Scully réalisa avec un hoquet amusé que le garnement en avait profité pour lui faire des oreilles de lapin mine de rien. Mulder assistait au spectacle en riant aux éclats.
Quant à elle, elle croisait le regard de son partenaire.
Radieuse. Heureuse.
Mais à son grand soulagement, ce petit quelque chose qui l’avait mise si mal à l’aise tout à l’heure n’apparaissait pas.
Elle prit le cliché et l’installa sur son réfrigérateur avec le magnet « You are the best » que Charlie lui avait offert à son dernier anniversaire.
Voilà.
Maintenant, chaque chose était à sa place.


Dernière édition par noisette le Ven 24 Déc 2010 - 12:48, édité 1 fois

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Message  noisette Lun 13 Déc 2010 - 22:32

CH 12. Orison




Janvier 2000.



« Maintenant, sois gentille. Je ne veux pas d’embrouille. »

Retire tes sales pattes de moi, salopard !
Son souffle fétide me brûle la peau. C’est un acide qui me remonte à la gorge jusqu’à la nausée. Je voudrais le vomir ! Je ne peux plus le sentir sans crever de peur et surtout de haine. Je hais comme jamais je n’ai haï.
Pfaster !
Il a cette façon de parler… Ils ont tous la même… Ceux qui vous tuent !
Calmes. Froids. Impassibles. Insensibles… Insensibles à hurler ! Ce n’est pas humain, ce n’est même pas animal.
C’est le diable !
Il referme la porte de ma penderie sur moi et me laisse transie d’horreur dans le noir. Je vois ce qui va se passer aussi surement que si je le lisais dans un livre. Je ne suis rien pour lui. Ma vie est son jouet. Il va me l’arracher comme une charogne. Mais il m’arrachera d’abord jusqu’à la dernière parcelle de mon âme, la plus petite fragrance de mon humanité. Parce que ce parfum de vie, il l’exècre !
La véritable odeur, de plaisir ou de peur, le révulse.
Un produit chimique, le carbone d’une bougie, et du sang… Du sang et des morceaux d’êtres… voilà ce qu’il recherche chez une femme !
J’ai envie de hurler. Je viens de réaliser...
C’est la mort qu’il aime en moi !

Soudain le téléphone résonne et transperce les ténèbres. Je me tends toute entière vers l’espoir, la vie. Ne le laissez pas me détruire, m’écraser ! Ne le laissez pas faire de moi sa chose !
Je ne veux pas être le prochain cadavre, Seigneur ! Je vous en prie !

Le silence retombe. Il me glace. Ce silence, c’est le couperet d’une guillotine : il me condamne. Et lorsque les notes de « Don’t look any further » s’élèvent et emplissent mon appartement, je sais que je suis perdue.
Il clouera mes ailes, brisera ma gorge, disloquera mes doigts et broiera mon dos.
Il cassera mes poignets, déchirera ma chair et souillera mon ventre.
Il raflera toute espérance et fauchera ma vieillesse comme il a fauché l’enfance…
Le mal est dans la pièce d’à côté. Celui là même que j’avais cru tenir à distance. Celui que je croyais pouvoir repousser.
Il est là.
Et il a décidé d’achever enfin son travail…

NON !
Je refuse ! Mon corps entier refuse ! Mon sang gonfle les muscles de mes jambes et de mes bras. Que je puisse courir. Que je puisse frapper ! Et défendre mon existence !
Je veux vivre ! Je dois vivre ! Je vais vivre !
Toute autre option est inacceptable !

Mes pieds et mes poings sont liés. Le foulard dans ma bouche m’empêche de respirer correctement mais peu importe. Je suis en mode survie. Sous la porte, je distingue mon révolver par terre au milieu des débris. A force de contorsions, je parviens à me redresser. Je retiens un gémissement. Je viens d’enfoncer un peu plus profondément un éclat de verre qui s’était fiché derrière mes reins. Je m’en fous. Maintenant ça n’a plus aucune importance.
Je me déboite presque les épaules mais je réussis à forcer la poignée et à sortir en essayant de faire le moins de bruit possible. J’entends l’eau du bain qui couvre presque cette rengaine insupportable. Tout à coup, le jet s’arrête.
Des pas se rapprochent. Je me jette par terre et je roule sous le lit.
Il traverse la chambre sans me voir. Seule l’installation de la scène de crime l’intéresse. Je n’ai que quelques secondes devant moi avant qu’il ne me retrouve. Je me tords et malmène à nouveau mes épaules pour tenter de faire passer mes poings sous mes fesses. J’ai l’impression de me briser les os, mais je n’ai pas le choix. Je me mords la lèvre pour réprimer un cri de douleur. Les brisures du miroir viennent râper ma peau au travers de mon pyjama.
Quelqu’un frappe à la porte !
Vite ! Accélérer !
J’arrive enfin à passer mes mains devant. Je saisis un débris de glace acéré comme un couteau et je défais rapidement mes liens.
J’entends des voix en sourdine, comme si j’étais immergée sous l’eau. Je ne pense plus qu’à mon arme. Je me jette sur elle et je me relève en la pointant devant moi. Les poumons noyés dans le feu, j’avance.
Je devine son souffle lourd à quelques mètres de moi seulement. Je sais que dans le séjour, il est là, il m’attend. Il veut ma vie.
Non.
Il veut ma mort, en fait.
Je ne pense plus à rien lorsque je passe le pas de la porte.

Je le vois maintenant. Les veines me battent la tempe, prêtes à exploser dans une gerbe écarlate. Une partie de mon esprit note aussi que Mulder est là, derrière, et qu’il braque Pfaster.
Mais Pfaster me regarde. Ses yeux ne tremblent pas. Son visage soudain se métamorphose et un démon me fait face. Un rictus s’étire sur ses traits noirs, monstrueux, inhumains. Il me montre ses dents. Je suis toujours sa proie. Il ne me lâchera pas. Jamais.
Le mal tout puissant me tient en joue. Ce n’est pas un combat loyal. Les forces qui tournent autour de lui et de moi rongent déjà ma peau comme un acide. J’ai peur. Je ne suis qu’une femme qui a la folie de penser qu’elle peut se dresser devant ces ténèbres immenses qui engloutissent les innocents depuis la nuit des temps. Des ténèbres aussi terrifiants que Cronos dévorant inlassablement ses enfants à peine sortis du ventre de leur mère.
Je ne serai jamais libre tant que je vivrai. Son ombre me suivra, ses griffes se resserreront sur mon cou. Un jour, il me tuera… si ce n’est déjà fait.
Quelque chose grésille soudain, déchirant le silence hurlant. Je lève mon revolver. Le cran de sûreté est levé.
Il me défie toujours et glisse soudain sa langue pointue sur ses lèvres rouges sang.
Je tressaille. J’appuie sur la détente.
Une fois.
Les ampoules du couloir éclatent en mille étincelles.
Deux fois.
Il tombe.
Et je me désagrège.
Mon corps se liquéfie. Il n’est plus qu’un tsunami salé dévastant tout sur son passage et rasant la terre qui me portait.
Je viens de tuer.
Je suis ravagée.
A l’intérieur.
Car, sur mon visage, je ne suis même plus capable de pleurer…



Dernière édition par noisette le Dim 19 Déc 2010 - 19:43, édité 1 fois

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Message  noisette Dim 19 Déc 2010 - 14:41

- Qu’est-ce qui m’a possédé ? Qui était à l’œuvre en moi ?
- Tu veux dire… Et si c’était Dieu ?
Elle se tourna vers lui et malgré toute la force qui émanait d’elle, il lut la détresse dans son regard.
- Je veux dire, souffla-t-elle, … et si ça n’était pas lui ?

Il ne savait pas quoi répondre. Et à vrai dire, de son côté, elle ne paraissait pas attendre une quelconque absolution de sa part. Elle lui tendit finalement sa bible, comme si le livre l’indisposait. Elle se leva, alla prendre un sac de voyage et y jeta rapidement quelques affaires. Elle saisit quelque chose de sombre et s’enferma dans la salle de bain sans autre commentaire.
Mulder soupira. Scully l’avait planté l’ouvrage sacré à la main au milieu de la chambre. Enfin la chambre… Le champ de bataille. Le terme convenait davantage, se dit-il en notant avec répulsion les marques de sang sur le sol.
Celui de Pfaster.
Celui de Scully aussi.
Il contempla la porte qui lui dissimulait sa partenaire.
Une combattante. Une survivante aussi. Voilà ce qu’il avait découvert dans les yeux gris de Dana. Elle avait mené sa guerre. Et elle était encore là, droite, digne… Assez digne pour s’en vouloir d’avoir appuyé sur une gâchette.
- Scully ? appela-t-il au travers du bois. La bible, je la mets dans ton sac ?
Elle eut une infime hésitation.
- Pas aujourd’hui, répondit-elle finalement. Tu peux la ranger dans ma table de nuit.
Il se dirigea vers le meuble en prenant garde de ne pas marcher sur une aiguille de verre et ouvrit le tiroir. Il y avait une feuille blanche au fond d’où dépassaient des clichés. C’est le coin aux couleurs vertes et or familières qui attira son attention. Les couleurs des Broncos de Denver. Il sourit en lui-même.
Près de deux ans s’étaient écoulés depuis cette fameuse sortie au stade. Deux ans pendant lesquels beaucoup de choses avaient changé.
Il y avait eu le saut en parachute pour l’anniversaire de Christopher quelques mois plus tôt. Et puis, à deux reprises, Mulder avait partagé un week-end entre Scully et ses neveux, appréciant, avec un certain trouble, le plaisir que lui procuraient ces journées qui ressemblaient étrangement à ce qu’on appelle une vie de famille.
Enfin, au printemps dernier, il se rappelait avec une boule au ventre ces semaines qui avaient bouleversé sa vision de la vie… où il s’était surpris à espérer encore autre chose de l’existence. Bien malgré lui.
C’était pour elle qu’il avait accepté. Au départ.
Mais les événements n’avaient pas pris la tournure attendue…
Malheureusement.

Il tendit la main vers les photos avec un pincement au cœur. Après tout, ce souvenir de Superbowl lui appartenait aussi un peu.
Il souleva le papier blanc et se figea devant l’image qui s’offrait à lui. Elle et lui… si… proches ! Tendus l’un vers l’autre… sur le point de…
Il frémit ! On aurait juré qu’ils allaient s’embrasser !

La poignée de la porte de la salle de bain grinça. Précipitamment, il glissa les clichés et la bible dans le tiroir et le referma vivement avec un inexplicable sentiment de culpabilité. Il se recomposa un visage neutre et fit volte-face.
Elle était déjà tout près de lui. Devant l’attitude de son partenaire, elle eut un regard soupçonneux vers la table de nuit, puis parut chasser une idée de sa tête.
- Tu veux bien emmener ça chez toi ? demanda-t-elle doucement en lui confiant son bagage.
Il réalisa soudain qu’elle était en tenue de jogging. Les yeux écarquillés, il l’examina avec stupéfaction.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- J’ai besoin de prendre l’air.
- Seule ? ! s’exclama-t-il.
C’était bien la dernière des choses à laquelle il s’attendait. Et ça ne lui plaisait pas du tout. Elle balaya sa remarque avec un sourire indéchiffrable et se rembrunit aussitôt.
- Je n’ai pas peur, Mulder… En tous cas, ajouta-t-elle très bas, pas des autres…
Elle lui tourna le dos et s’échappa vers le séjour.
Il regarda sa silhouette s’éloigner avec trop d’empressement pour être simplement innocente. Il la regarda et la vérité s’imposa à lui avec une absolue certitude : elle fuyait.


***********


Il s’était mis à pleuvoir de cette pluie fine et glaçante comme seuls les mois d’hiver en déversent.
Il déposa rapidement le sac dans son coffre et la suivit à une vingtaine de mètres. Il ne voulait pas être trop près : il ne fallait pas qu’elle se sente menacée par quoi que ce soit. Elle lui en voudrait probablement si elle savait qu’il courrait derrière elle, mais l’idée de la laisser seule dans les rues noires de Georgetown après ce qui s’était passé était insupportable. Il s’inquiétait pour elle. Elle paraissait trop calme. Trop maîtresse d’elle.
Scully avait commencé par remonter le col de son sweat et enfoncer un bonnet de laine bleu sur sa tête tout en marchant. Il avait observé de loin sa démarche. Vive d’abord, déterminée puis soudain, elle s’était ralentie, titubant presque comme si des pensées dérangeantes l’assaillaient et l’empêchaient d’avancer droit.
C’est là que tout d’un coup elle s’était mise à courir.
A petites foulées hésitantes d’abord puis très vite, elle avait accéléré l’allure et maintenant sa course n’avait plus rien de celle d’une joggueuse du dimanche. C’était une fuite en avant, une ruée paniquée toujours plus loin, toujours plus vite.
Elle courait comme si la mort elle-même était à ses trousses. Même Mulder, qui s’entraînait pourtant deux fois par semaine peinait à la suivre. Mais la peur dans son ventre lui donnait des ailes et il n’était pas question de lâcher ses semelles. Jamais. Dusse-t-il s’arracher les poumons pour cela.
La pluie se mua en une neige légère.

Dana sentit les flocons mouiller ses yeux. Ils étaient lourds et blancs et vinrent gifler ses joues déjà rouges. L’air froid fouettait son visage, piquait ses paupières et sifflait à ses oreilles. Mais elle ne ralentit pas et intensifia encore sa cadence. Elle filait droit vers le Potomac et bifurqua vers les sentiers du Chesapeake and Ohio Canal. Manquant à chaque élan de glisser sur la terre gelée, elle suivit le canal. Dans la nuit, il brillait de noir reflétant les faibles éclairages du chemin. A cette heure il n’y avait plus de coureurs. Seules la nuit orangée aux lumières de la ville et la rumeur de M Street juste au dessus permettait encore de penser que la civilisation était proche.
Sa vue se brouilla. La neige comme des milliers de minuscules fléchettes empoisonnées bombardait ses yeux. Plutôt que de ralentir alors que tout se mélangeait dans un voile sombre déchiré de flashs de toutes les couleurs, elle se jeta plus encore dans cette course aveugle fleuretant avec les bords du vieux canal. Son inconscience frisait la folie. Un seul dérapage l’enverrait directement dans le piège glacé. Un précipice mortel qui charriait encore un siècle de victimes.
Quelque chose glissa sur la peau de son visage. L’hiver figea les larmes trop longtemps retenues. Elle ouvrit la bouche tentant de trouver l’oxygène pour gonfler sa poitrine et lorsqu’elle le sentit déferler en elle, elle ne put retenir un long cri animal qui se perdit dans les bourrasques.
Fox se mit à son tour à crier son nom. Il ne pouvait pas la laisser ainsi hurler sa douleur mais le vent emportait sa voix vers l’arrière et il eut beau forcer, il ne parvint pas à rattraper sa partenaire.
Au bout de plusieurs minutes interminables, elle parut se calmer et ralentit légèrement son rythme. Elle quitta les sentiers déserts près de l’eau et retrouva les ruelles du quartier. Elle courut encore quelques minutes et s’arrêta soudain devant une vieille enseigne de bar. Elle représentait un bateau de pêcheurs se dessinant sur un grand trèfle vert.
Mulder la vit pousser la porte. Il s’avança, prêt à y entrer à son tour pour avoir une discussion sérieuse avec elle. Mais au travers des vitres fatiguées et poussiéreuses, il découvrit avec surprise une pièce à la lumière chaude. Peu de personnes. Une jeune femme brune un violon à la main paraissait jouer quelque vieil air irlandais. Et il découvrit surtout Scully. Sa Scully.
Elle était restée immobile à l’entrée comme frappée de stupeur. Elle fixait la violoniste. Le serveur venait de passer de l’autre côté du bar et s’approchait d’elle en souriant. Il lui parlait comme s’ils se connaissaient, nota Fox avec un pincement au cœur. Dana semblait hébétée et le serveur, un colosse roux, parut se rendre compte de son état. Il la prit dans ses bras immenses et la conduisit sur un tabouret près du bar. Il la laissa quelques secondes puis revint avec un plaid usé et élimé et l’entoura dedans. Il essuya le visage trempé et rose de frais de Scully avec son torchon de travail, ce qui parut réveiller sa collègue. Ses épaules se secouèrent. Il avait réussi à la faire rire apparemment. Transi de froid, Fox ressentit un fugace éclair de jalousie, il se sentait de trop maintenant. Il recula et s’abrita sous un porche en face du bar. Il allait attendre qu’elle veuille bien sortir.
Il serait bien temps de s’expliquer ensuite.

- Bois, murmura doucement Sean en posant devant elle, un verre de whisky. Ca te fera du bien.
Elle ne répondit rien d’abord puis entourant le verre de ses mains, elle souffla.
- Sean ?
- Dana ?
- Il est un peu tard. Tu crois que Charlie… ?
- Ton frère viendra quelle que soit l’heure. Et il me tuera si je ne l’appelle pas pour lui dire que tu es chez moi, dans un sale état et que tu as besoin de lui…
Elle eut un petit sourire.
- Je ne veux pas qu’il s’inquiète.
- L’inverse m’aurait étonné, sourit l’irlandais en posant une large main sur les doigts frêles et blessés de sa « cliente ».
Il se rembrunit en réalisant que sa chair fragile portait coupures et griffures un peu partout. Il se redressa.
- Je lui téléphone et je lui dis juste que tu voudrais le voir. Maintenant. Ca te va ?
- Ca me va. Merci Sean.
Il prit sa tête entre ses mains et déposa un délicat baiser sur son front.
- Je t’ai toujours dit que tu étais ma reine et que je suis ton homme… Erin…

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Message  noisette Jeu 23 Déc 2010 - 23:12

***********


Charlie poussa la porte du bar. Il aperçut d’abord Sean qui servait deux jeunes femmes. L’irlandais lui adressa un salut discret et lui désigna d’un signe de tête le comptoir un peu plus loin. Dana y était assise, jouant avec des glaçons au fond d’un verre vide et perdue dans ses pensées.
Il s’approcha par derrière.
- Dana ?
Elle se tourna vivement vers lui et il eut un infime mouvement de recul. Son visage était marqué : elle avait des hématomes sur le cou et sur la joue gauche, et les restes d’une infime croûte de sang sous les narines. Ses lèvres étaient abîmées.
Mais ce qui avait fait frémir Charles ne venait pas de là : balayant tout le reste, il y avait ses yeux. Noirs. Noirs comme la mort qui revient vous hanter.
Et noir voilé, noir endeuillé…

Il ne dit rien. Il l’enlaça juste très doucement.
En silence, sans pleurs, sans tremblements, elle enroula ses bras tout autour de ses hanches et posa sa tête contre son épaule chaude. Ils restèrent ainsi quelques très longues secondes. Puis elle s’écarta.
Une minuscule faille claire s’ouvrait dans son iris. Elle eut un mince sourire un peu forcé.
Il s’assit près d’elle et attrapa sa main. A son tour, il constata sa peau maltraitée, écorchée, contusionnée… Il ferma les yeux pendant un instant dérisoire. Il aurait tant voulu être un guérisseur et savoir brûler les douleurs en les extirpant des corps meurtris. Puis il les rouvrit et la regarda avec tout le calme dont il était capable à cet instant.
- Dis-moi Dana. Dis-moi tout.
Elle prit une longue inspiration, et se lança.
- Je l’ai tué, Charlie.
Il écrasa plus fort sa main. Elle grimaça. Et il desserra aussitôt son étreinte.
- Cette fois je l’ai tué, répéta-t-elle plus bas.
Cette fois…
Un étau vint broyer ses poumons. Il répéta faiblement.
- Cette fois… ? Tu parles de… ?
Sa voix mourut avant de pouvoir terminer. Elle leva les yeux vers lui, sans comprendre. Puis, son regard se voila et elle parut hésiter.
- Non… Non, je ne parle pas de…
Elle laissa sa phrase inachevée, soupira et reprit.
- Pfaster. Donnie Pfaster. Celui qui m’avait agressée il y a cinq ans.
- Le fétichiste ?
- Il s’est évadé et il m’attendait ce soir chez moi.
Charles eut soudain très froid. Presque sans s’en rendre compte, il leva la main en l’air.
- Sean, un whisky, s’il te plaît.
- Charles, souffla sa sœur en posant une main protectrice sur son genou. Tu n’as peut-être pas besoin de ça… Je vais bien… dans l’ensemble…
- Tout est dans ce « dans l’ensemble » n’est-ce pas ?
Elle sourit légèrement.
- Je ne voudrais pas être celle qui te fera replonger…
- OK, OK.
Sean attendait patiemment à côté.
- Un café, peut-être ? suggéra-t-il avec bienveillance.
- Va pour le café, consentit Charlie.
- J’en veux bien un aussi, s’il te plaît, renchérit Dana.
- Je vous apporte ça…, approuva le serveur en s’éloignant discrètement.
- Bien. Je veux savoir ce qui s’est passé, frangine…
- J’aimerai aussi, murmura Scully pour elle-même.
- Mmm ?
- J’ai… essayé de me défendre. Je me suis battue… Un moment, j’ai cru que je lui échapperais…
- …
- …
- Mais ?
- Il m’a rattrapée. Il a attaché mes poignets et mes chevilles, il m’a bâillonnée et il m’a enfermée dans la penderie le temps de… faire couler un bain.
Elle parlait sur un ton presque mécanique, les yeux dans le vide. Probablement en train de revivre ces minutes effroyables, pensa son frère la gorge sèche.
- J’ai réussi à sortir et à dégager mes liens. J’ai récupéré mon arme qui traînait encore par terre et…
Elle s’interrompit. Il s’alarma de la voir soudain si loin.
- Dana…
- Je l’ai tué, lâcha-t-elle d’un air fermé.
Il se tut longuement, examinant le visage brusquement opaque de Scully.
- Tu ne me dis pas tout…
- Non.
- Comment… ?
- Je l’ai tué de sang froid, Charlie. Elle regardait maintenant ses mains avec obstination. Mulder le tenait en joue. Ce n’était pas nécessaire de… enfin, tu vois…
Les lèvres de Dana se mirent à trembler. Elle s’obligea à inspirer profondément.
- Mais il te menaçait, non ? reprit son frère.
- … Non. Pas… physiquement.
- Tu veux dire qu’il te menaçait autrement ?
- …
- …
- Charles, je jure sur tous les saints que le regard de cet homme était le regard du mal personnifié.
- Je te crois Dana.
- Je le connais ce regard, poursuivit-elle en murmurant. Trop.
Charles avala péniblement sa salive.
- Grâce à toi, il ne nuira plus jamais.
- Qui ? ricana-t-elle soudain avec un rictus écœuré qui le laissa désemparé. Pfaster ? Ou le diable ?
Elle claqua avec colère son verre contre le comptoir. Il laissa traîner ses yeux un bref instant vers les dernières gouttes sombres qui en coloraient le fond. Puis il revint à elle.
- De quoi t’accuses-tu au juste ? D’avoir rayé de la carte un assassin ? !
- Je m’accuse… d’être une meurtrière, Charles ! Je m’accuse d’avoir brisé une vie sans avoir eu l’excuse de la légitime défense. Je m’accuse d’avoir fait exactement l’inverse de ce à quoi je crois depuis toujours !
- Tu lui as laissé la vie une première fois, Dana ! gronda Charles. Et tu as vu le résultat !
- J’ai eu raison de ne pas demander la peine de mort il y a cinq ans ! C’est aujourd’hui que je me suis fourvoyée ! J’ai commis une faute monumentale… Impardonnable !
- Tu n’as pas le droit de dire à Dieu ce qu’il peut pardonner !
- …
- Dieu est le seul juge. C’est bien ce que dit ton prénom, n’est-ce pas ?
- Il paraît, oui…
Elle se raccrochait maintenant à lui avec un regard éprouvé.
- Crois-tu qu’Il peut me pardonner ?
- Il a tué ? attaqua Charlie. Pfaster, je veux dire…
Elle le dévisagea interloquée.
- Je t’en ai déjà parlé…
- Non ! Je veux dire… pour s’évader ? Après son évasion… il a tué ?
Elle ouvrit la bouche pour protester et finalement, elle ravala sa remarque. Le trouble revenait. Il regretta aussitôt.
- Excuse-moi. Je ne veux pas -…
- Tu penses que j’en suis responsable ? murmura-t-elle atterrée en détachant avec consternation chaque syllabe.
- Non ! se défendit-il vivement. Non, certainement pas ! Mais… il aurait continué n’est-ce pas ? Si c’était le mal fait homme ? Il fallait l’arrêter Dana. Tu t’es seulement protégée…
Il marqua un temps et son front s’assombrit d’un coup.
- Dieu aurait du te protéger, en fait, siffla-t-il avec une brusque bouffée de rage. Et je veux bien lui faire face s’il ose te condamner pour ce que tu as fais !
Elle baissa les yeux.
- Tu ne comprends pas. Il est toujours là…
- …
- Je crois que les ténèbres ont gagné. Et que moi, j’y ai perdu mon âme !
- Ce n’est pas vrai ! assena Charlie en se levant pour l’étreindre dans le dos. Je ne peux pas te laisser penser ça. Ecoute-moi bien… Si tu avais perdu, Dieu aurait perdu aussi. Et si Dieu avait perdu, tu ne serais pas là à te confier à moi et je ne serais pas là à te souffler que tu as fait ce qu’il fallait parce que sinon je ne pourrais peut-être plus te prendre dans mes bras.
- …
- Je veux pouvoir te prendre dans mes bras jusqu’à ce que nous soyons deux petits vieux qui pourront se dire que la vie ne leur a pas fait de cadeau, mais qu’elle leur a au moins fait celui de rester ensemble.
Elle s’écarta, un peu apaisée.
- Toi, tu es mon frère ! lui chuchota-t-elle avec quelque chose comme de la fierté dans sa voix. Merci…
- De rien, frangine.

Sean déposa deux cafés brûlants en face d’eux. Charlie se rassit en silence. L’irlandais parut hésiter une seconde.
- Dana, tu m’autorises une remarque ?
Cela pouvait surprendre mais de vrais liens s’étaient crées entre le médecin du FBI et le colosse aux cheveux rouges. Il y avait un profond respect entre eux. Peut-être parce qu’ils savaient l’un et l’autre ce que c’était que de se trouver face au mal.
Le frère et la sœur se tournèrent tous les deux vers lui.
- Moi aussi, j’ai déjà tué. Je t’en ai parlé…
- Je me souviens Sean, mais la situation était différente pour toi…
- Tu te trompes !
- C’était la guerre !
- Et après ? Tuer, c’est tuer… Mais, crois-en mon expérience, ce n’est pas en tuant qu’on perd son âme… C’est quand on cesse d’en porter le poids.
- …
- Tu n’as pas perdu ton âme, Dana. Elle est juste plus lourde à porter. Le jour où tu te défausseras sur les autres pour justifier ce dont tu es responsable, là, tu la perdras…
Elle le fixa avec surprise. Il conclut.
- Mais tu n’es pas seule. Si ta charge devient trop pénible, laisse donc ceux qui t’aiment te porter un peu… - Sean afficha une expression mystérieuse - Lorsque tu es arrivée tout à l’heure, tu t’es figée en entendant Juliet jouer, n’est-ce pas ?
Elle se troubla.
- C’était cette musique, ça me rappelle…
- Juliet ! S’il te plaît ! héla le serveur sans se laisser démonter.
La violoniste s’avança vers eux. Elle eut un sourire discret pour Charles et Dana.
- Si tu me payes un autre thé, l’étudiante fauchée que je suis t’en sera presque éternellement reconnaissante, plaisanta-t-elle avec un regard, mélange d’audace et de timidité, vers Sean.
Il rit.
- Je t’offre tous les thés ce soir si tu dis à mon amie ici présente ce que tu jouais tout à l’heure !
La jeune femme se tourna vers Scully avec un petit sourire confus.
- J’ai vu que ça vous avait touché, murmura-t-elle en guise de présentation en lui tendant une main délicate.
Dana eut un air embarrassé.
- C’est que ça me rappelle… quelque chose…
- Ce n’est pas très vieux en fait, expliqua Juliet qui manifestement aimait parler de cette musique. C’est une chanson de Sinéad O’Connor qui date de 1996…
- Ah…, lâcha Dana un peu décontenancée.
- … mais il y a de très vieilles sonorités irlandaises. On y retrouve des intonations d’ancestrales berceuses…
Les yeux de Scully s’éclairèrent soudain. Et la violoniste sourit avec elle.
- C’est ça votre souvenir ?
- Mon arrière grand-mère de Kinvara, oui. Elle me chantait une mélodie qui ressemblait à celle là…
- Moi, je joue cette musique à mon petit frère pour l’endormir. Mais vous ne savez pas le plus beau…
- Le plus beau ?
- Ce sont les mots… Le violon et les mots… Attendez une seconde. Vous devriez écouter ça.
Elle fit signe à une jeune femme qui sirotait tranquillement un verre à leur table et se dirigea vers elle pour saisir le vieil étui en cuir de son violon.
Elles échangèrent quelques mots. L’autre eut un coup d’œil intéressé vers le frère et la sœur. Le front haut, le visage ouvert et les yeux rieurs, elle se pencha vers la violoniste qui essayait manifestement de la convaincre de quelque chose. Finalement, elle parut se rendre à ses arguments et s’approcha d’eux avec une mine malicieuse.
- Ca fait une éternité que je n’ai pas chanté, vous savez ! Mais Juliet est plutôt du genre têtue…
Derrière, la violoniste sortait son instrument avec un petit air satisfait.
- Mary est une très bonne pianiste mais par dessus tout, elle aime la verte Erin ! Personne d’autre qu’elle ne pourra vous chanter mieux cette ballade. Croyez-moi…, affirma la plus brune des deux en levant son archer.
Elle prit une seconde pour se poser et se projeter dans sa partition, puis d’un geste sûr, elle fit courir la mèche sur les cordes et un son profondément mélancolique s’éleva dans le bar.
Le silence commença à s’installer parmi les rares clients encore présents à cette heure avancée de la nuit. Et il se fit totalement lorsque Mary entonna les premiers couplets.


This is to mother you (Ecoute, c’est pour te choyer comme une mère)
To comfort you and get you through (Pour te réconforter, te conduire à moi)
Through when your nights are lonely (Quand tes nuits sont si seules)
Through when your dreams are only blue (Quand tes rêves sont si sombres)
This is to mother you (Ecoute, c’est pour te soigner comme une mère)


Charles se pencha vers Dana.
- Tu as parlé à Mulder ?
- Oui… Un peu… Pas vraiment… avoua-t-elle plus bas.
- C’est à moi que tu voulais parler ? réalisa Charlie soudain troublé.
Elle se tut ne sachant trop expliquer ce qui l’avait pousser à se confier à son frère plutôt qu’à son partenaire. Lui commençait à comprendre. Il passa doucement un doigt sur la joue rose de sa sœur.
- Tu crois que je suis le seul à pouvoir accepter… ça… ? A cause de… ?

This is to be with you ( C’est pour être avec toi)
To hold you and to kiss you too (Pour te porter et t’embrasser aussi)
For when you need me I will do (Si tu as besoin de moi, je serai là)
What your own mother didn't do (Plus encore que ta propre mère)
Which is to mother you (Ecoute, c’est pour veiller sur toi)


Elle leva les yeux vers lui et bouleversée, voulut lui répondre que, oui, c’était peut-être ça la raison. Mais rien ne passa ses lèvres. Il poursuivit dans un murmure, les yeux dans le vague.
- Quand bien même tu aurais voulu le tuer, jamais je ne t’aurai condamnée… et si j’avais pu, je l’aurais tué à ta place… Je l’aurai fait avant qu’il ne…
Elle posa vivement une main sur sa bouche et s’obligea à le regarder au fond des yeux.
- Chuut Charlie ! Ce à quoi tu penses, c’est du passé…, souffla-t-elle le ventre noué.
- La preuve que non…
- Tais-toi, ne dis plus rien, je t’en prie.
Il serra les dents et ses épaules soudain s’affaissèrent.
- Charlie…, reprit-elle en le suppliant.

All the pain that you have known (Toutes les douleurs que tu as connues)
All the violence in your soul (Toute cette violence dans ton âme)
All the 'wrong' things you have done (Toutes les « fautes » que tu as commises)
I will take from you when I come (Je te les prendrais quand je viendrais)
All mistakes made in distress (Et ces erreurs nées de détresse)
All your unhappiness (Tous tes malheurs)
I will take away with my kiss, yes (Je les arracherais d’un baiser, oui)
I will give you tenderness (Je te donnerai la tendresse)


Elle avait besoin qu’il soit solide. Qu’il résiste.
Pour elle.
Pour lui.
Il le devina et se redressa en lui souriant bravement.
- Je sais que tu t’en veux, que tu te dis que tu n’en avais pas le droit. Tu as probablement raison. C’était une erreur de tirer sur lui. Mais qui peut rester sans trembler face à une telle violence ?
Il se sentait enfin capable de cette force qui lui avait si cruellement manqué… autrefois. Il savait ce qu’il avait à faire. Ce qu’il devait lui dire.
- Dana, je sais pourquoi tu as tiré. Tu crois que tout a dérapé il y a quelques heures mais ça fait près de trente ans que la vie te charge comme un mulet trop vaillant pour accepter de ralentir sa marche. Nul ne peut porter tout ça sans jamais vaciller. Tu as vacillé aujourd’hui. Mais Il te pardonnera, crois-moi. Et moi, je ne te juge pas. Je t’aime trop pour cela.

Il avait lâché tout d’une traite, priant le ciel pour qu’elle ne se lève pas pour fuir une fois de plus. Il devina son tressaillement lorsqu’il évoqua la bête de somme croulant sous le poids. Mais elle resta assise. Lorsqu’il eut fini, elle ne fit aucun commentaire et se plongea dans la contemplation de son café fumant. Elle laissa juste la musique la bercer doucement. Il fit de même, mais perçut avec une réconfortante chaleur les doigts de Dana qui serraient brièvement les siens.
Un pas.
Il avait conquis un pas. Peut-être le plus grand depuis toutes ces années.

La chanteuse s’était détournée pour respecter l’échange manifestement intime de ses deux spectateurs et les yeux fermés, la voix claire, elle continuait d’enfiler les mots, délicates perles nacrées, sur un fil solide comme le roc.
- C’est une belle chanson.
- Très.
- Elle me fait penser à Laureen…
- Elle me fait penser à…
Scully se retourna soudain, mue par un pressentiment étrange et s’avança vers la vitre.

For child I am so glad I've found you (Je suis heureux de t’avoir trouvé, toi)

Dehors, il y avait cette silhouette. Elle l’aurait reconnue entre mille et son cœur se gonfla d’émotion à sa vue.

Although my arms have always been around you (bien qu’en fait, mes bras aient toujours été autour de toi)

Il était là. Il avait toujours été là.
Il se releva et traversa la rue sans la quitter des yeux. Elle retint sa respiration et une furieuse envie de laisser couler des larmes d’abandon. Il s’approcha de la devanture. Seuls les carreaux et trente centimètres les séparaient. Le souffle de Mulder vint tout d’un coup embuer sa vision et elle se précipita vers la porte. Elle sortit sous la neige et vint se planter sous son nez.

Sweet bird although you did not see me (Doux comme une aile d’oiseau, tu ne m’avais pas vu)
I saw you (Mais moi, je t’ai vue)


Il remonta gentiment son col.
- Et si on rentrait maintenant ? demanda-t-il simplement.
- Donne-moi deux secondes, acquiesça-t-elle en le fixant comme si un nylon invisible l’accrochait à lui aussi sûrement qu’une vague à la mer.
Elle s’arracha à lui pour retourner dans la chaleur du vieux bar. Au travers du vitrage, il la regarda embrasser le colosse qui l’avait accueillie. Puis elle adressa un geste de remerciement aux deux femmes pour les notes offertes si généreusement.
Mulder étudiait la forme qui était restée assise près de Scully tout ce temps. Il distinguait mal ses traits. Il eut juste l’impression que la forme l’observait lui aussi. Et il en eut confirmation lorsqu’une main lui adressa un signe amical dans le flou du verre sali par les années. Il lui retourna son salut et s’interrompit quand il vit Dana étreindre familièrement son compagnon de comptoir.
Elle le rejoignit enfin.
- C’était Charles ? s’enquit-il avec curiosité.
- Charlie. Oui, acquiesça-t-elle avec sourire grave et en prenant sa main. Tu n’as pas froid ?
- Et toi ?
Il passa son bras autour des minces épaules et la ramena contre sa hanche tout en pressant le pas. Elle leva les yeux vers lui. Il attendait sa réponse.
- Moi… J’ai… moins froid maintenant.

And I'm here to mother you (Et maintenant, je suis là pour t’entourer)
To comfort you and get you through (Pour te réconforter et te garder près de moi)
Through when your nights are lonely (Quand tes nuits sont si seules)
Through when your dreams are only blue (Quand tes rêves sont si tristes)
This is to mother you (Ecoute, c’est pour t’apporter la paix)




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Message  noisette Ven 21 Jan 2011 - 8:52

***********


Appartement de Mulder.

- Je vais aller prendre une douche si tu le permets.
- Fais comme chez toi mais…
Elle se dirigeait déjà vers la salle de bain. Il la rattrapa et lui prit doucement le bras.
- Viens d’abord par ici, dit-il en la conduisant sur le canapé.
- Tu veux vraiment parler… maintenant ? demanda-t-elle d’un air las.
Il eut un mince sourire.
- J’aimerai qu’on parle, oui. Mais rien ne t’oblige à ce que ce soit tout de suite.
Il lui fit signe de s’asseoir.
- Tant mieux. Ce n’est pas contre toi, Mulder… mais j’ai besoin de faire une pause.
- Une pause. D’accord. Tourne-toi s’il te plait, commanda-t-il en sortant de la pièce.
Elle le suivit des yeux interloquée.
- Mulder ?
- Tourne-toi et soulève ton sweat. Si j’osais, je te demanderais même de l’enlever.
- Mais enfin, tu peux m’expliquer ?!
Il revenait déjà les mains chargées de flacons, d’instruments et de compresses. Elle comprit.
- Je n’ai rien de grave, je t’assure. De l’eau et du savon feront l’affaire.
Il s’assit et d’autorité, il lui prit les épaules et la fit pivoter pour examiner son dos.
- Je crois que tu ne réalises pas vraiment, Dana.
Elle tiqua.
- Ote ton haut et ne te fais pas prier, s’il te plait.
Elle hésita une seconde puis finit par obtempérer en marmonnant quelque chose d’inintelligible.
- On dirait que le docteur Scully n’aime pas être à la place du patient, sourit son partenaire.
Mais son sourire s’effaça aussitôt devant la vision des multiples coupures qui zébraient la peau de Dana.
- Il va y avoir du travail, murmura-t-il en écrasant ses poings pour contenir sa colère devant l’outrage fait à sa partenaire.
- Tu plaisantes ?
- Regarde ton tee-shirt, tu vas comprendre. Ca a même transpercé le tissu de ta tenue de jogging.
Il souffla un bon coup et commença à tamponner doucement. Elle courba le dos en serrant les dents. Il avait raison, son maillot s’était imbibé de sang et elle réalisait tout d’un coup qu’elle avait mal. Le froid avait dû anesthésier la souffrance qui se réveillait maintenant malgré le toucher délicat de Mulder.
Elle se contracta soudain. Une douleur vive comme le feu la saisissait au creux des reins.
- Qu’est-ce que… ?!
- Ne bouge pas. Tu t’es fiché un morceau de verre juste sous les côtes. Laisse-moi te l’enlever…
- Tu es bien sûr que… ?
- Voilà ! l’interrompit-il en extrayant le corps étranger.
Elle se mordit les lèvres pour contenir un gémissement. Mais il perçut le hoquet étranglé.
- Ça va ?
- Ça ira, souffla-t-elle. Est-ce que les plaies sont profondes ?
- Elles sont nombreuses mais… non, elles ne sont pas profondes.
- Tant mieux. Continue alors et qu’on en termine !
Il ne dit rien et ne bougea pas pendant un long moment.
- Mulder ?
- Je… Je dois dégrafer ton…
- Oui, oui, vas-y c’est bon ! s’impatienta-t-elle d’une voix sourde.
Il défit doucement l’attache du soutien-gorge et écarta les fines bretelles en dénudant les épaules de son amie. Puis il reprit son travail sur sa peau. Fermant les yeux, elle s’abandonna en silence à ses soins attentifs.
Ca faisait mal, mais ça faisait du bien aussi. De se laisser faire ainsi. De s’en remettre simplement à quelqu’un d’autre. Sans crainte ni faux-semblant. En confiance.
Avec lui, nul besoin de se défendre. Nul besoin de dissimuler. Il était là. Et il serait toujours là, réalisa-t-elle avec émotion en se remémorant la sensation qui l’avait étreint un peu plus tôt et les paroles de la chanson du bar.
C’était ainsi. Scully serait toujours là pour Mulder. Et Mulder pour Scully.
C’était ainsi mais pourquoi fallait-il qu’ils partagent tant de souffrances et si peu de joies ?
Il venait de finir. Les mains croisées sur sa poitrine, elle se tourna légèrement vers lui. Il retint sa respiration. Elle lui sourit d’un air triste et posa lentement sa tête au creux de son épaule. Il resta un instant comme paralysé puis il l’entoura de ses bras et la berça doucement contre lui, troublé par le contact si intime de leurs deux chairs.
Comme s’il avait deviné ses sombres pensées, il murmura à son oreille.
- Il n’y a pas que du malheur à vivre Scully… Tu as aussi le droit d’être heureuse…
- Alors il vaudrait mieux que les bonnes fées se dépêchent pour m’apporter de bonnes nouvelles parce qu’à ce rythme, je serai morte lorsqu’elles arriveront, prononça-t-elle tout bas.
Il tressaillit. Cela ne lui ressemblait pas une telle amertume. Elle se rendit compte qu’elle l’avait alarmé et s’éclaircit la voix.
- Merci d’être là. Merci d’être toujours là.
Il ne vit rien venir.
Elle non plus.
Elle monta ses lèvres à lui et très tendrement, dans une sorte de brouillard chaud et doux, les posa sur sa bouche entrouverte. Elle scella la promesse invisible d’un jour meilleur d’un baiser discret. Puis elle se leva et disparut dans la salle de bain.

Il resta assis, là, complètement désemparé. Et face à une déstabilisante révélation : lorsqu’elle s’était détachée de ses lèvres, il avait frôlé sa taille de sa main, amorçant un geste pour la retenir. Mais il n’avait pas été aussi vif qu’elle et maintenant, il y avait au creux de son ventre un vide presque douloureux, une terrible sensation de manque.
Jamais il n’avait éprouvé cela pour elle. Jamais ainsi. Jamais à ce point. Physiquement. Urgemment.
Il voulait la garder dans ses bras et gouter à ses lèvres.
Scully…
Sa Scully.

L’eau se mit à couler. Il fixa la porte de la salle de bain. Derrière, elle était nue et les flots vaporeux ruisselaient sur sa peau fragile. Il s’imagina vague tendre parcourant son corps pour apaiser les blessures. Cette seule pensée l’embrasa littéralement. Foin des vagues ! La vérité, c’est qu’il avait envie d’elle, corps et âme, et que soudain il la désirait aussi ardemment qu’un voyageur assoiffé désire la source. Précieuse, aimée…
C’était… tout à fait inopportun.
Si seulement il pouvait, d’une certaine manière, lui prouver qu’il n’était pas si loin… le bonheur dans lequel elle ne semblait plus croire…
Il se remémora les photos cachées au fond du tiroir de la table de nuit. Il y avait peut-être un espoir.
Peut-être…
Son regard se posa sur le sweat ensanglanté.
Peut-être…
Plus tard…


***********


Dans son sommeil, il s’était lové contre elle et l’enlaçait comme pour être bien sûr qu’elle resterait sous sa protection. Lorsqu’elle l’avait senti faire, elle avait d’abord tressailli, un peu surprise. Puis cela lui avait arraché un sourire. Mais très vite elle était retombée dans ses pensées obscures et voilées.
Elle n’avait pas peur. Elle savait qu’elle n’était pas seule. Maintenant, il fallait juste que les choses rentrent dans l’ordre…
« Qu’elles rentrent dans l’ordre »…
Il y a un ordre des choses. Un cadre. Un repère. Lorsqu’il fait tempête, c’est la lumière du phare qui transperce la nuit. Sans elle, on se brise, on se fracasse, on se déchire sur les écueils acérés.
Et l’ordre des choses, gravé sur les tables de la loi, c’est que lorsqu’on tue, on en paye le tribut. Nul ne peut s’endormir tranquillement sans s’acquitter du prix du sang qu’il a versé. Fusse un sang rance et gangréné.
Elle se dégagea doucement de l’emprise de Mulder, repoussant son bras large et s’extirpa du lit. A pas feutrés, elle se dirigea vers le séjour en prenant soin de refermer doucement la porte derrière elle.
Il était temps de régler sa dette.

Il ouvrit les yeux complètement. Que faisait-elle ? Pourquoi ne dormait-elle pas encore ? Il réalisa qu’il avait probablement plongé dans un sommeil profond bien avant elle. S’était-elle seulement endormie ?
Il se redressa sur le matelas et tendit l’oreille. Une voix lui parvenait de la pièce voisine. Il hésita et finalement, il s’approcha du battant.
Elle devait être au téléphone vu les pauses qui s’intercalaient entre deux prises de parole. Elle avait commencé sur un ton très bas et voilà que sa voix partait maintenant vers les aigus. Il ne parvenait pas à comprendre ce qu’elle disait mais de toute évidence, la conversation n’avait pas pris la tournure espérée.
Puis le silence se fit. Chargé. Oppressant.
Précautionneusement, il tourna la poignée de sa porte et s’arrêta sur le seuil de la pièce.
Assise sur son canapé, le dos ployant comme sous un fardeau trop lourd, elle avait pris sa tête entre les mains et paraissait effondrée.
Il s’approcha et s’agenouilla devant elle. Elle gardait les paupières closes et se balançait imperceptiblement d’avant en arrière. Il posa ses mains sur ses genoux serrés.
- Dana…, murmura-t-il.
- Je viens d’avoir le responsable de l’enquête. Il ne veut pas entendre ma version. Il ne veut pas de la vérité. Il m’a juste dit de me recoucher et de laisser les choses se faire…
- Que voulais-tu faire ? frémit Mulder.
- J’ai tué Donnie Pfaster. Je l’ai abattu presque à bout portant. Et nous savons tous les deux que ce n’était pas de la légitime défense. J’ai annoncé au détective que j’allais me livrer…
- Non !
- Il ne veut pas savoir, poursuivit-elle la voix altérée sans relever la protestation.
- Tu n’as pas besoin de faire ça, Scully…
- J’ai tué.
- Tu t’es défendue !
- Comment faites-vous tous pour balayer une chose pareille, au nom du ciel ?! s’écria-t-elle. J’ai fait couler le sang d’un homme !
- Du diable !
- C’est un homme qui s’est écrasé à mes pieds, c’est sa vie que j’ai stoppé net et c’est son sang qui m’a éclaboussé !
- Il a aussi versé le tien, Scully ! Il a assassiné…
- Lui aussi !
Il rassembla ses mains et les serra un peu plus fort en rivant son regard dans les yeux noirs de sa partenaire. Elle se mit soudain à trembler. Ses dents claquèrent bruyamment et lui mordirent la langue.
- Tu ne lui ressembles pas.
Elle ne dit rien. Il souleva doucement son menton.
- Je te jure que tu ne lui ressembles pas !
- Je ne pourrais pas me pardonner si je ne paye pas ma faute.
- Que veux-tu payer Scully ? Personne ne te demande de rendre des comptes…
Une goutte de sang glissa des lèvres abimées et tomba sur le bras de Mulder. Elle écarta sa main comme si elle refusait son indulgence coupable. Sa bouche se tordit légèrement lorsqu’elle le regarda droit dans les yeux.
- C’est comique n’est-ce pas ? grinça-t-elle. Je ne suis pas capable de donner la vie mais je suis capable de l’ôter !
Ce fut comme un coup de poignard.
Ils n’en avaient pas reparlé depuis des semaines. De l’échec de l’insémination. Il déglutit péniblement.
- Ecoute, Dana. La vie, tu es capable de la sauver. Et tu l’as fait un nombre incalculable de fois. Pour moi, pour d’autres…
- Ça ne me dédouane pas de prendre mes responsabilités.
- Et faire quoi ?! explosa-t-il. De la prison ?! C’est ça que tu veux ? Croupir en tôle et me laisser seul courir après la vérité au motif que personne n’a su te protéger lorsque tu en avais besoin ?! Que tu veux ex-pier ? Il détacha les syllabes avec dédain. Je suis sûr que même Dieu, s’il existe ne t’en demande pas tant !
Elle parut ébranlée.
- Charlie m’a dit la même chose, murmura-t-elle.
- Un homme avisé ! Ecoute-le à défaut de m’écouter moi !
- Ce n’est pas des hommes que j’attends un signe, Mulder, souffla-t-elle la tête basse.
- Il paraît que ton Dieu a une tendresse et une miséricorde infinie, ce serait le moment de le prouver…, maugréa-t-il.
Devant la détresse de Scully, il se radoucit immédiatement.
- S’il aime, il pardonne, n’est-ce pas ?
- …
- Que t’a dit le responsable de l’enquête ?
- Il prétend que la légitime défense est avérée et que je ne dois pas perturber l’enquête avec des « états d’âmes » inappropriés !
- Vraiment ?
- J’ai insisté. Je lui ai dit que j’avais tiré alors qu’il ne me menaçait pas et…
Elle suspendit son exposé, troublée.
- Quoi ?
- Je ne comprends pas. Il s’est mis en colère et m’a déclaré que si lorsqu’un assassin notoire tire à quelques centimètres de la tête d’une femme, il n’y a pas légitime défense alors autant qu’il arrête son travail !
- Il t’a tiré dessus ?
- Non ! Non, je suis sûre que non ! A aucun moment !
- Mais alors… ?
- Alors il parait qu’ils ont trouvé des traces de poudre fraiche sur sa paume, un revolver sous son corps et une balle juste au-dessus de la porte d’où j’ai tiré ! Elle s’interrompit et se reprit la tête entre les mains. Ce n’est simplement pas possible !
Il la dévisagea avec une intensité nouvelle.
- Tu crois ça ?
Elle se releva vivement vers lui. La stupéfaction s’affichait sur ses traits.
- Mulder ! Tu n’as pas… ?!
- Je n’ai rien fait, Scully. Je te le jure.
Elle soupira avec un mince soulagement. Il enchaina.
- Mais tu veux savoir ce que moi, je crois ?
- …
- Tu attendais un signe ?
- Mulder…
- Je crois que Dieu lui-même te demande pardon de t’avoir laissée seule face au mal…
- Dieu n’a pas à s’excuser.
- Oh ! Tu crois ? !
- …
- Accepte ses excuses et laisse-le te pardonner Dana.
Elle se leva brusquement, lui dissimulant une larme qui désertait les rangs et s’échappait en se frayant un chemin tortueux sur sa joue. Puis elle vint se poster devant la fenêtre, bras croisés et nez contre la vitre.
- Tu réécrirais l’histoire pour me sauver, n’est-ce pas Mulder ? souffla-t-elle en s’arrachant un rire triste.
- L’histoire, le présent et le futur, oui.
Il la rejoignit à son tour, se colla contre son dos et passant ses bras au-dessus d’elle, il dessina un cœur sur la buée des carreaux.
- Je suis sérieux, reprit-il en l’enlaçant avec d’infinies douceurs.
- J’aimerais que ce soit vrai… Pour Dieu, je veux dire…, chuchota-t-elle d’une voix faible.
- Et moi, j’aimerais te voir sourire à nouveau comme sur ces photos du Superbowl.
Elle se tendit soudain. Les photos ?! Il n’avait pas pu les voir… !
- Tu parles de celle… sur mon frigo ?
Il se pencha vers elle, tourna légèrement sa tête et la regarda droit dans les yeux.
- Celle-là oui. Et… les autres aussi…
- …
- Celles qui étaient dans ton tiroir.
Elle acheva de se retourner et planta des yeux graves sur lui.
- Mulder…
- Chut… Pas ce soir. Et si nous retournions nous coucher maintenant ?
Elle serra un peu plus fort ses mains contre sa poitrine. Et sans rien dire, dessina à son tour sur le verre humide un cœur se liant comme un lierre à celui de Mulder.

Il est des graines qui ne craignent pas de se planter dans une terre encore saignante, écorchée par le pas obscène et barbare de ses ennemis. Elles font émerger des ruines une pousse verte. L’espoir renait là… alors que la plante grandit.
Et un beau jour, réduisant l’infamie au silence, une fleur s’ouvre, un fruit murit… et la vie recommence.

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Message  noisette Mar 14 Juin 2011 - 12:45

CH 13. Existences (All things)


Avril 2000

< Le temps est composé d’instants, d’instants qui, se précipitant vers le passé, tracent le chemin de la Vie aussi sûrement qu’ils conduisent jusqu’à sa fin. Il est bien rare qu’on s’arrête pour examiner ce chemin et chercher les raisons pour lesquelles les choses arrivent. Il est rare qu’on se demande si l’on a vraiment choisi le chemin que l’on suit ou bien si on l’a pris par hasard les yeux fermés.
Mais imaginons qu’on puisse s’arrêter pour faire l’inventaire de chaque instant précieux avant qu’il ne soit passé. Pourrait-on voir alors les innombrables choix qui ont donné forme à notre vie ? Et, voyant tous ces choix, pourrait-on prendre un autre chemin ? >



Appartement de Fox Mulder.


Dans ce cas, tous les choix conduiraient alors à ce moment… Une fausse direction et … on ne serait pas assis là l’un à côté de l’autre …




Elle bougea dans son sommeil et son corps parut réaliser qu’elle n’était pas dans une position habituelle pour dormir. Elle ouvrit lentement un œil, puis l’autre et tenta de retrouver ses repères habituels.
L’aquarium.
Elle resta un moment, hébétée, à contempler la lumière pâle et se souvint.
Elle avait passé la soirée chez Mulder, à discuter. A se livrer, en fait. Elle lui avait parlé de Daniel.
Elle se redressa. Les dernières heures lui semblaient soudain surréalistes.
On se passe pendant presque dix ans de quelqu’un qu’on a pourtant follement aimé, on en fait le deuil et il vous revient soudain, sans prévenir, par le hasard d’une erreur de dossier.
Daniel…
Incroyablement familier. Et terriblement lointain, réalisa Scully avec trouble.
Hier encore, elle avait laissé reposer sa tête sur son torse large. Elle avait saisi sa main entre ses doigts parce que, malgré les années, son corps se rappelait et avait retrouvé leur proximité intime comme une réminiscence patente et tranquille. C’est qu’ils s’aimaient lorsqu’elle l’avait quitté…
Elle s’était émue à sa douleur, troublée à son amour encore si présent, si vivace. Elle ne s’attendait pas à cela.
Et pourtant… Dana sonda son cœur, pressentant l’évidence. Elle soupira d’aise.
De la tendresse… Voilà ce qu’il restait de sa passion déraisonnée pour cet homme. Définitivement, elle n’était plus amoureuse. C’était comme si, par le biais d’un week-end commandé par le destin, tout s’était mis en place pour faire place nette en elle. Elle avait revu Daniel pour mieux tourner la page et avancer, sans regret, en regardant uniquement loin devant.
Le plus étonnant, c’est que, jusqu’à l’avant-veille, elle aurait juré qu’elle n’avait nul besoin de ça. Elle ne l’imaginait même pas.
Mais maintenant, tout semblait évident : Il avait fallu le retrouver, retrouver ses yeux clairs si proches, retrouver aussi son intransigeance. Il l’avait fallu pour valider ses choix et sa vie d’aujourd’hui : au FBI, et sans lui.
La vraie vie qu’elle avait choisie. Elle, et personne d’autre !

Où était Mulder ?

Elle réalisa qu’elle avait une couverture posée sur elle. Elle sourit. C’était lui, bien sûr. Elle s’étira, s’amusa à remuer ses doigts de pied. Elle avisa ses escarpins un peu plus loin. Même si elle ne se sentait pas très fraiche, il fallait mieux repartir. Il ne l’avait pas invitée à passer la nuit chez lui après tout.
Prenant son courage à deux mains, elle se leva énergiquement et dans son mouvement emporta la bouteille de bière qui était restée posée en équilibre sur la table basse. Celle-ci se brisa et le silence en même temps.
- Merde ! jura Scully à mi-voix en jetant un regard effrayé vers la porte de la chambre de son partenaire.
Elle suspendit ses gestes et tendit l’oreille pour vérifier qu’elle ne l’avait pas réveillé. Aucun bruit. Elle respira. Elle n’y voyait pas grand-chose et à tâtons, elle s’avança pour ramasser les débris.
- Ouch ! s’exclama-t-elle à nouveau en sentant une pique acérée lui rentrer dans le pied gauche. C’est pas vrai ! maugréa-t-elle, en se dépêchant de ramasser les bouts de verre.
En boitillant, elle partit vers le couloir de l’entrée pour rejoindre la cuisine.

- Tu voulais te faire la belle ?! interpella Mulder.
Elle sursauta. Puis se retourna.
- Je suis désolée. Je ne voulais pas te réveiller.
Il alluma la lumière et constata les dégâts.
- Ce n’est rien. Tu t’es blessée ? s’enquit-il en attrapant un balai et en rassemblant les morceaux de bouteille épars.
- Ça ira. Laisse-moi réparer ça, intima-t-elle en essayant de lui prendre les instruments des mains.
Il la repoussa gentiment et la fit basculer sur le canapé avec un air finaud. Elle se retrouva assise, un peu interdite devant la tournure que prenaient les évènements.
- Pas question Scully ! Tu vas mettre du sang partout !
- Mais…!
- Tu ne bouges pas ! Et tu attends bien sagement, s’il te plait !
Il termina rapidement son petit ménage, s’éclipsa dans la salle de bain et revint presque aussitôt avec le nécessaire pour la soigner.
- Je n’ai même pas eu le temps de le ranger depuis la dernière fois, prétexta-t-il.
- Je m’en occupe, décréta-t-elle en saisissant le désinfectant et les compresses.
- Ben voyons ! Se charcuter sous la plante, c’est ce qu’il y a de plus simple !
Il reprit le matériel d’autorité.
- Laisse-moi faire.
Sa voix était douce mais ferme. Elle le fixa un peu désarçonnée. Ce n’était pas dans ses habitudes d’être dirigiste. Il soutint son examen. Et soudain, son sourire s’élargit.
- Scully… Tu as les chocottes ?
Elle rit, soulagée de se libérer d’une très légère sensation de vertige qui s’était insinuée en elle.
- Ok. Très bien. Après tout, tu as déjà fait tes preuves dans ce domaine, n’est-ce pas ?
Il acquiesça vigoureusement en attrapant sa jambe et en l’étendant sur les coussins. Puis, avec délicatesse, il glissa ses mains sur sa peau et tira doucement son bas de nylon vers lui.
C’est idiot, mais… elle n’avait pas pensé à ça. Qu’il prendrait ainsi l’initiative de lui retirer son vêtement… Ses gestes étaient tranquilles, coulant naturellement. Elle observa son manège, à nouveau un peu émue. Il dénuda son pied et se concentra sur l’opération. Rapidement, il termina son nettoyage.
A ce stade, il aurait déjà dû la lâcher. Mais ce n’était pas le cas. Sans lever les yeux vers elle, il gardait sa cheville entre ses mains et commençait à faire courir de manière à peine perceptible ses doigts sur sa cheville. Elle ne respirait plus. Les pouces de Mulder dessinaient des cercles sur sa peau, massant doucement le cuir fin.
Elle savait par ses études de médecine les bienfaits ancestraux de la réflexologie et de ces pressions exercées sur certaines zones de la plante des pieds. Mais elle ne se souvenait pas l’avoir expérimenté de façon aussi évidente, aussi exquise, aussi… saisissante !
Elle fit mine de récupérer son membre en même temps que ses esprits. Il sourit dans sa barbe, renforça sa prise et devant le visage affolé de sa partenaire, il approcha sa bouche de ses orteils.
- La touche finale, annonça-t-il.
En apnée, elle le vit poser sa bouche sur chacun de ses cinq orteils et les baiser doucement. Elle sentit le rouge lui monter aux joues comme une flèche.
Il jouait !
Et guettait ses réactions avec un air faussement innocent. Elle frémit, se sentant soudain particulièrement exposée à une sensation tout à fait inhabituelle. Ou du moins, un peu oubliée… Une chaleur irradiant au bas du ventre…
- Pas très académique comme médecine…, releva-t-elle dans un sourire.
- Réservé à…
Il marqua une hésitation, semblant chercher le mot juste.
- Sa partenaire de travail ? proposa-t-elle pour désamorcer une pente qui pouvait s’avérer glissante.
Il la fixa.
- J’en ai eu quelques unes…
Il quitta ses yeux un instant, attiré par un éclat brillant qui dépassait de sous le canapé. Il glissa ses doigts sous le meuble tout en poursuivant.
- … Mais je n’ai jamais proposé ma touche finale à d’autres que toi figure-toi.
- Personne d’autre ? Vraiment ? provoqua-t-elle avec une fugace pensée envers Diana Fowley.
- Aie !!!
- Pardon, c’était stupide, se fustigea-t-elle immédiatement.
- Non ! Ce n’est pas toi. C’est ce bout de verre… Je me suis coupé.
Elle se pencha vers lui, notant au passage sa mine penaude. Et elle sourit. Un sourire énigmatique. Dangereux, se dit Mulder en ravalant définitivement son assurance. Un sourire de chasseuse, d’Amazone, identifia-t-il encore. Elle prit son bras et l’attira sur le canapé en murmurant.
- Bon… Ce qui est bien, c’est que tout est sorti…
Elle se mit à genoux près de lui, il la dévisageait sans rien dire. Avec tendresse, elle désinfecta la blessure à son tour.
- Je n’ai jamais fait ça avec Diana, lâcha-t-il soudain.
- Oublie ça. Je n’ai rien demandé, déclara-t-elle d’une voix très basse. Je n’ai pas à savoir.
Là, tout de suite, elle n’avait aucune envie de penser à cette femme.
- Si justement. Parce que tu n’es pas qu’une partenaire de travail…
Elle leva ses yeux très bleus vers lui et l’étudia avec une étrange sérénité. Puis elle reprit son opération sans rien dire. Il se tut, savourant le silence confortable qui irradiait une agréable chaleur, se concentrant sur ses gestes.
Ils étaient très doux… Tellement doux…
Trop doux, s’émut-il soudain en prenant conscience de l’intimité qu’il y avait à entourer de tant de soin son doigt tailladé. Le souffle court, il la regarda s’affairer sur la chair meurtrie. Il entendait sa respiration à elle, altérée, profonde, comme il ne l’avait jamais entendue avant.
C’était juste… extrêmement sensuel !
Il la fixa longuement et d’une voix légèrement brouillée, avec un petit rire gêné, il lâcha.
- J’espère que moi aussi, j’aurai droit à un bisou.
Elle posa ses yeux bouleversants sur lui et il ravala son rire lorsque, toujours les yeux dans les yeux, elle monta son doigt à ses lèvres et déposa sur la pulpe rougie un baiser doux comme une caresse.

Le temps s’arrêta.

Dana sentit un fourmillement envahir tout son corps. Son cœur se mit à s’emballer. Elle s’arrima aux iris verts de Mulder mais en fait d’arrimage, elle se sentit tomber vers lui, attirée aussi sûrement qu’un aimant vers le pôle.
Il se pencha dans un même mouvement.
Ils n’eurent pas le temps de réaliser qu’ils étaient bien trop proches.
Elle sentit les lèvres tendres de Mulder se poser sur les siennes.



Leurs corps étaient comme paralysés. Ils n’avaient pas bougés.
Seules leurs lèvres qui s’étaient scellées si chastement maintenaient le contact entre eux.
Il osa les mouvoir doucement. Sans respirer, elle entrouvrit les siennes. Et le baiser prit soudain une toute autre direction.
Elle s’enhardit à goûter sa chair. Elle était si tendre, chaude et humide qu’elle en fut bouleversée. Il parcourut sa bouche avec, bien malgré lui, des précautions que l’on a à toucher les choses infiniment précieuses.
Et leur baiser se fit profond... Sans que jamais l’un ne bouge le reste de son corps, comme s’ils avaient basculé en entier entre ces lèvres s’explorant de plus en plus avidement.
Ils s’oubliaient emportés par un tourbillon d’émotions qui se pressaient depuis longtemps à leur porte. C’était si bon…


Dernière édition par noisette le Mer 22 Juin 2011 - 21:48, édité 1 fois

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Message  noisette Mer 22 Juin 2011 - 21:42

Il s’écarta le premier, arrachant un imperceptible soupir à Scully, le cou tout entier tendu vers lui. C’est qu’on ne barre le chemin de la source à une voyageuse assoiffée…
Ils se dévisagèrent étourdis, en état de choc. Mais aussi terriblement troublés de lire dans le regard de l’autre un même désir, une même urgence.
- Ce n’est pas…
Elle ne le laissa pas finir sa phrase et revint l’embrasser fiévreusement comme pour faire taire toute objection, tout doute en elle autant qu’en lui.
Il s’abandonna un instant à la sensation affolante puis il parut reprendre conscience. Il se détacha à nouveau et prit les joues de Dana entre ses mains avec une détermination toute neuve. Il était très près de son visage, si près qu’il pouvait voir une larme naître au coin de son œil. Du dos de sa paume, il caressa doucement la peau diaphane. Puis ses doigts s’aventurèrent sur les lèvres entrouvertes, les effleurant si tendrement qu’elle ferma les yeux d’émotion.
Elle les rouvrit et tomba sur son regard agité, ardent comme une prière. Le souffle court, il l’interrogeait tacitement, cherchant sur ses traits un accord muet, sans réserve et total.
Elle soutint son examen. Le cœur battant, il s’ancra à ce bleu vierge de tout mensonge. Il n’y avait pas l’ombre d’un regret dans ses yeux. Pas l’ombre d’un compromis. Elle se montrait à nue : elle avait voulu ce baiser, elle en voulait encore. Le désir se lisait sur ses lèvres tendues vers lui. Il se lisait dans son iris parcouru d’éclairs volcaniques, dans sa prunelle brillante qui s’accrochait à lui comme à une bouée.
Du bout de ses doigts, il continuait à frôler sa bouche, hypnotisé par le rouge sensuel, gonflé et vibrant de sa chair. Elle attrapa sa main si vivement que le cœur de Mulder manqua un battement. Et elle revint à lui.
Il sentit sa bouche qui revenait l’explorer. Il devina la poitrine haute de Dana qui ne respirait plus. Il frémit à la langue douce qui s’insinua entre eux.
Et il laissa son cœur lui dicter le reste, répondant avec la même soif à la demande implicite. Il lui ouvrit sa bouche et son âme.

Mulder était assis sur le canapé. Elle était agenouillée sur le coussin à ses côtés. Leurs corps étaient restés dans la même position que lorsqu’elle le soignait, statufiés dans un marbre aux veines palpitantes. Hors mis leurs visages qui se rejoignaient, seule la main de Scully tenant le poignet de son partenaire induisait un rapprochement plus intime.
Forçant gentiment la poigne de Dana, Fox approcha sa main de sa taille et la glissa délicatement juste sous son tee-shirt. La peau de sa partenaire lui apporta d’abord une sensation de fraîcheur comme l’eau d’un lac de montagne puis il perçut la chaleur. Il se redressa lentement et sans quitter ses lèvres, il se pencha au dessus d’elle, l’incitant subrepticement du bout de ses doigts à basculer en arrière.
Elle se laissa glisser, tremblante sous son toucher délicat puis emporté par sa prise ferme.
Au bout de quelques secondes, elle s’interrompit et recula un instant pour savourer de le voir presque allongé sur elle. Son torse effleurait négligemment sa poitrine. Il enfouit sa tête dans son cou, un brin plus joueur, insistant tendrement au creux de sa taille avec ses mains si larges, si larges…
Ce fut comme si le massage appuyé la sortait de sa torpeur. Tout en s’imprégnant de la sensation de ses cheveux épais contre son menton et fleurtant avec ses lèvres, elle vint caresser la nuque courbée sur elle. Puis, lentement, elle descendit le long de sa joue légèrement rugueuse.
Il réagit favorablement en émettant un imperceptible grognement de plaisir. Cela encouragea Dana à poursuivre son investigation en s’aventurant un peu plus bas, insinuant à son tour ses paumes avides sous le tee-shirt et le relevant avec de plus en plus d’audace.
- Mulder… ?
Enfin, elle était capable d’articuler quelque chose ! Leurs regards se croisèrent à nouveau.
Il eut un sourire. Un de ses sourires irrésistibles qui lui plaisaient tant.
Devinant la demande muette, il se redressa et se débarrassa vivement du vêtement. Et lorsque ses yeux verts se posèrent un peu trop bas sur elle pour que ce ne soit pas puissamment évocateur, elle sut ce qu’il allait dire.
- A toi…, murmura-t-il d’une voix très basse.
Elle marqua un temps. Il vit passer une lueur de défi dans l’expression de sa partenaire et là, tranquillement, sans la moindre hésitation, elle ôta sa veste. Puis, en croisant les bras, elle saisit ensuite son tee-shirt pour l’enlever à son tour dans un mouvement d’une grâce parfaite.
< Voilà ! > sembla lui dire son visage brûlant levé vers lui.
Il prit derechef ses lèvres, de plus en plus ardent. Puis, comme pour la conforter dans son élan, il entreprit soudain d’embrasser son ventre, tournant autour du nombril qui montait et descendait au rythme des respirations de plus en plus rapides de Scully.
L’excitation se traduisait dans la pression qu’elle exerçait contre ses tempes, dans sa façon d’entremêler de plus en plus profondément ses doigts à ses cheveux. Quant à lui, l’excitation avait depuis longtemps réveillé son membre qui cognait dur contre le tissu de son jean.
Il quitta la peau blanche de Dana avec l’ombre d’un regret et repartit en exploration dans son cou, non sans s’être ressourcé à ses yeux bleus opaques comme l’orage un soir d’été.
Dieu qu’il la désirait !
Entre deux doigts, il saisit la bretelle de son soutien-gorge, la souleva délicatement et posa ses lèvres à cet endroit précis où le derme était légèrement rougi.
La bretelle glissa sur l’épaule puis sur le haut du bras fin. Elle ferma les yeux, prit une longue inspiration et l’écarta un peu d’elle.
Ils n’eurent pas besoin de mots. Tout était dit dans leurs pupilles dilatées. Tout était dit dans cette paradoxale sérénité.
On peut crever de désir, perdre la tête à découvrir un corps familier mais presque défendu et savoir qu’est pourtant enfin venu le jour d’écrire une nouvelle page avec la plus absolue des certitudes.
On peut se jeter dans l’inconnu, s’élancer dans le plus haut, le plus fou de tous les sauts… mais le faire avec une confiance totale, aveugle, simplement parce que l’on tient une main aimante…
Une main qui n’a jamais cesser de vous aimer et qui, ce jour, décide juste de le faire… autrement.

On en était au point de non-retour et en voyant son visage attentif, un peu inquiet, un peu malicieux aussi, par-dessous tout tellement désirable, elle sut que tout était parfaitement bien.
Doucement, elle défit l’agrafe de son sous-vêtement ; le morceau de tissu tomba à terre.
Il n’avait pas envie de baisser les yeux vers ses seins. Pas tout de suite. Il revoyait encore la vision furtive et fulgurante de ses deux dunes claires un soir où la lune avait brillé un peu plus tard à la faveur d’une nuit trop arrosée. Il se riva aux prunelles graves de Scully et leva sa main, effleurant doucement son sein… Presque instantanément, il ferma les yeux submergé de plaisir. Elle mit sa main sur la sienne, l’incitant à s’approprier sa courbe tendre, conduisant son exploration. Et de son autre main, elle attrapa de nouveau sa nuque et vint l’embrasser profondément, amoureusement.
Jamais elle ne s’était sentie aussi libre. Sa caresse glissa sur le dos musclé, pressant son corps pour qu’il vienne peser contre elle de tout son poids. Il s’émut de son langage et l’étreignit de toutes ses forces la soulevant presque pour mieux la serrer contre lui.
Leurs gestes devinrent plus rudes, plus maladroits, plus impérieux…
Il réussit à la dégager de son tailleur qui vola en l’air et vint se percher sur l’aquarium. Elle engagea fiévreusement le combat avec les boutons de son jean. Elle était si malhabile qu’il vint à la rescousse pour précipiter sa libération. Sous le boxer, Dana sentit le membre dur de Mulder chercher la voie sacrée quelque part entre ses cuisses ouvertes.
- Scully…, gémit-il.
Elle plaça ses deux paumes contre son torse et le repoussa légèrement. Les traits consumés par le désir, il la dévisagea soudain complètement perdu.
- Qu’est-ce qu’il y a… ? pria-t-il d’une voix altérée.
Elle le fixa droit dans les yeux et presque sans le souffle, sur un ton rauque qui le fit frissonner, elle murmura.
- Je t’interdis -…
Mulder sentit son cœur le lâcher…
- … je t’interdis de m’appeler Scully quand tu me fais l’amour !
Sa voix s’étrangla sur les derniers mots.
Il se jeta sur sa bouche en étouffant un rire, éperdument soulagé !
- C’est promis… Dana !
Elle l’écarta encore.
- J’ai une autre requête…
- Ce que tu veux.
- Je voudrais pouvoir, à titre exceptionnel…
- Oui ? encouragea-t-il.
- … je veux pouvoir prononcer ton prénom quand…
- Quand quoi ? savoura-t-il chaviré et furieusement excité.
- Quand je te veux en moi ! conclut-elle les yeux brillants.
Il la contempla longuement, ému par son regard vibrant. Elle ne fuyait pas son examen. Et il se pencha doucement.
- Alors je veux que tu le dises tout de suite ! chuchota-t-il avec un petit rire brouillé à son oreille.
Un sourire espiègle s’étira sur le visage de Dana. Elle se mordit la lèvre, tentant avec peine de tempérer la flamme qui l’attisait de l’intérieur, et rétorqua sur le même ton aussi bas qu’un bruissement d’aile.
- Ne comptes pas sur moi pour te prier tu sais…
- …
- ... Fox !

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Message  noisette Lun 25 Juil 2011 - 16:23

***********


Il émergea doucement. A tâtons, sa main chercha Scully à ses côtés sans la trouver. Il ouvrit ses yeux. Dana avait quitté son étreinte mais elle était là, dans la pénombre, assise à quelques centimètres à peine de lui. Elle était comme il laissait laissée quelques heures auparavant : nue. Toujours sous la couverture, ses jambes étaient relevées et elle les entourait de ses bras, son menton posé sur ses genoux.
Il resta un instant à admirer la peau délicate de son dos. Puis, il vient très doucement l’embrasser au creux des reins. Elle frémit et tourna légèrement la tête vers lui avec un sourire.
- Vingt sous pour tes pensées…, lança-t-il.
Il se redressa pour se mettre à sa hauteur.
- Ca ne fait pas très cher payé, agent Mulder…
- Je t’interdis, protesta-t-il avec une mine outrée, de m’appeler Mulder après que…
Elle rit et le bouscula gentiment. Il se tût et resta juste assis contre elle.
- Est-ce que ça va ? demanda-t-il finalement.
Elle sourit à nouveau.
- Très bien. Ca va très bien…
- Tu es sûre ? insista-t-il un peu gêné. Il… Il y a un moment où…
Cette fois, elle se tourna franchement vers lui.
- Tout va bien, Fox. J’ai aimé – elle prit tendrement son visage entre ses mains et vint l’embrasser - , j’ai tout aimé, appuya-t-elle en se rivant à ses yeux verts comme si elle voulait lui graver sa déclaration dans la mémoire.
Il caressa doucement ses mèches auburn et dégagea son visage. Il savoura la vision tant rêvée et pourtant si réelle et évidente d’une Scully amoureuse, lumineuse.
- Tu es belle…
- …
La gorge nouée, elle se contenta de saisir la main qui la caressait, la monta à sa bouche et l’embrassa avec émotion…
Il se dit qu’il l’aimait mais qu’il n’était pas question de jouer d’un faux-semblant. Fox se jeta à l’eau.
- Je ne te demande pas de tout me dire, Dana. J’espère juste que tu sais que tu peux me faire confiance.
Il y revenait. Elle se troubla.
- Oui… Je sais.
- Très bien.
Elle se tût un instant, se détacha de lui, manifestement embarrassée. Et reprit.
- Cette… hésitation… Elle inspira profondément.
- Dana, ce n’est pas une critique.
Elle se lança.
- Cette hésitation, ça n’a rien à voir avec toi…
- D’accord.
- J’en avais – j’en ai encore – terriblement envie…
Il la laissa venir.
- … C’est juste… Ca fait juste… très longtemps. C’est... c’est moi.
Il l’enlaça, à nouveau ébranlé par cet air étrange, presque douloureux. C’était si furtif qu’il s’était demandé s’il n’avait pas rêvé. Mais non… Il revenait cet air qui assombrissait à nouveau son regard bleu. Le même qui l’avait saisi où moment où il était venu en elle.
Un voile très léger, qui disparaissait aussi vite qu’il était apparu. Mais un voile certain. Il la connaissait assez pour en être convaincu.
- Je voudrais juste profiter d’être là avec toi, simplement comme ça, murmura-t-elle.
- Alors profite, chuchota-t-il en la serrant un peu plus fort.
Elle hésita.
- Je suis désolée si -…
- Si quoi ? interrompit-il. Si tu m’as offert une nuit magnifique ? Si tu m’as fait l’amour comme j’en rêvais ? Ou si tu m’as permis à moi de t’aimer ?
La détente reprit sa place sur ses traits tendres mais déterminés. Elle le dévisagea avec gratitude.
- Je dois me taire, c’est ça ?!
- Tu n’as rien à te reprocher…
Elle poursuivit néanmoins.
- Je suis désolée si je ne suis pas encore tout à fait prête pour… parler…
- Chaque chose en son temps. Tu auras peut-être noté que je suis un homme patient…, ajouta-t-il en levant comiquement les yeux au ciel.
Elle rit doucement.
- J’ignorais que tu pratiquais l’euphémisme.
- L’euphémisme et le dirigisme. Je ne tolérerai pas la moindre auto-flagellation de ta part !
Elle reprenait du poil de la bête.
- Tu entends me dicter ma conduite maintenant ?! taquina-t-elle avec tendresse.
- C’est seulement pour ton bien !
- Prends garde à toi, Fox Mulder ! Je ne veux pas d’un maître…
Elle vint l’embrasser.
- Prends garde à toi, Dana Scully ! Je ne serai pas ton esclave !
- Parfait ! Je pense que nous venons de poser les termes d’un contrat très équilibré !
Ils éclatèrent de rire.
- Donc tu n’es pas… déçu ? reprit-elle plus sérieusement en posant pudiquement son regard loin devant.
- Certainement pas ! Et… toi ?
- Un peu…
- Pardon ?! Tu es déçue ?!
Il se redressa en affichant une mine consternée. Mais il avait repéré le retroussage de lèvres malicieuses synonyme chez Scully de trait d’esprit en phase de pré-lancement. Elle se remit à rire.
- Je suis déçue… d’avoir attendu si longtemps !
- Oh… Alors tu sais quoi ?
- Quoi ?
Il la ceintura pour la ramener jusqu’à lui, l’allongea dans le même mouvement et s’installa avec douceur sur elle. Il posa ses lèvres sur sa bouche. Puis sur son cou. Son sein. Et déclara en humant le parfum de sa peau nacrée.
- Je crois que tu vas l’être encore un peu plus !


***********


- Ne décroche pas…, souffla-t-il en la resserrant contre lui.
Elle s’était redressée en sursautant.
- A cette heure, ça ne peut pas être anodin, déclara-t-elle en se dégageant et en se précipitant sur le portable.
Il la suivit du regard en s’étonnant de reconnaître autant dans cette image celle qui était désormais son amante - corps troublant, désirable, éclatant sous la lune…- et Scully. La femme volontaire qu’il connaissait par cœur, qu’il aimait, et qui, une fois de plus s’élançait toute entière tendue vers son objectif, indifférente au reste du monde fût-ce un Fox Mulder sous ses plus beaux atours !
Elle décrocha et presque immédiatement, il la vit se raidir. Elle écoutait son interlocuteur en silence et souffla lentement, comme un plongeur en apnée qui s’apprête à affronter les profondeurs. Elle hocha la tête avec un regard soudain plus froid.
- Merci. J’arrive.

Elle resta un moment les yeux tournés vers le vent qui fouettait les arbres au dehors, comme si elle cherchait une réponse dans cette obscurité tantôt douce et enveloppante, tantôt cruelle et inquiétante.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
Elle eut un drôle de rire.
- C’est le poids du passé qui se rappelle à moi, on dirait. Il n’aime pas les seconds rôles.
- … ?
Elle se retourna. Elle avait l’air concentrée, déjà ailleurs, dans un monde qui n’avait plus rien d’un confortable cocon. Un monde où l’on se blinde pour affronter les charges hostiles. Elle saisit ses vêtements.
- Je t’expliquerai. Je traîne quelques boulets…
- Charlie ?
Elle le dévisagea avec surprise.
- Non !... Non, reprit-elle plus doucement, pas Charlie… mais… ce qui nous lie je suppose…
- Pourquoi dis-tu que ce poids du passé n’aime pas les seconds rôles, Dana ? insista Mulder en faisant mine de se lever.
Le visage de Scully se radoucit une seconde. Elle se pencha vers lui, interrompit son mouvement pour sortir du lit et l’embrassa.
- Parce que ce passé, – elle caressa tendrement ses lèvres pleines - il y a une certaine personne qui aujourd’hui l’a renvoyé dans les cordes, au niveau des figurants presque invisibles. Et que je compte bien que ça dure. Alors, repose-toi, s’il te plait. Tu l’as bien mérité et c’est à moi de régler ça…
- …
- Rendors-toi Mulder.
- Tu es sûre ?
- Je règle ça et je reviens.
Il sourit et se rallongea.
- Dans ce cas, rapporte-nous de quoi reprendre des forces, femme !
- Soit. Mais… ça se payera !
Elle l’observa une seconde, songeuse. Puis, elle s’élança vers la salle de bain comme si elle avait évacué tout ce qui venait de se dire ou de se passer. Il ne restait plus que la résonnance des mots, décourageants mais un peu trop familiers qui s’étaient invités au beau milieu d’une nuit si belle. Un peu comme un trait raté brouillant un portrait de maître.
A moins que ce trait étrange ne lui confère quelque chose en plus : une profondeur, un mystère…
A moins que cet appel aux relents amers donne à ces heures un goût de Joconde… Une bizarrerie qui s’invite, importune, au cœur de la perfection mais qui prépare la transfiguration de l’éphémère en éternité… Parce que l’éternité ne tolère que la vérité…


***********


- Je suis désolé Dana. En principe, j’évite de t’appeler quand il est…
- C’est bon. Tu as bien fait.
Elle rassura Sean d’une tape sur l’épaule.
- Je ne l’ai pas vu comme ça depuis la mort de Mélissa…
- Où est-il ?
- Là-bas, allongé sur la banquette.
Sean lui désigna un recoin sombre du bar. La salle était vide depuis longtemps. Seule la lumière au dessus du comptoir était restée allumée.
Scully s’avança. Affalé sur le vieux cuir, Charlie gisait là, hoquetant par intermittence.
Elle resta un instant debout au dessus de lui, réalisant avec une brusque culpabilité qu’elle n’était jamais là lorsque Charlie craquait. Elle savait qu’il était alcoolique. Toute la famille le savait. Ils en avaient déjà parlé, le plus souvent à mots couverts.
Mais on ne sait pas tant qu’on ne voit pas…
Avait-elle seulement le courage de vouloir… savoir ?
Son frère… Son bien-aimé frère… puant l’alcool et le vomi. Marmonnant pour lui-même des paroles inintelligibles et replongeant ensuite dans une nouvelle léthargie lamentable, pathétique en bavant sur une banquette de bar au beau milieu d’une nuit. Seul.
Seul malgré l’ami prêt à appeler sa sœur à 5h du matin.
Seul malgré sa présence à elle, aimante et répondant à l’appel.
Seul malgré l’amour de sa femme et de ses fils.
Seul en lui-même, prisonnier de ses démons. Ne parlant à personne d’autre qu’à lui-même. Et écoutant les voix de sa tête plutôt que celles des personnes réelles qui lui parlaient encore.
Elle s’agenouilla près de lui.
- Charles, murmura-t-elle doucement.
- Vas-t-en ! grogna son frère en se retournant pour cacher son visage contre le mur. Fiche le camp, Dana !
- Redresse-toi, commanda-t-elle en ignorant l’ordre qui la renvoyait. Laisse-moi t’examiner.
Elle saisit une main qu’elle passa derrière son cou et de son bras libre, entoura sa taille pour le soulever un peu. Sean se précipita.
- Attends, je t’aide.
A eux deux, ils parvinrent à asseoir Charles.
- Foutez-moi la paix, bordel ! Je veux juste cuver tranquille ! Cuver !!! C’est pas sorcier à comprendre, non ?
Elle passa une main sur son front.
- Sa température est trop basse. Sean, tu aurais une couverture ?
Le colosse se précipita à l’arrière de la boutique.
- Regarde-moi ! reprit-elle en examinant ses pupilles. Pourquoi fais-tu ça ? murmura-t-elle plus bas.
- Devinez, géniale Dana Scully ! provoqua son frère en braillant.
- Ta tension aussi est trop faible, Charles et je ne joue pas aux devinettes.
- C’est tellement plus confortable de fuir, n’est-ce pas ?
Elle serra les dents. Sean était revenu avec un plaid et une bassine d’eau. Elle passa le tissu autour des épaules de son frère, mouilla un linge et lava délicatement son visage grimaçant.
- Ne t’en prend pas à moi si tu es malheureux…
- JE suis malheureux ?! Mais frangine, on sera heureux à deux ou malheureux ensemble, quoi que tu en penses ! professa Charlie. Et il se mit à geindre comme s’il était pris d’une violente migraine.
- Arrête ça. Tu dois te soigner. Il te faut un médecin.
- Je t’ai toi. Tu es la solution, ne t’en déplaise ! Je guérirai quand tu guérira : c’est aussi simple que ça !
- Bois. Elle lui tendit un verre d’eau. Ne cherche pas de prétexte : tu dois affronter tes démons une bonne fois pour toutes Charles et ça, personne ne peut le faire à ta place.
Il la repoussa soudain et se leva en hurlant.
- J’en peux plus de ton petit jeu, Dana ! Je ne supporte plus ce silence !
Dans un grand bruit, il fracassa son verre contre le mur d’en face. Puis il tituba jusqu’à la table où il s’était effondré et d’un geste furieux, attrapa le journal qui trainait dessus. Il revint vers eux et mit le papier sous le nez de sa sœur.
- Et toi ?! cracha-t-il. Quand les affronteras-tu, sainte marie-de-l’oubli-pratique ? Regarde ça en face si tu en es capable !
Il lui fourra la une du journal dans la figure. Puis de rage, il la jeta et s’effondra à nouveau sur la banquette, l’air soudain effrayé.
- On a les mêmes démons, Dana… Les mêmes démons…
Elle prit le quotidien dans ses mains avec une brusque sensation d’étouffement dans la poitrine. Elle ferma brièvement les yeux, récupéra péniblement le souffle qui l’avait quitté face à cet accès de colère qu’elle n’aurait jamais imaginé chez un homme aussi doux que Charlie, et lentement, elle étala le journal sur le bois vieilli. Elle retarda le moment de baisser les yeux aussi longtemps que sa fierté le lui permettait, et elle posa enfin son regard sur les lettres noires et la photo qui trônait en première page.
Elle s’y était préparée mais le voile noir, asphyxiant, qui lui tomba dessus manqua malgré tout de l’emporter comme la vague scélérate engloutit le minuscule chalutier frêle, si vulnérable.
Elle se leva vivement en renversant sa chaise et de ses lèvres, sortit une sourde plainte, à peine perceptible. Elle mit sa main devant sa bouche et fit volte-face pour leur dissimuler un hoquet et réprimer une terrible envie de vomir. Sean la regardait, complètement désemparé.
Charles se hissa sur ses bras et avec un rictus pathétique et désespéré, il s’approcha de sa sœur.
- Ose me dire après ça que tout va bien, gémit-il avec un sanglot misérable. Dana ! Il la secoua comme le poivrot se raccroche au réverbère.
Elle se dégagea vivement, il fit mine à nouveau de s’accrocher à elle en geignant « Ose ! »… et là, comme un reflexe de survie, elle leva sa main et le claqua de toutes ses forces.

Le silence retomba sur eux comme la mort sur un champ de bataille.

Elle le rompit la première et s’avança vers Charles encore sonné. Il la regardait avec stupéfaction plus que colère. Elle passa outre l’interrogation dans son regard et lui tendit simplement la main.
- Rentrons maintenant, dit-elle seulement.
Son ton semblait ferme. Presque.
Elle avait vu sortir le démon de sa lampe, elle avait reculé d’un pas, effrayée. Puis, reprenant ses esprits, elle se jetait maintenant sur le nuage malfaisant pour l’emprisonner à nouveau dans sa cellule. Et dompter ainsi la peur plus que le mal.
Il ne protesta pas et opposa juste d’une faible voix.
- Pas chez moi… Je ne peux pas.
- Je préviens Laureen et je t’emmène à mon appartement. Viens.
Elle prit d’office sa main et l’entraina à sa suite.
- Merci Sean.
Et ils quittèrent le petit bar irlandais. Ils marchèrent quelques mètres pour rejoindre la voiture.
- Dana…
- Pas ici s’il te plait. Pas maintenant. Ou nos mots dépasseront nos pensées.
- Je suis désolé.
- Je veux entendre le vent. Seulement le vent. Tu permets… ?
- …
- Pour le reste, nous verrons après…


***********


Il resta figé sur le pas de la porte de la chambre. Petit à petit, le trajet et les bruits de la nuit l’avaient apaisé. Dana prenait les choses en main. Elle avait prévenu Laureen. Il se sentait minable mais il ne risquait plus rien. Tout reprenait sa place rassurante, même si ces places représentaient dans le même temps le cœur de leur problème. Pourrait-elle un jour compter sur lui avec autant de foi qu’il comptait sur elle depuis cette année où tout avait basculé ?
Son attention revint à l’image étrange sous ses yeux.
- Allonge-toi, je nous prépare à manger, cria-t-elle de la cuisine.
- Je n’ai pas faim, répondit-il d’un air absent en fixant toujours le lit de sa sœur.
- Ce n’est pas pour la faim, c’est pour favoriser l’assimilation plus rapide de l’alcool par ton organisme. Je ne te laisse pas le choix. Des œufs, ça te va ?
- Dana ?
- Quoi ?
- Tu n’as pas dormi chez toi ?
Là, il y eut un silence. Elle le rejoignit par derrière.
- Non, finit-elle par lâcher sobrement.
Il se tourna vers elle.
- Pas dormi ? Pas chez toi ?
Elle soutint le regard de Charles. Au milieu du brouillard ivre, il était traversé d’un éclair de lucidité qui ne laissait aucune place au doute : son esprit s’était brusquement aiguisé à la vue de la couche impeccable.
Elle eut un drôle de sourire. Le voir retrouver une partie de ses moyens fût-ce au prix d’une indiscrétion était réconfortant. Une tendre chaleur se fraya en elle, entre eux, balayant progressivement la terrible gêne des dernières minutes.
- Assieds-toi, Sherlock, fit-elle en lui désignant la direction de sa table à manger.
Il la suivit d’un pas incertain et obtempéra. Il la laissa terminer la cuisson de ses œufs brouillés et griller quelques tranches de pain complet. Puis, elle le rejoignit et déposa une assiette devant chacun.
- Mange.
Et elle attaqua sa propre pitance comme si elle n’avait rien avalé depuis huit jours. Il la regardait, pensif, et consentit finalement à entamer ses œufs. Elle le nota avec satisfaction et enfourna une nouvelle fourchetée dans sa bouche. Au bout de quelques instants, la cafetière italienne se mit à chanter. Dana se leva et leur servit deux tasses de café très serré.
- Je suis désolé, murmura-t-il très bas.
Sans commentaire, elle s’assit.
- Je suis désolé pour le journal, reprit-il un peu plus fort.
Il vit la mâchoire de sa sœur se crisper brièvement puis un air plus serein retrouva sa place.
- Et moi, je suis désolée pour la claque.
- Ça avait le mérite de la clarté.
- Les mots peuvent être tout aussi clairs… Charles, ajouta-t-elle avec une hésitation, tu souffres vraiment de… ce que je ne te dis pas ?
Il leva les yeux vers elle avec stupéfaction. Comment pouvait-elle détourner le regard à ce point ?!
- Je voudrais juste que tu sois heureuse, réussit-il à articuler.
- Qu’est-ce qui te fait croire que je ne le suis pas ?
- Dana…, soupira-t-il.
- Non, toi ! Ecoute-moi. Je… Je suis heureuse. Je crois. En tous cas, ça y ressemble beaucoup…
- Ça a à voir avec ton lit impeccable et sans un pli à une heure aussi avancée ?
Elle rosit joliment avec un petit rire et presque instantanément, il sentit son cœur se réchauffer.
- Ça a à voir, en effet.
- Je le connais ?
Le coup d’œil courroucé de Dana le fit brièvement sourire.
- Ok, ok... Depuis le temps que j’attendais ça… ! C’est une excellente nouvelle qui compense au moins l’autre…
Il marqua un temps et ressortit le journal de son pantalon. Il l’avait récupéré dans la confusion qui avait suivie la gifle. Sans aucune agressivité cette fois, il glissa délicatement le papier entre eux.
- Et ça ? Ca ne te fait plus rien ?
Elle repoussa le journal vers lui sans un regard pour la une. Il le releva sans faire de commentaire. Et elle lui demanda à son tour.
- La vraie question, c’est plutôt : Et à toi, qu’est-ce que ça te fait ?
Il voulut lui dire la honte qu’il éprouvait à se décomposer devant cette photo alors qu’elle, elle refusait toujours de laisser tomber la moindre larme. Il voulut lui dire la colère paradoxale qui le saisissait parce qu’elle lui refusait simplement la vérité. Il voulut lui dire la douleur de ne pas pouvoir porter avec elle, pour elle, le poids du passé qui pourrissait leurs corps comme le ver dans la pomme. Il voulut lui dire la peur… La peur et la haine à revoir ce visage…
Mais devant les traits apparemment tranquilles de sa sœur, devant ce qui ressemblait furieusement à une femme amoureuse, il se prit à douter de lui et il ne réussit qu’à articuler :
- Je me sens si nul…
- A cause de… Lui ?
- Peut-être que tu as raison, continua-t-il en tirant le fil de ses pensées. Peut-être que je me repose trop sur la certitude que je guérirai quand tu guériras… Et que j’ai tort de croire que je peux t’aider…
- Des conneries ça. Tu m’as déjà aidé… Je vais bien Charlie. Et si tu veux aider, vraiment, davantage, commence donc par prendre soin de toi. Nul n’a suffisamment de ressource en soi pour être présent aux autres quand il porte autant sa peine en bandoulière.

Ce fut comme une seconde claque.
Mais celle ci portait la lumière de la révélation. Comme si elle lui donnait enfin la clé qui pouvait les libérer.
C’était cela !
A lui, le rescapé, de se battre à son tour. A lui de combattre et vaincre ses démons. Et lorsqu’il aurait fait place nette, lorsqu’il aurait retrouvé les forces qui lui manquaient, alors, ce jour là, il serait prêt à tendre la main à Dana. Et ce jour-là, elle pourrait s’y abandonner sans craindre de tomber avec lui.
Elle se leva pour débarrasser les couverts. Ou peut-être pour lui dissimuler les traces d’un trouble qu’elle ne s’autorisait pas à éprouver puisqu’il fallait qu’elle soit forte quand il était faible… Charles sentit que toute la route qu’ils avaient parcourue ensemble jusqu’ici s’éclairait : lorsqu’il se retournait en arrière, il réalisait qu’à chaque fois qu’il s’était montré solide devant elle, elle avait pu lâcher du lest. Et qu’à chaque fois qu’il craquait, elle redevenait chevalier-sauveur. Mais les chevaliers sont en armure et pour rien au monde, ils ne s’en séparent. Ils savent qu’on ne survit pas sans armure lorsqu’on est l’ultime rempart…
Elle nettoya lentement les assiettes en lui tournant le dos, sans un mot, dans un silence reposant. Il commençait à se laisser bercer par l’écoulement de l’eau quand il se rendit compte que le robinet déversait toujours son filet alors qu’il n’y avait plus rien à laver. Il lutta pour redresser sa tête qui se faisait de plus en plus lourde. Il avait sommeil. Et appela simplement :
- Dana… ?
- …
- Dana -…
Elle l’interrompit vivement pour lui éviter des mots de réconfort dont elle ne voulait surtout pas :
- Ne lui donne pas le pouvoir de t’affecter ainsi. Jamais.
Son timbre était sourd, mais il vibrait d’une telle force qu’il en frissonna. Elle ne s’était pas retournée.
- … J’aimerai tellement…
- C’est lui faire bien trop d’honneur, poursuivit-elle comme si elle ne parlait qu’à elle-même. Tu n’es pas nul. Toi, tu es un homme de bien, de justice. Un homme de cœur… ce à quoi cet enfoiré ne pourra jamais prétendre.
Sa voix s’étrangla comme si elle réprimait un sanglot. Il grinça.
- Et pourtant, c’est lui qui reçoit les honneurs de la nation !
Elle parut sortir de sa torpeur. Un peu.
- La nation se fourvoie. Ça ne fera qu’une fois de plus, mais c’est sans importance : Tu es déjà plus fort que lui.
- …
- Crois-moi, Charlie : tu es infiniment plus fort.
Elle le lui cachait de son mieux mais il vit ses mains s’agripper violemment au rebord de l’évier pour contenir un tremblement furieux. Non sans peine, il s’arracha à sa chaise et avança en branlant jusqu’à elle. Il prit maladroitement ses épaules et l’enlaça par derrière en embrassant doucement sa chevelure.
- Toi aussi, tu es forte…
- Moi, ça va, se braqua-t-elle dans un réflexe défensif.
Elle parut réaliser la potentielle malhonnêteté de sa repartie. Elle inspira vivement et se retourna avec un sourire bravache.
- Je suis amoureuse ! ajouta-t-elle en guise d’excuse.
Il la contempla. Et les larmes partirent toutes seules en même temps que le rire.
- Et ça me comble de joie ! hoqueta-t-il entre deux fontaines. Tu ne peux pas savoir combien j’en suis heureux !
Et il s’écroula dans ses bras en bafouillant un doux mélange de félicitations et d’excuses.

Elle le conduisit jusqu’à son lit, l’allongea, ôta ses chaussures et le recouvrit d’une couverture. Elle resta un moment à contempler ses traits endormis. Elle retrouvait son frère. Il avait la beauté des terres sauvages, natures sublimes, magnétiques, impériales mais si fragiles… On les aime ces terres. On les admire. Mais Dieu qu’on craint pour elles…
Puis elle revint à la table et s’assit devant le journal. Elle posa ses yeux sur la photographie. Frémit.
Elle resta de longues minutes à s’obliger à le regarder en face, les poings serrés à se faire mal, les genoux tremblant… Elle le regarda jusqu’à ce qu’elle réussisse à maitriser ses frissons.
Sa bouche articula sans qu'un son ne passe ses lèvres :
- Tu ne me voleras plus jamais ma vie…
Elle craqua une allumette et brûla la page en prenant tout son temps. Lorsque la dernière lettre d’encre et le dernier point d’image eut disparut, elle éteignit le papier de ses larmes. Leur permettant enfin de couler librement sur ses joues, sans armures, sans entraves.

Puis elle écrivit un petit mot pour Charlie et sortit.


***********

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Message  noisette Ven 19 Aoû 2011 - 22:45

***********


Elle tourna la clé dans la porte avec un mélange d’euphorie et d’appréhension.
Retrouver Mulder avait une toute nouvelle saveur épicée, délicieusement renversante. Et dans le même temps, Scully ne pouvait retenir une angoisse insidieuse : ce qui était acquis alors qu’elle caressait sa peau un peu plus tôt n’allait-il pas se dissoudre dans l’éloignement de leurs corps pendant ces quelques heures ? Les habitudes pèseraient-elle sur la fluidité de leurs retrouvailles ou l’évolution de leur relation serait-elle assimilée comme une évidence ? La même évidence qui les avait poussés l’un vers l’autre la veille…

Et puis, elle était résolue à lui dire. Maintenant, il fallait qu’il sache. Tout.
Les choses n’arrivent pas par hasard. Combien de fois Mélissa le lui avait répété jusqu’à l’horripiler ? Tout était signe pour sa sœur ainée. Pas de hasard, juste du sens, toujours… Dana eut un frisson : comment Mélissa aurait-elle interprété le fait qu’on l’assassine deux jours juste après que sa cadette se soit enfin résolue à se confier pour la toute première fois… ?
Si elle en parlait aujourd’hui, ça ferait deux personnes en vie qui seraient au courant. Enfin… en comptant Charlie. Et Charlie, c’était un peu plus compliqué…
Charles…
Il avait balafré au fer blanc cette nuit avec son article ; et pour une fois, Scully était prête à y voir la main du destin.
L’amour physique les avait unis, Mulder et elle. Mais le téléphone avait déchiré l’illusion que la messe était dite. Et jamais elle ne serait dite sans ces mots que Dana retenait depuis si longtemps. Elle souffla un grand coup :
Quand on ouvre vraiment son corps, il faut bien que le cœur suive… Si c’est de l’amour… Si c’est l’Amour…

Elle laissa tomber sa veste sur une chaise, ôta précautionneusement ses escarpins et s’avança à pas feutrés vers la chambre. Elle s’arrêta au seuil de la pièce, et contempla avec émotion la silhouette endormie figée au centimètre près dans la même position où elle l’avait quittée. Ce fut plus fort qu’elle : elle chassa presque immédiatement son idée originelle. Ici, l’heure était à aimer. On parlerait ensuite seulement.
Elle se dévêtit promptement et se glissa dans les draps chauds de la présence endormie de Mulder. Sans laisser le temps au doute de s’installer, elle vint poser sa tête sur son torse et enlaça sa taille dans un soupir d’aise. Instantanément, elle sentit avec un soulagement immense ses grands bras qui entouraient son dos.
- Tu es là.
Ce n’était pas une question. Juste l’expression d’un constat bienheureux.
- Ne te réveille pas pour moi.
Elle se lova un peu plus contre son corps.
- Je dors encore, murmura-t-il tout en remontant sa main sur son cou et en le massant gentiment. On dirait bien que je rêve…
Ils sourirent ensemble. Lui, les yeux toujours fermés ; elle, tout contre sa peau musquée.
- Un rêve, oui. C’est ça. Et que ça dure…
Elle se détendait complètement maintenant, savourant l’intimité retrouvée aussi facilement qu’un oiseau migrateur retrouve fidèlement les mêmes lieux à chaque nouvelle saison. Pour la première fois, elle réalisa qu’à eux deux, mine de rien, au fil des ans, ils avaient petit à petit construit leur relation comme un véritable nid, doux, protecteur. Un nid qui prenait une nouvelle dimension aujourd’hui… Et un nid suffisamment solide pour affronter les bourrasques à commencer par un certain coup de tonnerre qui résonnait en elle depuis trop longtemps.
- C’était Charles ?
Elle se redressa sur ses coudes et remonta à la hauteur de son visage au dessus de lui. Il ouvrit une paupière sous son examen, puis l’autre.
- Je t’aime, souffla-t-elle.
Là, il ouvrit franchement les yeux et se redressa pour la regarder bien en face.
- C’est le plus agréable des bottages en touche que tu ne m’aies jamais fait !
Elle rougit vivement.
- D’accord. Au temps pour moi. Je reconnais : je ne veux pas parler de Charlie tout de suite…
- Pas de problème.
- Mais ! poursuivit-elle et elle le fixa avec émotion, de l’eau au fond de ses iris azurés. Ce que j’ai dis, ce n’est pas qu’un bottage en touche…
- Je sais.
- Vraiment… ?
- Il y a… une certaine photo qui a parlé depuis longtemps, non ?
La photo du Superbowl. Évidemment, se remémora-t-elle avec des tourbillons dans le ventre parce que, ça y était : ils avaient enfin terminé ce mouvement l’un vers l’autre. A un petit détail près…
- Tu m’avais démasquée alors ?
- Dana, tu as lu la même chose que moi. Sinon tu ne l’aurais pas cachée…
- Dois-je comprendre que toi aussi… ?
Il la fit basculer sous lui, elle s’accrocha à son cou.
- Laisse-moi te le prouver encore une fois.


***********


Il restait silencieux, pressant seulement sa main avec une force qui en disait long sur sa tempête intérieure. Elle avait parlé tout ce temps d’un ton lent, et monocorde, comme en sourdine. Pas une fois, elle ne l’avait regardé dans les yeux.
Ça ne lui ressemblait tellement pas…
Mais elle n’avait pas fléchi : elle était allée au bout du récit, douloureux, étouffant. Et maintenant, elle attendait…
Elle était figée dans une posture tendue, assise, les genoux remontés contre sa poitrine, le dos courbé et le regard fuyant. De ses doigts, il essaya très doucement d’ouvrir son poing mais il était serré à faire peur. Elle ne parvenait plus à réprimer ce mécanique balancement d’avant en arrière. Il l’avait déjà vu faire ça. Il comprenait mieux pourquoi maintenant…
Tellement de choses s’éclairaient soudain, même si la lumière était terriblement dure. Aussi dure que l’éclat du soleil pour le prisonnier qui redécouvre le jour après des mois de cachot.
Parfois la lumière fait mal… avant d’offrir la chaleur qui panse les plaies.
Il posa ses yeux sur elle.
- Combien de personnes sont au courant ?
Elle hésita. Et d’une voix qu’elle s’efforçait de maintenir ferme, elle répondit finalement.
- Il n’y a que toi… et Mélissa.
- Et Charles…
- Non, pas vraiment…
Il se retourna vers elle, décontenancé.
- Vous n’en avez jamais reparlé ?!
- En fait, soupira-t-elle, c’est probablement la plus grosse part du problème…
Il digéra la nouvelle.
- Et Willis ? Et Waterston ? Tu les as aimés, non ? reprit-il sur un ton incertain.
Là, elle le regarda en face. Comme pour lui rappeler que c’était lui qu’elle aimait aujourd’hui. Elle marqua un temps en s’arrimant à ses yeux tendres. Ça calma son mouvement de balancier. Mais elle répondit franchement.
- Oui. Surtout Daniel.
- …
- …
- Mais… ?
- Je ne sais pas, avoua-t-elle.
Il la laissa faire son chemin. Il devinait ses raisons.
- J’avais peur de leur réaction, convint-elle enfin après un lourd silence.
- Est-ce que tu as peur de la mienne ? demanda-t-il la gorge nouée en levant doucement son menton pour la contraindre à lui répondre dans les yeux.
Elle se dégagea lentement, posa ses yeux sur ses pieds et éluda. C’est là qu’il sut que le chemin de la guérison n’était pas accompli.
- J’espère juste que… - sa voix était plus faible qu’une brise infime entre deux dunes – tu m’accepteras avec… Je veux dire : ça fait partie de moi, mais je ne suis pas que ça. Surtout pas. Tu comprends ?
- Viens, dit-il simplement en l’enlaçant de toutes ses forces.
Elle s’abandonna dans ses bras. Il poursuivit en soufflant à son oreille :
- On accepte les clauses d’un contrat, on accepte ce qui est sujet à débat, à discussion. Toi, je ne t’accepte pas : je t’aime. C’est tout. Et je ne sais que trop bien la merveille de complexité et de richesses que tu es ! acheva-t-il en lui adressant un sourire réconfortant accompagné d’un sobre clin d’œil pour la rassurer.
Parce qu’il n’était pas question de réduire Scully à… ça. Même si * ça * avait manifestement modelé dans la souffrance la Scully qu’il connaissait.
Elle n’eut pas le souffle pour articuler une réponse et hocha juste la tête en lui dissimulant son émotion.
A genou sur le matelas, il la berça tendrement.
- Comment as-tu pu porter ce fardeau toute seule pendant si longtemps ? murmura-t-il presque pour lui-même. Tu n’en as pas reparlé avec Charles et Mélissa est morte tout de suite après…
Dana avait tenu jusque là mais à cet instant, elle fondit en larmes. Elle étouffa ses premiers sanglots mais le torrent débordait d’avoir enflé, contenu pendant tant d’années au prix de barrages de fortune. Des barrages qui certains jours faisaient tout autant si ce n’est plus de mal que le mal lui-même…
La plainte jaillit d’entre ses lèvres, irrépressible. Longue, lancinante comme celle d’un animal blessé. Puis elle se mua et se libéra par des secousses, violentes, exténuantes. La souffrance s’évacuait par des flots acides, brûlant ses poumons, sa gorge, ses yeux, ses joues… C’était comme d’accoucher d’un monstre.
Même avec Mélissa, elle n’avait pas vécu cela : elle lui avait tout dit les yeux secs et lorsqu’une fois fini, elle avait senti le point de rupture venir, elle s’était levée malgré les protestations de sa sœur et elle était partie. Elle s’en était voulue. Sa raison lui avait hurlé qu’elle ne devait surtout pas fuir, pas là… Mais elle était partie… ratant le coche, l’unique coche pour déposer enfin aux pieds d’un autre tout le poids de la douleur retenue.
Elle était partie… Et elle n’avait plus jamais revu Missy en vie…
Mais aujourd’hui, elle restait. Elle était encore là, le visage défait, enfouissant sa bouche déformée par un cri quasi muet mais pourtant assourdissant contre le cou de Mulder. Elle voulait disparaître contre sa peau, se fondre dans sa masse rassurante. Dana s’écroula littéralement vidée, prostrée contre le premier à recueillir le sel de ses larmes. Avec des mots apaisants, il l’encouragea à expulser sa peine, jusqu’à la dernière goutte, jusqu’au dernier sanglot.
Puis vint le moment où elle parut enfin à court d’eau. La peine à marée basse, elle commença à s’endormir contre son épaule. Il serra un peu plus fort sa taille. Dans un demi-sommeil, elle s’agrippa à lui alors qu’il l’allongeait et la recouvrait de sa couette. Puis il la cala contre son bras, remonta sa jambe couvrant son ventre plat qui se soulevait déjà d’un souffle régulier, apaisé. Et lorsqu’il eut enfin le sentiment de protéger la tranquillité de ce sommeil sacré, il s’autorisa à l’examiner. Son visage abandonné portait les marques du combat qu’elle venait de livrer contre ses démons. Il serra les poings en repensant à ce qu’elle lui avait confié. Il s’en était voulu de tout ce qui lui était arrivé à cause de lui. Il réalisait avec une colère sourde que le sort s’était acharné contre elle. Depuis toujours ou presque.
Il se souvint de cette phrase tellement amère qu’elle avait laisser filer presque malgré elle après l’agression de Pfaster : « Il vaudrait mieux que les bonnes fées se dépêchent pour m’apporter de bonnes nouvelles parce qu’à ce rythme, je serai morte lorsqu’elles arriveront »…
Il souleva une mèche auburn barrant le front fier et endormi. Et il y posa tendrement ses lèvres.
< Ça va changer ! >, lui jura-t-il en silence comme une promesse de sacrement.


***********


Elle se réveilla avec un sentiment de bien-être extrême. Jamais de sa vie, elle ne s’était sentie si légère. Elle savait que ça ne durerait pas éternellement et que bien vite, elle retrouverait son paquetage encombrant mais pour la première fois, elle avait la certitude qu’il pèserait moins lourd. De moins en moins lourd. Parce que Mulder l’avait étreint ; parce que malgré tout, il lui avait dit qu’il l’aimait ; parce qu’elle s’était réveillée un court moment cette nuit et qu’elle l’avait trouvé enlacé contre elle et la couvrant de tout son corps ; parce qu’elle avait pleuré tout son saoul et que pourtant elle était encore entière ; parce que rien ne s’était écroulé dans son monde et qu’elle venait d’éprouver qu’au contraire, il était bien plus résistant aujourd’hui qu’il ne l’avait jamais été ; parce qu’elle pouvait affronter l’image de son cauchemar sans sombrer ; parce que pour la première fois depuis des années, elle se surprenait à penser qu’elle devrait peut-être même chasser le responsable de ce cauchemar puisqu’aujourd’hui elle en avait la force.
Puisqu’elle était… heureuse !

Mulder n’était plus au lit mais elle l’entendait farfouiller en sifflotant dans la cuisine. Cela acheva de la combler d’aise.
Cette mélodie joyeuse approximative, l’odeur du café chaud et une autre moins emballante de pain brûlé résonnait comme un rassurant retour à la normale.
Si tant est qu’il soit normal de se réveiller dans le lit de son partenaire !
Elle y réfléchit deux secondes. Et décida que les choses étaient parfaites ainsi. Parce que cela coulait de source. Parce que c’était aussi naturel de se réveiller entre ses draps que de pousser la porte du bureau des affaires non classées chaque matin pour le retrouver depuis 7 ans.
Elle sourit, consciente que l’euphorie la faisait voir les choses sous leur meilleur jour. Il fallait qu’elle soit sérieusement amoureuse ! Si Charles était là, il se payerait gentiment sa tête. Son esprit se voila un peu. Charles… Il fallait qu’elle l’appelle.
- Scully ?
Mulder passa sa tête dans la chambre.
- Salut…
Elle le suivit des yeux alors qu’il s’approchait vers elle. Il avait son pantalon et enfilait un tee-shirt. Il s’assit sur le lit à sa droite, passa une main de l’autre côté de sa taille et la dévisagea avec un grand sourire.
- Tu as raté la messe, on dirait, lâcha-t-il en toute innocence.
Elle éclata de rire.
- Quelle heure est-il ?
- Midi et quart. Ça, c’est de la grasse matinée !
- Je récupère de pas mal d’émotions, il se trouve…, rétorqua-t-elle d’une voix émue.
- Où ça des émotions ? chuchota-t-il en l’embrassant.
- Quelque part sous les draps, articula-t-elle difficilement tout en répondant à son baiser. Et…
- Et ?
Il s’écarta légèrement.
< Ici > dessinèrent ses lèvres alors qu’elle lui montrait son cœur.
- Pour ça, j’ai un excellent fortifiant, dit-il en déplaçant sa bouche à l’endroit qu’elle lui désignait.
- Tu ne serais pas un peu présomptueux…
- Des donuts, jeune dévergondée ! Je parlais de donuts ! Tu ne nous as pas ramené à manger et j’ai, comme qui dirait foiré mon pain perdu. Pourtant je fais du super pain perdu en temps normal. Est-ce que tu me donnes quelques minutes pour nous rapporter un petit déj royal ?
- Je ne bouge pas.
- Excellent !
Il se releva avec entrain et se dirigea vers l’entrée. Mais il parut se rappeler quelque chose. Il revint sur ses pas.
- Est-ce que tu veux aller retrouver ton frère ?
Elle le regarda longuement, avec gratitude. C’était réellement une question ouverte.
- Ça ira. Je vais l’appeler.
- Comme tu veux. A tout de suite !
Et il disparut.
Elle resta quelques minutes à savourer la chance d’avoir un homme comme lui à ses côtés. Capable de recueillir une confidence douloureuse avec toute la délicatesse dont elle avait besoin. Mais capable aussi de lui faire sentir qu’il n’allait pas changer de comportement vis à vis d’elle.

Elle saisit son portable et composa le numéro de son téléphone fixe.
Une voix pâteuse décrocha.
- Hum… Oui ?
- Charlie ? Tu dormais peut-être… ?
- Penses-tu ! Je ne voulais pas rater la messe !
Elle étouffa un rire. Ils s’étaient donnés le mot ces mécréants ! Ça la rasséréna. C’était le signe que son frère allait mieux.
- Hypocrite ! Comment vas-tu ?
- J’ai la tête comme une patate Dana. Et toi, ça va ?
- Très bien. Tu t’es pris une douche ?
- Je vais y aller, promis, Maman ! Est-ce que tu as du tabasco ?
- Deuxième placard du haut quand tu entre dans ma cuisine, à gauche. Étagère du bas. Réhydrate-toi Charles et oublie les remèdes de poivrot.
- J’croyais bien que j’avais fait tous tes placards pourtant, marmonna Charlie.
- Recommence. Et bois un grand verre d’eau fraîche, je te dis. Tu as téléphoné à ta femme ?
- Pas encore eu la force.
Cette fois, le ton n’était plus à la plaisanterie. Elle hésita mais au fond, elle savait déjà pourquoi elle l’avait appelé.
- Tu veux que je t’en donne ? De la force ?
Silence.
- De quoi parles-tu frangine ?
Elle inspira profondément et lâcha.
- J’ai tout dit à Mulder.
- Tu… Tu as tout dit… quoi ? bredouilla-t-il en sachant pertinemment de quoi il s’agissait.
- Tu t’inquiètes pour moi, n’est-ce pas ? poursuivit-elle en ignorant sa remarque.
- Ou-… Oui…
- Alors ne t’inquiète plus. Je… voulais que tu le saches.
Ils se turent tous les deux. Longtemps.
- Je vais téléphoner à Laureen, décréta finalement Charlie.
- Elle aussi doit être inquiète. Peut-être en colère, non ? A force d’être inquiet, on peut en vouloir à l’autre…
Il y avait une question sous-jacente. Il le comprenait bien.
- Parfois on est en colère. Le plus souvent, on aime. Enfin… je crois, ajouta-t-il en pensant cette fois à ce qu’endurait Laureen depuis tant d’années.
- Charles ? relança-t-elle encore.
- Oui ?
- Tu ne m’en veux pas si j’attends encore pour que nous… parlions de tout ça ?
Il sentit que c’était encore difficile pour elle de nommer les choses.
- Non. J’ai cru comprendre qu’il serait bien que je me soigne d’abord.
Encore un long silence.
- Oui. Ce serait bien… Code n°1, Charlie.
Il frémit.
30 ans ou presque. Mais le souvenir lui revenait aussi vivace qu’autrefois. Ils étaient enfants. Ils étaient pudiques parce que dans cette famille, on ne se faisait pas de grandes déclarations et que les embrassades étaient souvent maladroites. Alors Mélissa leur avait appris le code n°1. On lève le pouce vers son frère ou sa sœur pour lui dire qu’on est avec lui, « qu’on l’aime, quoi ! ». Missy ne s’en servait jamais parce qu’elle, elle le disait sans mal. Bill ne s’en servait jamais parce que même en codé, c’était trop sentimental. Charles et Dana avaient adoré et s’en étaient servi tout un été… jusqu’à un certain matin de septembre…
Et voilà qu’après toutes ces années, il re-jaillissait.
- Moi aussi, je t’aime, répondit-il finalement dans un sourire.
Les mots étaient bien le seul domaine dans lequel il avait de l’avance sur sa sœur…
- Au fait…, reprit-il avec un éclair joyeux dans les yeux tout en versant le tabasco sur l’œuf cru qu’il venait de casser dans un verre.
- Oui ?
- Puisque Mulder et toi c’est officiel -…
- Non !!! Non, je n’ai encore rien dit à Maman Charlie. Pas de gaffe !
- Ok, ok. Puisque Mulder et toi, c’est officieux, corrigea-t-il en touillant sa mixture, peut-être pourriez-vous joindre l’utile à l’agréable ?
- Pardon ?
- Il y a des méthodes plus naturelles que les inséminations, non ?
Il changea le téléphone d’épaule et finalement, après une courte hésitation, ajouta un grand jet d’eau à son remède.
- C’est pas vrai ! Tu ne vas pas recommencer !
- J’avais raison non ?
- Non ! C’est beaucoup plus compliqué Charlie. Je n’aurai pas d’enfants. C’était ma dernière chance. S’il te plait, je ne veux pas y revenir…
Là, sa voix se brisa un peu. Charles s’interrompit dans sa seconde rasade de tabasco pour allonger le mélange à la robe de plus en plus douteuse. Il posa le verre et fixa les étagères comme s’il pouvait transpercer les murs d’un regard et porter jusqu’à sa sœur à l’autre bout de la ville.
- Tu te trompes. Il faut toujours croire aux miracles, Dana.
Elle se tut, troublée. Ce n’était pas la première fois que Charles et Mulder lui tenaient exactement les mêmes propos. Etait-ce le signe qu’il fallait vraiment y croire ?
Après tout… Mulder et elle, ça semblait si…
- Frangine, Mulder et toi ensemble, c’est le miracle que j’attendais depuis des années, reprit Charlie comme s’il avait lu dans ses pensées. Alors, pourquoi pas ?...
- Charles ?
- Oui. D’accord. Je me tais.
Il fit tomber trois glaçons dans son breuvage.
- Non, c’est pas ça mais… laisse-moi juste… savourer !
Malgré son mal de crâne, Charles sourit jusqu’au fond des yeux. Il avala d’un coup sa potion améliorée « réveil difficile », grimaça. Et lâcha finalement.
- Alors qu’est-ce que tu fais encore là à tenir la jambe de ton pochard de frère ?! Va donc l’assaillir cet heureux homme !
Et il raccrocha.
Le sourire toujours aux lèvres, il laisser s’écouler quelques minutes. Puis, le cœur soudain plus serré, il reprit le combiné et composa le numéro de son foyer…


***********


Mulder cala le sac de donuts sous son bras et dégaina son mobile en jetant un regard prudent vers sa fenêtre.
Au bout de trois sonneries, une voix familière lui répondit.
- Frohike ? C’est moi… Non, laisse tomber la soirée steaks de fromage, c’est sérieux : je vais avoir besoin de vous… Non, rien à voir. C’est un cador de Washington. Je veux tout savoir sur lui. Surtout le pire. Mais je vous veux plus discrets qu’un sioux… C’est ça… Et… Frohike ?… Pour le moment, pour le moment seulement… Pas un mot à Scully…

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Message  noisette Lun 27 Aoû 2012 - 9:07

CH 14. Oh my mama…




Fin Novembre 2000. Domicile de Margareth Scully, 23h20.

Elle hésita encore une fois. Finalement, elle leva la main et cogna trois fois contre la porte.
Tout en entendant à l’intérieur de la maison des pas qui venaient vers elle, elle se surprit à penser que ces dernières années, elle avait perdu l’art et la manière d’arriver à l’improviste chez les gens. Sa mère saurait immédiatement que quelque chose n’allait pas. Scully soupira et se jura de venir au moins une fois au cours des prochains mois juste pour échanger sans avoir de mauvaises nouvelles à annoncer. Sans risquer d’être sur le point de craquer.
Elle se redressa : elle allait bien. Elle survivait. Et près tout, ce n’était pas une si mauvaise nouvelle ce qu’elle était venu lui dire.
La porte s’ouvrit.

- Chérie ? Quelque chose ne va pas ?! s’exclama Margareth en la prenant dans ses bras avec un regard suspicieux.

Maggie… Et le pouvoir surnaturel d’une mère de lire dans l’intensité d’un souffle ou le détour d’un regard. Force et faiblesse, deux en un. C’était un lot, la super promo... Impossible de prendre l’un sans l’autre.

- Bonsoir Maman, rétorqua Dana en s’efforçant de sourire pour effacer le masque d’inquiétude qui venait d’assombrir le visage maternel. Je peux… ?
- Entre ! invita Margareth d’un geste large. Je n’ai pas eu le temps de ranger encore. Le père McCue et les membres du conseil pastoral viennent juste de partir.
Dana s’abstint de dire qu’elle était tout à fait au courant. Elle avait attendu plus d’une demi-heure dans sa voiture que sa mère soit enfin seule. Elle s’avança dans le séjour et se dirigea vers la grande table encore recouverte des vestiges d’un de ces repas que Margareth préparait comme personne.
- Je peux te donner un coup de main, proposa-t-elle en saisissant quelques assiettes pour les empiler sans attendre de réponse.
Margareth était restée en retrait et fixait la nuque de sa fille, la mâchoire serrée et le visage fermé. Le pansement - énorme - faisait naître des palpitations dans sa poitrine martelant l’évidence : une fois de plus, quelqu’un s’en était pris à la chair de sa chair. Comme si Dana n’avait pas assez souffert ces derniers temps…
Elle s’approcha, posa sa main sur le bras de sa fille et l’obligea à se tourner vers elle.
- Pose ça, commanda-t-elle fermement mais tendrement. Et assieds-toi.
Au fond d’elle, Scully eut envie de rire. C’était peut-être nerveux. Certaines choses ne changeaient jamais.
Elle s’assit docilement pendant que Margareth sortait deux tasses de son buffet. Dana la regarda se mouvoir : sa mère avait toujours cette aura de calme et d’efficacité apaisante. Elle se surprit à avoir envie de la serrer dans ses bras : une mère, c’est un peu ça. Un havre de paix qui doit tenir dans la tempête.
Elle déglutit. Et elle ? Qu’offrirait-elle quand ce serait l’heure ? La paix… ou la tempête ? Pour la millième fois, Dana se reprocha son projet, un projet de funambule, une folie. Mais tant pis, écarta-t-elle une millième fois encore, c’était une folie douce.
Margareth revint vers elle et s’assit en prenant tout son temps.
- L’eau n’est plus très chaude, avertit-elle en saisissant la théière.
- Ce sera parfait M’man, rassura Scully en lui tendant sa tasse.
En silence, Margareth les servit, remit la théière à sa place et se mit à touiller lentement son breuvage. D’un œil attentif, elle dévisagea sa fille pour l’encourager à prendre la parole.
- Le père McCue essaye toujours de rajeunir la chorale de la paroisse ? se lança Scully pour entamer la discussion.
Trente ans que sa mère faisait chanter des générations de choristes à l’église.
Margareth esquissa un demi-sourire résigné en contemplant sa cadette, prête à affronter tous les dangers sauf celui qui se dressait face à elle quand il s’agissait de se confier.
- Toujours. Maggie soupira avec un brin de fatalisme et se résolut à entamer les hostilités en désignant vaguement le cou de sa fille. Dana, que t’est-il arrivé ?
- Rien de grave, éluda-t-elle.
- Ça, je l’aurai parié, murmura Margareth pour elle-même mais assez fort pour que Dana l’entende.
Puis elle releva ses yeux clairs, soudains plus durs. Elle exigeait une réponse. Dana frémit mais soutint le regard déjà lourd de reproches.
Margareth posa sa cuillère et croisa ses bras.
- Rien de grave. Mais encore ?
Avec un gloussement faussement détaché, Scully avoua :
- En fait, je crois que ça ferait rire le père McCue…
- Permets-moi d’en douter…
- Oh si, d’une certaine façon, c’est comique : figure-toi qu’il y a eu des gens pour croire que j’étais digne de porter en moi la dernière réincarnation du Christ. Scully esquissa une grimace.
- Pardon ?!
- Une secte.
Le visage de sa mère se mit à se décomposer à vue d’œil et Scully décida de ne pas prolonger l’exposé.
- Mais l’agent Doggett s’est comporté comme un vrai… partenaire, concéda-t-elle du bout des lèvres. Il est arrivé avant que les choses ne tournent au vinaigre. Tu vois… Plus de peur que de mal, mentit Scully avec aplomb. Et pas de quoi fouetter un chat.
- « Porter en toi » Dana ? répéta sa mère avec une expression hébétée, encore bloquée sur la première révélation. Qu’est-ce que je dois comprendre ?! Ils t’ont séquestrée ? Ils t’ont… fait du mal ?
- Maman, ça va. Ne t’inquiète pas. Et, à vrai dire, je ne suis pas venue pour te parler de ça.
- Parce qu’il y a quelque chose de plus important à discuter que le fait que tu aies à nouveau été agressée ! s’exclama Maggie en réprimant un sursaut choqué.
Elle inspira longuement pour retrouver un semblant de calme et tenter de conserver une attitude un tant soit peu réceptive.
- Excuse-moi. Je t’écoute.
- …
- Dana ?
La vieille horloge tinta. Une fois.
23h30. L’heure de ne plus se dérober.
- Je suis enceinte, Maman.

Margareth Scully renversa sa tasse de stupeur.
- Tu… quoi ?!
A son tour, Dana respira un grand coup et en s’efforçant de conserver une voix claire, elle confirma en concédant une expression plus affective.
- J’attends un enfant.
Margareth se laissa aller contre le dossier de sa chaise, assommée par la nouvelle.
- Doux Jésus ! murmura-t-elle.
Elle resta un moment sans rien prononcer de plus. La flaque de thé commença à s’étendre, brunissant la nappe claire et se dirigeant impitoyablement vers le bord de la table comme un ruisseau cherchant à rejoindre son lit.
Scully se leva pour chercher une éponge et revint nettoyer le liquide tiède qui commençait à goutter sur la jupe de sa mère sans que celle-ci ne semble s’en apercevoir. Timidement, elle passa une main tendre dans le dos de Margareth. « Maman… ? » souffla-t-elle. Celle-ci leva les yeux vers elle et Dana lui renvoya un petit sourire d’ouverture. Il mourut sur ses lèvres devant le mutisme glaçant de sa mère.
- Ça fait combien de mois ?
- Trois.
- Trois, répéta Maggie comme prise de vertiges.
Elle se leva tout d’un coup en se dégageant de la caresse de sa fille. Avec inquiétude, Dana la regarda se diriger vers l’évier.
- Et qui est au courant ?
- Le directeur adjoint Skinner -…
Le poing de Margareth Scully s’abattit violemment sur le plan de travail. Dana sursauta.
- Ton supérieur est au courant de ta grossesse avant ta propre mère ?! accusa-t-elle avec une colère sourde.
- C’était à cause de la situation, Maman. Je n’ai pas pu lui cacher.
- Très bien, gronda Margareth. Et qui d’autre ? Ton concierge peut-être ?!
- Charlie, précisa Dana en ignorant délibérément la provocation.
Margareth fit volte face et dévisagea sa fille avec cette fois une certaine surprise
- Tes frères sont au courant ?!
- Non, pas Bill. Juste Charlie.
- Et comment… ?
- J’ai quelques malaises, des nausées. Il m’a surpris dans une position – là, Dana sourit légèrement -… une position un peu compromettante aux toilettes et… voilà…
Margareth resta un instant à dévisager ce drôle de sourire flottant sur les lèvres de sa fille. Pas tout à fait un sourire heureux. Comme si elle tentait de s’excuser d’avoir le droit de profiter de la nouvelle. Elle inspira profondément et revint vers Dana avec un regard plein de reproche.
- Tu ne cesseras donc jamais…
- …
- Sais-tu quel est mon pire cauchemar Dana ?
Scully vit passer un éclair bouleversé dans les yeux de sa mère. La gorge sèche, elle secoua négativement la tête, furieusement tentée de laisser glisser son regard le plus bas possible sous la table comme si elle pouvait s’y cacher, se soustraire à ce sentiment de culpabilité, comme lorsqu’elle était enfant. Mais il n’était pas question de se cacher aujourd’hui.
- Tu es devant moi, commença Margareth le regard soudain lointain et la mâchoire serrée. Tu me regardes sans rien dire d’abord. Dans ton regard, je devine que quelque chose ne va pas mais je ne sais pas encore quoi. Toi, tu sais déjà mais tu ne me laisses pas te sauver et je vois soudain jaillir des flammes entre nous, comme un mur de feu. Il est immense, je te distingue à peine derrière les flammes. Tu continues de me fixer, moi je t’appelle, je crie ton nom de toutes mes forces mais c’est trop tard… Je ne peux déjà plus venir près de toi. Tu ne m’as pas permis de le faire. Et je te vois disparaître dans ce brasier, je vois ta bouche qui s’ouvre, qui se tord et je t’entends hurler à la mort pendant que tu brûles vive -…
- Maman !
- Pendant que tu brûles vive devant mes yeux, poursuivit Margareth le visage marqué par la douleur, et que je suis là, impuissante, à te regarder te consumer de souffrance… !
- …
- Parce que toi, tu ne me parles pas ! conclue-elle dans un cri qui mourut presque aussi vite sur ses lèvres.
Les mêmes mots que ceux de Charlie quelques mois plus tôt. Le même reproche… Et une fois de plus, dans la bouche d’une personne qu’elle aimait plus que tout.
Scully serra la mâchoire à s’en faire mal, comme si cela pouvait la soustraire à cette émotion insoutenable qu’elle rejetait de tout son être. Elle ne pouvait pas tout dire à sa mère. C’était comme ça. Cette femme l’avait bercée de sa voix douce entre ses bras pour qu’elle s’endorme en paix. Elle lui avait chanté de jolies mélodies. Et aujourd’hui, alors que les rôles basculaient, c’était à son tour de prendre soin de celle qui l’avait mise au monde. Dana ne voulait pas chanter autre chose que ces mêmes jolies mélodies pour cette femme dont le visage se ridait tendrement mais surement au rythme des peines et des mélodies pas si jolies que la vie lui jouait.
Pas d’histoires sordides, il y en avait eu bien assez. Juste de jolies mélodies… Pour son bien.
- Quand te décideras-tu à me faire confiance ? murmura Margareth d’une voix si basse que Scully crut avoir mal entendu. Je suis ta mère pourtant ! conclut-elle en tremblant de rage et les larmes aux yeux. Ton cancer d’abord, et maintenant… ça !
Il n’y avait rien à répondre à ça. Sauf sur un point.
- Je vais bien. Je suis enceinte, pas malade.
L’argument sembla sortir Maggie de sa torpeur. Elle balaya l’image d’horreur qui l’avait un instant fait perdre son sang-froid, ferma brièvement les yeux, inspira et expira profondément. Dana lui tenait tête avec cette expression obstinée qu’elle lui connaissait par cœur. Ce masque fermé sous un sourire de façade qu’elle revêtait depuis toujours ou presque quand on l’entrainait vers un registre trop personnel…
Depuis quand sa petite fille croyait-elle qu’un soldat ne pleurait pas ?
Margareth avait cru bien faire. Lui avait-elle trop souvent dit que quand on a la foi, on continue d’avancer dans un sol de boue ? Qu’on continue de danser sur les planches qui pourrissent et grincent chaque jour un peu plus ?
Lui avait-elle trop répété qu’on doit marcher vers l’horizon surtout, qu’on doit se battre parce que le Christ n’a pas eu peur de souffrir, qu’on doit se redresser, et reprendre la route en dansant toujours, jusqu’à ce qu’on soit si haut qu’on puisse se retourner et regarder le chemin immense, unique et rare qui fait de nous des hommes.
Parce que la vie est une louange, une émouvante chanson, aux notes douloureuses parfois, mais c’est une si belle chanson.
Dieu lui-même a susurré les premières notes au premier homme et à la première femme. Puis une mère a repris la mélodie pour sa fille pendant qu’un père posait ses yeux émerveillés sur l’être minuscule qui serrait sa plus mince phalange.
Un jour, le petit être volerait de ses propres ailes. Et chanterait à son tour pour un enfant la même mélodie.

La mère. Le père.

Maggie revint à sa fille.
- Et son père ? demanda-t-elle d’une voix raffermie.
- C’est Mulder, lui répondit Scully droit dans les yeux.
Elle regrettait d’apprendre à sa mère sa relation avec son partenaire de cette manière mais elle n’avait guère le choix.
Margareth regarda sa cadette, incrédule. Un petit sourire affligé lui échappa. Et elle consentit enfin à s’asseoir en soupirant.
- Bien sûr, commenta doucement Margareth en lui prenant la main comme s’il s’agissait d’une évidence. Je voulais dire : est-ce que tu l’as mis au courant avant qu’il… ?
Le mot mourut sur sa bouche.
Les lèvres de Dana se mirent à trembler. Ces hormones !... Ces dernières semaines, elle avait toujours envie de pleurer. C’était insupportable.
- Je n’ai pas eu le temps. Je… je ne m’y attendais pas.
- Pour un médecin ! ne pût s’empêcher de commenter sa mère avec un rien d’énervement.
- Maman ! protesta Scully choquée en se levant à son tour. Je ne pouvais plus avoir d’enfants !
- Et alors ?! L’enfantement n’est pas une science exacte, Dana. C’est une affaire de foi, s’obstina Maggie.
- Et bien, sois heureuse alors : il faut croire que je possède une foi qui soulève les montagnes dans ce cas ! provoqua Dana. Tu ne condamneras pas ça, n’est ce pas ?!
Margareth dévisagea sa fille avec stupéfaction, hésita un moment et finalement, lâcha.
- Tout de même, tu l’aimes. Et lui aussi. Ce n’est pas si compliqué de se marier…
Scully avait redouté ce moment. On y était.
- Je t’en prie !
- Ton père a toujours dit que tu n’étais pas si douée pour rester dans le rang…
Dana ne vit pas le sourire résigné sur le visage de sa mère.
- Ça suffit Maman, prononça Dana d’une voix lente et basse. Tu sais que je t’aime et que j’aimais Papa, mais je mène ma vie comme bon me semble. Et en ce qui concerne Mulder, pour le moment, la seule chose qui manque à ce couple, c‘est…
- Chérie, murmura doucement sa mère
- … lui, acheva Scully, les larmes aux yeux.
Elle se détourna et empila d’office quelques assiettes, histoire de s’offrir un peu de répit à la cuisine. Margareth la regarda faire avec un serrement de cœur : les larmes ne couleraient pas devant la mère du soldat aujourd’hui. Avec un brin de culpabilité, elle dût convenir que sa propre attitude ne favorisait pas cet abandon. Elle se jura de ne plus rien juger au moins pendant les heures suivantes où Dana daignerait lui parler.
Dana revint, s’assit face à sa mère, résolue à affronter cette discussion et se mit à touiller férocement un thé déjà froid qu’elle ne boirait sans doute jamais. Margareth posa sa main sur la sienne pour arrêter le mouvement nerveux. Les deux femmes se regardèrent longuement sans rien dire. Dana pinça ses lèvres et avec une infinie douceur, Margareth traça de son doigt la ligne qui récupérait cette larme invisible sur la joue de sa fille. Avec pudeur, Scully se déroba et baissa les yeux.

Maggie demanda aussi tendrement que possible.
- Et l’enfant ? Par quel miracle ? Je croyais que tu ne pouvais plus…
Scully soupira.
- C’est ce que je croyais aussi.
- La nature ne cesse de nous surprendre, commenta Maggie prudemment en se gardant de préciser que la nature, en l’occurrence et de son point de vue, ressemblait fort à la main de Dieu.
- Surement, sourit sa fille.
Il n’était pas question de révéler à sa mère les conclusions auxquelles elle était parvenue : à savoir qu’un vaisseau extraterrestre aux pouvoirs considérables portant sur ses flans les paroles de tous les grands textes religieux, bible incluse, lui avait probablement rendu sa fertilité.
Elle avait pesé les choses dans tous les sens : les FIV avaient échouées. Seul Mulder avait ensuite eu l’insigne privilège de déposer sa semence dans son ventre supposément infertile. Au-delà du « miracle », il y avait une certitude : cet enfant était le sien. Forcément le sien. Au fond, elle n’avait jamais imaginé d’autre père que lui.
Mais elle n’avait pas non plus imaginé l’absence. Totale. Asphyxiante.
Elle avait beau refuser de baisser les bras, cela faisait deux mois maintenant. Deux mois à se réveiller en réapprivoisant chaque matin avec douleur que ce serait un jour sans lui. Deux mois où les minutes étaient des heures, où chaque soirée seule durait un siècle…
Son enfant avait un père. Mais il ne le connaitrait peut-être jamais.
Elle chassa cette pensée.

- Je vais le garder, dit-elle tout haut comme pour se promettre que l’espoir restait possible.
Margareth réprima un hoquet indigné. Comme si une autre option était envisageable !
Elle regarda sa fille, ses yeux dans le vide. La vérité lui apparut, brutale, abrupte : Dana n’était pas prête à faire le deuil de Mulder et elle allait pourtant devoir faire la place à cet invité miraculeux. Cet enfant, elle l’élèverait seule.
Une vie de mère célibataire, ce n’est pas ce dont Margareth avait rêvé pour sa fille.
- Je t’aiderai chérie. Je pourrais le garder pendant que tu travailles.
- Je sais maman. Elle lui sourit. Mais je suis prête : je prendrai mes responsabilités. Je suis capable de l’élever seule jusqu’à ce qu’on retrouve Mulder.
- Chérie…
- On le retrouvera. Il est vivant. Je le sais, je le sens…
Margareth hésita.
- Tu sais, à propos de l’enquête, je me disais…
- Oui ? interrogea Dana un peu surprise.
- Tu aurais peut-être besoin de soutiens hauts placés.
- Je crains que les soutiens quels qu’ils soient ne soient bien timorés, s’assombrit Scully.
- Justement, poursuivit Maggie, je me disais que tu devrais faire appel à Gordon…
- Gordon ?
- Il te faisait sauter sur ses genoux quand tu étais petite. Tu n’as pas lu la nouvelle ? Il a été nommé chef d’ét-…
- Pas question ! bondit Dana en manquant de renverser sa tasse à son tour.
- Mais chérie…
- Je le trouverai seule. D’ailleurs j’ai l’aide du directeur adjoint Skinner, celle de l’agent Doggett et les amis de Mulder sont des sources bien plus efficaces que toutes les huiles de Washington.
- Tu crois ça ?
- Je le sais, affirma Scully d’un ton qui ne souffrait pas la moindre contradiction. Maman, toi aussi tu dois me faire confiance : je sais ce que je fais. Mon enfant a un père et ce père le verra grandir, je te le jure.
Scully se pencha et déposa un léger baiser sur la joue de sa mère.
- As-tu pensé que peut-être…
Margareth n’eut pas le cœur de finir sa phrase.
Il y eut un silence.
- Quelqu’un de très avisé m’a dit un jour qu’il faut toujours croire aux miracles.
- Je suis heureuse de voir que tu as des amis qui ont la foi, se rasséréna Maggie, en se levant pour raccompagner sa fille à la porte.
Dana se figea.
- « Ceux qui ont la foi sont peut-être les plus fous »…, murmura-t-elle pour elle-même en se souvenant.
Et un profond sentiment de paix la saisit. Qui sait si la passion de Mulder pour Ed Wood n’était pas le plus vibrant des messages : elle avait raison d’y croire. Lui, il y aurait cru.
- Que dis-tu, ma chérie ?
- Je me remémorais une discussion avec Mulder.
- C’est lui qui croit aux miracles ? sourit Margareth.
- Je crois… qu’il croit… que la vie est une folie, s’étrangla-t-elle dans un drôle de rire sans oser tourner son visage.
- C’est ce que je me suis dis à chaque fois que j’ai mis l’un de vous au monde, frémit Margareth.
Scully fit volte face et cette fois, ne retint pas son élan : elle prit tendrement sa mère dans ses bras. Brièvement, mais très tendrement.
- Merci Maman.
- Prends soin de toi.
Il faut être fou pour croire au retour d’un disparu. Et plus encore, pour mettre un enfant au monde, se rappela Maggie, en regardant s’éloigner sa fille à qui elle avait tout donné.

Oui. On leur donne de jolis pieds pour danser.
Et elles dansent, et dansent encore… sur des planchers pourris. Jusqu’à ce qu’il se dérobe. Parfois.

Margareth Scully referma la porte et essaya de ralentir son cœur. Ses yeux se posèrent sur la photo qui trônait près de l’escalier.
Deux jolies adolescentes aux cheveux flamboyants.

Au début, elles sont deux.
Puis un jour, il n’en reste qu’une.
Et le jour d’après, voilà que celle-là qui reste fait grandir l’Avenir au creux de son ventre…

Pour la première fois de la soirée, Maggie sentit un sourire naitre du plus profond de son âme.
- Merci mon Dieu, s’émerveilla-t-elle. Merci pour la folie !


***********


Dana releva le col de sa veste. En quelques jours seulement, le temps s’était considérablement rafraichi.
Elle traversa rapidement la rue et mue par un instinct de fille se retourna pour recevoir le salut que Margareth lui adressait de sa fenêtre. Elle lui répondit d’un geste de la main et ouvrit la portière de sa voiture. En mettant le contact, elle éprouva une pensée fugace en croisant le regard déjà lointain de Maggie.
Etre mère, c’est aussi savoir qu’un jour, votre enfant chéri ne reste plus dormir. Il repart vers son propre nid alors que la nuit enveloppe la ville. Même si personne ne l’y attend plus. Même si vous restez seul.
Elle démarra, et au milieu du flot des voitures, lumières anonymes voletant tels des papillons affairés pour se prendre dans les filets du voile nocturne, elle se mit à fredonner imperceptiblement, puis d’une voix de plus en plus claire, une lancinante mélodie.

Oh ! My mama, she gave me these feathered breaths
Oh ! My mama, she told me « Use your voice, my little bird ! »
She said « Sing ! Sing ! Sing ! Sing ! Sing ! Sing… melodies »
And she sang, sang, sang, sang, sang those melodies.


Oh ! Ma maman, elle m’a donné ce souffle de plume
Oh ! Ma maman, elle disait « Sers-toi de ta voix, mon petit oiseau ! »
Elle disait « Chante, chante, chante… des mélodies »
Et elle chantait, chantait… ces mélodies.

Oh ! My mama, she did give me fancy feet I’ll be dancing on
And I’ll tap, tap, tap my toes into those creaking floorboards
Oh ! My mama, she took my little hand and held on tight
All the mamas give the waters of their wells,
All the mamas give the babies this very dirt we’re walking on


Oh ! Ma maman, elle m’a vraiment donné des jolis pieds solides pour danser
Et je tape, tape du pied sur les planchers de bois pourri
Oh ! Ma maman, elle serrait ma petite main très fort
Toutes les mères donnent les eaux de leur puits
Toutes les mères donnent aux nourrissons de cette terre sale sur laquelle nous marchons

Oh ! My mama, she gave me these feathered breaths
And your mama, she gave you these feathered breaths too


Oh ! Ma maman, elle m’a donné ce souffle de plume
Et votre mère, elle vous l’a donné aussi.

And when the sky drops all those feathers
When the birds sing in the morning
I’ll be a mama
I’ll have a daughter
And I’ll give her melodies
She’ll be my little bird
And then she’ll fly


Et quand le ciel laissera tomber toutes ces plumes,
Quand les oiseaux chanteront au petit matin,
Je serai mère à mon tour
J’aurai un enfant
Et je lui donnerai des mélodies.
Il sera mon petit oiseau
Et alors, il s’envolera…


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Message  noisette Mer 23 Jan 2013 - 15:01

CH 15. Renaissances



Avril 2001. Une ferme dans le Montana. De nuit.

Un des policiers présent adressa un signe nerveux à l’agent John Doggett. Devant son expression crispée, ce dernier se retourna dans la direction qu’indiquait l’autre : Dana Scully revenait vers eux.
Elle ne courait pas vraiment. Elle titubait, son corps entièrement tendu vers la clairière.
Celle où ils avaient découvert Mulder.
Doggett s’avança vers elle mais elle passa devant sans le voir, les yeux fixés bien au-delà de lui. Il nota avec une peine indicible que ses lèvres remuaient des mots sourds. Barbara aussi avait remué ces mêmes mots lorsqu’ils avaient perdu leur fils. John ravala ses vieux démons qui le visitaient bien trop ces derniers temps et le plus doucement possible, il attrapa le bras de sa partenaire.
- Agent Scully…
Elle tira pour se libérer de sa poigne. Il n’existait pas. Rien d’autre qu’une ronce de plus griffant sa peau à vif et se dressant sur son chemin.
- Agent Scully ! répéta-t-il.
- Il a disparu, murmura-t-elle toujours estomaquée. Ils l’ont enlevé.
- Jeremiah Smith n’aurait rien pu faire, souffla-t-il pour tenter vainement de la consoler.
Il le pensait. Même s’il ne s’expliquait pas tout, John ne croyait pas en l’hypothèse « résurrection » qu’envisageait ses deux collègues féminines. Smith n’était pas le Christ et à vrai dire, John n’aurait pas juré à cet instant que le Christ lui-même puisse ainsi ramener à la vie…
Il essaya d’attirer Scully à lui et elle parut enfin le découvrir.
- Ils ont enlevé ce putain de Smith à la seconde où il aurait pu sauver Mulder ! hurla-t-elle. Pourquoi ?! Pourquoi ont-ils fait ça ? lâcha-t-elle dans un sanglot.
Elle s’arracha à l’étreinte pour se diriger vers l’unique point qui semblait exister sur sa route. Elle fendit un mur d’agents silencieux. Ils baissèrent la tête sur son passage. Et elle arriva devant lui.
Elle tomba à genoux.

Le visage de cendre, gris dans son masque de mort, ne laissait aucune place au doute.
Elle caressa la peau raide ignorant les marques infâmes du martyr qu’ils avaient infligé à celui qu’elle aimait. Ce corps lourd avait vibré sous ses doigts, ces lèvres l’avaient parcourue et enflammée… Mais on aurait dit que Mulder s’en était absenté. Sous elle, dans un linceul d’hiver reposait un corps à la fois intime et étranger. Forcément étranger. Puisque Mulder devait vivre.
Sa place ne pouvait pas être ici. Pas lui. Pas maintenant. Pas comme ça.
Et pourtant…
Elle prit son visage entre ses mains, lui murmurant des prières inaudibles, qu’il se réveille, qu’il cesse immédiatement ce tour de mauvais gout.
Elle aurait tout accepté : le rire condescendant, les moqueries paternalistes, la colère même, pourvu que seulement sa bouche s’ouvre et qu’un souffle en sorte. Son souffle, sa voix. Elle voulait encore entendre sa voix. Elle en avait besoin. Juste un mot.
Mais la bouche de Mulder resta de marbre, scellée de terre; sa poitrine ne s’attendrit pas : elle resta raide comme la pierre. Dure. Et le silence plus dur encore.
Écrasant. Insupportable. Décapitant la nuit et son cœur dans un même coup de tonnerre.
Scully leva son visage et ses yeux incrédules, presque suppliants firent le tour de la dizaine d’agents qui l’entouraient enveloppés de brume. Il faisait noir, il faisait froid. L’air humide et les silhouettes fantomatiques la firent frissonner puis trembler, de plus en plus fort malgré elle.
Personne ici n’était là pour le sauver.
Dans cette clairière, à la lumière de la lune, s’étaient rassemblées les ombres des cavaliers de l’apocalypse. Ils n’attendaient rien d’autre maintenant qu’on leur remette la dépouille pour la faire disparaitre dans leurs bras glacés.
Dans un sursaut de révolte, elle revint à Mulder et saisit encore sa tête entre ses paumes. Elle se pencha sur lui si près qu’autour, certains hommes se détournèrent pour leur laisser l’intimité d’une dernière étreinte. Mais elle serra seulement les joues mutilées de toutes ses forces, en gémissant son nom, comme si la seule pression de ses mains chaudes pouvait faire rejaillir la vie entre les lèvres bleues.
Il ne bougea pas plus.
Mulder.
Vidé de la flamme folle comme il l’avait été de son sang.
Perdu, loin déjà, dans des nimbes grises.
Mort.

Elle se laissa glisser contre son torse, terrassée par la douleur. Les larmes gelaient sur ses joues exsangues. Les cavaliers de l’apocalypse pressaient derrière, avalant dans un festin macabre ce qui lui restait d’espoir.
Sa poitrine la serrait à l’étouffer.
Elle sentit sa gorge s’étrangler, son cœur s’ouvrir et saigner une mer plus rouge que la haine.
« Qu’on me laisse mourir » pensa-t-elle en basculant dans le néant, prête à livrer sa propre vie au tourbillon noir et sans fond.

Si seulement il n’y avait que ta vie, lui souffla une voix lointaine...



- Madame…
Elle sentit à peine la main qui tapait doucement à son épaule.
- Madame, répéta une voix hésitante.
Elle se redressa légèrement. Quelque chose n’allait pas. Pourquoi Madame ? Ils ne disaient jamais Madame au FBI.
- Il faut qu’on l’emmène, ajouta le jeune agent désolé.
Quelque chose n’allait pas…
- S’il vous plait, insista-t-il mal à l’aise.
Elle le dévisagea longuement. Il était vraiment jeune. Puis elle revint à Mulder. Elle se leva avec difficulté, bras ballants. Sonnée.
- Merci, murmura-t-il en passant devant elle pour saisir avec un de ses collègues la dépouille.
Elle fixait leurs mouvements et eut un haut le cœur quand ils rabattirent le drap sur le masque mortuaire.
- Je viens avec vous, articula-t-elle la gorge sèche.
- Non ! Non, reprit moins vivement l’agent. Personne ne peut l’accompagner si…
- Si quoi ? souffla Scully les dents serrées. Je viens avec vous.
- Nous n’allons pas à l’hôpital, insista l’autre mais devant ses yeux inquiets, il la vit se raidir et se dresser face à lui.
- Je sais où nous allons. Et j’y vais avec lui.
L’homme qui semblait responsable de l’équipe de récupération, un large type à la coupe militaire et aux gestes secs, s’interposa avec fermeté.
- Personne ne vient avec le corps - …
- Mulder, frémit Scully. Fox Mulder. Il a un nom.
Elle s’interrompit à nouveau au bord des larmes.
- Personne n’accompagnera la dépouille de « monsieur Mulder », corrigea l’homme avec un rictus impatient. Vous n’êtes pas de sa famille -…
- Je suis sa partenaire, grinça Scully en ravalant toute trace de sanglot.
- Une relation professionnelle n’autorise pas -…
- Je suis sa partenaire et sa seule famille, répéta Scully d’une voix sourde en inspirant profondément pour canaliser la rage qui montait en elle. Et je ne vous permets pas de qualifier par quelque adjectif que ce soit notre relation…
- Madame, je peux comprendre votre douleur -…
Tout en lui respirait l’indifférence.
- Non, vous ne pouvez pas. Laissez-moi juste passer, murmura-t-elle la mâchoire serrée à lui faire mal en le bousculant pour suivre la civière.
Il attrapa ses bras et la repoussa résolument. Elle commença à se débattre. Doggett qui était prudemment resté en retrait jusque là, s’avança alors que le chef d’équipe renforçait sa prise.
- Laissez-moi passer bordel ! hurla soudain Scully en luttant de plus en plus et faisant sursauter tout le monde.
- Cessez de faire l’idiote ! commenta l’autre avec humeur.
C’était l’indécence de trop pour John.
- Retirez ça tout de suite ! s’offusqua Doggett mais le coup de poing de Scully le devança.
Elle frappa en pleine mâchoire, le visage déformé par la colère et le souffle court.

Le geste manquait de précision : il ne fit que vaciller légèrement le responsable mais il acheva de l’exaspérer. Il leva sa main sur elle, prêt à en découdre avec cette femme échevelée qui le toisait maintenant les lèvres tremblantes et le regard plein de haine.
- Ne la touchez pas, intervint Doggett en s’intercalant entre eux.
De sa main droite, il écarta sa partenaire pour la mettre à l’abri derrière son dos. Et il toisa l’homme. Celui-ci aurait pu être un compagnon d’armes en d’autres temps et John se demanda s’il avait pu être lui-même aussi insensible une seule fois dans sa vie.
- Elle porte son enfant, assena-t-il. Ça, vous pouvez le comprendre ?
L’homme fit un pas vers Doggett. L’argument semblait le laisser de marbre. Mais il fit son effet sur Scully dont les épaules s’affaissèrent brusquement. Le militaire la regarda se décomposer pendant quelques secondes puis souffla un coup. Il baissa sa main, tira sur sa veste militaire et assena plus tranquillement.
- Elle ne passera pas. Ce sont les ordres. Ni relation professionnelle, ni relation personnelle ne sont autorisées à rentrer avec le corps, c’est clair ?!
- Avec Mulder ! corrigea Scully dans un cri disloqué alors que Reyes se précipitait à son tour et posait une main sur son épaule. Il s’appelle Mulder !
Le responsable la dévisagea une dernière fois encore. Il soutint quelques secondes son regard fou. Puis, sèchement, il leur tourna les talons en faisant signe à ses hommes de charger la civière.
- Il s’appelle Mulder, répéta Scully très bas cette fois en suivant le convoi funèbre des yeux jusqu’à l’hélicoptère des secours qu’ils avaient dépêché ici.

La forme sombre fut hissée et disparut dans la gueule béante de l’appareil. La mort digérait ses victimes et les vivants n’étaient pas les bienvenus à la table du dernier voyage.
Monica Reyes lui parlait très doucement mais Scully n’entendait plus rien. Elle se laissa prendre dans ses bras, raide comme un piquet, incapable de se détacher du cercueil volant. Les pales se mirent à tourner avec un bruit de rafales de mitraillettes. Scully sursauta. Reyes la serra un peu plus fort.

Fox Mulder décolla dans la nuit noire, entouré d’un cortège macabre de lumières floues et vacillantes.
Elle, resta clouée au sol, coulée dans un plomb brûlant qui dévorait ses entrailles. Seule.

Le miracle n’avait pas eu lieu.


Dernière édition par noisette le Dim 21 Sep 2014 - 15:35, édité 1 fois

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Message  noisette Dim 21 Sep 2014 - 15:25

***********

Monica Reyes jeta pour la énième fois un coup d’œil vers sa passagère. Dana Scully restait prostrée, le regard dans le vide et le corps aussi loin d’elle que possible. Elle n’avait plus prononcé un mot depuis que l’agent lui avait proposé de la reconduire sur Washington. Monica, en fait, lui avait à peine laissé le choix : elle l’avait entraînée et installée sur le siège passager, avait posé son manteau sur elle et, après avoir échangé trois mots avec John, elle avait pris la route.

- Arrêtez-vous.
Monica se retourna vers sa droite pour vérifier qu’elle avait bien entendu.
- Arrêtez-vous s’il vous plait, articula à nouveau Scully d’une voix pâteuse.
Reyes se rangea sur le bas-côté, stoppa le véhicule et n’eut pas le temps de réagir que déjà la passagère se précipitait dehors pour vomir toutes ses tripes.
Monica sortit de la voiture à son tour et s’approcha lentement.

- Agent Scully ?
- C’est bon. Ça va aller.
- Vous êtes en état de choc.
- C’est la grossesse.
- Bien sûr que non, opposa doucement Reyes.
Elle lui tendit un mouchoir en papier. Dana se releva et croisa son regard attentif. Monica lui sourit tristement. Il n’y avait pas de reproche dans ses mots.
- J’ai de l’eau fraîche dans la voiture si vous voulez…
Scully passa lentement le mouchoir sur ses lèvres.
- Je veux bien, oui, concéda-t-elle à mi-voix.
Reyes s’éloigna quelques secondes. Dana en profita pour souffler un grand coup. Elle replaça une mèche derrière son oreille et se redressa. Elle fixa un point tout en haut d’un arbre qui dépassait de tous les autres face à elle et s’obligea à se concentrer sur le sommet qui oscillait légèrement avec le vent. Ses yeux ravalèrent leur eau, elle attrapa un jeune rayon de soleil. Qui très vite l’éblouit comme si son corps refusait que revienne le jour. Elle vacilla et se rattrapa à un tronc.
« Debout soldat ! Et marche tout droit ! » tonna dans sa tête une réminiscence impitoyable de la voix paternelle.
Elle s’écarta du tronc, fit volte-face pour rejoindre la voiture et aperçut Reyes qui revenait dans l’autre sens. Dana allongea le pas et passa devant elle.
- C’est bon. Rentrons, commanda-t-elle sans croiser le regard de Monica qu’elle laissa plantée, la bouteille tendue dans le vide.
Elle fit le tour du véhicule et ouvrit la portière du conducteur.
- Il n’est pas question que je vous laisse conduire dans cet état Dana, protesta Reyes très calmement.
Scully leva les yeux vers elle.
- Ne m’empêchez pas d’avancer, agent Reyes. C’est moi qui conduis maintenant. Je vous repasserai le volant quand je serai fatiguée.
- Vous êtes fatiguée.
- …
- …
- Monica… Elle hésita. Vous permettez que je vous appelle Monica pour cette fois ?
- Ce que vous voulez.
- Je vais vous dire, Monica, ce que je suis. Une fois pour toute. Afin que les choses soient claires. Et ensuite, je vous demanderai de me laisser seule juger de ce que je dois faire ou pas. Je suis… Ses épaules s’affaissèrent un peu… Je suis abasourdie. Et choquée. Et je sais que j’ai perdu mon sang-froid. Je regrette que vous ayez dû assister à… ça. Je n’aurais pas dû…
- N’importe qui aurait craqué à votre place.
- Ce n’était pas… approprié. Je craquerai peut-être encore, plus tard… - elle releva le menton et ajouta les yeux dans les yeux – mais c’est un spectacle que je vous épargnerai désormais.
- C’est un deuil, Dana. Pas un spectacle. Et ça ne se passera pas mieux si vous êtes seule, opposa Reyes d’une voix douce mais ferme.
- …
- Je ne vous juge pas vous savez…
- Non. J’entends. Mais laissez-moi gérer ça à ma façon. Je ne mettrai personne en danger ni vous, ni mon enfant, ni moi.

Elles se dévisagèrent en silence.
- Donnez-moi les clés, s’il vous plait.

Reyes laissa tomber le trousseau dans la paume de Scully.
- Je vous reprends quand vous le voulez.
- Merci, souffla Scully.


***********


- Où est-ce que je vous dépose ? demanda Monica Reyes en dépassant le panneau indiquant Georgetown. Après deux heures de route, Scully lui avait finalement abandonné le volant.
- Chez moi.
Elle lui donna son adresse.
- Vous n’avez pas des parents, des proches qui pourraient… ?
- Pas aujourd’hui. Elle hésita une seconde et devant le regard appuyé de sa conductrice poursuivit : Je ne veux pas le déranger. Il doit être en train de travailler à cette heure.
- Votre frère ?
- Il ne sera pas là…
- Essayons !
- On rentre chez moi, agent Reyes.
Monica nota que l’utilisation de son prénom n’avait pas fait long feu.
- Si un membre de ma famille se trouvait dans votre situation, je voudrais qu’il m’appelle quelle que soit l’heure et tant pis pour le boulot, s’obstina-t-elle quand même.
- Chez moi.
- Et votre mère ? L’agent Doggett m’a dit que…
- Plus tard. S’il vous plait… pria Scully d’une voix presque inaudible, terriblement lasse.
Monica se tut et roula le reste du trajet en silence. En tournant dans la rue de Scully, elle fit une dernière tentative sans quitter la route des yeux.
- Voulez-vous que je reste un peu avec vous ? Je sais aussi me taire vous savez, ajouta-t-elle avec un petit sourire discret.
Dana ne répondit pas. Elle se redressa sur son siège et plissa les yeux.

Au loin, au pied de son immeuble, une silhouette attendait assise sur les marches du perron. L’homme releva la tête en voyant la voiture ralentir pour s’arrêter devant le numéro 12 puis bondit carrément sur ses pieds lorsque Reyes freina devant lui.
Scully resta un moment hébétée, à dévisager derrière la vitre l’homme dépenaillé et hirsute qui se penchait en scrutant l’intérieur de l’habitacle d’un regard avide.
Il ouvrit la porte et la tira à lui en la prenant dans ses bras.
- Dana…


***********


Elle n’avait pas eu la force face à Charles de donner le change. Pas eu non plus la force d’articuler, de laisser sortir les mots de son ventre et de dire ce qu’elle ressentait.
Elle n’avait pas de mot pour cela. Et plus de force.
A quoi bon dépenser son énergie à parler alors qu’elle avait déjà le sentiment d’en manquer pour seulement continuer à vivre.
Elle s’était laissée étreindre et guider par son frère jusqu’à son appartement, oubliant complètement l’agent Reyes derrière elle. Charles l’avait remerciée d’un signe et Monica était repartie, à moitié rassurée mais touchée qu’un frère ait pressenti que sa sœur avait besoin de lui. Certains mammifères aussi étaient capables de ça et une fois de plus, Monica se dit que dans ce monde où les hommes faisaient tant de mal, la nature restait encore l’une des meilleures raisons de continuer à garder espoir.
La nature et les gens qui aiment.

Aux questions pressantes de Charles, Dana avait opposé un vague « ça va » aussi convainquant qu’un gargouillement d’agonisant.
A défaut finalement de pouvoir parler et pour s’octroyer un répit,  elle avait prétexté le besoin de prendre une douche.
Et maintenant, elle se retrouvait là. Nue, prostrée au fond de sa baignoire et tétanisée devant son robinet. Elle regardait ses mains avec des yeux exorbités.
Elle l’avait touché.

Trois mois sans lui et aujourd’hui – hier en fait – elle l’avait touché.
Lui.
Sa peau. Son visage.
Elle porta ses doigts à son nez en tentant de retenir les dernières hypothétiques fragrances de l’homme qu’elle ne reverrait plus et son inspiration débloqua des sanglots sourds.
Elle augmenta la force du jet pour couvrir le bruit de sa peine comme un cache-misère. Et épargner celui qui était pourtant venu recueillir ses larmes.

Derrière la porte, Charles Scully serra violemment ses poings et se retint de briser ses phalanges blanches contre le mur en entendant l’eau frapper plus fort encore l’acier émaillé. Dana déployait à nouveau son armure.


***********


- Je ne peux pas y croire…, confessa-t-elle du bout des lèvres après un très long silence.
Enveloppée dans son peignoir, elle avait finalement rejoint Charles assis à la table de la cuisine devant deux tasses de thé. Mélissa aussi préparait du thé quand elle voulait qu’on discute…
- Est-ce qu’il… ?
Charles ne savait comment formuler sa question. Skinner en l’appelant avait été plutôt chiche en détails. Probablement était-il lui-même sous le choc. Il dévisagea Dana. Son regard absent. Et reprit finalement dans un filet de voix.
- Est-ce qu’il a souffert ?
L’expression de sa sœur vira du tout au tout. Elle ferma vivement les yeux. Sa bouche se tordit. Charles vit plus qu’il n’entendit le « oui » qui se formait sur ses lèvres.
Il couvrit très doucement la main gauche de Dana. Elle ne réagit pas mais attrapa de sa main libre la tasse face à elle. Elle prit une gorgée de thé et se plongea dans l’observation de sa surface trouble. Ils ne dirent rien pendant un long moment encore.
Elle reprit finalement.
- Je me disais que… j’aurais senti s’il mourrait… Il paraît qu’on sent cela quand on aime.
- Peut-être qu’on ne le sent que si on s’y attend, suggéra Charles.
- Peut-être… Elle eut un sourire douloureux. J’étais sure qu’au fond, il réapparaîtrait. Mulder le magicien, l’illusionniste, le spécialiste des tours de passe-passe. Mulder est toujours revenu. Jusque là…
- Je savais qu’il était conteur, pas magicien.
- Mulder n’avait pas qu’un talent.
Elle but une gorgée encore.
- Je regrette de ne pas l’avoir rencontré…
- Tu l’aurais aimé.
- C’était déjà le cas.
Elle lui sourit avec gratitude et revint à son idée.
- Je l’imaginais revenir. Je voyais presque le moment où je l’aurais soigné, écouté…
- …
- L’instant où j’aurais pu l’étreindre, avoua-t-elle plus bas dans un souffle. Tout aurait repris comme avant…
- Avec un enfant…
- Oui. Avec un enfant…
Son visage se crispa. Le silence s’installa à nouveau. Tendu.
- …
- Dana… Ça ira avec le petit. On sera là.
Elle hésita.
- Je me suis demandée à un moment…
- Quoi ? demanda doucement Charles.
- S’il avait deviné. Elle sourit en elle-même à l’évocation de ses intuitions si justes. Mulder est… Elle s’interrompit. …était – la conjugaison lui coûta de manière visible - très fort pour « sentir les choses ».
- Il aurait deviné que tu étais enceinte et pas toi ?
Elle leva les yeux vers lui.
- J’aurais pu prendre 5 kilos et vomir tous les matins pendant trois mois que je ne l’aurais pas vu, Charlie. Pas cru.
Elle se tut encore mais un nuage voila son regard. Charles réalisa avec stupéfaction l’idée folle qui s’était insinuée ces derniers mois dans l’esprit écrasé de peine de Dana.
- Tu penses qu’il ne voulait pas de cet enfant ? Qu’il aurait pu te fuir ?...murmura son frère.
- Non, non.... Si... Juste une seconde. Sa lèvre trembla. Je m’en veux. Je n’aurais jamais du douter de lui. Alors que, pendant ce temps, lui…
Elle ravala péniblement sa salive, les larmes aux yeux et il passa un bras autour d’elle.
- Tu voulais qu’il vive ! consola-t-il en l’enlaçant.
- J’aurais pu tout avaler, admit-elle très bas, sauf… ça. Qu’il meure. Lui aussi.
- …
- Est-ce que tu crois qu’on peut souhaiter mourir lorsqu’on subi de telles tortures… ? Est-ce que la douleur est si terrible qu’au terme de toutes ces souffrances la mort pourrait presque être… une libération ?
Sa voix lâcha. Il resserra son étreinte, impuissant à répondre autre chose pour apaiser ses angoisses.
- Si tu avais vu son visage, essaya d’articuler Dana… Ce qu’ils lui ont fait !
- Il ne souffre plus.
- Ce n’est pas humain, poursuivit-elle bouleversée. Ce n’est pas humain de tels traitements. Tant de douleur. Personne ne devrait jamais -…
- Arrête ! Tu te fais du mal.
- Rien qu’il n’ait vécu en cent fois pire. Et dire que moi, au même moment, j’ai osé effleurer l’idée qu’il me fuyait !
- Je t’en prie. Arrête…
- Il m’en aurait voulu…  Il m’en aurait voulu de ne pas lui faire confiance, enfonça-t-elle dans un souffle.
- C’est faux… Tu n’as rien lâché pendant tout ce temps sans lui : Tu as maintenu les X-Files en état tout en conduisant ta grossesse et en le cherchant. Tu t’es battue. Il serait fier de toi.
- Fier ?!
Elle se redressa avec une espèce de rire crâne et en même temps qu’elle prononçait ces mots, Charles se fustigea. Quelle remarque stupide ! Dana s’était libéré de tout ça depuis longtemps. Elle ne quêtait aucune approbation comme une enfant, comme la jeune fille qu’elle avait été un moment. Elle était définitivement femme. Et elle allait être mère qui plus est. Dana se dégagea avec raideur.
- Je m’en fous Charles. Si tu savais comme je m’en fous de sa fierté ! J’avais juste besoin de lui… là…
Sa main effleura instinctivement son ventre. Elle se leva et, après un temps d’hésitation, laissa tomber des yeux tristes sur lui, toujours assis, qui s’était légèrement ratatiné, misérable.
- Et maintenant, c’est trop tard, conclut-elle en passant malgré tout un doigt tendre sur la joue mal rasée de son frère.
Elle fit demi-tour pour s’éclipser mais il lui agrippa soudain le bras et la força à revenir vers lui. Il se leva et, sans la lâcher, prit une grande inspiration.
- L’amour qui a été donné n’est jamais perdu, murmura-t-il en touchant le front de sa sœur, son cœur et son ventre.
Il laissa encore quelques secondes sa main là, sur la colline invisible. Elle avait paru s’animer, il en aurait juré même s’il savait bien que c’était son désir qui avait imprimé en creux un minuscule coup de pied sous la peau de Dana.
Elle le dévisageait. Sa bouche entrouverte semblait appeler une autre bouffée d’air, une autre parole à respirer pour rallumer ne serait-ce qu’un peu ses prunelles vidées d’espoir.
- Se souvenir de ce qui s’est passé, ce qui s’est donné, c’est aussi ça la confiance, non ?
- C’est trop peu le souvenir…
- Tu sais ce que je crois moi ? ajouta-t-il. C’est que l’avenir s’écrit avec l’encre du passé. Et qu’une âme ne se perd jamais.
La bouche de Dana s’étira en un semblant de sourire. Grave.
- On a déjà eu cette discussion, pas vrai ?
- Dans un pub, je crois, approuva-t-il. L’anniversaire de la mort de Missy…
- …
- Dans un an, Dana, nous irons boire à sa mémoire à lui aussi.
Elle hocha la tête lentement. Lointaine.
- Je vais me coucher, Charlie.
- Je reste là.
- Ce n’est pas…
La fatigue, lourde, assommante escamota la fin de sa phrase. Elle priait juste maintenant que le rideau tombe et l’ensevelisse dans une nuit vide qui, si possible, ne terminerait pas. Ce serait si simple de ne plus jamais se réveiller ni revivre tout ça…
Dormir. S’abrutir dans le sommeil. Oublier pour quelques secondes et s’offrir le luxe de s’étourdir d’un tour de manège de la vie d’avant. Quelque part entre bonheur et inconscience.
Il s’avança et prit d’autorité son visage entre ses mains.
- Je reste, répéta-t-il pour balayer toute objection.
Elle inspira longuement et son visage se durcit.
A cette heure, plus de manège. Pas de répit.
- Ça fait trois mois que je dors seule et c’est probablement ce qui m’attend pour le reste de ma vie, exposa-t-elle crûment, avec une brutalité qui le fit frémir. Tu peux rentrer chez toi.
- Juste cette nuit et demain, s’obstina-t-il.
Silence. Puis comme une prière.
- Je ne veux pas partir maintenant Dana. Je ne veux plus te laisser souffrir seule…
Il soutint son regard.
- Alors, je te laisse t’installer comme tu veux, abdiqua-t-elle avec un geste vague vers le canapé du salon. Bonne nuit.
Et il se retrouva seul, planté au milieu de la cuisine, regardant la porte de la chambre de sa sœur se refermer sur sa peine.
Pourquoi revivait-il encore ça ?  Encore et toujours ?

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Message  noisette Mer 24 Déc 2014 - 22:53


***********


7 avril 2001. 5 jours plus tard. Georgetown.


Dana glissa ses clés dans l’appartement. Derrière la porte, elle entendait une musique familière. Elle sourit. Une flûte irlandaise, une voix d’homme râpeuse couverte par celle tout aussi grave de Charlie. Charles avait probablement retrouvé leurs CD fétiches de musique irlandaise qu’ils se partageaient depuis qu’ils étaient ados.
Elle pénétra dans l’appartement le cœur un peu réchauffé. Le fumet de l’Irish Stew de Charlie la saisit. Le bouquet du persil, des pommes de terre et de la Guiness que son frère ajoutait toujours généreusement au plat venait chatouiller agréablement ses narines. Il faisait ressurgir de vieilles évocation d’un passé rassurant et confortable…
Pour la première fois depuis cinq jours, elle réalisa en humant l’agneau caramélisé que son ventre criait famine. Elle n’avait pratiquement rien avalé depuis la découverte du corps de Mulder. Elle ne se maintenait qu’à coups de café et de tranches de pain picorées distraitement et sans plaisir.
Elle franchit le pas de la cuisine, avec un sentiment de culpabilité et une immense lassitude.
Même les choses agréables la renvoyaient à son absence…

- Assieds-toi. C’est presque prêt, intima son frère en s’arrêtant de chanter. Comment ça s’est passé ce matin ?
Scully enchaînait les démarches administratives depuis son retour.
- Comme tous les autres, soupira Scully en s’effondrant contre ses avant-bras sur la table. C’est le grand bal des charognes…
Charles se tourna vers elle et s’approcha tout en continuant d’essuyer une assiette.
- Tu es dure avec eux non ? tempéra-t-il.
- Dure ? Ça fait 4 jours que j’appelle et que j’inonde de fax toutes les administrations, les banques, les services funéraires. Tu n’as pas idée de l’indécence de tous ces gens. La moitié n’a pas un mot vaguement compatissant et enchaîne dare-dare sur la paperasse, l’imprimé N° 28567B ou la clause R-49 alinéa 3.
- C’est pas comme s’ils le connaissaient, je suppose…
- Son proprio m’a même dit « Ah très bien ! On va pouvoir avancer ! ».
- Non, tu plaisantes ?!
- J’en ai l’air ?
- Connard.
- Connard N° 15.
Elle se tut et Charles en profita pour servir généreusement une assiette de ragoût et la poser devant sa sœur.
Elle baissa les yeux sur le plat de viande goûteux mais ne fit pas mine d’y toucher. Charles soupira, se servit et s’approcha de la table à son tour.
- Il faut que tu manges un peu frangine.
Elle le considéra à nouveau et énonça finalement d’une voix mal assurée.
- Ils ont terminé l’autopsie.
- Oh.
Il posa son assiette et passa le torchon sur son épaule.
- Tu as demandé les résultats ?
- Je n’ai pas eu le courage. Plus tard.
- Bien sûr. Je comprends.
- On va pouvoir l’enterrer maintenant, ajouta-t-elle en tremblant légèrement au dernier mot. Il y a … d’autres paperasses… et la cérémonie…
- Tu vas y arriver, soutint doucement Charles en s’asseyant à côté d’elle.
- C’est tellement pénible tout ça. Je voudrais juste…
- Quoi ?
- … juste avoir un peu de temps. Seule.
- Tu as besoin de faire ton deuil Dana. C’est normal.
Il lui servit un verre d’eau.
- Je sais. L’agent Reyes m’a dit pareil ce matin à nouveau. Tu n’as rien de plus fort ?
Dana fit tourner l’eau dans le verre d’un air absent.
- Euh…
- Laisse tomber.
Il hésita.
- Tu préfères peut-être que je parte ?
Il fit mine de se lever. La main de sa sœur l’arrêta. Elle marqua un temps, les yeux perdus dans le vague, perdue au milieu d’une passerelle surplombant un vide abyssal et offrant le choix de deux rives : l’une exposée à tout et tous, offerte aux regards, vulnérable ; et l’autre ensevelie sous une épaisse forêt tropicale où chacun peut disparaître, invisible et invincible. Invincible ou peut-être perdu à jamais...
- Oui ? Dana ?
- J’aimerais bien que tu restes, pour le moment, murmura-t-elle finalement d’une voix chancelante. Juste une heure ou deux…
- Aussi longtemps que tu en as besoin, souffla-t-il en l’enlaçant tendrement dans le dos.
Il sentit les larmes lui monter aux yeux et malgré la tristesse, une part de lui-même se gonfla d’une quiétude fugace.

Laureen avait eu raison d’insister. Il s’était imposé chez Dana ce matin, après l’avoir laissée 3 jours seule puisqu’elle avait refusé qu’il reste au lendemain de son retour.
Pendant trois jours, il s’était débattu avec sa culpabilité, se fustigeant de ne pouvoir soulager sa sœur, l’imaginant au désespoir, abattue, seule chez elle à porter l’enfant d’un mort.
Il resserra son étreinte et sentit, bouleversé, des sanglots silencieux secouer le corps harassé de Dana. La paix s’envola immédiatement, balayé par le sentiment d’une responsabilité terrifiante : elle s’abandonnait, un peu. Mais à l’échelle de Dana, ces larmes muettes étaient le Niagara de sa peine et comme à chacune des très rares fois où elle avait osé le faire, Charles était tiraillée entre le désir impérieux d’être le roc qu’il lui promettait et l’envie de foutre le camp en courant parce qu’il n’était pas cet homme-là, solide et droit dans les tempêtes. Lui était de ceux qui dégueulent pliés en deux en s’enfermant dans les toilettes. Quoi qu’en dise Laureen…

Il avait repris l’alcool. Quelques jours seulement avant qu’une fois de plus, elle le repêche.
Laureen le regardait encore de ses yeux immenses et l’espoir qu’elle continuait de mettre en lui était son oasis, comme il était sa croix. Puisqu’elle y croyait, puisqu’elle avait encore envie de l’attirer contre elle, malgré toutes les déceptions qu’il lui avait fait endurer, alors au creux de ses bras et de son regard amoureux, il renaissait et se sentait la force d’être l’homme à la hauteur de cette femme-là… Et à la hauteur de l’autre femme qui se laissait porter maintenant contre sa poitrine.
Il intensifia son étreinte, un peu rassuré à cette pensée, tout en se morigénant d’avoir désiré les bras de sa moitié à l’instant même où sa sœur ne pouvait plus qu’y renoncer…
- Je suis là, murmura-t-il en s’écartant et en plongeant ses yeux dans ceux de Dana.
Elle le dévisagea le regard lourd et esquissa un petit sourire. Puis elle saisit et ramena sa large paume jusqu’à ses lèvres et l’effleura d’un baiser léger.
- Je sais. Tu es toujours là.
C’était bon de se l’entendre dire. Il hésita un instant, se demandant s’il n’avait pas une occasion unique à saisir pour lui parler d’un certain matin de septembre 71, mais elle s’arracha à lui et saisit un bloc de papier dans sa serviette de travail.
- Il faut que je prépare la cérémonie.
Sûrement que ce n’était pas le bon moment encore.
- Allons-y alors, s’attabla Charles avec bonne volonté. Mais fais-moi le plaisir de goûter au moins un peu à mon plat d’abord.
Elle prit sa fourchette, et après une infime hésitation, piqua un morceau et le porta à ses lèvres. Il l’observait avec appréhension. Elle ferma les yeux et savoura la sensation de la sauce chaude et de la viande tendre dans sa bouche.
- C’est très bon. Merci Charlie.
Avec un plaisir non dissimulé, il la vit enfourner une nouvelle bouchée et s’y mit à son tour.
- Alors ? demanda-t-il après quelques secondes de silence dégustatoire. Cette cérémonie…
- …
- …
- Je ne sais même pas par où commencer, avoua-t-elle avec une grimace désolée pour dissimuler son désarroi.
- Qu’est-ce qu’il voulait lui ? Vous avez bien dû en parler une fois ou deux…
- Non. Jamais. Je crois qu’il n’y attachait pas beaucoup d’importance, je veux dire aux rites funéraires.
Distraitement, elle joua un instant avec un bout de pomme de terre dans son assiette.
- Et puis… il n’était pas croyant.
- Il fallait bien qu’il le soit à sa façon, non, pour courir après la vérité sur sa sœur pendant toutes ces années… ? articula Charles la bouche pleine.
Elle se tourna vers lui surprise. Charlie finit d’avaler son morceau d’agneau et précisa.
- Je veux dire : c’est un peu une autre façon d’honorer ses morts peut-être ?
- Oui…
- Chacun a sa façon de soigner ses morts et de leur dire adieu.
- Moi, je ne lui ai pas dit Adieu, murmura-t-elle. Elle repoussa l’assiette encore à demi-pleine.
Il s’interrompit à son tour.
- C’est pour ça qu’on va préparer ensemble cette cérémonie. Pour que tu puisses le faire.
- …
- Dana ?
- Il n’aurait pas voulu qu’on soit… autrement.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Je ne saurais pas lui dire, devant tous, ce que je … ce que je ressens…
Elle cherchait ses mots. Il la rassura.
- Tu n’es pas obligée de dire tout haut les adieux que tu lui fais tout bas. Il y aura du monde ?
- Non, je ne crois pas. Il n’y aura que ceux qui l’aiment vraiment. C’est tout ce qui compte.
- Des amis ?
- Skinner. Les lones gunmen. Langly m’a dit qu’il dirait quelques mots mais qu’il ne savait pas faire les grands discours.
- On n’a pas besoin de grands discours.
- Alors qu’est-ce qu’on fait ? On enchaîne des prières qui ne veulent rien dire pour lui ?!
Charles ne put s’empêcher de noter que le présent revenait vite dans la bouche de sa sœur. Elle trancha.
- Je dirai au prêtre de faire sobre, c’est mieux.
- Tu pourrais mettre une musique qu’il aimait peut-être ? Un chanteur ? Une chanteuse ?
Dana s’étrangla d’un rire amer.
- Elvis.
Charles la dévisagea avec des yeux ronds.
- Sérieusement ?!
- Non. Je ne pourrais pas. C’est au-dessus de mes forces.
- Je comprends.
- J’y ai pensé à la musique. Une belle musique, pas trop triste. Quelque chose qui élève au lieu de river à la terre… Ça je crois qu’il aurait aimé. J’avais même pensé à un chant navajo… Elle sourit. Mélissa aurait adoré, non ?
Il lui rendit son sourire, savourant le souvenir de leur sœur et de son enthousiasme pour les spiritualités alternatives.
- Sûrement.
- Si Albert Holstein avait pu…
- Il ne peut pas ?
- Trop loin et puis il se fait vieux. Son petit-fils a décliné. Il ne pouvait pas arriver pour dans deux jours.
- Et si c’était irlandais ?
Elle sourit encore.
- Ça, ce serait pour moi.
- Je suis sûr que s’il le pouvait là, il te dirait « fais ce qui te fait du bien à toi »…
- Ce n’est pas ma cérémonie, Charlie. C’est pour lui. Et pour ceux qui l’aiment.
- Et alors ? Ceux qui l’aiment te connaissent non ?
Elle se redressa un peu et s’arrêta sur le regard plein de certitude de Charlie, légèrement ébranlée.
- Je suppose que oui.
- Et ils savent qui tu es pour lui. Regarde la vérité en face : sa famille, c’est toi… et le petit, ajouta-t-il avec un mouvement de tête vers le ventre encore discret de sa sœur. Tu vois quelqu’un qui puisse prétendre que tu n’es pas la seule famille qui lui reste ?
- …
- Bien, trancha-t-il avec satisfaction comme s’il comptabilisait les points d’un match implicite entre Dana et un adversaire mystérieux. Donc ça se joue entre toi et lui. Tu ne m’avais pas dit qu’il aimait t’entendre chanter des airs traditionnels irlandais ?
Cette fois, elle rit franchement.
- Ça, c’est parce qu’il aimait se payer de ma tête !

Elle reprit une fourchetée d’irish Stew.
Le souvenir lui revint de Mulder après la première du film qu’ils avaient inspiré. Ils s’étaient rapidement extraits de la cérémonie. Mulder était en grande forme ce soir-là. Ils s’étaient baladés dans Hollywood avec la sensation étrange d’être neufs et libres comme deux ados. Une sorte d’autorisation exceptionnelle à vivre quelques heures comme n’importe quel quidam.
Mulder avait enchaîné les pitreries, alternant pas de danse et interprétations toute personnelles des standards de comédies musicales. Elle avait ri comme une jeune fille, s’était laissé séduire et avait même consenti à quelques tours de danse en public qui leur avait attiré les coups d’œil tantôt amusés tantôt irrités des passants. Et ce soir-là, Mulder s’était évertué à essayer de la faire chanter aussi. A sa manière bien à lui.
Tout en charme, humour et… lourdeur !
Elle rosit en se remémorant le baiser de Mulder au beau milieu des décors d’un studio après leur petit tour en ville. Le baiser et… le reste.


- Allez Scully ! Je sais que tu sais le faire !
- Je ne chanterai pas.
- Fais le pour moi !
Ils étaient revenus au milieu des constructions en placo figurant un petit coin de paradis vert. Fontaine kitsch, reliefs vallonnés… C’était une ambiance étrange, bizarrement euphorisante que Tim Burton n’aurait pas renié…
Quelqu’un avait dû oublier de fermer la porte en partant.
Mulder passa sa main derrière la taille de Dana et de l’autre lui fit exécuter un petit tour de danse. Elle rit tendrement mais ne céda pas.
- Même pas en rêve !
- Si ! En rêve justement, tu le fais très bien ! insista-t-il en déposant un baiser léger dans son cou et s’attaquant à l’étroite et délicate pente qui grimpait de sa gorge à l’arrière de son oreille.
- Tu ne vas pas encore me ressortir cette vieille histoire Mulder ?!
- Je la ressortirai aussi longtemps qu’il le faudra. J’en ai des frissons chaque fois que j’y pense. Dana Scully, LA Dana Scully, la reine de glace du FBI…
- C’est si délicat de me le rappeler !
- … qui se mue en une sorte de sirène irlandaise, à la voix plus sexy qu’une Dolly Parton ou une Aretha Franklin à la faveur de la nuit ! Le mélange aphrodisiaque de la sexitude d’une voix féminine vibrant de désir et de l’abandon innocent et si sensuel de l’amante endormie.
- Ben voyons ! Je ne te connaissais pas le goût des envolées lyriques !
- Tu es un phénomène paranormal, tu sais ?
- Qui se ressemble…
- Non sérieusement. Paranormale et sexy. Mon fantasme absolu. Et celui de Skinner aussi.
Il grimaça. Elle éclata de rire.
- Tu vas aller casser la gueule au réalisateur Mulder ?
- J’ai mieux à faire. Je suis sur autre chose de bien plus intéressant en ce moment.
- Et tu es sur quoi ? murmura-t-elle en venant mordiller doucement ses lèvres.
- Je suis sur toi. Totalement sur toi.
- Une « chose » ?
- Mon plus fascinant dossier : la sirène cachée d’Hollywood. Celle qui ensorcelle les hommes du gouvernement et à l’occasion les petits binoclards geek.
- Merci pour lui !
- Ca ferait un bon scénario aussi, non ? Je devrais peut-être me mettre à l’écriture…
- Mets-toi donc sur moi plutôt !
- Avec plaisir !
Il commença à défaire un à un chacun des boutons du manteau de Scully. Elle le laissa opérer d’un œil appréciateur puis s’attela elle-même à dénouer le nœud papillon qui serrait la gorge de Mulder. Il l’arrêta en attrapant ses poignets.
- J’ai une requête, déclara-t-il soudain très dignement.
- Oui ? recula-t-elle en soulevant un sourcil interrogateur.
- J’aimerai prendre le temps des préliminaires.
Elle retint un rire.
- Où est l’arnaque, Mulder ?
- J’ai besoin de me mettre en condition tu vois…
- Mulder !
- Chante !
- Oh non !
- Tu n’as pas idée de ce que ta voix me procure comme sensations !
- Tu es saoul. Ça s’est produit une fois et je suis sure que ça n’avait rien à voir avec ça.
- Je suis peut-être un tout petit peu saoul, mais pas assez pour ignorer qui tu es « en vrai » !
Il lui vola un baiser, et glissa ses mains dans ses cheveux tout en poursuivant sa danse langoureuse bassin contre bassin. Son petit manège commençait à échauffer sérieusement Dana qui, après un coup d’œil autour d’eux pour vérifier qu’ils étaient seuls dans les décors des studios, tenta une diversion.
- Et je suis qui…« en vrai » ? provoqua-t-elle d’un air effronté.
Il s’écarta légèrement et la considéra soudain avec un sérieux inattendu. Il observa cette expression qu’il avait vue cent fois. Tendresse, complicité, humour et en filigrane, l’exigence, la prière sensuelle. Le désir dont il savait maintenant qu’il avait le droit et même le devoir d’y répondre. Il n’en revenait toujours pas : d’être enfin l’élu, le veinard attendu dans le saint des saints !
- Mulder ? s’enquit Scully en venant opportunément le taquiner côté ceinture, ce qui pour une fois ne le détourna pas du fil de sa pensée.
- En vrai ? Tu es… un trésor. Un peu mon trésor.
- …
C’était un possessif qui s’excusait presque et elle s’en émut.
- Tu es mon soutien, ma force, poursuivit-il. Et celle qui me sauve de ce que je suis.
Elle quitta sa taille et le dévisagea avec stupéfaction.
- Mulder, ça va ?!
Il lui sourit et prit sa tête entre ses mains pour lui assener les yeux dans les yeux.
- Tu es… ma vision. Il posa ses lèvres sur ses paupières. Quand je regarde ma vie à travers tes yeux, tout prend enfin un sens. Je ne suis plus seul, je ne suis plus fou. Puisque tu es là, que tu fais le chemin avec moi malgré tous les obstacles… Je sais que je vais dans la bonne direction. Puisque j’y vais avec toi.
- Tu n’as jamais été fou, murmura-t-elle doucement.
- J’ai été seul.
Elle monta sur ses pointes de pieds et s’arrimant à son cou, plaqua un long baiser sur sa bouche. Il sourit contre ses lèvres. Et ses mains descendirent se glisser sous le manteau ouvert. Elle massèrent au travers du tissu soyeux de la robe sage de Scully la zone qui se creusait au dessus de ses hanches. Elle l’encouragea en venant mêler ses doigts à ceux de Mulder. Il fit glisser le manteau à terre et s’enhardit à pousser vers les pentes vallonnées qui menaient au lit de sa colonne. Subtilement, il vint pianoter de haut en bas tout autour de la fine fermeture éclair.
- Tu as une petite idée d’où tu nous emmènes Mulder ? chuchota-t-elle à son oreille.
- Je veux t’entendre chanter pour moi, répondit-il sur le même ton en prenant délicatement la tirette entre son pouce et son index.
- Chanter ? rit-elle encore. Tu ne renonces jamais ?!
- Non. Ça te décevrait de ma part, soutint-il sérieux comme un pape en faisant éclore la peau sous l’étoffe satinée et en coulant sa main libre vers le bas du dos de Dana.
- Il va falloir choisir : le chant ou la flûte, flirta-t-elle avec un petit rire en venant à son tour presser vers le bas du dos de Mulder.
Il se tendit contre elle.
- En fait, en vrai, tu es… le diable, rit-il doucement.
- Tu es dur !
Il rit de plus belle.
- C’est le cas de le dire !
- Le diable, c’est le mal. Et nous, nous ne faisons rien de mal. Je ne te savais pas si prude Mulder, brocarda-t-elle.
- Si tu n’es pas le diable… tu es qui ? … Dieu ?! provoqua-t-il enchanté.
- Ça ne va pas non ?! Tu parjures ! protesta Dana qui interrompit ses activité d’approche avec un air scandalisé.
- Pas du tout ! D’ailleurs, j’ai toujours pensé que si Dieu il y avait, il fallait que ce soit une femme.
- Ah oui, s’amusa-t-elle en reprenant ses caresses. Et pourquoi donc ?
- Parce que je ne pourrais pas remettre ma vie entre les mains d’un homme figure-toi !
- Et tu me la remettrais à moi ?
- Je ne le ferai que pour toi.
- Oh mon dieu ! Il ne manque que l’Ice tea et c’est de l’amour !
Les yeux de Mulder pétillèrent. Il plaqua son bras contre le dos de sa partenaire. De sa main libre, il saisit les doigts fins de Dana et y entremêla les siens comme s’il allait entamer une valse. Au lieu de quoi, d’un mouvement soudain, il la souleva du sol juste pour le bonheur de voir ses yeux s’écarquiller. Puis dans un simulacre de tour de danse, il la fit pivoter et basculer vers l’arrière dans un équilibre si précaire qu’ils roulèrent au sol et se retrouvèrent allongés l’un sur l’autre sur l’une des collines artificielles du décor.
Elle sentait l’herbe factice qui chatouillait délicieusement la peau nue de son dos. Et non moins délicieusement, elle sentait le corps de Mulder pesant sans vergogne, presque paresseusement contre son ventre. Il se redressa légèrement, non sans prendre tout son temps. Elle glissa ses mains dans les cheveux bruns épais. Le regard vert de son partenaire virait couleur émeraude, aussi sombre qu’intense. Ses lèvres aussi semblaient d’une couleur plus brillante, généreuses, attirantes, aimantant irrésistiblement Scully vers elles.
Il attrapa sa hanche pour la plaquer encore un peu plus contre lui et s’arrêta quelques secondes sur le visage de Dana, joues roses, mèches folles sur le front et sur sa bouche ouverte, souffle court et yeux fiévreux. Là, il vint goûter ses lèvres avec douceur. Elle répondit avec cette mollesse voluptueuse des baisers qui arrêtent le temps et enveloppent les amants d’un voile sourd, anesthésiant. Comme si l’éternité était contenue dans deux souffles humides qui se mélangent.
Leurs bouches se séparèrent. Il murmura.

- Je n’ai pas de Dieu. Moi, je crois en toi. Tu es la seule qui peut gouverner mon cœur. Point.
- Je n’ai aucune envie de te gouverner Mulder. Je t’aime libre. Point.
Il eut un sourire immense.
- Voilà ! C’est pour ça !
- Pour ça quoi ?
- Que tu vas faire chanter pour moi !
- Nooon, tu ne vas pas remettre ça !
- Chante pour ton roi, Loreleï. Et je te ferai l’amour comme à une reine.
Il vit une ombre passer comme l’éclair dans le regard de Scully.
- Dana ? Ça ne va pas ? s’inquiéta-t-il.
Elle se troubla.
- Malheureusement pour le royaume, la reine est stérile.
Il l’étreignit de toutes ses forces.
- Je ne vois rien de stérile ici. C’est tout le contraire. Je t’en prie, pas de tristesse aujourd’hui⁤⁤ : chante ! Je suis sérieux. Chante pour ton Dieu pour lui demander un miracle ou chante pour moi parce que tu m’aimes. Mais chante. Oublie les peines… Profite de l’instant, de nous, de la paix de cet endroit. Et laisse-moi te rendre heureuse… si je le peux, ajouta-t-il comme une demande de permission.

Alors, les mots et la mélodie lui revinrent.
Remontant d’un vieux souvenir, quelque part entre les cris des cousins courant autour des tables, le rire tonitruant d’Achab, et le feu de joie de la veillée de Noël. C’était la chanson de ses oncles et de son père : ils la prenaient à trois voix pour voir le visage de Maddy, son arrière grand-mère s’éclairer et pétiller comme si ses vingt ans étaient hier. Elle savourait le chant comme le vent dans les voiles d’un thonier.
A mi-voix, Dana fredonna les mots à l’oreille de Mulder. Il ferma les yeux pour les savourer, ces mots qui le faisaient seigneur. Puis comme promis, il la fit reine à son tour.

Et mère.



Non sans plaisir, Charles déchiffra l’émotion qui gonflait le cœur de sa sœur. Ils se regardèrent tous les deux.
- Je ne pense pas seulement qu’il aimait seulement se payer de ta tête. Tu chantes bien.
- Hum.
- Tu pensais à quelque chose ?
- Eh bien… Elle hésita. En fait, il y a un chant qui pourrait nous mettre d’accord lui et moi…
- Très bien ! Lequel ?
Elle marqua un temps. Et finalement d’une voix balbutiante, elle entonna le premier couplet. Trois phrases, avant qu’une larme naisse au bord de sa paupière et glisse jusqu’à ses lèvres tarissant le souffle de son chant.
Son visage se défit.
- Je crois que je ne saurai pas chanter cette fois là.
Il essuya sa larme.
- Je peux moi. Je serai ta voix.


SOIS MA VISION,
O Seigneur de ma vie,
Je ne veux rien d'autre
Que t'appartenir.
Le jour et la nuit,
Viens remplir mes pensées.
Que je veille ou dorme,
Ta présence m'éclaire.
(…)

Sois mon bouclier,
Mon épée pour lutter.
Sois toute mon armure
Sois toute ma force.
Sois l'abri de mon âme
Mon lieu de refuge.
Tu me fortifies,
Me conduis vers le ciel.

Je ne désire
Ni richesse ni honneur,
Je ne veux que toi
Sur terre et dans le ciel.
Demeure à jamais le seul
Maître en mon cœur.
Céleste souverain,
Tu es mon trésor.

Grand Roi du ciel
Et soleil lumineux,
Après la victoire,
Prends-moi dans les cieux.
Ton cœur bat dans mon cœur
Tout au long du chemin,
Tu restes ma vision
Maître du destin.


Be Thou my vision
O Lord of my heart
Naught be all else to me
Save that Thou art
Thou my best thought
By day or by night
Waking or sleeping
Thy presence my light
(…)

Be Thou my breastplate
My sword for the fight
Thou my whole armour
Be Thou my true might
Thou my soul's shelter
And Thou my strong tower
Raise Thou me heavenward
Great power of my power!

Riches I need not
Nor man's empty praise
Thou my inheritance
Now and always
Thou and Thou only
First in my heart
Sovereign of heaven
My treasure Thou art

High King of heaven
Thou heaven’s bright sun
Grant me its joys
After victory’s won
Heart of my own heart
Whatever befall
Still be my vision
O Ruler of all



***********


Une semaine plus tard…


On frappa à la porte. Elle jeta un œil sur sa montre : 22h47. Définitivement pas une heure pour une visite de courtoisie. En d’autres temps, elle aurait pensé à une mauvaise nouvelle mais le cœur lourd, elle se dit que la seule mauvaise nouvelle qu’elle avait vraiment redoutée pendant toutes ces années, elle n’aurait plus à la craindre… puisque le pire était arrivé.
Elle se figea, prise à nouveau par la sensation d’étouffer qui l’assaillait depuis quelques jours à chaque fois qu’elle retrouvait la réalité brutale sous le calque illusoire que le temps n’avait pas passé.
Chaque fois devoir s’extraire de la pierre qui écrase, soulever le poids inadmissible et recommencer en sachant que dans quelques minutes, quelques heures ou quelques jours, il faudrait à nouveau recevoir le même uppercut, et se relever… Encore, toujours.
Sans savoir pourquoi.
Une fois de plus, une petite voix s’imposa à elle.
< Tu le fais parce qu’il y a cet enfant maintenant et qu’il a besoin de toi… >
Jusqu’à ce qu’il prenne à son tour un uppercut en pleine figure, lui objecta-t-elle rageusement pour la faire taire.…
Pendant sa disparition, elle s’était raccrochée à l’espoir, refusant d’imaginer le pire. Et maintenant, elle devait faire l’impossible deuil. Elle avait récupéré son corps, elle n’avait plus à le chercher. Il était là, sous six pieds de terre et de neige. Elle l’avait enterré ce matin. Et l’espoir avec.
Elle rejeta ses pensées noires et s’approcha de la porte.

- Je sais qu’il est tard, marmonna une voix derrière le battant.
Elle ouvrit, un peu surprise.
- Bonsoir agent Scully.
- Bonsoir Frohike.
- On va prendre de mauvaises habitudes tous les deux.
Le petit homme leva une bouteille de whisky avec un vague rire triste.
Elle se souvint. Ils avaient déjà bu pour oublier un Mulder absent. Elle lui fit signe de rentrer.
- Je vous accompagnerai à l’eau.
Il la dévisagea interdit. Elle lui désigna son ventre et pendant quelques secondes, il resta la bouche ouverte avec un air abruti.
- J’arrive toujours pas à y croire.
Elle ne sut s’il parlait de Mulder ou de la grossesse, mais elle approuva d’une toute petite voix.
- Ni moi.
Pris d’une soudaine prévenance, le bandit solitaire se précipita vers une chaise de la cuisine pour la tirer et offrir une place à Scully. Elle le regarda faire en fermant la porte derrière lui et cela lui arracha quand même un sourire.
- Merci.
- Je vous aurais bien dit que de se saouler à l’eau, c’est pas sérieux mais bon, là, pour le petit… Il s’assit en même temps qu’elle, en se grattant ce qui lui restait de cheveux avec un drôle d’air.
Elle se releva pour prendre deux verres.
- Vous devriez rester assise. Il faut vous reposer.
- On est là pour boire non ? Elle les posa sur la table.
- Sûre que vous ne voulez pas une petite goutte ? insista-t-il en se versant une large rasade.
- Vous boirez pour deux…
- Si ça peut prendre votre peine, laissa-t-il tomber sans réfléchir.
Elle le regarda profondément et sentit les larmes monter.
- Pardon, bredouilla Frohike, je ne veux pas -…
- Non, c’est bon. Elle souffla. Ça va. J’ai de la peine. Vous aussi. C’est la vérité.
- …
- …
- Un mec comme lui, ça disparaît pas sans faire de dégâts.
Et il vida son verre cul sec.
Sous la table, elle se griffa violemment l’intérieur de la paume pour tenter de concentrer son attention sur autre chose.

- C’était un bel enterrement, marmonna l’autre d’une voix sourde.
- …
- Il chante bien votre frère.
- Oui.
Frokike se tut un instant.
- Je vous ai regardé : vos lèvres bougeaient mais rien ne sortait.
- …
- Moi non plus, j’aurais pas pu.
- J’ai prié.
- C’est bien. Faut des gens qui prient.
- Je pensais que vous n’étiez pas croyant.
- Nan…

Il versa à nouveau un coup de whisky dans le verre et sans réfléchir, par réflexe, servit Scully dans le même temps.
- … Mais, ça me rassure que certains s’occupent quand même de… vous voyez… ce qui est au-delà de notre compréhension, dit-il d’une mine pénétrée de conspirateur, ce qui arracha tout de même un sourire à Dana. Je vous ai jamais entendu chanter.
Elle eut une pensée pour les mots de Mulder quelques mois plus tôt qui l’imaginait ensorceler un certain petit geek binoclard.
- D’aucuns diraient que vous ne perdez rien.
- Ben, c’est des gens qui m’ont jamais entendu moi.

Il se gratta la joue et écarquilla les yeux comme s’il tentait désespérément de s’extraire d’un mauvais rêve. Puis il ajouta pris d’une soudaine inspiration :
- Si je meurs avant vous, chantez pour moi un petit psaume, ou un truc comme ça, vous voudrez bien ?
- D’accord.
Certaines discussions semblent absurdes jusqu’au jour où la mort s’invite, et s’impose. Et là, plus rien ne semble risible. Elle pourrait chanter pour lui.
- Et si je meurs avant vous, buvez un coup pour mon âme.
- Vous voulez pas que je chante ?
- … Chacun ses compétences, non ?
- Je promets de boire, déclara-t-il solennellement d’une voix pâteuse en levant son verre. Mais pour vous, je veux bien chanter aussi.
Et avec l’air absent de celui que l’alcool imbibe déjà, il commença à entonner une vieille chanson de pionniers sous l’œil interdit de Scully.
Elle le laissa terminer sa rengaine en tournant entre ses doigts la coupe qui promettait l’oubli avec ses reflets de terre translucide. C’était tentant…
- Qu’est-ce que vous allez faire maintenant ?
Elle réalisa qu’il avait fini de chanter et qu’il venait de répéter sa question pour la deuxième fois.
- Continuer, je suppose. Continuer ce qu’il faisait.
- On vous aidera.
- Si vous savez aussi changer des couches, ça pourrait également m’être utile.
Frohike rougit violemment.
- Euh… Je sais pas trop… C’est que -…
- Je plaisante.
- Non mais… on… on peut essayer… si c’est ce dont vous avez besoin.
Elle sourit.
- Merci. Ça ira je pense.
- Ah. Bon.
Il parut quand même soulagé.
- Et pour votre chef d’état-major ? Son œil s’assombrit d’un coup. C’est du putain de dossier, ça… Je sais pas qui était l’informateur de Mulder sur ce coup mais avec ce qu’on a trouvé, on fait passer le Watergate pour un scandale catégorie petit joueur…
Il se mit à marmonner, parlant pour lui-même. Elle se pencha vers lui, interloquée.
- De quoi parlez-vous ?
- Ben, vous savez le -…
Il s’interrompit. Il parut soudain se souvenir de la consigne que lui avait soufflée Mulder quelques mois plus tôt.
Le cœur de Scully battait à tout rompre.
- LE chef d’état-major ? Il vous avait demandé de faire des recherches, c’est ça ?
- Oui, convint Frohike en baissant les yeux.
- Il vous avait dit pourquoi ? insista-t-elle avec un infime tremblement dans la voix.
- Non, non, il n’avait rien précisé.
- Et… j’imagine qu’il ne fallait rien me dire…
Silence. Et finalement…
- J’imagine que la consigne n’est plus d’actualité.
Ils ne dirent plus rien pendant quelques minutes. Elle se leva et vida le contenu de son verre dans l’évier. Elle hésita, puis vint se rasseoir. Son visage avait changé du tout au tout et ses yeux étaient noirs et froids quand elle lui demanda.
- Qu’avez-vous trouvé ?
Ce n’était pas une demande. Presque un ordre. Il n’hésita pas longtemps et s’exécuta.
- Je vous la fais courte. Il y a la bio officielle que vous avez lu dans les journaux…
- Dites-moi tout comme si je ne savais rien, commanda-t-elle en l’interrompant.
- Euh bon… Alors votre bonhomme est marié à la même femme depuis quarante ans, il a deux gamins : l’un a fait carrière dans l’armée comme papa, l’autre est un gentil petit comptable de province qui a officiellement fait un mignon mariage et qui est officieusement en dépression chronique. Le père est du genre grande gueule républicaine, armée, famille, patrie et Dieu avant tout. Il est très apprécié partout où il passe, il rassure les ménagères et fait des barbecues avec les hommes qui adorent qu’un type immense d’1m95, sportif malgré ses 65 ans sonnés, bien fait, bien placé et jovial se penche sur leur cas. Un vrai mâle dominant.
Scully serra les dents. Frohike le nota mais poursuivit.
- Sauf qu’il y a eu des plaintes…
- Traitées ?
- Étouffées. Soigneusement.
Elle ne dit rien.
- Vous ne me demandez pas pourquoi ?
- Allez-y. Pourquoi ?
- Parce que ça fait mauvais genre dans un beau dossier militaire et pour un prétendant aux prochaines primaires républicaines d’avoir des accusations de harcèlement en annexes.
- Qui ? Quand ? Comment ?
- Trois assistantes au cours de ces trente dernières années, toujours sur le lieu de travail : une il y a 25 ans, une autre huit ans plus tard et la dernière, il y a 12 ans. Et il y a aussi eu une histoire avec une très jeune baby sitter…
- Très jeune ?
- 15 ans. Ouais, j’vous l’ai dit : c’est pas joli mais c’est pas le plus troublant.
Évidemment, se dit-elle. Évidemment.
- Elles disent, poursuivit Frohike, qu’il exerçait des pressions sexuelles mais qu’il n’allait pas forcément au bout.
- Donc il y aurait été pour certaines ?
- Deux d’entre elles l’affirment. La baby-sitter et une jeune enseigne qui, soit dit en passant, ressemblait plus à un joli garçon…
Frohike étudia Scully avec intérêt. Elle ne parut pas réagir.
- Vous ne devinez pas ?
- Un problème sexuel, peut-être ? grinça-t-elle.
- Ouep, mais pas n’importe lequel, précisa le petit homme avec une grimace. Un pédophile.
- …
- On a eu accès à une note confidentielle qui s’était « malencontreusement égarée » et qui atteste qu’on a retrouvé des fichiers photos « inappropriés » sur son ordinateur. Les services secrets émettent des réserves sur son comportement « en situation de formation », mais ils ne se mouillent pas plus. Il est manifestement soutenu par des gens très hauts placés.
- Il ne devrait pas être chef d’état-major, assena Scully le visage fermé.
- Non, en effet. Il ne remplit pas les conditions d’expériences au combat, mais il a quand même réussi à chopper tout un tas de distinctions pour actes de courage dans des conditions passablement floues.
- …
- Euh, bref. C’est pour ça quoi.
- Piston.
- Oui. Et puis…
- Je vous écoute : quoi d’autre ?
- Non, je voulais juste dire que… c’est un type populaire. Vraiment. Et pas seulement auprès des sympathisants républicains. Je suppose que personne dans le parti ne veut se priver du candidat idéal…
- S’il y a vraiment de tels dossiers sur lui, ça pourrait lui sauter en pleine figure et entraîner les républicains dans un scandale dont ils n’ont pas besoin…
- Ça pourrait… Il y en a un ou deux qui préfèrerait l’écarter des primaires.
- Des adversaires je suppose…
- Pensez-vous : des moralistes, gloussa Frohike en prenant un air outré. Bien sûr que ce sont des concurrents !
- Le nom de ces personnes ?
Frohike sortit un petit carnet de sa veste, le feuilleta quelques instants et épela les deux noms.
- Merci, marmonna Scully en griffonnant sur le bloc de feuilles qu’elle venait de récupérer près de son téléphone.
- De rien. Vous voulez savoir où il habite ?
Le regard de Scully sur lui le fit frissonner. Elle serrait les lèvres si fort qu’elles prirent une teinte violacée.
Il lui dicta l’adresse à son tour.
- Au cas où vous voudriez en faire quelque chose…


***********


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Et Charles était là... (en cours) - Page 2 Empty Re: Et Charles était là... (en cours)

Message  noisette Ven 11 Sep 2015 - 22:02


03h13.

Dana reposa son livre. A bien y réfléchir, elle n’avait pas tourné une page en une demi-heure. Son esprit était incapable de se concentrer sur la moindre ligne. Celles-ci se brouillaient devant ses yeux faisant sans cesse resurgir le spectre de son cauchemar.
Depuis une semaine, il revenait sans cesse.

Il faisait chaud. Le soleil caressait sa peau alors qu’elle se laissait étourdir par le balancement régulier de la barque sur l’eau. Elle avait les yeux fermés et ses mains, posées sur son ventre arrondi, communiquaient tendrement avec l’enfant. Elle le sentait sourire lui aussi, qui gigotait confortablement lové en son sein. Un coup de pied. Un poing minuscule venant enfoncer maladroitement la poche qui le contient. Puis elle l’imaginait se mettre à rire et elle avec, parce que d’autres doigts facétieux venaient se mêler à l’échange.
Mulder était maintenant derrière elle et l’étreignait tout en pianotant sa peau tendue par les si petits pieds de l’enfant.
Le vent murmurait un souffle tendre au creux de son cou, des canards sauvages passaient au-dessus de leur tête suspendant le temps : avant, l’été ; après, l’hiver. Leurs cris se mêlaient à la voix de Mulder chuchotant à son oreille. Elle ne savait pas ce qu’il disait mais ça n’avait aucune importance, elle était bien…
Et soudain, il y avait un craquement, du bois qui grinçait. La lumière du soleil disparaissait en emportant dans son filet Mulder et les volatiles. Le ciel se voilait et Dana sentait une eau glacée s’infiltrer sous elle.
Les nuages étaient noirs, la barque s’enfonçait et Dana se relevait en criant. Elle ne voyait plus la rive. Elle n’avait que ses mains pour écoper. Mais il aurait fallu qu’elle lâche son enfant et elle le refusait. La barque était maintenant remplie au deux tiers et Dana hurlait. Autour de l’embarcation, surgissaient d’une eau saumâtre des baïonnettes de fusils comme celles des petits soldats que Charlie collectionnait parce que le capitaine Scully lui en avait offert pour son cinquième anniversaire. Des dizaines de lames qui pointaient vers elle et son ventre. Elle se recroquevillait contre l’enfant faisant un deuxième nid de son corps.
Puis la boue noire engloutissait la dernière planche émergée et Dana se sentait aspirée, les flots ensevelissant en quelques secondes sa poitrine et son enfant avec. Comme une marée de vers, ils s’infiltraient dans ses narines et l’étouffaient.
Elle se noyait mais continuait de couvrir son ventre de tout son corps. L’eau terreuse plongeait alors dans sa gorge, elle ouvrait finalement les bras pour tenter de survivre et c’est là, à ce moment précis, chaque nuit depuis une semaine qu’elle sentait une horde de baïonnettes empaler son bébé du plus profond du lac. La surface se couvrait d’un rouge hideux puis se métamorphosait en un tourbillon hurlant aspirant d’une fureur vorace le moindre souffle vivant.
Là, elle se réveillait violemment, et se retrouvait, pantelante et en sueur au milieu de son lit, tétanisée de terreur, à essayer de rejeter les images qui continuaient de l’assaillir alors que ses yeux étaient ouverts.

Elle se leva et alla se servir un verre d’eau fraîche. Un peu parce que la nuit était claire, un peu pour résister à une peur irrationnelle, elle avait éteint la lampe de sa chambre et se muait maintenant dans la pénombre.
Elle connaissait son appartement par cœur. Combien de fois l’avait-elle parcouru les yeux fermés en cherchant ses repères dans un rituel absurde mais sécurisant, familier au cas où… On ne sait jamais ce qui peut arriver répétait souvent son père.
Deux pas pour traverser la cuisine. Laisser les chaises à droite. Faire un pas et demi à 2h. Tourner de 45° et s’avancer encore en se gardant de renverser le vase sur le meuble de gauche. Puis explorer la droite.
Sa main traîna sur la console haute qu’elle avait chinée dans une brocante au début de son installation à Washington. Son bois blanchi, usé se révélait très doux au toucher. Elle pensa aux hommes qui avaient fabriqué ce meuble, coupé ces planches, poncé ce bois. Qui l’avaient peint et verni. Et d’autres comme elles, qui l’avaient installé dans l’intimité de leur maison. On lui avait trouvé une place et lui, discret, s’était enraciné et fondu jusqu’à devenir presque invisible, s’intégrant dans le « tout » de l’antre de chacun de ses possesseurs.
Aujourd’hui, la console de l’entrée était là, chez elle, à sa place et Dana trouva cela réconfortant, cette présence silencieuse, héritière de tant d’élans, tant de soins et tant de temps. Immuable. Une part d’âme.
Le délicat tintement du mobile zen offert par Mélissa l’attira vers la fenêtre.
Un léger vent soufflait dans sa rue, celui-là même qui faisait ronronner le mobile clair. Un lampadaire clignotait faiblement plus loin dans l’avenue. Scully le fixa avec une sourde appréhension : quelque chose l’appelait dehors, hors de sa tanière rassurante.

Quelque chose qui puait le traquenard. Qui suintait la sueur et la terre.
Quelque chose qui la faisait trembler de peur et de colère. De moins en moins de peur, de plus en plus de colère, réalisa-t-elle avec surprise : parce que la peur après tout ça s’étouffait, vaine, stérile. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, rien ne serait pire à ce qu’elle supportait aujourd’hui.
Cette chose, à cause de Mulder, à cause de l’enfant qui grandissait, à cause de Charlie, elle ne pouvait plus la fuir.

Son fantôme.
L’ennemi intime.

D’un pas décidé, elle revint vers sa chambre et se débarrassa de son pyjama de soie. Elle attrapa dans son armoire un jean et un col roulé foncé et les enfila avec fébrilité. Elle n’aurait pas su l’expliquer mais un sentiment d’urgence l’envahissait et commandait maintenant ces gestes mécaniques.
Elle saisit une veste chaude et quitta l’appartement en prenant soin de refermer la porte sans bruit pour ne pas éveiller les voisins.
Elle vérifia que l’avenue était dégagée avant de traverser pour rejoindre sa voiture. Le lampadaire clignotait toujours. Elle ouvrit la portière, s’installa au volant et après un bref temps d’arrêt, démarra le moteur.
Elle connaissait le chemin. L’adresse que lui avait donnée Frohike était dans les beaux quartiers : Bill y avait vécu un temps. Un quartier de notables, de gens au-dessus de tout soupçon. Un quartier où les apparences ont tout pouvoir, à commencer par un pouvoir de vie ou de mort. Scully serra les dents et s’obligea à se renfoncer dans l’assise et à détendre ses épaules.



L’avenue était large et Dana réalisa tout de suite en pestant qu’elle ne pourrait pas stationner sans se faire remarquer.
Ici, toutes les maisons avaient leur garage et les trottoirs étaient vierges de tout véhicule, symboles probables d’une potentielle menace pour les habitants hauts placés du quartier.
Elle passa devant le large portail en roulant doucement. La maison, de style colonial, était imposante. Elle repéra les caméras de vidéo-surveillance dirigées vers la rue. A sa grande surprise, au premier étage, deux pièces étaient éclairées, une dans chaque aile. Scully poursuivit sa route et prit la première rue à gauche avec le projet de refaire le tour du pâté de maisons.
Chacun chez soi, nota-t-elle, en pensant qu'il y avait ici deux adultes insomniaques qui paraissaient s'éviter. Elle se demanda ce que ça pouvait être de vivre avec un tel homme. Son épouse se réfugiait-elle chaque soir dans une chambre à part laissant toute latitude au prédateur habitant sous son toit ? Savait-elle seulement avec qui elle vivait ? Était-ce la raison pour laquelle, par une nuit froide d’hiver, elle ne parvenait pas à dormir à l’heure où d’autres se régénèrent paisiblement ?
Elle repensa à ce que Frohike lui avait dit sur les fils du chef d’État-major des armées. Un des premiers terrains de chasse des prédateurs sexuels était la famille : il y avait un « gentil petit comptable de province » qu’elle devrait peut-être rencontrer un de ces jours…
Elle frissonna et remarqua que les fines gouttelettes de pluie qui tombaient jusqu’alors venaient de se transformer en flocons lourds.


***********


Renversé en arrière, le souffle court, le Général Gordon Gladston expira un râle. Sa main se crispa une dernière fois, il émit un ultime petit cri étouffé et la tension retomba d'un coup.
Il haleta quelques secondes encore et revint à l'écran.
Sans un regard pour les sujets de la vidéo et avec tout le dédain de celui qui s'est servi grassement, il ferma la fenêtre. La vidéo disparut, avalée dans les tréfonds de son disque dur externe et ne subsista plus à l'écran qu'un document pdf composé de graphiques complexes.
Il attrapa un mouchoir en papier dans son tiroir et s'essuya consciencieusement. Puis il paracheva son petit ménage avec une lingette parfumée. Il avait tendance à salir un peu et préférait que s’incruste à ce bureau une odeur de muguet plutôt que celle du foutre.
Il jeta son petit matériel dans le sac poubelle.
Satisfait, il se renfonça dans son fauteuil. C'est à ce moment seulement qu'il entendit le crépitement discret des flocons s'écrasant sur la vitre. Il débrancha son disque dur externe, pivota son fauteuil et déplia son mètre quatre-vingt-dix athlétique. Ses cheveux courts de militaires s’éclaircissaient de gris sur des tempes hautes. Cela lui conférait une prestance que sa cinquantaine juvénile aurait pu démentir. Son visage carré et ses yeux clairs étaient avenants, inspirant naturellement confiance. Son physique avait toujours été un atout pour Gladston, ou au moins son laisser-passer à peu près partout. Il s'avança vers le carré sombre. et sourit au spectacle qui se détachait à la lumière de l'éclairage du quartier. Il s'en extrait un instant pour ouvrir son coffre et ranger le boîtier noir bien au fond derrière les dossiers top secret. Puis il revint contempler avec béatitude le ballet enneigé de cette nuit, s'émerveillant de sa capacité à s'émerveiller des œuvres si simples et si parfaites de la nature.
Le Général Gordon Gladston se considérait volontiers comme un homme bien. Pour l'essentiel. Et les hommes biens regardent la neige tomber le sourire aux lèvres...


***********


Au deuxième passage, elle crut deviner une silhouette derrière l’une des hautes fenêtres de droite éclairées.
Elle sentit son pouls qui s'emballait et enfonça son pied sur l'accélérateur, dépassant la maison de maître et laissant derrière elle l'ombre du fantôme et son voile étouffant.
Trois cent mètres plus loin, elle pila. Ses tempes bourdonnaient, et malgré l'atmosphère glacée, elle sentit une goutte de sueur couler dans son cou. Sa voiture restait au beau milieu de la rue. Elle reprit ses esprits et redémarra doucement. Une ruelle s’ouvrait sur le côté. Elle avisa une place, hésita une seconde encore et se décida à se garer. Après un rapide créneau, elle sortit de l'habitacle, serrant contre elle les deux pans de sa veste et revint sur ses pas.
Son pas s'allongea, elle redressa la tête remerciant le ciel de la gifler de son froid nocturne vivifiant. La neige humide l'ancrait dans le réel, achevant de faire disparaître le cauchemar opaque au profit d'un dessin anormalement précis de l'avenue se drapant d'un blanc duveteux. Lorsqu'elle arriva devant la bâtisse, sur le trottoir opposé, elle se sentait parfaitement en éveil. Plus vivante et alerte qu'elle ne l'avait pas ressenti depuis des jours. Depuis la découverte du corps de Mulder en fait.
Elle s'arrêta net, et elle leva les yeux vers la fenêtre.
Elle était toujours là. La silhouette fantôme.

Comme un miroir inversé.
Debout. Les mains dans les poches.
L'ombre massive se détachait largement devant le faible éclairage de la pièce.
Elle ne pouvait distinguer les traits de l'homme mais devinait les manches retroussées de sa chemise d'uniforme.

Les muscles de Dana se tendirent et ses dents se mirent à claquer. Sa respiration s'affola, faisant surgir des brumes de nuages chauds entre ses lèvres sèches et bleues. L'homme restait là, tourné vers elle. Et ce n'était pas le spectacle des flocons tourbillonnant qui monopolisait son attention.
Il la regardait, elle.

Elle voulut un instant se soustraire à cet examen mais résista. Elle redressa un peu plus le menton et soutint le regard invisible.
Ses dents cessèrent de s'entrechoquer, sa mâchoire se tendit et ses poings se serrèrent.
La peur mutait en colère sourde.
Mue par une force irrépressible, elle s'avança d'un pas, posant son pied sur la chaussée déserte.
Elle perçut un frémissement et fit deux pas vifs à nouveaux.
Soudain l'homme se renfonça dans la pénombre de la pièce. Non sans plaisir, elle vit la lumière s'éteindre brusquement.
La peur changeait de camp. Scully savait qu'elle aurait dû partir mais elle devinait que l'autre, caché dorénavant dans son paravent d'obscurité, la guettait maintenant comme l'animal chassé surveille son chasseur sous l'effet d'une angoisse qui se distille et s'insinue lentement mais sûrement au creux de ses veines. Cette sensation lui donnait des ailes et elle réalisa avec un certain trouble que des images violentes surgissaient en elle. Elle fit encore un pas et fut prise d'un hoquet nauséeux.
Cet homme... Elle voulait lui faire du mal...


***********


Il y avait quelque chose de menaçant dans l'attitude de la femme. Il l'avait d'abord observée avec curiosité. Elle restait, immobile et stoïque, sous la neige et il eut la confirmation de son pressentiment, conscient que personne ne se plante par hasard devant le logement d'un homme tel que lui au milieu d'une nuit froide comme celle-ci.
Il la dévisageait. Elle le dévisageait.
Il avait presque arrêté de respirer et sentait ses poils se dresser, parcouru par un étrange courant, presque électrique.
Elle était petite, frêle. Incongrue presque dans la pièce qui se jouait, se prit-il à penser, lui qui était plus habitué à voir des mastodontes user d'intimidation. Non que ces intimidations prennent sur lui, tant sa stature toute en force en imposait à l'écrasante majorité de ses interlocuteurs, hommes et a fortiori femmes.
Mais elle, cette femme, restait, immobile et tête haute, à le toiser. Un calme paradoxal, une détermination qui imposait au moins qu'on se taise et qu'on apprécie le spectacle en se demandant quel serait le coup suivant.
Le coup suivant fut un premier pas...

Il frémit lorsqu'elle le fit. Et recula carrément lorsqu'elle avança encore presque au centre de l'avenue. Steven Haggs venait de rentrer en trombe dans le bureau et coupa immédiatement la lumière.
- Laissez Steve ! Ordonna Gordon d'une voix brouillée.
Avec une certaine excitation, il se rapprocha à nouveau, de côté, partiellement dissimulé par le mur. Il détailla la mince silhouette dédaignant toute prudence et s'affichant aussi effrontément à sa vue et à celle de ses gardes.
Le général passa sa langue sur ses lèvres et esquissa un mouvement pour revenir au centre de la fenêtre.

- Général, reculez ! Ecartez-vous de ces vitres !
- Elle n'est pas armée...
- On ne prend pas de risque.

Steven Haggs saisit son talkie-walkie à sa taille.
- Mosley, va chercher madame Gordon. Tu l’emmènes en zone de sécurité.
- Haggs, vous délirez, ce n’est qu’une bonne femme !
- On ne prend pas de risque, répéta le sergent qui poursuivit. Brody, Peabock, interpellez la femme. Faites gaffe, elle pourrait porter une bombe…
- Non ! tonna le général en reprenant son autorité naturelle. Qu’ils restent à distance. Je veux voir ce qu’elle a dans le pantalon. Si ça se trouve, c’en est une avec une bonne paire, ajouta-t-il avec une claque sur l’épaule de son garde du corps en riant.
Steven Haggs ne sourit pas et s’obligea à dissimuler sa réprobation. Contrairement à la plupart des hommes du militaire, le sergent, un ancien marine, ne portait pas le chef d’État-major dans son cœur.
- Restez à distance, ordonna-t-il à ses hommes sans quitter la femme des yeux.
Elle avait encore fait un pas et se trouvait maintenant éclairée par la lumière d’un lampadaire.
Ce serait dommage qu’une telle femme se fasse sauter, se surprit à penser le sergent tout en armant son revolver.


***********


Deux hommes étaient sortis du bâtiment et s’avançaient vers le portail.
Incrédule, elle les vit dégainer leurs armes et les braquer sur elle. Elle eut un petit rire nerveux mais, par prudence, écarta légèrement les mains de son corps avec un regard noir pour le général qui envoyait l’artillerie lourde face à une femme enceinte et inoffensive.
Les lâches restent lâches, se dit-elle en se demandant si elle oserait refaire ce qu’elle n’avait fait qu’une fois dans sa vie : un doigt d’honneur à des représentants de l’autorité publique. Elle se rappelait l’exploit accompli du haut d’un fourgon pompe, sous l’œil goguenard de Marcus, son petit ami de l’époque. L’évocation de ce fait de gloire qui trouvait son origine autant dans son intérêt pour l’idéaliste révolté qu’était Marcus que dans sa volonté de contrarier son père lui fit du bien.
Elle décida d’ignorer les sbires du général et s’approcha encore jusqu’à se retrouver sous la lumière d’un réverbère sur le trottoir de la maison, à une dizaine de mètres seulement de la haute fenêtre.
La neige mouillait ses cheveux roux et fondait sur son visage jusque dans son cou. Elle gardait ses paumes ouvertes en signe de non-agression. Mais sa tête était levée, tendue vers l’homme.
Ils étaient deux maintenant près de la fenêtre mais elle n’avait d’yeux que pour lui qui s’était réinstallé au centre comme s’il voulait lui signifier qu’il l’attendait de pied ferme, lui le géant bien au chaud et à l’abri, sûr de sa force et de son pouvoir.
Elle le vit lever la main légèrement de profil et mimer en ombre de ses doigts un revolver pointé vers elle.
Alors elle ramena la main vers sa taille.


***********


Haggs blêmit mais n’hésita pas une seconde. Les kamikazes étaient le cauchemar des gardes du corps.
- Interpellation ! commanda-t-il.


***********


Au fond d’elle, Dana savait pertinemment que dans cette relative obscurité, au milieu d’une neige de plus en plus épaisse, son geste était équivoque.
- Ne bougez pas, cria l’un des sbires tandis que son congénère avançait vivement vers elle.
Elle leva une main en l’air mais garda l’autre là où elle devait être : sur son ventre, couvrant son enfant comme pour lui jurer que jamais elle ne le laisserait seul face au danger.
- Les deux mains en l’air ! ordonna celui qui avait déjà parlé.
Il paraissait très jeune et bien trop nerveux. Adrian Peabock, un rouquin longiligne avec des joues de bébé, n’en était qu’à sa première mission.
- Je n’ai rien à me reprocher, opposa Scully sans obtempérer.
Elle n’eut même pas un regard pour lui ni pour l’autre, plus âgé, à trois mètres d’elle. Elle toisait toujours le général quatre étoiles.
Celui-ci semblait savourer la situation et Dana sentit des fourmillements envahir le majeur de sa main levée. Ce doigt d’honneur la démangeait.
Jack Brody, l’aîné des agents, cheveux grisonnants et physique de rugbyman ne la quittait pas des yeux. Il avait vingt ans d’expérience dans l’armée et n’avait pas souvent eu affaire à des femmes combattantes mais il n’ignorait pas que dans ce métier, il ne fallait jamais être pris par surprise. De plus en plus de femmes adhéraient au fanatisme morbide et meurtrier qui n'avait été jusque-là que l'apanage de leurs homologues masculins. Il vit les doigts en l’air se rassembler comme un poing qu’on serre avant de frapper et réagit immédiatement : il se jeta sur Scully.
Elle tomba à terre et sa main rejoignit instantanément la première pour couvrir son ventre.
Le jeune Peabock se rua en tentant de garder la femme dans son angle de tir.
- Enlevez vos putains de mains de là, bordel ! hurla-t-il.
Injonction à laquelle Scully resta sourde. Elle garda ses mains contre elle et se recroquevilla davantage sur elle-même.
- Je ne suis pas armée ! protesta-t-elle le souffle court en résistant à Brody qui la couvrait de tout son corps massif et qui essayait de lui tirer les bras vers l’arrière sans grand résultats.
Dana eut soudain une furieuse envie de rire : c’était nerveux mais pour la deuxième fois de sa vie, elle appliquait la théorie du poids mort. Marcus aurait apprécié !
Peabock se rapprocha pour prêter main forte à son collègue et envoya un violent coup de pied dans les côtes de Scully pour la faire lâcher son ventre. Elle gémit mais ne bougea pas, renforçant plus encore sa position en boule. Il récidiva, heurtant cette fois le poignet de son acolyte en même temps que le bras de Dana.
Brody étouffa un cri et relâcha sa prise.
Elle roula sur le côté mais Brody revint à la charge de tout son poids en changeant de stratégie. Il enfonça un coude dans les reins de Scully qui s’époumonait face contre terre et son avant-bras enroula sa gorge. Tout en dosant sa force, il appuya sur la trachée en tirant la tête vers lui. Scully sentit la douleur dans son cou irradier jusqu'à son crâne. Elle ouvrit sa bouche pour tenter d'aspirer une gorgée d'air et émit un gargouillement.
Brody desserra un peu sa prise mais Peabock en profita pour lancer une nouvelle attaque. Directement à la tête. La chair se déchira sous la pointe de sa chaussure et la blessure se mit à saigner maculant la face de Dana qui gémit mais garda ses mains serrées contre elle comme si sa vie en dépendait. Les soldats sortaient du tréfonds du lac et leurs baïonnettes commençaient leur ouvrage meurtrier. Dans un éclair de lucidité, elle se dit qui si Mulder avait été là, il aurait prétendu que son rêve était un avertissement, une prémonition. Même en lui opposant science et rationalisme, elle n’aurait probablement pas pris le risque de venir …
Mais Mulder n’était plus là et Dana se recroquevilla encore un peu plus autour de tout ce qui lui restait de lui.

Haggs comprit avant même qu’elle ne le dise. Cette femme préférait protéger son ventre plutôt que son visage. Il hurla dans le talkie-walkie.
- Arrêtez ! Elle est enceinte !


***********


- Je suis enceinte ! cria Scully alors que le pied de Peabock lui heurtait violemment la mâchoire.
Brody réagit immédiatement : il se redressa et repoussa son partenaire. Mais il dut y revenir à deux fois avant que celui-ci ne redescende de son brouillard furibard.
Il revint vers la femme qui peinait à se relever. Elle titubait. Il voulut lui saisir le bras pour la soutenir mais elle se remit debout seule en le fusillant d'un regard noir qui le refroidit instantanément.
- Qu'est-ce que vous avez dans la tête pour jouer les kamikazes devant cette baraque avec un polichinelle dans le tiroir ? Maugréa-t-il en lui tendant malgré tout le dernier mouchoir en papier d’un vieux paquet. Ses yeux se posèrent sur le léger renflement de son ventre sous la veste ouverte qui était désormais mieux visible.
- Qu'est-ce que vous avez dans le crâne pour confondre un terroriste et une femme enceinte ?! Cracha Dana en épongeant le sang sur ses tempes.
- Me prenez pas pour un con, ma p'tite dame, rétorqua-t-il d'un œil noir. Vous saviez exactement ce que vous faisiez. Si vous voulez vous débarrasser de ce môme, il y a des techniques plus simples.
Dana le dévisagea avec stupéfaction pendant quelques secondes qu'il mit à profit pour venir lui-même tamponner la blessure avec un mouchoir en tissu cette fois mais d'une propreté douteuse. Les blessures étaient moins graves qu’il ne l’avait craint.
- Je n'essayais pas de mettre en danger mon enfant ! Souffla Scully avec sidération.
- Ben voyons !
- Bordel ! Je n'essayais pas de mettre en danger mon enfant ! Hurla-t-elle soudain en s'agitant et en repoussant furieusement Brody.
Peabock qui observait jusque-là l'échange impavide comme un alcoolique brutalement obligé de dessaouler, attrapa vivement les bras de Scully pour les maintenir dans son dos et tenter de maîtriser sa fureur.
- Alors, va falloir arrêter vos conneries, trancha Brody.
Elle le toisa de haut en bas.
- Vous venez d'agresser une femme enceinte désarmée. En termes de conneries, je n'ai pas de leçon à recevoir de vous.
Jack Brody serra les dents.
- Vous avez gravement merdé, soldats, poursuivit-elle d’un ton menaçant. Ça pourrait se payer...
Le talkie-walkie grésilla. Il le saisit et se détourna de Scully en la laissant s'expliquer avec le jeune crétin qui lui servait d'équipier.
- Comment va-t-elle ? Demanda Haggs.
- Ça ira. C’est superficiel sergent.
- Le bébé ?
- Je ne pense pas que le ventre ait été touché.
- Relâchez-la tout de suite. On en a bien assez fait comme ça.
C'était bien l'avis de Brody. Il s'écarta encore un peu.
- Il risque d'y avoir des suites sergent...
Le sergent Haggs se tût et se tourna vers son supérieur. Gordon Glaston souriait à côté de lui.
Un vrai sourire.
Ouvert, léger, insouciant et plein de charme. Le genre de sourire qui faisait dire à la plupart des gens qui croisaient le général que c'était vraiment « un chic type »...
- Il n'y aura pas de suite - Il souriait toujours - Que pourrait-elle prouver ?!
Il tapa sur l'épaule de Haggs.
- Je compte sur vous, Steve.
Faire disparaître les enregistrements, distribuer quelques billets aux bonnes personnes : Haggs connaissait la méthode, bien malgré lui.
Il ravala sa salive et revint à son homme.
- Brody. Il vaudrait mieux qu'elle abandonne toute velléité de poursuite. Vous voyez ce que je veux dire ?
Son homme marqua un temps. Que Haggs traduisit comme une désapprobation manifeste.
- Bien sergent.
Et au mépris des codes militaires, Brody coupa la communication avant son supérieur.
Il inspira un coup et revint vers Scully.
- Lâche-la, commanda-t-il à Peabock sur un ton qui ne souffrait pas la moindre discussion. Et va voir ailleurs.
Le jeune soldat se renfrogna mais s’exécuta. Brody s'adressa sèchement à Scully.
- Je vais vous la faire courte : pas de preuves, pas de procès, pas de prix à payer. Maintenez, prenez vos cliques, vos claques et vos cloques et foutez le camp !
Dana connaissait la chanson et elle savait que l'homme en face d'elle n'en était que l'interprète contraint.
- C'est toujours ce qu'ils pensent, hein... Qu’on ne leur présentera jamais la facture. Jusqu'au jour où ça revient sans prévenir...
- …
- Tout se paye. Elle se tourna vers la fenêtre et la silhouette du chef d'état-major. Croyez-moi, murmura-t-elle sans regarder son interlocuteur, tout se paye...
Brody sentit qu'il se jouait autre chose dans cette menace. Il pensa à ses deux filles et son fils. Et à ce gamin qui grandissait dans le ventre de cette femme qu’il avait de moins en moins envie de prendre pour une folle. Mais qui devrait se mettre un peu de plomb dans la tête, pensait-il.
- Je ne vois rien qui mérite que vous mettiez en danger la vie d'un gosse... Madame, ajouta-t-il après une imperceptible hésitation un ton plus bas. Vous avez des responsabilités vis à vis de lui maintenant : vous n'avez plus le droit de penser qu'à votre pomme.
Dana le dévisagea sans rien dire. Brody lui rendit son regard, dur. Le coin de la bouche de la femme avait méchamment enflé. Il restait des traces de son sang sur sa figure pâle et sa lèvre inférieure était coupée. La neige tombait sur ses cheveux en les plaquant sur son crâne et dégoulinait en coulées teintées de rose dans son cou en la faisant frissonner.
Il enregistra l'image dans sa mémoire. Pour sa contrition personnelle. Mais ne s'excusa pas. De toute façon, cette femme n'en avait que faire.
Elle tourna les talons et s'éloigna dans la semi-obscurité de cette nuit cotonneuse.


***********


Le général Gladston la regarda s'enfoncer au travers d’une pluie de hallebardes blanches avec satisfaction.
- Et maintenant, demanda-t-il calmement, dites-moi. Qui est-ce ?
Steven Haggs avait l'intuition que l'autre aurait dû le savoir mais répondit, impénétrable.
- Une voiture est passée deux fois devant la grille tout à l'heure. Probablement la sienne. On a son immatriculation : on saura très vite.
- Faites-moi un dossier complet. En toute discrétion.
Le chef d'état-major aimait un peu trop une discrétion systématique pour ne pas être suspect aux yeux de Haggs.
- Bien mon général.


***********


8h30. Appartement de Scully.

Pour la seconde fois, la sonnerie retentit. Dana se demanda si le voisin ne venait pas se plaindre. Elle avait laissé longtemps couler l'eau sur son visage et son corps frigorifié en rentrant.
Elle s'était réveillée à 8h00 après deux petites heures d'un sommeil si agité qu'il lui avait laissé l'impression qu'elle ne s’était jamais assoupie. Sa tête et ses côtes lui faisaient mal, sa bouche était pâteuse. Elle avala un comprimé résolue à se dispenser d’une consultation médicale qui ne l’enjoindrait qu’à « attendre » que ça passe et s’aspergea encore une fois d'eau fraîche avant d'aller regarder par le judas de sa porte.

John Doggett, impeccable dans son costume gris de travail, faisait le pied de grue devant son appartement.
Elle soupira et ouvrit la porte en baissant imperceptiblement la tête dans une vaine tentative de lui dissimuler les marques de sa nuit tourmentée.
Il entra, manifestement partagé entre appréhension et ressentiment.
- Ne vous fatiguez pas - du bout des doigts, il l'obligea à relever le menton pour faire un rapide état des lieux - je suis au courant. Je me suis dit que vous préféreriez éviter le bureau aujourd'hui, non ?
Elle leva les yeux vers lui, étonnée. Doggett était visiblement inquiet mais s'efforçait de se contenir. Elle se fit la remarque qu'il se comportait encore une fois en partenaire de confiance. Celui qu'il s'évertuait à être depuis le début en dépit de son propre manque d'encouragement. La gratitude s'insinua en elle.
- Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il.
- Ça ira, merci.
- J'ai amené un steak.
John extirpa une énorme entrecôte d'un sac plastique. Scully le dévisagea avec incompréhension.
- Ne le prenez pas mal, mais je n'ai pas encore l'appétit pour ça.
Doggett leva les yeux au ciel.
- Médecine de soldat. Votre père était vraiment dans la marine ?!
- Euh...
- Asseyez-vous, ordonna-t-il avec bienveillance.
Elle se dit qu'elle lui devait bien ça au moins et obtempéra. Inutile de le contrarier en lui expliquant que seule la fraîcheur et le poids d’une viande conservée au frais présentait un vague intérêt autrefois - lorsque les glaçons étaient rares - pour limiter les hématomes. John appliqua précautionneusement la viande sur tout le côté gauche de son visage. Scully réprima une grimace. Il s’assit à son tour et la dévisagea en silence. Elle lui rendit son regard et sourit d'une moue penaude.
- Merci John.
Les larges épaules de Doggett se relâchèrent légèrement en entendant son prénom. Il se pencha lentement par-dessus la table pour se rapprocher d’elle.
- Je vous en prie. Et maintenant, articula-t-il très posément, il y a quelque chose que j'aimerais bien savoir. Qu'est-ce que vous fassiez devant la maison du chef d'état-major cette nuit, Scully ?
Ses yeux bleus étaient très doux en dépit d'une ombre discrète qui les traversait. Mais son visage aux traits francs exigeait une sincérité totale.
- Mulder s'y intéressait, mentit-elle tout en s'absolvant elle-même de cet arrangement avec la vérité puisque ce n'était pas réellement faux.
John la regarda longuement encore. Cette femme à l’air bornée plaquant une viande rouge sur son visage abîmé ne lui disait pas tout. Il n'était pas dupe mais décida de ne pas creuser.
- J'ai un ami, un ancien marine, qui ne le porte pas dans son cœur. Alors voilà ce que je vous propose : je vous dis ce qu'il m'a confié. Vous me dites ce que vous savez. Et on bosse ça, ensemble. Comme des équipiers. Il va falloir se faire confiance maintenant...

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